Nous publierons demain un article sur la restauration intérieure de Notre-Dame de Paris que nous avons pu enfin découvrir (indice : c’est superbe), mais nous voudrions revenir ici sur l’affaire des vitraux du bas-côté sud et des chapelles.
Certains en effet, notamment le diocèse, affirment que puisque les peintures murales exécutées d’après les décors peints de Viollet-le-Duc qui ornaient naguère ces chapelles ont disparu, les vitraux ne se justifient plus et on peut donc les retirer.
Cela revient à se glorifier de ses propres turpitudes, celles du clergé et du ministère de la Culture de l’époque qui ont laissé détruire ces décors pourtant classés monument historique. Cela signifierait également qu’on irait encore plus loin en faisant disparaître toute trace de l’intervention de Viollet-le-Duc dans ces chapelles, alors que, rappelons-le, tout cela est théoriquement protégé avec l’ensemble de la cathédrale.
- 1. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879)
Carton peint chapelle de la Sainte-Enfance (détail)
Charenton-le-Pont, Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie
Photo : Mathilde Candau - Voir l´image dans sa page
- 2. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879)
Carton peint chapelle Sainte-Anne (détail)
Charenton-le-Pont, Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie
Photo : Mathilde Candau - Voir l´image dans sa page
Nous voudrions plutôt proposer une autre solution, à vrai dire la seule qui soit raisonnable et qui accompagnerait logiquement la très belle restauration qui se termine. En effet, l’élimination progressive de Viollet-le-Duc de la cathédrale, qui a commencé dès les années 1950, n’est pas une fatalité, et elle est même parfaitement réversible. Nous avons déjà parlé de la couronne de lumières, des lustres de la nef, ou encore de la clôture de chœur (voir l’article) qui pourraient parfaitement être remis en place. Mais l’on pourrait encore aller plus loin dans la restauration de l’état de la cathédrale telle qu’elle avait été classée monument historique. Certainement pas en supprimant les vitraux, mais au contraire en restituant les peintures murales qui les complétaient si magnifiquement. Il suffit d’ailleurs de voir les chapelles du déambulatoire qui ont conservé à la fois leurs vitraux et leurs peintures murales pour comprendre combien le vandalisme du début des années 1960 a fait perdre à la beauté de l’édifice.
- 3. Gravure des décors de Viollet-le-Duc de la chapelle Sainte-Geneviève à Notre-Dame
Charenton-le-Pont, Médiathèque du
Patrimoine et de la Photographie - Voir l´image dans sa page
- 4. Gravure des décors de Viollet-le-Duc de la chapelle Saint-Joseph à Notre-Dame
Charenton-le-Pont, Médiathèque du
Patrimoine et de la Photographie - Voir l´image dans sa page
Si les peintures murales de la nef avaient été figuratives, cela aurait été plus compliqué. Mais par chance, celles-ci étaient pour l’essentiel décoratives. Il est d’autant plus facile de les refaire que l’on possède dans les archives Viollet-le-Duc conservées à la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, à Charenton, tous les dessins préparatoires et les cartons de ces décors (ill. 1 et 2), des gravures au 10e d’exécution (ill. 3 et 4) et même pour certains des photos prises avant leur effacement (ill. 5). Ces motifs peints disparus, dont plusieurs relèvent presque de l’Art nouveau, témoignant du génie de l’architecte qui fut une source importante pour les créateurs de la toute fin du siècle, pourraient être restitués, exactement comme la flèche a pu être refaite à l’identique. On rendrait ainsi à ces chapelles toute la beauté de leur dernier état historique connu, celui que l’on peut voir depuis les années 1960 n’étant que l’objet d’un vandalisme officiel.
- 5. Photographies de la chapelle Saint-Charles
À gauche : mur latéral ouest, avec le confessionnal
À droite : mur latéral est, avec l’autel
Charenton-le-Pont, Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie
Photo : J. Gourbeix/RMN-GP - Voir l´image dans sa page
Ajoutons que cette commande à Viollet-le-Duc est d’autant mieux documentée qu’un excellent mémoire d’étude de l’École du Louvre, dû à Mathilde Candau, a été mené sur ce sujet. Intitulé : « Un chantier oublié à Notre-Dame de Paris : Le décapage des peintures murales de Viollet-le-Duc (chapelles de la nef et bras du transept) », il revient à la fois sur ce que l’on peut savoir de ce décor et sur sa malheureuse disparition [1].
Il confirme également que contrairement à ce que qu’affirment certains, le décor des chapelles, tant les peintures murales que les vitraux, a été soigneusement étudié par l’architecte et que les vitraux (ill. 5) n’étaient pas décoratifs par « manque d’argent » comme on l’entend parfois [2]. Tout a été au contraire soigneusement pensé par l’architecte qui entendait créer une œuvre d’art totale. Les vitraux étaient conçus à la fois pour l’éclairage de la nef en fonction de la lumière qui les éclaire. Il traite ainsi différemment le côté nord qui reçoit : « une lumière plus sombre et froide que les chapelles du bas-côté méridional qui sont quant à elles inondées d’une lumière "plus vive et plus colorée" », mais aussi en lien avec les couleurs des murs pour que « "le jour coloré des verrières" s’harmonise avec les futures couleurs des murs et se complète. »
- 6. Vitraux de la chapelle Sainte-Geneviève après restauration
(la photo est prise à la tombée du jour, et elle ne
rend pas complètement justice à la beauté de l’œuvre)
Photo : La Tribune de l’Art - Voir l´image dans sa page
« Tout est en définitive pensé pour créer une unité générale, agréable à l’œil et harmonieuse. » écrit également Mathilde Candau. Cette unité, déjà mise à mal par la suppression des peintures murales, serait définitivement ruinée par l’enlèvement des vitraux, d’autant qu’ils jureraient avec ceux du bas-côté nord. En revanche elle pourrait être parfaitement rétablie si les décors étaient restitués ce qui, répétons-le, serait extrêmement simple à réaliser.
La découverte par le public des vitraux restaurés et toujours en place, encore bien plus beaux que dans notre souvenir, va sans nul doute jouer un rôle dans leur préservation. Nous ne doutons pas que le projet désastreux de leur remplacement soit finalement abandonné, soit volontairement face à l’opposition (et à la faiblesse des projets), soit grâce aux actions en justice. Mais il faudra aller encore plus loin. Il faut reviollet-le-duciser Notre-Dame et lui rendre ses décors peints [3].