Gadagne : visite d’un musée sans collections exposées (3)

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1. Qu’est-ce que tu fabriques, question qu’on se pose à propos du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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On pouvait penser avoir touché le fond avec les deux premières sections du parcours permanent du Musée Gadagne qui n’a plus rien d’un musée. Mais paradoxalement, plus on monte plus on creuse, et la section (ill. 1) intitulée « Qu’est-ce que tu fabriques » (on se tutoie, on est entre amis), consacrée à « Lyon industrielle et ouvrière » possède quelques pépites. La muséographie est d’ailleurs présentée dans le dossier de presse comme « ludique et inclusive » ce qui coche au moins deux cases de ce qu’on peut faire de pire dans ce genre aujourd’hui.
Soyons juste : il y a un peu plus à voir dans les trois parties réparties sur quatre espaces dans six salles (oui, il faut suivre). Soit en tout, et sauf erreur de notre part, cinq tableaux, deux médailles, trois céramiques, un métier à tisser, un fauteuil, quelques objets… Et la désormais habituelle litanie de livrets et plaquettes, de reproductions de gravures, d’affiches, de photos ou de cartes postales.


2. Première salle du troisième niveau
Photo : Didier Rykner
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3. Première salle du troisième niveau avec
trois céramiques en hauteur
Photo : Didier Rykner
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4. Balthazar Alexis
Intérieur d’un atelier de canuts
Huile sur carton - 44 x 33 cm
Lyon, Musée Gadagne
Photo : Musée Gadagne
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Les deux médailles, qui datent du XVIe siècle et dont l’une est déposée par le Musée des Beaux-Arts, se trouvent dans la première salle (ill. 2), à côté d’une copie de Dürer du XIXe siècle : le portrait de Jean Kleberger. Les trois céramiques, d’ailleurs sans grand intérêt, sont accrochées en hauteur (ill. 3), sans doute pour rappeler que le Musée Gadagne possède une très importante collection de faïence, de Lyon et de Nevers, mais qu’on ne la verra pas.
Nous passerons rapidement sur un deuxième tableau dont l’intérêt n’est que documentaire, car on fait difficilement plus laid (ill. 4), pour nous attarder sur un autre très honorable du XIXe siècle, par Pierre Bonirote un peintre lyonnais élève notamment de Pierre Revoil. L’œuvre représente l’origine de la fabrication des étoffes de soie à Lyon en 1536, et plus précisément « Thomas II Gadagne introduisant auprès du Consulat de Lyon, Bartolomeo Naris et Étienne Turquet, deux commerçants piémontais. Soutenus par François Ier, ils obtiennent de ce dernier l’établissement par lettres patentes de la première corporation d’ouvriers en "draps, d’or, d’argent et de soies". Ils font venir du pays de Gênes leurs ouvriers à Lyon avec leurs familles. » (ill. 5).


5. Pierre Bonirote (1811-1891)
Origine de la fabrication des
étoffes de soie à Lyon en 1536

Huile sur toile
Lyon, Musée des Beaux-Arts
déposé au Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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6. Présentation du tableau de Bonirote dans le Musée Gadagne
(ceci n’est pas un montage)
Photo : Didier Rykner
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Enfin un peu de culture se dit-on, et une présentation cohérente d’une œuvre d’art pour un musée d’histoire… Oui mais. Voilà ce que l’on peut lire en très gros et en majuscule à droite du tableau : « NON, JE DIS PAS C’EST UN TRÈS BEAU TISSU MAIS ON NE POURRAIT PAS AVOIR DES MOTIFS BANANES ? » (ill. 6). Nous reproduisons cette phrase dans la grammaire et la ponctuation d’origine. Nous n’insisterons même pas sur le fait que la banane n’a été réellement introduite en France qu’à la fin du XIXe siècle et qu’en 1536 à Lyon il est très peu probable qu’on ait jamais entendu parler de ce fruit. Ce serait mesquin.
Comment peut-on tomber si bas dans un musée ? Sans doute fallait-il consulter des « centaines d’expert·es et de chercheur·es » pour arriver à un tel résultat…


7. Un fauteuil au Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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8. Deuxième salle du troisième niveau du Musée Gadagne (où se trouve le fauteuil)
Photo : Didier Rykner
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On pourra voir ensuite le seul meuble exposé - sauf erreur de notre part - alors que le mobilier est un des points fort des collections du Musée Gadagne : un fauteuil Louis XV, par ailleurs présenté n’importe comment dans une vitrine (ill. 7). Dans cette salle (ill. 8), des écrans, des infographies, des reproductions, et quelques objets complètent la présentation, la salle suivante étant un peu de la même eau (ill. 9), avec une grande photo (ill. 10) d’une femme déguisée en costume d’époque (de quelle époque, avouons qu’à ce stade on commence à s’en moquer un peu) et tenant un porte-voix (d’époque aussi, probablement).


