François-Joseph Navez. Quelques nouveaux tableaux, dessins et autres documents

En 1999, mes collègues Pierre Loze et Alain Jacobs et moi-même avions réuni nos efforts pour rendre publique la somme des informations que nous avions pu rassembler sur cet artiste resté si méconnu. Il en était résulté un ouvrage illustré de la quasi-totalité des tableaux retrouvés ou repérés de l’artiste et d’une grande quantité de dessins. Le texte faisait le point sur les données biographiques le concernant et apportait un commentaire circonstancié de ses œuvres [1]. Il s’agissait d’une étape en attendant que les circonstances permettent la publication d’une monographie exhaustive. Car la longue et féconde carrière de l’artiste reste loin d’avoir été retracée de manière complète. Si les années de formation à Bruxelles et à Paris, ainsi que le séjour en Italie et la décennie qui suit son retour en Belgique ont été couverts de manière fouillée, il n’en va pas de même pour la seconde moitié de la carrière qui, pour être moins novatrice sur le plan esthétique, n’en est pas moins fort intéressante à bien des égards, avec encore de grandes réussites artistiques et une activité de pédagogue considérable dont il serait intéressant de déceler les traces dans l’œuvre de ses innombrables élèves. A ne pas oublier non plus : son activité publique au sein ou à la tête d’institutions telles que le Musée de Bruxelles et l’Académie des beaux-arts, ainsi que diverses commissions dont celle des Monuments et Sites [2]. A cela s’ajoute la question fondamentale du Romantisme en Belgique qui, malgré quelques velléités, n’a toujours pas été abordée comme il le faudrait. L’on n’a, a fortiori, encore jamais pu préciser comment Navez se situe par rapport à ce courant. Beaucoup reste à faire, à commencer par un dépouillement systématique de la presse belge contemporaine qui consacrait régulièrement des chroniques aux salons et expositions [3]. Reste aussi à poursuivre l’exploitation de la source exceptionnelle pour l’étude du XIXe siècle que constituent les lettres adressées à Navez par ses innombrables correspondants (français et belges). Conservée à la Bibliothèque Royale de Bruxelles cette correspondance, en attendant sa publication complète à laquelle il serait heureux de s’atteler, est à portée des chercheurs [4]. Moins accessibles en revanche sont les nombreux dessins de Navez encore conservés chez ses descendants (mais ce n’est là, sans doute, qu’une question de patience ; un jour viendra où il sera enfin possible d’exploiter comme il convient ce gisement de grand intérêt documentaire).
Il y a dans tout cela, on s’en rend compte, de quoi alimenter plus d’un travail universitaire. Quelle abondance de matière, que de domaines en friche, que de questions posées, que d’artistes soi-disant connus en attente d’études susceptibles de faire enfin progresser un savoir fourni jusqu’à présent par quelques rares biographes ou érudits dont les travaux, dépassés -mais sans cesse recopiés- sont maintenant devenus parfois plus que centenaires [5] !

Les circonstances n’ont malheureusement pas permis que l’entreprise menée en commun avec mes anciens collègues et d’autres collaborateurs puisse se poursuivre. L’annonce par Alain Jacobs sur ce site qu’il s’occupait du catalogue raisonné de Navez peut faire espérer que le sujet reste en de bonnes mains. On ne peut que souhaiter l’aboutissement de ce travail. Pour ma part, l’artiste que je fréquente depuis si longtemps a, bien entendu, continué à retenir mon attention de sorte que, au fil de mes promenades curieuses, j’ai pu réunir diverses données nouvelles le concernant. L’hospitalité offerte par La Tribune de l’Art me permet aujourd’hui, sans prétendre à l’exhaustivité, de les porter à la connaissance de ses lecteurs, historiens de l’art et amateurs. Leur variété est un reflet très parlant de la riche personnalité de l’artiste et de la multiplicité des angles sous lesquels il doit être abordé.

Pour commencer, on me permettra de rappeler - tout en apportant quelques précisions - deux publications récentes dans lesquelles j’ai déjà eu l’occasion de faire connaître des œuvres et des informations nouvelles sur Navez. La première, écrite avec Eric Bertin, était basée essentiellement sur des lettres adressées à Navez par l’architecte parisien Alexandre Bénard entre 1822 et 1829 [6]. Elles apportent une lumière supplémentaire sur le remarquable réseau d’amis, principalement français, avec qui Navez entretenait des relations épistolaires suivies. En ressortent avant tout des informations tout à fait inédites sur cet Alexandre Bénard, non seulement ami d’Ingres et propriétaire d’œuvres de sa main, mais aussi possesseur d’une dizaine de tableaux de Navez. La reconstitution de sa collection demeure incomplète mais on en devine la diversité. En ce qui concerne Navez précisément, ce sont les passages concernant les ateliers et la maison qu’il se fait construire à Bruxelles en 1825 et les interventions de l’architecte Suys qui retiennent l’attention. La relecture des lettres de Bénard permet de montrer que c’est bien lui, et non Tilman-François Suys, qui est l’auteur des plans [7]. Il est vrai que la façon de procéder de Navez dans cette affaire manque de clarté puisqu’on le voit solliciter quasi simultanément l’avis des deux architectes, soumettant les projets et propositions de l’un à la critique de l’autre et réciproquement, le premier contacté étant néanmoins Bénard. Cela ne manqua pas de provoquer la mauvaise humeur de Suys. Ces surprenantes maladresses de Navez ne l’empêchèrent pas de garder de bonnes relations avec son ami ostendais dont il avait fait la connaissance à Rome au moment où Bénard s’y trouvait aussi. Et tous trois fréquentaient Ingres.


1. Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1864)
Portrait de Tilman-François Suys, 1818
Mine de plomb - 20,2 x 13,7 cm
Glasgow, Art Gallery and Museum
Photo : D. R.
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2. François-Joseph Navez (1787-1869)
Portrait d’homme dit L’Avocat, vers 1820
Huile sur toile - 62 x 50 cm
Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts
Photo : Bruxelles, IRPA
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Si la physionomie de Navez ne se retrouve malheureusement pas dans les centaines de portraits dessinés par Ingres repérés à ce jour, ses deux amis architectes bénéficient quant à eux du privilège d’avoir eu leurs traits fixés par le maître de Montauban en de superbes feuilles [8]. Ces portraits datent de 1818. Celui de Bénard se trouve en mains privées, celui de Suys (ill. 1) est conservé à Glasgow (Art Gallery and Museum). Je voudrais m’arrêter quelques instants sur ce dernier car on a proposé il n’y a pas longtemps de reconnaître les traits de l’architecte ostendais dans le tableau de Navez appartenant aux Musées royaux des beaux-arts de Bruxelles, traditionnellement connu sous le titre de L’avocat (ill. 2). On découvre dans le crayon d’Ingres un Suys aux traits fins et au visage allongé aisément reconnaissables. Rien ne le rapproche du personnage de tableau bruxellois. Celui-ci n’a pas été retenu dans notre ouvrage de 1999. L’absence de signature avait, bien à tort, introduit le doute. Alain Jacobs crut y voir la main de Jean-Victor Schnetz. Le tableau ne fut cependant pas pour autant montré à l’exposition Schnetz de Flers mais fit quand même l’objet d’une notice particulière dans le catalogue où il fut publié comme Portrait de Suys [9] Une confrontation avec le dessin d’Ingres montre l’inanité de cette proposition. Par ailleurs, la vision directe des portraits réalisés par Schnetz rassemblés à Flers fit également ressortir l’impossibilité de lui attribuer L’avocat. Il n’y a pour moi aucune raison de retirer ce beau tableau du catalogue de Navez. Sa facture franche et grasse est en tout point conforme à sa manière. Quant au personnage représenté, l’énigme reste entière. En l’assortissant de beaucoup de réserves, je voudrais à mon tour faire une proposition : ne pourrait-on y découvrir les traits de Schnetz ? On possède notamment de la main de Navez le portrait de son ami à Rome (Bruxelles, coll. privée) [10]. Ne pourrait-on reconnaître dans L’avocat le même Schnetz, de quelques années plus âgé que dans le premier tableau ? Les ressemblances ne manquent pas : beau visage solidement charpenté, grands yeux sombres charmeurs, lèvres bien dessinées, chevelure abondante implantée de la même manière. Les deux tableaux proviennent de la famille de Navez. Vu l’étroite amitié qui unissait les deux artistes, il n’y a pas lieu de s’étonner de cette double présence dans son environnement quotidien. Mais je reconnais volontiers que l’hypothèse n’emporte pas totalement l’adhésion. Quoi qu’il en soit, le plus important est qu’il faut absolument réintégrer le tableau du Musée de Bruxelles dans le catalogue de Navez.

