Halloween : des musées inquiétants

Pourquoi les musées français ne proposent-ils aucune visite sur le thème de Thanksgiving ? Ce serait formidable de pouvoir chasser des dindes déplumées lâchées au milieu des œuvres, et de tomber nez à nez avec des Indiens emplumés cachés derrière des sculptures. 
Quel rapport avec la culture française ? Aucun. Pas plus qu’Halloween en fin de compte. Et pourtant, combien de musées tentent-ils d’attirer le public, ces jours-ci, en proposant des visites sur ce thème ? Booouh, venez frissonner au musée. Bien plus excitante que la Toussaint, la fête d’Halloween est anglo-saxonne, donc internationale, donc vendeuse. Tout est bon pour attirer le chaland, puisque les musées deviennent peu à peu des centres de loisirs et sont priés d’être rentables avant d’être éducatifs. L’essentiel est de pouvoir annoncer une bonne fréquentation, peu importe que les visiteurs soient venus pour contempler des œuvres ou pour jouer à se faire peur, affublés de déguisements plus sinistres les uns que les autres, le visage écorché, une hache dans le crâne, un œil qui pendouille, morts-vivants, fantômes, momies, zombies et autres joyeux drilles.


1. Émile Friant (1863-1932)
La Toussaint
Huile sur toile - 25,4 x 33,4 cm
Nancy, Musée des Beaux-Arts
Photo : RMN-GP
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Triste retour des choses, puisque la Toussaint (ill. 1) fut instaurée au mois de novembre justement pour lutter contre la fête celtique païenne de Samain.
Certes, Halloween n’est qu’un prétexte qu’utilisent les institutions pour faire venir le public et proposer des visites prétendues pédagogiques, mais surtout « ludiques » de leurs collections. Faut-il vraiment trouver des subterfuges pour donner envie de regarder des œuvres d’art ? Sont-elles si peu dignes d’intérêt qu’il faille raconter des histoires de fantômes et de morts-vivants pour qu’on désire les contempler ? Et s’il est nécessaire de captiver, voire de capturer un public qui ne viendrait pas sans ces artifices, pourquoi choisir un thème certes à la mode, mais qui n’a rien à voir avec les collections d’un musée ? La Toussaint et la Fête des morts sont peut-être moins populaires qu’Halloween, elles sont pourtant plus adaptées à la mise en valeur de nombreuses collections muséales. Par ailleurs - c’est un détail qui peut avoir son importance pour des lieux culturels - elles permettent de raconter l’histoire de la France et de ses voisins.

La Toussaint remonte au VIe et plus officiellement au VIIe siècle, lorsque le pape Boniface IV transforma le Panthéon de Rome en église, dédiée à la Vierge Marie et aux martyrs, et qu’il y fit transférer des restes anonymes de chrétiens prélevés dans les catacombes. Quant à la journée des morts, elles fut instaurée en 998 par Odilon, abbé de Cluny, afin que, par la prière des vivants, les morts obtiennent la clémence divine et quittent le purgatoire pour gagner le Paradis.


2. Sebastiano del Piombo
Le Martyre de sainte Agathe
Huile sur panneau - 127 x 178 cm
Florence, Galleria degli Uffizi
Photo : Galleria degli Uffizi
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Les saints sont pléthore dans l’art, et beaucoup de musées pourraient proposer à leurs visiteurs de décrypter leurs représentations qui n’ont, quoi qu’on en pense, rien de rébarbatif. Car c’est la grande crainte des musées : ennuyer le public en exposant des œuvres trop exigeantes. Ils se donnent beaucoup de mal pour transformer la culture en divertissement, et pour faire oublier aux visiteurs où ils se trouvent (voir l’article sur comment s’échapper d’un musée).