9. Troisième salle du troisième niveau
du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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10. Troisième salle du troisième niveau
du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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Car on commence ici, avant même la dernière section que nous verrons dans un prochain article, à parler politique et lutte des classes. Au moins a-t-on des raisons de le faire car les révoltes des canuts contre leurs conditions de travail font bien partie de l’histoire de Lyon. On voit aussi, entre les fausses affiches et les livrets à feuilleter, deux tableaux, ce qui est un inespéré, dont un portrait d’un négociant, Félix Bertrand (ill. 11), par un certain Jean-Marie Régnier. Comme les cartels ne donnent jamais les dates de naissance et de mort des artiste (ce doit être trop savant, comme les chiffres romains, n’encombrons pas l’esprit des visiteurs avec trop d’informations inutiles), on ne saura pas de qui exactement il s’agit. Car il y a deux peintres à Lyon portant presque le même nom, tous les deux aussi peu connus l’un que l’autre : Jean-Marie Régnier (1796-1865) et Jean-Marie Reignier (1815-1886). Que son nom soit ici orthographié Régnier n’est pas un indice totalement concluant, compte tenu du nombre d’approximations de certains cartels.


11. Jean-Marie Régnier (1796-1865) ?
Portrait de Félix Bertrand
Huile sur toile
Lyon, Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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12. Claude Bonnefond (1796-1860)
Une barricade des émeutes
lyonnaises de 1834

Huile sur toile
Lyon, Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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Le deuxième tableau, sauf erreur de notre part, n’a pas de cartel (ill. 12). Il est dû à Claude Bonnefond et représente une barricade des émeutes lyonnaises de 1834.


13. Quatrième salle du troisième niveau du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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La salle suivante est à peu près vide (ill. 13).
Non, nous exagérons. On y voit quelques reproductions, comme d’habitude, et des originaux : dans une vitrine sont présentées cinq cassettes audio des productions « Place du Pont » (ill. 14). Mais qu’est-ce donc ? Le cartel donne en détail les explications sur cette partie importante de l’histoire lyonnaise : « dans les années 1980, les maisons de production autour de la Place du Pont, quartier de la Guillotière, ont produit des milliers de cassettes de musiciens-ouvriers, chantant leur exil [1] ». Que ce phénomène mérite une étude et une collecte de ces objets, pour en conserver la trace, rien de plus naturel [2]. Qu’il donne lieu à une exposition temporaire dans un musée dédié aux arts et traditions populaires, pourquoi pas. Mais que cela prenne place dans une vitrine du Musées Gadagne quand toutes ses collections sont en réserve est grotesque, comme est grotesque l’exposition, juste à côté de cette vitrine, d’une armoire en tôle dite « casiers ouvriers » (ill. 15). Nous avions donc tort : il y a bien un second meuble exposé au Musée Gadagne.


14. Vitrine où sont exposées les cinq cassettes audio avec divers autres objets dont des gamelles de chantier en métal et un cendrier en plastique...
Photo : Didier Rykner
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15. À gauche, armoire en tôle
dite casiers-ouvriers
Photo : Didier Rykner
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La sixième et dernière salle de cette section [3] (ill. 16) est encore plus creuse que les autres si cela est possible, n’ayant en tout et pour tout que quelques photos d’ouvriers au travail, et un panneau (ill. 17), intitulé « Même au travail », jeu de mot entre l’adjectif « même » et le mot « mème » signifiant « Concept (texte, image, vidéo) massivement repris, décliné et détourné sur Internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz [4]. Preuve qu’on sait rire, au Musée Gadagne.


16. Sixième salle du troisième niveau
du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
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17. "Even at work" panel
Photo : Didier Rykner
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18. Sans commentaires...
Photo : Didier Rykner
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Le principe, si nous avons tout compris, est que les visiteurs fassent les légendes d’images proposées par le musée. C’est hilarant, et pour preuve nous reproduisons ici l’un d’entre eux (ill. 18) qui attendait encore le commentaire, la blague si drôle « Jean-Michel est ravi de son pot de départ, mais il aurait préféré un mug » vous étant offerte par le musée. On croit y reconnaître la patte de l’auteur de la banane.

Voilà donc comment se termine la troisième partie du parcours, qui existe depuis un an (les autres depuis respectivement deux et quatre ans), qui n’avait jusqu’à présent, sauf erreur, fait l’objet d’aucun article critique ou même un peu ironique. Il a fallu attendre la dernière partie (article à venir), pour que l’indignation se fasse entendre. C’est peut-être cela le plus étrange, dans cette affaire.

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