Au moment de la rédaction de mon article susdit pour les Cahiers d’Histoire de l’Art, je déplorais qu’aucun des dix tableaux de Navez que possédait Bénard n’avait été retrouvé. La réapparition de celui que le peintre, dans sa liste sous l’année 1823, intitule « Un vieillard et une jeune femme tenant un enfant endormi, à M. Bénard », est un brillant début de reconstitution de cette série. Quand il peint ce tableau [11] (ill. 3), Navez a la tête encore pleine de tout ce qu’il avait vu et vécu pendant son fructueux séjour romain. Il est bien établi maintenant que cette période et les années qui la suivirent immédiatement furent un véritable moment de grâce pour l’artiste qui signait alors ses tableaux parmi les plus réussis. Cette scène populaire italienne est d’un charme sans défaut. Si Navez reprend un de ses thèmes favoris consistant à rapprocher des figures d’âges différents, il évite mieux que dans d’autres sujets analogues l’écueil de la dureté de la confrontation que provoque la laideur soulignée de la vieillesse rapprochée de la fraîcheur de la jeunesse. La masse sombre du vieil homme apporte ici une belle note de gravité au sujet, tout en mettant en valeur le groupe de la jeune mère et de son enfant. On pouvait se douter que, connaisseur et fréquentant de surcroît les meilleurs peintres de son temps, Bénard avait dû faire un bon choix. Nous voilà rassurés !


3. François-Joseph Navez (1787-1869)
Un vieillard et une jeune femme tenant un
enfant endormi
, 1823
Huile sur toile - 81,3 x 66 cm
Lieu de conservation inconnu
Photo : Washington, Welshers
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4. François-Joseph Navez (1787-1869)
Portrait de femme en faille
Huile sur toile - 60 x 52 cm
France, collection particulière
Photo : D. R.
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Un autre tableau apporte une lumière indirecte sur une deuxième toile de Navez de la collection de l’architecte. Il faut se tourner une fois encore vers la liste de ses œuvres dans laquelle Navez note sous l’année 1822 que le Portrait de femme en faille, en la possession de Bénard, est la répétition de celui qu’il exposa au Salon de Lille cette même année. La bonne fortune, en la personne de son propriétaire actuel, nous a permis de retrouver ce numéro du salon dans une famille du Nord de la France qui le conserve depuis le jour où il fut acquis par le nommé Louis Kolb [12] (ill. 4). C’est une œuvre destinée à séduire, de goût mondain, qui cadre bien avec le caractère de Bénard, amateur d’art mais aussi de jolies femmes. Le côté pétillant et léger du tableau tranche en tout cas avec le ton généralement fort sérieux adopté par Navez.


5. François-Joseph Navez (1787-1869)
Le Mariage mystique de sainte Catherine, 1822
Mine de plomb - 25,2 x 21,6 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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6. François-Joseph Navez (1787-1869)
Le Sommeil de Jésus, 1834
Huile sur toile - 243 x 190 cm
Houyet, Eglise de l’Assomption
Photo : Pierre Masson
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Le second article que j’ai récemment publié n’était pas exclusivement consacré à Navez. Toutefois, centré sur des éléments nouveaux relatifs à la présence d’artistes belges à Rome aux XVIIIe et XIXe, il apportait quelques œuvres inédites de sa main datant de ces années si déterminantes et fructueuses pour lui [13]. J’y montrais entre autres un dessin représentant le Mariage mystique de sainte Catherine daté de 1822 (ill. 5). Navez reprit, en la complexifiant, la composition de cette scène lorsqu’il réalisa son fameux Sommeil de Jésus peint en 1834 pour la reine des Belges, aujourd’hui conservé au maître-autel de l’église de Houyet (ill. 6). Tombé dans un oubli qui risquait de lui être fatal, Le sommeil de Jésus avait été redécouvert par Alain Jacobs lors du repérage des œuvres du peintre en vue de la rédaction de notre livre commun. Son état de conservation était alors dramatique. Une intervention urgente de sauvetage, préalable à son exposition à Charleroi, avait pu être opérée grâce à l’intervention du musée de la ville. Mais la nécessité d’un traitement en profondeur restait prégnante. C’est un devoir et une grande satisfaction de pouvoir dire que c’est aujourd’hui chose faite : grâce à l’intervention de la Fondation Roi Baudouin et au Fonds Inbev qu’elle gère, Le sommeil de Jésus a été l’objet d’une restauration complète en 2006. La photo publiée ici permet de se rendre compte de la chatoyance retrouvée de cette œuvre dont l’importance dans le renouveau de la peinture religieuse au XIXe siècle apparaît avec encore plus de force.


7. François-Joseph Navez (1787-1869)
Sainte Véronique de Milan, 1816
Huile sur toile - 97 x 80 cm
Gand, Musée des Beaux-Arts
Photo : Bruxelles, Etienne Van Vyve
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8. François-Joseph Navez (1787-1869)
Sainte Véronique de Milan, 1816
Huile sur toile - 97 x 80 cm
Présenté ici sans les agrandissements latéraux
Gand, Musée des Beaux-Arts
Photo : Bruxelles, Etienne Van Vyve
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Restons encore dans le domaine de la restauration d’œuvres de Navez pour signaler les examens et les soins dont a fait l’objet en 2004 sa Sainte Véronique de Milan, de 1816, récente acquisition du Musée de Gand (ill. 7). J’ai déjà souligné, notamment sur ce site, l’importance de cette œuvre clé du peintre. Son étude en atelier de restauration a révélé que la toile d’origine a été agrandie d’une bande de toile large de 11,5 cm dans le haut et de deux fois 7 cm.sur les côtés. Les figures devaient donc apparaître encore plus resserrées qu’elles ne le sont maintenant (ill. 8). On se souvient du contexte et de l’esprit dans lequel Navez conçut cette œuvre alors qu’il partageait avec David en exil à Bruxelles ses recherches d’expressivité et de dramatisation, notamment en représentant des visages enlaidis par la souffrance ou la vieillesse. On songe ici tout particulièrement aux curieux dessins de la période bruxelloise de David dont l’étude de Navez a permis de mieux saisir la signification [14]. Tout cela est au centre du débat tournant autour de l’attribution (hâtive) à Géricault de la Vieille Italienne du Musée du Havre [15]. On ne peut malheureusement pas préciser quand l’agrandissement de la toile a été opéré. Il intervint assez rapidement, semble-t-il, car le cadre est d’époque Restauration. Ceci laisse une marge chronologique qu’il est impossible de préciser ; les raisons de cet agrandissement ne sont pas connues non plus. Quant aux coloris du tableau, son dévernissage a révélé non sans surprise une gamme chromatique froide, très différente des tonalités plus mordorées et moins dures qui seront généralement celles de Navez par la suite. Peut-on y voir une caractéristique « nordique » née sous l’influence des tableaux flamands du XVe et du XVIe siècles que Navez redécouvrait avec son cher maître David ? La lumière du Midi l’aurait-elle par la suite conduit vers une gamme plus chaleureuse ? Ces photographies permettront à chacun d’en juger. Il m’a paru intéressant de cacher dans la première les bandes de toile ajoutées, artifice qui fait apparaître l’intention première de l’artiste et de préciser davantage avec quel bagage esthétique spécifique il était parti en Italie. Il n’est pas difficile d’imaginer avec quelle curiosité ses anciens camarades d’atelier et autres compagnons de la Villa Médicis l’accueillirent et l’interrogèrent, lui qui avait eu le privilège de partager les dernières recherches de leur maître vénéré. Il est plus que probable qu’il avait notamment vu David travailler à la Colère d’Achille (Kimbell Art Museum, Forth Worth, Texas) à laquelle il apportera la touche finale en janvier 1819 et dont les figures resserrées à mi-corps et le personnage vu de dos sont si singuliersJ [16].

L’examen technique de la Sainte Véronique m’a conduit à regarder également de plus près le portrait de David que Navez fit en 1817, juste avant son départ pour l’Italie. Ce portrait étant connu en au moins trois exemplaires, la question de l’identification du premier de la série se posait. La présence d’une inscription au dos m’a toujours fait croire que celui du Musée de Valenciennes l’était. Or, un examen visuel rapproché et aux infra-rouges auquel il m’a été possible de procéder fait ressortir la présence de ce qui ressemble fort à un large repentir autour du sommet de la tête. Ceci semble déterminer le statut de l’exemplaire de Bruxelles. Néanmoins, des examens plus approfondis n’ayant malheureusement pas pu être faits, la conclusion reste en suspens. Cette visite attentive des collections du Musée m’a, bien entendu, également mené devant L’avocat, ce qui a ancré ma conviction qu’il s’agit bien d’une œuvre de la même main que les autres. En ce qui concerne l’Autoportrait de Navez que possède le Musée, un examen aux infra-rouges permet de distinguer nettement l’important changement que le peintre a apporté en cours de réalisation. Alors qu’il s’est finalement représenté sur un fond uniforme et neutre, les bras croisées et le porte-mine à la main, on peut constater qu’il avait initialement prévu de meubler le fond avec un tableau posé sur un chevalet ; il s’était aussi représenté tenant de la main gauche son repose-main en appui sur la toile en cours d’exécution. A noter qu’une fois connue l’existence de ce repentir, celui-ci se perçoit à l’œil nu. Comme dans le cas du Portrait de David, cet autoportrait existe en plusieurs exemplaires. Il serait intéressant de les considérer en tenant compte de cette constatation.