3. Pierre-Paul Rubens (1577-1640)
Le Martyre de saint Liévin, vers 1633
Huile sur toile - 413 x 347 cm
Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts
Photo : Wikimedia (domaine public)
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4. Nicolas Poussin (1594-1665)
Le Martyre de saint Érasme, 1628
Huile sur toile - 322 x 189 cm
Rome, Musei Vaticani
Photo : Wikimedia (domaine public)
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Mais qu’on se rassure, la vie des saints est rocambolesque, et leur mort se finit souvent en apothéose. Et si l’on veut absolument du « gore » - les anglicismes sont de rigueur dans une société américanisée - les martyrs peuvent en fournir par leurs morts sanguinolentes à souhait. Ainsi les saintes Agathe (ill. 2) et Lucie eurent l’une les seins coupés, l’autre les yeux arrachés ; on arracha aussi la langue de saint Liévin pour la donner aux chiens (ill. 3), on déroula les intestins de saint Érasme (ill. 4), saint Laurent finit sur un gril, façon barbecue, saint Jean-Baptiste eut la tête coupée, saint Barthélemy fut écorché vif, et pas seulement.


5. Ligier Richier (1500-1567)
Transi de René de Chalon
Pierre - H. 177 cm
Bar-le-Duc, église Saint-Étienne
Photo : Ketounette (CC BY-SA 4.0)
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Quant aux autres morts, tous ceux qui ne furent pas saints et que l’on fête le 2 novembre, ils sont présents dans d’innombrables œuvres d’art, aussi bien les transis (ill. 5) que les portraits posthumes. Le thème de la mort peut ainsi se décliner de multiples manières : la danse macabre (ill. 6), le Dit des trois morts, le memento mori ou bien encore les vanités (ill. 7)…
Malheureusement ces deux fêtes ne sont pas assez américaines donc pas assez attrayantes. Pas assez laïques non plus. Et sans doute a-t-on peur, en les célébrant dans des lieux culturels, de se faire accuser de prosélytisme. Néanmoins qu’on le veuille ou non, les musées regorgent d’œuvres religieuses. Les expliquer ne relève pas du catéchisme, mais de l’histoire de l’art.


6. Michaël Wolgemut (1434-1519)
Danse Macabre
Gravure sur bois
Photo : Wikimedia (domaine public)
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7. Attribué à Philippe de Champaigne (1602-1674)
Vanité
Huile sur panneau - 28,4 x 37,4 cm
Le Mans, Musée Tessé
Photo : Wikimedia (domaine public)
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Halloween est donc partout. Et après ? Quand viendra le mois de décembre, les musées feront-ils autant de bruit pour inviter les visiteurs à venir découvrir leurs collections sur le thème de Noël ? Le thème de Noël, et non du Père Noël, ho ho ho. La peur sans doute d’une confusion entre culture et religion réfrènera les visites à la découverte de la Nativité et de tous les autres épisodes qui l’accompagnent : l’Annonce faite aux bergers, l’Adoration des bergers puis des Mages, ou même le Massacre des Innocents et la Fuite en Égypte. Autant de sujets qui traversent toute l’histoire de l’art et dont la confrontation pourrait à la fois être un enseignement iconographique et stylistique.
Mais de la même manière qu’Halloween a supplanté la Toussaint, sans doute les musées préféreront-ils bientôt célébrer le Black Friday plutôt que Noël. Voilà un événement qui serait à la fois divertissant et rentable. Chaque institution pourrait disperser dans ses collections permanentes les marchandises de sa boutique : crayons, carnets, foulards, peluches, porte-clefs, mugs seraient ainsi déployés tout au long du parcours. Venez découvrir les œuvres à travers les gadgets sur lesquels elles sont reproduites. Vous aimez un tableau ? Offrez-le-vous en paire de chaussettes, c’est moins cher que la version originale, d’autant que c’est jour de soldes. En voilà une manière ludique de regarder l’art. Ce serait bon pour la fréquentation des musées, bon pour les affaires, bon aussi pour la santé des visiteurs qui parcourraient ainsi tout le musée à la recherche d’une bonne occasion. Cette proposition formulée aujourd’hui est parfaitement adaptée à la fête d’Halloween : elle est terrifiante.

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