9. François-Joseph Navez (1787-1869)
Portrait de David, 1836
Huile sur panneau - 97 x 76 cm
En prêt au Musée des Beaux-Arts de Montréal
Photo : Paris, Etude Rossini
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A propos du Portrait de David, on savait par la correspondance de Navez que celui-ci avait reçu en 1836, du comte de Schönborn, la commande de lui en exécuter une version qui, selon le désir de l’aristocrate allemand, déjà propriétaire d’une copie du fameux Télémaque et Eucharis de David, devait montrer les mains du modèle [17]. C’est ce qu’il confirme au peintre belge sur un billet écrit à Bruxelles en date du 8 septembre 1836 : « Je soussigné reconnais par mon cachet et ma signature avoir commandé chez Monsieur Navez peintre célèbre à Bruxelles, le Portrait de Monsieur David avec deux mains, sur panneau, grandeur convenue, pour le prix de mille francs de France, que je ferai remettre à Monsieur Navez lorsqu’il aura la bonté de m’envoyer ledit panneau soigneusement emballé à Francfort par l’entremise d’un négociant dans cette ville » [18]. Cette commande fait suite à une visite du comte à l’atelier de Navez, ainsi que l’atteste ce billet non daté : « Le comte de Schoenborn, Allemand, possesseur du tableau d’Eucharis et Télémaque de Mr David, désire acquérir un Portrait de Mr David par Monsieur Navez, et aura l’honneur de lui en parler ce soir, si cela se peut » [19]. Les traces du tableau restaient floues jusqu’à sa réapparition dans une vente parisienne en 2005 (ill. 9) [20]. On sait donc désormais de manière précise en quoi consistait cette variante tardive du portrait de son maître dont Navez se montra très satisfait : « Je puis vous assurer que j’y ai mis tous les soins possibles, écrit-il à son correspondant le 9 décembre 1836, et je crois que vous n’hésiterez pas à le préférer à l’original si vous pouviez en faire la comparaison dans mon atelier » [21]. De fait, il faut reconnaître qu’il a réussi à donner à son sujet une ampleur et une présence que l’autre version n’offre pas.


10. François-Joseph Navez
(1787-1869)
Académie d’homme (page d’un carnet),
1813-1815
Fusain ou pierre noire - 44 x 30 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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11. François-Joseph Navez
(1787-1869)
Académie de femme (page d’un carnet),
1813-1815
Fusain ou pierre noire - 44 x 30 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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12. François-Joseph Navez (1787-1869)
Académie d’homme assis se tenant la tête
(page d’un carnet), 1813-1815
Fusain ou pierre noire - 30 x 44 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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Dans la connaissance d’un artiste, la découverte de carnets d’études est toujours émouvante et instructive. On connaissait celui qui m’avait été montré in extremis par son propriétaire en 1999 et dont seuls quelques dessins avaient pu être reproduits en fin de l’ouvrage publié avec mes collègues. Il s’agissait uniquement de nus. Vu le format réduit des illustrations et leur nombre limité que les contraintes d’éditions imposaient, je saisis aujourd’hui l’occasion pour donner ici des images supplémentaires de ces dessins très achevés, exécutés au fusain, souvenir des heures studieuses passées dans l’atelier de David à Paris entre 1813 et 1815 (ill. 10 , 11 et 12).


13. François-Joseph Navez (1787-1869)
Femme jouant de la guitare, préparatoire
pour le Portrait de la famille Meeûs
(page d’un carnet), 1817
Fusain ou pierre noire - 27,5 x 21,5 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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14. François-Joseph Navez (1787-1869)
Etudes préparatoires pour le
Portrait de la famille Meeûs
(page d’un carnet), 1817 -
Fusain ou pierre noire - 27,5 x 21,5 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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15. François-Joseph Navez (1787-1869)
Etudes de tête d’homme (page d’un carnet), 1817 -
Fusain ou pierre noire - 27,5 x 21,5 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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Un carnet inédit (28,5 x 22 cm.) remonte à ces mêmes années d’apprentissage. Il porte au revers de la couverture l’inscription à l’encre suivante : « Les études du N°1 jusqu’au 46 sont faites à Paris quand je rentrais le soir chez Mr et Mme Mosselman en 1813. Revenu à Bruxelles avec Mr David en janvier 1816 les croquis du N° 46 à la fin sont fait à Bruxelles quand je demeurois chez Dehemptinne ». Suit au crayon la signature de Navez et son adresse : Rue du Mont Blanc n°7, Paris. Les croquis sont pour la plupart des dessins académiques classiques d’après des plâtres antiques ou représentant des fragments anatomiques. S’y trouvent parfois mêlées des études de têtes ou de nus d’après modèles. Quelques feuilles sont des copies rapides d’après des tableaux de maîtres anciens, dont Raphaël. Les pages remplies à Bruxelles comptent quant à elles quatre croquis préparatoires pour le Portrait de la famille de Meeûs (N 36), intéressante illustration de la manière dont Navez préparait ces grands portraits familiaux, genre dans lequel il excella à ce moment de sa carrière. On y découvre des études de figures isolées (datées 1817) pour les personnages principaux, ainsi qu’un rapide croquis de l’ensemble du groupe qui ne correspond pas encore à la composition finale (ill. 13, 14 et 15). Une autre page représente Madame De Hemptinne, l’épouse d’Auguste, son protecteur. Le reste est consacré encore à des études d’après la bosse au milieu desquelles apparaît un croquis pour une autre groupe familial non identifié à ce jour, accompagné d’une note manuscrite illisible et daté 1816 (ill. 16).


16. François-Joseph Navez (1787-1869)
Etude pour un portrait de famille, 1816
Fusain ou pierre noire - 27,5 x 21,5 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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17. François-Joseph Navez (1787-1869)
Christ mort (d’après la Déploration de Regnault),
1813-1815
Mine de plomb, pierre noire, rehauts de blanc -
38,7 x 58,6 cm
New York, Dahesh Museum
Photo : New York, Dahesh Museum
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Restons dans la période parisienne de Navez pour signaler ici l’acquisition par le Dahesh Museum de New York – musée désormais fermé, peut-être définitivement - d’un dessin datant très vraisemblablement de ces mêmes années d’apprentissage durant lesquelles, à côté des leçons prises dans l’atelier de David, il s’exerce à copier les maîtres anciens notamment au Louvre. On savait que, davantage pour satisfaire ses protecteurs bruxellois que par choix personnel, il avait copié Rubens et Van Dyck dont le Museum conservait de nombreuses œuvres saisies par les armées révolutionnaires. Cette feuille montre que son balayage des modèles anciens était d’ores et déjà plus large et tourné vers un choix plus classique puisque c’est à la Déploration de Regnault qu’il consacre son attention (ill.17). On y retrouve la manière appuyée et ferme de ses dessins académiques de jeunesse. On ne s’explique toutefois pas pourquoi le sujet copié est inversé. Ce type particulier d’exercice (préparation à une gravure plutôt que dessin d’après une gravure) était-il courant dans les académies ?


18. François-Joseph Navez (1787-1869)
Dessin d’après les marbres du temple d’Egine
représentant le Combat d’Héraclès contre Laomédon

(page d’un carnet), 1818
Fusain ou pierre noire - 31 x 22 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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19. François-Joseph Navez (1787-1869)
Dessin d’après les marbres du temple d’Egine
représentant le Combat d’Héraclès contre Laomédon

(page d’un carnet), 1818
Fusain ou pierre noire - 31 x 22 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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En ce qui concerne les années romaines (fin 1817- début 1822), quelques feuilles d’un carnet (que je n’ai jamais eu sous les yeux) datant de cette période ont été publiées dans le livre de 1999 (N 42, N 45, N 69, N 70, N 74) [22]. D’après les photos qui ont pu en être publiées, on devine qu’il contient de précieuses informations sur les « voyages pittoresques » que Navez effectue en juillet 1821 dans les environs de Rome et au cours desquels (on le sait aussi par sa correspondance), il se montre intéressé par des monuments antiques parmi lesquels les vestiges des temples d’Hercule et de Castor et Pollux à Cori. Un carnet supplémentaire (32 x 23 cm.) (coll. privée), datant lui aussi des années romaines de Navez, nous éclaire davantage sur l’attention qu’il prête à l’environnement artistique qu’il découvre. Il porte au revers de la couverture l’inscription à l’encre : « A FJ : Navez / Piazza di Venezia n° 168 terzo piano / anno 1817/ presque tous ces croquis ont été faits en 1818 étant arrivé à Rome le 2 décembre 1817 ». On notera au passage cette petite précision chronologique livrée par Navez lui-même, la date d’arrivée à Rome retenue jusqu’à présent et fournie par Alvin étant le 7 décembre (qui est en fait la date de la première lettre envoyée de Rome par Navez à ses amis belges). A part quelques croquis de nus, on trouve dans ce carnet des copies d’après des tableaux du Quattrocento qu’il conviendra un jour d’identifier. De même, une étude érudite permettra de nommer avec précision les sculptures antiques que Navez copie entre autres au Capitole et au Vatican, travaux traditionnels communs à la plupart des artistes séjournant à Rome à cette époque. Je voudrais néanmoins mettre dès à présent en exergue une demi-douzaine de feuilles consacrées à l’étude de sculptures en ronde bosse d’un style plus inhabituel (ill. 18, 19). On y reconnaît les marbres archaïques du temple d’Egine représentant le Combat d’Héraclès contre Laomédon. Ceux-ci avaient été découverts quelques années plus tôt par Charles-Albert Cockerell. Thorvaldsen avait été chargé de les restaurer à Rome entre le début de 1816 et mars 1817, non sans les compléter en reconstituant à sa manière tous les éléments manquants. C’est dans cet état que Navez a saisi ces sculptures avec précision, dessinant parfois sous divers angles une même statue. Il en parle à son ami De Hemptinne dans une lettre du 26 novembre 1818 : « (…) Ne peignant pas dans ces moments, j’ai obtenu la rare permission de pouvoir dessiner d’après les statues trouvées à Egine, en Grèce, par un Anglais, et achetées par le roi de Bavière. C’est la sculpture la plus originale et la plus sévère que j’aie encore vue. C’est dommage que je ne puisse y travailler qu’une heure par jour » [23]. Parmi les autres croquis contenus dans ce carnet, on retiendra encore une Naissance de Bacchus, également de style grec, qui semble copiée d’après un bas-relief (ill. 20). Ce même sujet se retrouve dans le fonds des dessins d’Ingres au musée de Montauban où il est considéré comme copié d’après une gravure [24]. Navez partage donc cet intérêt pour l’art grec avec Ingres pour qui il avait une profonde admiration et dont il regardait les œuvres avec une réelle fascination. Mais à la différence de son ami, les sujets antiques ne firent pas partie de son répertoire et ne marquèrent guère son style. C’est donc davantage par curiosité intellectuelle que Navez se consacra à l’étude de l’art antique dont ce carnet est un souvenir d’autant plus précieux qu’il contient un rarissime témoignage visuel de l’étape romaine de ces impressionnantes sculptures d’Egine qui sont conservées aujourd’hui à Munich où elles ont été (à tort ou à raison ?) débarrassées il y a quelques années de leurs ajouts thorvaldséniens. Cette intervention d’un sculpteur qu’il connaissait personnellement bien, autant que l’apparition spectaculaire d’œuvres antiques d’un style tout à fait inhabituel, était faite pour attirer Navez. Curieux de tout, il avait dû suivre cela avec la plus vive attention, de la même manière qu’il regarda avec grand intérêt ce que faisaient ses confrères, non seulement à la Villa Médicis mais aussi du côté des nazaréens allemands et de la peinture « primitive » en cours de redécouverte.


20. François-Joseph Navez (1787-1869)
La Naissance de Bacchus, d’après l’Antique
(page d’un carnet), 1818
Fusain ou pierre noire - 31 x 22 cm
Collection particulière
Photo : D. R.
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21. François-Joseph Navez (1787-1869)
Scène de rue près du pont de Laeken, 1823
Plume - 10 x 12 cm
Lieu de conservation inconnu
Photo : Liège, Librairie Grommen
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Un troisième carnet inédit est encore à signaler (localisation actuelle inconnue). Un catalogue de vente [25] en donne une description assez détaillée. Daté de 1823, il a donc été rempli l’année qui a suivi le retour de Navez en Belgique. De format réduit (10 x 12 cm.), il contient 128 dessins et croquis dont certains se rapportent à des œuvres connues (Songe d’Athalie, Portrait de Guillaume Ier, Mariage de la Vierge, Incrédulité de saint Thomas etc.). Détail particulièrement parlant : la majorité des annotations que l’artiste y apporte sont en italien. C’est encore tout imprégné de son récent séjour romain qu’il note les lieux et les différentes scènes de rue dont il fait des croquis. De toute évidence, il prolonge son intérêt pour les sujets populaires qu’il avait tant affectionnés en Italie, tel ce rapide croquis légendé « famigla sentendo il suono del violino/ col vestito del/ popolo/18 7bre 1823/ ponte di Laken/ pensato eseguito/ alla societa » (ill. 21). S’il n’était pas spécifiquement localisé dans les faubourgs de Bruxelles, on aurait pu le croire dessiné à Rome. La démarche est très significative de l’état d’esprit dans lequel se trouve l’artiste fraîchement rentré de son séjour de cinq années sur les bords du Tibre.


22. François-Joseph Navez (1787-1869)
Pélerins au repos dans la campagne romaine, vers 1830
Fusain et rehauts de gouache - 25 x 30 cm (environ)
Jadis à Bruxelles chez Pierre Schreiden
Photo : D. R.
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23. François-Joseph Navez (1787-1869)
Le retour du Jubilé, 1851
Huile sur toile - 146 x 186 cm
Bruxelles, collections communales de Molenbeek-Saint-Jean
Photo : Bruxelles, IRPA
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Cette nostalgie de l’Italie hantera Navez toute sa vie et les sujets italiens feront sans discontinuer partie de son répertoire. En témoigne ce dessin (ill. 22), jadis en la possession du regretté Pierre Schreiden, dont j’ignore s’il est daté, représentant des Pèlerins au repos dans la campagne romaine. C’est une œuvre intéressante, tout à fait typique sans être pour autant remarquable. En revanche, certains des sujets italiens auxquels il reste fondamentalement attaché, se rangent parmi les chefs d’œuvre de Navez, telles ses élégantes Fileuses de Fondi (N 232), toile de grand format (148 x 187,5 cm.) qu’il peint pour le roi de Bavière en 1845 (Neue Pinacothek de Munich). Ce n’est pas le seul tableau de taille spectaculaire de genre italien que Navez réalisa. Dans la liste de ses œuvres, il avait noté sous l’année 1851 : « Le retour du jubilé. Grande composition de trente-sept figures ». Rien ne permettait d’imaginer en quoi il pouvait consister. Sa redécouverte comble ce vide (ill. 23). De même format que Les fileuses de Fondi, il s’agit également d’une réminiscence italienne, le peintre s’abandonnant à faire revivre une fête à laquelle il a vraisemblablement assisté en Italie. Il réalise en quelque sorte à sa façon l’équivalent du Retour du pèlerinage à la Madone de l’Arc ou de L’arrivée des moissonneurs dans les marais Pontins de Léopold Robert (Paris, Louvre) qui avaient fait la gloire de son ami une vingtaine d’années plus tôt. La scène, un festival de couleurs, est animée à souhait par la variété des attitudes et des costumes. Certaines figures - mais à un degré moindre que dans les Fileuses de Fondi où elles le sont toutes - sont encore habitées de cette noblesse et de cette grâce que Navez, avec ses amis Robert et Schnetz, avait tant admirées dans le peuple de Rome et de ses environs. Mais il est évident que les années ont passé, que son style n’est plus celui qu’il avait adopté en Italie, que le récit se fait ici plus anecdotique. On ne peut néanmoins être qu’admiratif devant la maestria quasi-baroque (on pourrait dire rubénienne) avec laquelle Navez ordonnance cette foule animée de personnages qui tournoient autour des jubilaires. La juxtaposition de figures en mouvement à côté d’autres immobiles et l’impression d’unité qui se dégage cependant de l’ensemble sont une réussite incontestable à laquelle bien des romantiques belges, si préoccupés de se situer dans la filiation des modèles du XVIIe siècle flamand, n’arrivèrent pas. On ne sait rien jusqu’à présent sur l’histoire de ce tableau qui n’a encore fait l’objet d’aucune recherche particulière. Il méritait néanmoins d’être porté sans tarder à la connaissance du public et ajouté au catalogue de l’œuvre de son auteur.


24. François-Joseph Navez (1787-1869)
Les sœurs de la charité visitant une pauvre veuve, 1853
Huile sur toile - 120 x 160 cm
Lieu de conservation inconnu
Photo : Anvers, Bernaerts
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25. François-Joseph Navez (1787-1869)
Notre-Dame des affligés, 1844
Huile sur toile - 500 x 284 cm
Charleroi, église Saint-Antoine
Photo : Bruxelles, Irpa
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Dans cette peinture qui arrive assez tardivement dans sa carrière, Navez montre qu’il reste encore et toujours fidèle - mais en l’adaptant - au programme auquel il s’était attaché à Rome avec Robert et Schnetz et qui tendait à supprimer les frontières entre peinture d’histoire et peinture de genre. Cela impliquait le recours au grand format. Une autre réapparition récente fournit un exemple supplémentaire de ce à quoi cette conception de l’art pictural pouvait aboutir. Cette fois, ce n’est plus de fête à relents bachiques qu’il s’agit mais, au contraire, d’une scène triste à forte connotation sentimentale et religieuse. Telle est cette surprenante composition que Navez intitule Les sœurs de la charité visitant une pauvre veuve où il représente, gisant dans une soupente, une jeune mère allaitant un enfant à qui deux religieuses viennent, dans un halo de lumière, apporter le réconfort et un modeste viatique (ill. 24). D’une veine misérabiliste que n’aurait pas désavouée un Octave Tassaert, ce tableau en largeur, signé et daté de 1853, est peint dans des tons violacés peu ordinaires. Par ses connotations mélodramatiques, il convient de le mettre en parallèle avec la non moins impressionnante et sentimentale Notre Dame des affligés dont on a jusqu’ici sous-estimé les magistrales qualités (ill. 25). Cette très grande composition venant d’être photographiée par l’Institut royal du Patrimoine artistique, j’en donne ici l’image d’autant plus volontiers que dans le livre de 1999 (N 239), il avait fallu se contenter de la reproduction d’une lithographie.

Navez, considéré par des générations de critiques comme « le » peintre néoclassique belge par excellence, ne se révèle-t-il pas aussi par des tableaux tels que ceux-ci, un véritable représentant du Romantisme ? Il y a matière à réflexion. Celle-ci devrait être menée dans le cadre de l’étude de la peinture d’histoire en Belgique au XIXe siècle, ce « grand genre » auquel Navez, comme tant d’autres peintres, ne cessa d’aspirer. Il s’y consacra non sans un réel courage et avec beaucoup d’ambition à différents moments de sa carrière. Il lui fallait une énergie considérable pour ce lancer dans de telles entreprises. On se souvient des vastes sujets auxquels il s’attaqua à Rome, des commandes officielles qu’il attendit et continua d’espérer après son retour en Belgique, sans oublier les grands tableaux religieux qu’il ira jusqu’à offrir, telles ses gigantesques mais remarquablement maîtrisées Assomption de 1848 (Bruxelles, Cathédrale Sainte-Gudule) et Notre-Dame des affligés de 1844 déjà citée. Peut-on espérer qu’un jour viendra où des travaux universitaires permettront enfin de porter un jugement en véritable connaissance de cause sur toutes ces grandes (et moins grandes) compositions religieuses ou historiques et que cet aspect de la carrière de Navez pourra être rapproché des créations non seulement de ses élèves mais de l’ensemble de ses collègues contemporains, notamment ses « adversaires » anversois [26].

La rareté des commandes publiques belges fut une perpétuelle source de déception pour Navez, comme le désolait le manque d’envergure des collectionneurs et des amateurs dans son pays qui lui demandaient des portraits plus qu’autre chose. Cette insatisfaction était à la mesure de l’exaltation qui l’avait habité durant les années romaines qu’il passa dans l’ambiance stimulante de la Villa Médicis. Par la suite, les échos qui lui viennent régulièrement de Paris, les nouvelles qu’il reçoit d’Italie, les visites dont l’honorent ses confrères français, les salons parisiens qu’il va visiter (et auxquels il lui arrive de participer [27]), nourrissent certes son enthousiasme mais le maintiennent en même temps dans un constant état de mécontentement ou d’agacement. Tout cela entretient en tout cas une indéracinable nostalgie de l’Italie où, malgré ses projets sans cesse annoncés mais chaque fois ajournés, il ne retournera jamais. De même, il ne donnera jamais suite aux nombreuses suggestions que lui firent ses amis français de venir s’installer à Paris. Ceci étant dit, il ne faut pas totalement noircir la situation. Les choses ne vont pas si mal pour lui à Bruxelles. A son retour de Rome en 1822, il y redécouvre un contexte artistique très positif. D’abord il retrouve David qui n’a pas fini d’étonner son monde. Ensuite le cercle de ses amis et ses protecteurs de la Société pour l’encouragement des Beaux-Arts lui réservent un accueil des plus chaleureux. De plus, le nouveau régime en place ne tarde pas à lui ouvrir les portes de la Hollande d’où plusieurs commandes privées importantes lui viennent. Le rôle du collectionneur Roothaan est à cet égard primordial. On se souviendra que c’est lui qui demanda à Navez, en 1823, de peindre trois tableaux destinés à l’église des Jésuites d’Amsterdam. Il s’agit de la Sainte Famille avec sainte Elisabeth et saint Jean (N81), tableau que nous ne connaissions que par une ancienne photographie en noir et blanc et qui a été acquis en vente publique à Amsterdam en octobre 2001 par le Dahesh Museum de New York. Le deuxième tableau est le Mariage de la Vierge (N85) (Amsterdam, église Saint-François-Xavier). La série comptait également la grande et ingresque Incrédulité de saint Thomas (N 86) [28]. Un document (publié en annexe 1) qui nous avait échappé [29], nous apprend qu’un quatrième tableau avait été prévu pour compléter la série. Il s’agit d’un bref échange de correspondance qui se situe en 1825 dans lequel est évoquée la question d’un Christ au Jardin des Oliviers dont Navez avait envoyé une esquisse à son commanditaire, Roothaan. Celui-ci lui fait part de ses critiques auxquelles Suys ajoute les siennes. Jusqu’à ce jour, aucun tableau de ce sujet de la main de Navez n’a été retrouvé et le titre n’apparaît pas non plus dans sa liste autographe de ses œuvres. Il faut toutefois savoir que l’église de Wâret-la-Chaussée conserve un tableau, daté de 1831, représentant Jésus au Jardin des Oliviers consolé par un ange dont la signature est illisible et qui pourrait bien être de Navez (ill. 26). Mais on n’y voit pas les apôtres qui font l’objet des remarques dans la lettre en question. Il s’agirait donc d’une variante du sujet envisagé dans un premier temps pour Amsterdam. La question de l’attribution reste de toute façon à approfondir. Notons au passage le parallélisme formel qu’il semble possible d’établir avec la statue du Christ de Thorvaldsen (Musée Thorvaldsen, Copenhague). En ce qui concerne encore Roothaan et Navez, ajoutons que le tableau représentant Un berger et une jeune fille, de 1823, que nous avions publié (N 119) en 1999, aurait également appartenu au même collectionneur hollandais [30].


26. François-Joseph Navez ?
(1787-1869)
Jésus au jardin des oliviers
consolé par un ange
, 1831
Huile sur toile
Wâret-la-Chaussée, église
Photo : Bruxelles, Irpa
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Les frais énormes que Navez engage dès 1825 dans la construction de sa maison et d’ateliers à Bruxelles témoignent de sa réussite, même si l’argent qu’il gagne vient de la « fabrication » de nombreux portraits. Ses continuelles plaintes sur le goût et la parcimonie de sa clientèle locale sont donc à relativiser. Rien ne dit qu’établi à Paris, comme l’y invitaient ses amis, il aurait réussi à s’y faire une place meilleure que celle qu’il occupa en fin de compte à Bruxelles. Il n’en demeure pas moins que sa carrière (déjà entamée en pleine incertitude au début du siècle !) ne manqua pas d’être bousculée par les événements : une première fois lors de la chute de l’Empire qui mit fin à de légitimes espoirs naturellement fondés sur la France ; une seconde fois encore lors de la Révolution belge qui vint interrompre les perspectives d’une carrière qui trouvait en Hollande cette fois des points de chute très satisfaisants. On peut dès lors comprendre que l’humeur et le moral de l’artiste aient pu en être altérés. C’est ce qui explique le ton quelque peu aigre d’une lettre qu’il envoie en décembre 1830 à un certain Van Cutsem à Gand (publiée en annexe 2). On se souvient qu’il venait à peine d’observer avec angoisse depuis les fenêtres de sa nouvelle maison les combats de rue des journées révolutionnaires de septembre et que l’habitation de son ami Suys avait été mise à sac. Outre l’expression de son insatisfaction, on relèvera surtout dans cette lettre la conscience qu’a Navez de la fécondité des années que la Belgique venait de vivre et du renouveau artistique que le pays connaissait depuis plusieurs décennies. On comprend son désarroi et son inquiétude de voir cet âge d’or risquer d’être amputé de l’héritage qu’il se sentait conscient d’avoir apporté et qu’il croyait utile à la bonne évolution de l’art en Belgique. Ce ressentiment à l’égard des événements devait être d’autant plus vif et douloureux que les temps n’étaient pas si loin où, rentrant d’Italie il avait fait l’objet, en 1822, d’une chaleureuse réception à laquelle David et le vieux Lens lui-même avaient pris part. La réunion est décrite par Jules David qui raconte que Navez sut avec modestie se dérober aux honneurs en déposant la couronne qui lui était offerte sur le front de son maître. Et David de rendre à son tour hommage à Lens dont il connaissait bien le rôle qu’il avait joué dans la renaissance des arts que son pays d’accueil connaissait. Pour compléter la fête, Odevaere, en des vers ampoulés dont l’époque avait le secret, faisait dire ensuite à la statue de Rubens qui décorait la salle de banquet :

« Et vous, dit-il, vous l’honneur de la France,
C’est en vos mains que je remets mes droits.
Par vos travaux augmentez l’influence
Des arts, soutiens de la gloire des rois,
Qu’à votre voix mon siècle recommence
Vous pour les arts marqué par le destin
Noble David formons une alliance
Et donnons-nous la main ». [31]

La relation de cette réunion de vieux amis entourés de représentants de la nouvelle génération ne manque pas d’intérêt. Au-delà de gestes qui pourraient n’être que flatteries et de propos qui pourraient n’être que de circonstance, on y découvre la convergence de plusieurs carrières vouées au renouveau de la peinture : celle de David pour commencer, qui mit toute son énergie à sortir l’art français de l’essoufflement du rococo ; celle de Lens ensuite, son aîné de dix ans, dont on connaît bien maintenant l’importance du rôle qu’il joua dans la renaissance de l’art en Belgique à la fin du XVIIIe siècle ; celle de Navez enfin qui, héritier de Lens à travers les leçons de P.J.C. François, se mit ensuite à l’école de David pour devenir à Bruxelles son interlocuteur privilégié et continuer à chercher avec lui des voies nouvelles. Enfin, on appréciera aussi l’évocation des mânes de Rubens qui, en pleine ère néo-classique, ne cessent de hanter les esprits. Et pour David, cette main que le poète de circonstance lui fait tendre à travers les siècles, elle n’était pas que verbiage gratuit. Il est clair que la mise en scène d’Odevaere devait certainement rappeler à l’auteur de L’Enlèvement des Sabines tout l’intérêt qu’il avait nourri pour le grand maître baroque anversois : n’était-il venu étudier ses œuvres dans les Pays-Bas en 1781, voyage au cours duquel il avait aussi tenu à rencontrer Lens ? Cette rencontre n’avait pas non plus manqué de frapper Navez qui en fera état plus tard dans une communication à l’Académie royale [32]. L’existence de ce document important pour l’historiographie nationale avait échappé à tous les érudits jusqu’à ce que sa redécouverte coïncide de manière fort opportune avec les recherches menées par ailleurs sur ce voyage méconnu de David en terre flamande [33].


27. François-Joseph Navez (1787-1869)
Jeune femme avec un enfant endormi
dans les bras
, vers 1825
Huile sur toile - 58 x 47,5 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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Le thème de la femme tenant un enfant malade ou endormi a été maintes fois représenté par Navez. Il l’a le plus fréquemment exploité dans ses tableaux à sujets italiens. Ce n’est pourtant pas le cas de cette « Jeune femme de profil avec un enfant endormi dans les bras » qu’il convient d’ajouter à son catalogue (ill. 27). Cette fois, le peintre n’a pas cherché à introduire de note exotique ou pittoresque : c’est simplement une jeune mère, une Bruxelloise sans doute, qu’il a représentée de profil, avec une grande vérité, le regard légèrement tourné vers le haut. On reconnaît bien sa façon très caractéristique de dessiner avec précision le contour des traits de son modèle qui se détache sur le fond. Quant au modelé, il est soigné et délicat. La facture telle qu’on l’observe dans ce tableau est franche et libre. Elle est délicate quand il s’agit de rendre la douceur de la peau, l’éclat des yeux ou la tendresse des lèvres, elle se fait virtuose pour rendre les coloris mélangés du châle ou le fond rapidement brossé de tons gris, lumineux, qui font référence à la technique frottée d’un pinceau léger apprise chez son maître David [34].


28. François-Joseph Navez (1787-1869)
Deux jeunes italiennes en prière
à mi-corps
, 1825
Mine de plomb - 30,4 x 21,5 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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29. François-Joseph Navez (1787-1869)
Etudes de têtes, 1841
Plume, encre noire - 25 x 30 cm (environ)
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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Si l’on compare cette Jeune femme de profil avec les types féminins tels qu’ils apparaissent dans la plupart des tableaux de Navez (à l’exception des portraits, bien entendu), on observera que le peintre n’a pas cherché à idéaliser totalement la beauté de son modèle au regard quelque peu éperdu. Il n’a pas voulu non plus voiler ses origines populaires que révèlent ses vêtements. On ne connaît pas de tableau final pour lequel cette œuvre aurait servi d’étude préalable. Je pense néanmoins pouvoir la situer dans les années de peu postérieures au retour de Navez d’Italie, soit aux environs de 1825, période durant laquelle il reste très attaché aux principes davidiens et à la fermeté de sa touche. Cette hypothèse de datation est confortée par un dessin signé et daté de 1825, exécuté avec beaucoup de finesse et de délicatesse à la mine de plomb. Il semble bien que Navez, dans ces Deux jeunes Italiennes en prière à mi-corps (ill. 28), fit appel au même jeune modèle que pour sa Jeune femme de profil en la parant cette fois de vêtements de fête. On observe que dans le tableau, pas plus que dans le dessin, on ne sent la tentation d’alanguissement qui envahira le peintre plus tard dans sa carrière, quand il cèdera à l’évolution du goût. Pour saisir le sens de mon propos, il suffit de regarder l’Assomption que Navez peignit pour la cathédrale Sainte-Gudule à Bruxelles en 1847 dans laquelle on peut voir parmi les figures du haut du tableau à droite, une tête d’ange (N 245) dont le profil (vu de bas en haut également) dérive directement de cette Jeune femme de profil. Mais on aura remarqué combien les formes se sont cette fois alanguies. De même, sur une feuille datée de 1841 (collection privée) (ill. 29) présentant plusieurs études de têtes dessinées à la plume, on trouve une autre fort intéressante dérivation (inversée comme dans l’ange de l’Assomption) du même personnage [35].


30. François-Joseph Navez (1787-1869)
Etude pour une figure de l’Assomption, 1846
Huile sur toile - 54 x 43,5 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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31. François-Joseph Navez (1787-1869)
Tête de jeune fille au turban
(Etude pour Rébecca)
, 1826
Huile sur papier marouflé sur toile -
41,5 x 34,5 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : D. R.
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On s’interroge sur le statut d’une œuvre telle que cette Jeune femme de profil, entre l’esquisse et le tableau fini. C’est d’ailleurs ce qui fait une partie de son charme. Il n’est pas sans intérêt de se souvenir que dans l’enseignement qu’il prodiguait, Navez n’était pas un grand défenseur de la pratique de l’esquisse pour elle-même. On conserve de sa main une rare minute d’une lettre écrite en 1834 à son confrère Van der Haert à l’occasion d’un concours institué pour le choix d’un directeur à l’Académie de Louvain. Il va jusqu’à considérer « qu’il est nuisible de vouloir enseigner à en faire » [36]. En quoi il se démarque totalement du programme de l’Ecole des beaux-arts de Paris qu’il avait fréquentée dans sa jeunesse et où le concours d’esquisse continuait d’être disputé avec ardeur [37], épisodes de la vie artistique qu’il ne pouvait ignorer ne fût-ce que par les échos qui lui parvenaient de Paris grâce à ses nombreux correspondants. Quand on fait le bilan de l’œuvre de Navez, il est frappant de constater qu’en effet les esquisses restent relativement rares. Mais son dédain manifeste pour ce genre ne l’empêcha pas d’en réaliser de fort séduisantes. On peut ajouter au petit nombre de celles qui ont pu être retrouvées ces dernières années, cette « classical beauty » (sic) passée en vente chez Christies à Amsterdam le 10 octobre 2000 (lot n° 15), signée et datée de 1846, dans laquelle on reconnaît la figure de la femme qui soulève les draps du lit de la Vierge au centre de l’Assomption de la cathédrale bruxelloise (ill. 30). Plus proche de l’esquisse traditionnelle, apparaît cette tête de Jeune fille au turban, signée et datée de 1826, présentée en vente à en 2000 New York (Sotheby), puis passée en mains privées en Europe (ill. 31). On reconnaît dans cette étude pleine de poésie la charmante figure de Rébecca, personnage central de l’importante Rencontre d’Isaac et Rébecca (Amsterdam, Rijksmuseum) (N 131). Cette fois, il s’agit d’une huile sur papier marouflé sur toile. On y remarquera les variantes introduites dans les accessoires et les vêtements de la jeune femme, ainsi que le ton neutre du fond. Formulons le vœu que le beau grand tableau d’Amsterdam (321 x 394 cm) dont mes collègues et moi avons souligné les qualités et tout l’intérêt qu’il présente pour la complexité de ses sources d’inspiration (notamment les fresques de Friedrich Overbeck à Rome), bénéficie bientôt des soins qu’il mérite et qu’il soit enfin rendu visible. Puisse la vue de cette jolie pochade et le regain d’intérêt que le marché de l’art et le monde des musées manifestent de plus en plus à l’égard de Navez, attirer l’attention des conservateurs sur cette œuvre marquante dont ils ont la garde. Pour illustrer les problèmes que l’artiste rencontra, on se souviendra que ce tableau, exposé au salon de Gand en 1826, fut acquis par Guillaume Ier, achat assorti d’une condition combien décourageante : l’engagement « de ne plus faire de grands tableaux d’histoire » ! Qui plus est, en 1830, au moment de la Révolution, seuls les quatre sixièmes de la somme avaient été payés et Navez dut attendre encore trois ans pour recevoir le solde, non sans avoir dû envoyer une supplique au nouveau roi des Belge (Paris, Fondation Custodia). Celui-ci devait lui répondre positivement et lui commander, peu de temps après, le Sommeil de Jésus dont il a déjà été question ci-dessus. Mais, on le sait, le succès de ce tableau ne manqua pas de soulever la jalousie et la malveillance d’une partie de la critique. Il faudrait un jour que soit étudiée en détail cette polémique qui occupa abondamment la presse.


32. François-Joseph Navez (1787-1869)
Etude d’homme accoudé, le bas de son visage
appuyé sur ses mains
, 1835-1840
Sanguine - 41 x 34 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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33. François-Joseph Navez (1787-1869)
Etude de tête d’homme
Huile sur toile - 38 x 30,5 cm
Collection particulière
Photo : Bruxelles, L. Schrobiltgen
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Il convient maintenant de parler ici d’un dessin et d’une autre esquisse encore à joindre au catalogue de l’artiste. Dans les liasses de dessins conservés dans la famille de l’artiste figure une sanguine dont une photographie a heureusement échappé au vol de documentation commis par un collaborateur indélicat. Elle représente un homme accoudé, le bas de son visage appuyé sur ses mains (ill. 32). La feuille n’est pas signée, mais tout indique qu’elle est de Navez. L’expression est sévère, pour ne pas dire sombre. Le dessin est à mettre en rapport direct avec une étude de même sujet à l’huile sur toile (38 x 30,5 cm.) (coll. privée) (ill. 33). Le sujet, vraisemblablement lié à un drame historique, vu le costume du personnage, ne peut jusqu’à présent être rapproché d’un tableau connu de Navez. Le dessin comme l’étude sont vigoureusement exécutés et illustrent la méthode de travail de l’artiste qui, pour n’être pas partisan de l’esquisse, ne renonce néanmoins pas à recourir à des études préparatoires. On notera que l’étude peinte, coupée par rapport au dessin, est vraiment centrée sur le visage, en quoi l’artiste se montre fidèle à ses préoccupations de jeunesse, tandis que la sanguine donne une image plus complète de l’attitude du personnage. En ce qui concerne la datation de ces deux œuvres, en raison de la fermeté du trait et de la touche et l’absence d’alanguissement qui apparaît dans les œuvres tardives, je propose de les situer vers 1835-1840.

Les différentes œuvres réunies ici confirment bien la grande diversité de ce peintre dont l’histoire de l’art, jusqu’il n’y a pas si longtemps, ne prenait en compte que les portraits et que l’on qualifiait de « chef du néo-classicisme belge ». Et l’on sait combien en Belgique cette formule était réductrice, pour ne pas dire chargée de l’évidente connotation péjorative qu’il convenait de donner à un courant considéré comme trop éloigné des caractères nationaux (c’est à dire flamands) traditionnels. La réapparition de ces différents tableaux et dessins, qui, je le répète, est loin d’être le fruit d’une démarche systématique exhaustive, démontre que des recherches approfondies - que l’on souhaite étendues enfin sérieusement à ses contemporains - ont beaucoup de chances de se révéler très fructueuses et riches en intéressantes surprises.

Remerciements à Eric Bertin, Mr et Mme H. Bourdarias, M. Cabal, Christina Ceulemans, Anne De Breuck, Daniel de Changy , Renaud de Norai, Mark De Vos, Roger Diederen, Christine Dupont, Bruno Fornari, Pierre-Yves Kairis, James MacKinnon, Pierre Masson, Dominique Maréchal, Gui Rochat, Etienne Van Vyve

ANNEXES

1. Lettre de A.B. Roothaan à Navez
(Bruxelles, Bibliothèque royale, Section des manuscrits, II (70), vol. 5, f° 558)

Amsterdam 13 mars 1825

Mon Cher Ami,

Je viens de vous renvoyer votre esquisse, j’en ai consulté avec Mr Suys et aussi avec les reverend peres. Votre idé est très bien. Nous aimons la composition. Cependant nous voudrions une autre position pour l’ange, et bien qu’il était plus a coté du Christ et qu’il le regardait avec compassion. Observez ainsi que le (sic) croix du Tabernacle vient justement au milieu du tableau et mettant le visage du Christ au milieu cela gene au spectateur. Ainsi si les deux figures étaient placé plus a coté d’ensemble on pourra les voir tout deux plus mieux. L’histoire dit que les apotres endormi étaient un jet de pierre eloigné du Christ. Ainsi il faudrait qu’ils n’étaient pas si pres. Enfin mon cher ami pensez y bien pour bien reussir. Ainsi nous voudrions pas un ange feminin à votre gouverne. Enfin je me refere à vos bons soins. Je ne veut pas parler dû prix. J’espere seulement avoir un beau tableau.
a Dieu mon cher Ami je vous embrasse de cœur

(signé) A B Roothaan.

Mon cher ami Navez je joint ici mes observations a celles de notre ami Mr Roothaan : à mon avis, la tête de l’ange vient trop aplomb de celle du Christ, la main de l’ange appuyé sur l’épaule du christ ne convient pas. Il me semble qu’en changeant la pose de l’ange soit en la portant de droite ou de gauche vous eviteriez l’un et l’autre inconveniant sus dit, pour les apôtres, je les trouve bien placé, et je ne sais s’il sera bien possible de satisfaire à l’histoire en tous cas c’est une chose qu’il faut méditer, l’ensemble sera un très beau tableau et tableau a effet. Si vous pouvez parvenir à donner à l’ange une véritable pose d’ange.
Tout à vous

(signé) Suys

2. Lettre de Navez à « Mr A. Vancutsem à Gand », du 22 décembre 1830
(Bruxelles, Librairie The Romantic Agony, vente du 11 mai 2005, n° 436)

Ajouté de la main de Navez en tête de la lettre : Adresse de Bénard : Rue de la paix, n° 1 (…)

Je finis ma peinture comme un fabricant finit sa fabrique. Je vous avoue que je voudrais être à Rome et si je n’étais marié et père de deux enfants, je n’aurais pas attendu les événements (…) Mon seul désir c’est d’habiter la campagne (…) La passion des arts dans ce pays-ci est une amorce qui ne fait jamais feu et l’on éprouve peu de regret de l’abandonner puisqu’elle s’éteint d’elle-même. Nous avons vu la plus belle époque pour les arts que la Belgique ait eu depuis 3 siècles. Qu’a-t-elle produit… rien et quand bien même elle eut produit quelque chose, le résultat n’eut pas été autre et les impressions pas plus vives. Ainsi contentons (nous) de fabriquer de la peinture.

22 xbre 1830

Denis Coekelberghs

Notes

[1D. Coekelberghs, A. Jacobs et P. Loze, François-Joseph Navez. La nostalgie de l’Italie, Gand, 1999. On abrègera dans le présent article sous la forme (N suivi d’un chiffre) les références aux œuvres de Navez publiées dans cet ouvrage.

[2On trouvera des indications sur le rôle de Navez à l’Académie des beaux-arts dans le catalogue de l’exposition Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. 275 ans d’enseignement, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts, 1987. A propos des Musées eux-mêmes, relevons la rédaction par Navez d’un rapport établi en janvier 1840, préalable à la vente par la Ville de Bruxelles de ses collections de tableaux (Voir C. Loir, La politique muséale du jeune État belge : l’achat des collections artistiques de la Ville de Bruxelles en 1843, dans G. Kurgan-Van Hentenryk et V. Montens (éds.), L’argent des arts. La politique artistique des pouvoirs publics en Belgique entre 1830 et 1940, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2001, p. 43-61 ; voir aussi le récent ouvrage de M. Van Kalck et col., Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Deux siècles d’histoire, 2 vol., Bruxelles, 2003, passim. Notons encore pour information l’adhésion de Navez à la franc-maçonnerie à laquelle il fut initié en 1834 (voir C. Loir, Franc-maçonnerie et beaux-arts : deux siècles de Beauté , dans C. Loir et J. C. Lemaire (éds), Franc-maçonnerie et beaux-arts, Bruxelles, Espace de Libertés, 2007 (Collection La Pensée et les Hommes,, 50e année, nos 62-63), p. 7-14 ; et C. Loir, L’émergence des beaux-arts en Belgique : institutions, artistes, public et patrimoine de 1773 à 1835, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2004 (Etudes sur le XVIIIe siècle, volume hors série 10), p. 60).

[3Un dépouillement complet de cette littérature jusqu’en 1830 a été réalisé à l’occasion de la préparation de l’exposition Autour du néo-classicisme en Belgique 1770-1830, catalogue sous la direction de D. Coekelberghs et P. Loze, Musée communal d’Ixelles, Bruxelles, 1985.

[4Voir à ce propos D. Coekelberghs et E. Bertin, Les lettres d’Alexandre Bénard, architecte, peintre et amateur d’art, à Navez (1822-1829). « Quelques apports nouveaux sur Ingres et son temps », dans Les cahiers d’Histoire de l’Art, 4, 2006, p. 94-117. Notons aussi la brève communication d’Alain Jacobs, Lettres d’amis sculpteurs français adressées à Navez, à la journée d’études organisée par l’Université de Lille 3 le 13 avril 2007 sur le thème « France-Belgique :sculpteurs-sculptures » publiée dans les Cahiers de l’IRHIS, n° 4., p. 4-12.

[5On pourrait signaler par exemple aussi que l’on célèbrera bientôt les 40 années écoulées depuis l’exposition Schilderkunst in België ten tijde van Henri Leys (1815-1869), Anvers, 1969 qui est loin d’avoir porté tous les fruits qu’on aurait pu attendre après un aussi utile et stimulant (?) point de départ.

[6Voir note 4. Comme publication récente concernant spécifiquement Navez, on citera le compte rendu de notre livre cité note 1 par Ph. Bordes, « Navez », dans Apollo, nov. 2001, p. 52-53. L’auteur y publie notamment le très davidien et inédit Portrait de Madame Dupret de 1816 (Musée de Charleroi) qu’il convient donc d’ajouter au catalogue des œuvres de l’artiste.

[7Il s’agit bien d’une relecture puisque ces lettres avaient déjà été (mal) exploitées (voir S. Valcke, « T.-F. Suys (1783-1861), architecte de la maison et des ateliers du peintre F.-J. Navez », dans Maison d’hier et d’aujourd’hui, 103, 1994, p. 41-47). En plus du dessin (de la main de Bénard et non de Suys) accompagnant la demande de permis de bâtir aux Archives de la Ville de Bruxelles, cet article est illustré de divers plans annoncés comme faisant également partie de ces mêmes archives. Il s’agit d’une erreur que mes collègues et moi avons répétée dans notre livre cité note 1. Je n’ai pas obtenu de S. Valcke d’indication permettant de la rectifier. Ces documents ne sont pas non plus insérés dans la correspondance de Navez conservée à la Bibliothèque royale de Bruxelles.

[8Voir H. Naef, Die Bildniszeichnungen von J.-A. Ingres, 5 vol., Berne, 1977-80, t. II, p. 318-325, et t. IV, p. 440-443.

[9Voir l’encadré signé A. Jacobs dans le catalogue Jean-Victor Schnetz (1787-1870). Couleurs d’Italie, Musée du château de Flers, 1999, p. 179).

[10Le catalogue de Flers est illustré de divers portraits de Schnetz, aussi bien peints que sculptés, qui permettent de multiplier les comparaisons.

[11Passé en vente chez Weshlers à Washington en septembre 2007. Le tableau aurait été acquis entre-temps par un musée nord-américain ; information en attente de confirmation.

[12Voir M. Cabal, « Jeune bruxelloise portant faille », une toile inédite de François-Joseph Navez, dans Annales du comité flamand de France, t. 61, Lille, 2003, p. 243-248)

[13D. Coekelberghs, « Les peintres belges à Rome aux XVIIIe et XIXe siècles. Bilan, apports nouveaux et propositions », dans Italia Belgica, Etudes d’Histoire de l’art, Institut historique belge de Rome, IX, Bruxelles-Rome, 2005, p. 237-285.

[14Voir à ce propos D. Coekelberghs, A. Jacobs et P. Loze, op. cit., p.30-31 et Ph. Bordes, Jacques Louis David. Empire to Exile, Yale University Press, New haven et Londres, 2005, p. 276.

[15On trouvera une synthèse de la question dans le catalogue de l’exposition consacrée à la collection de La Caze qui fut le propriétaire de cette fameuse Vieille Italienne (Voir Guillaume Faroult et Sophie Eloy, La collection La Caze. Chefs-d’œuvre des peintres des XVIIe et XVIIIe siècles, Histoire des collections du Musée du Louvre, Musée du Louvre éditions - Editions Hazan, Paris, 2007, p. 128-129 du livre imprimé et p.1228-1230 du cédérom l’accompagnant).

[16’ai déjà attiré l’attention sur la filiation davidienne que l’on constate dans la composition de la Diseuse de bonne aventure du Musée de Clermont-Ferrand qui me paraît être de Navez plutôt que de Schnetz. On se souviendra des recommandations de David à Navez en ce qui concerne la mise en place de figures coupées : « Il est bien difficile, lui écrit-il le 22 mars 1818, de mettre bien ensemble des figures coupées sans faire auparavant un ensemble complet du mouvement général de la figure, qu’on prend au carreau ensuite pour ne se servir que de ce qui entre dans le tableau (cf. D. Coekelberghs, Les peintres belges à Rome de 1700 à 1830, Bruxelles-Rome, 1975, p. 269, d’après le document publié par L. Alvin, Fr . J. Navez. Sa vie, son œuvre et sa correspondance, Bruxelles, 1870, p. 86-87). David commentait par ces lignes la Sainte Famille (N46) que Navez avait envoyée à Bruxelles et qu’il avait exécutée à peine arrivé à Rome, la tête encore pleine des tentatives de renouvellement davidiennes auxquelles il avait été associé.

[17Sur les circonstances qui ont entouré la commande à David de cette réplique du Télémaque et Eucharis, voir l’article bien documenté d’Helmut Engelhart, « C’est l’art divin d’Apelle ». Dokumente zur Erwerbungs- und frühen Wirkungsgeschichte zweier Gemälde von Jacques-Louis David und Antoine-Jean Gros in der Kunstsammlung des Franz Erwein Grazf von Schönborn-Wiesentheid, dans Forschungen zur Reichs-, Papst- und Landesgeschichte. Peter Herde zum 65. Geburtstag von Freunden, Schülern un Kollegen dargebracht, Ed. Karl Borchardt et Enno Bünz, II, Stuttgart, 1998, p. 899-935. Il est question du portrait posthume de David aux pages 931-933. Notons que l’auteur se base sur les documents se trouvant dans les archives familiales Schönborn à Wurzbourg (Staatsarchiv) sans connaître ceux (un peu plus complets) que contient la correspondance de Navez à la Bibliothèque Royale de Bruxelles. Ce dernier fonds, qui rassemble essentiellement les lettres reçues par Navez, contient aussi cette fois, de manière tout à fait exceptionnelle, les minutes de celles qu’il a adressées à Schönborn.

[18Correspondance de Navez, Bruxelles, Bibliothèque Royale, t.V, feuillet 605. Une brève lettre du même, datée du 21 septembre, est envoyée à Navez depuis Ostende « à l’hôtel des bains » : « Monsieur, Désirant vivement voir la belle exposition de tableaux qui a maintenant lieu à Bruxelles, je prends la liberté de vous prier de m’informer jusqu’à quel jour elle durera, époque qui décidera mon départ d’ici. Je me réjouis beaucoup de vous réitérer alors verbalement l’expression de la considération distinguée avec laquelle je suis, Monsieur, votre très dévoué serviteur ». (ID. feuillet 606). Voilà qui apporte quelques précisions sur le séjour du comte en Belgique.

[19ID., feuillet 607.

[20Bois, 96 x 76, signé et daté « JF NAVEZ BRUXELLES 1836 ». Paris, Drouot-Richelieu, Etude Rossini, Vente du 6 juin 2005, n° 21. L’histoire matérielle du tableau après la vente de la collection du comte à Munich en 1865 reste imprécise. Dans une note complémentaire à son catalogue, l’étude Rossini signalait que le tableau figura à la vente de la « Collection de feu Madame la baronne de +++ (Hirsch), Paris, juin 1904, n° 32 (reproduit en pleine page) » et qu’il est publié dans R. Huyhe, L’art et l’homme, t. III, 1961, p. 291. Dont acte.

[21ID., feuillet 609.

[22Découvert par Alain Jacobs, cet album, alors en mains privées, serait entre-temps entré à la Bibliothèque Royale de Bruxelles.

[23Voir D. Coekelberghs, Les peintres belges à Rome de 1700 à 1830, Etudes d’Histoire de l’Art publiées par l’Institut historique belge de Rome, t. III, Bruxelles-Rome,1975, p. 263.

[24Voir G. Vigne, Dessins d’Ingres. Catalogue raisonné des dessins du musée de Montauban, Paris,1995, n° 3661. Notons que le dessin de Navez compte trois personnages supplémentaires dans le cortège assistant à l’événement.

[25Librairie Grommen, Liège, vente publique du 13 mai 2000, n° 438.

[26Voir plus haut, note 5.

[27Navez participe aux Salons de Paris en 1824, 1827, 1834, 1835, 1836, 1837 et 1847.

[28Ce tableau, présenté à la foire de Maastricht par Jack Kilgore en 2006, aurait été acquis par un musée nord-américain.

[29La lettre est intercalée entre celles de Suys dans la Correspondance de Navez à la Bibliothèque royale de Bruxelles.

[30C’est l’information qui figure au catalogue de la vente Christie’s de mai 1999 à New York, lot n° 29. Sur Roothaan voir aussi mon compte rendu.

[31J. L. J. David, Le peintre J.L. David, Paris, 1880, p. 584.

[32Bulletin de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Classe des Beaux-Arts. Séance publique du 24 septembre 1847, Bruxelles, 1847, t. XIV, 2e partie, p. 220 et 222.

[33Voir P. Rosenberg, « Le voyage de David dans les Pays-Bas méridionaux en 1781 », dans Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art, LXXV, 2006, p. 117-127.

[34On notera que le fond moucheté de ce tableau, dont la luminosité est d’une si belle qualité, fut, à un moment donné, mal compris : il avait été entièrement repeint dans un ton uniformément sombre, opaque et sans vie. De même, les parties plus esquissées (les mains et les cheveux de l’enfant, la main de la femme), où percent aussi des repentirs, avaient été lourdement retouchées. Les dégagements ont permis de retrouver une œuvre intacte.

[35Il s’agit d’un exemple supplémentaire de la réutilisation par Navez d’un même modèle à différents moments de sa carrière. Le cas se vérifie avec l’Etude d’homme (N 20 ; Musée de Charleroi) datant des premières années de sa carrière, que Navez réutilisa en 1854 pour sa figure du Christ dans Le riche repoussé (N 296 ; Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts).

[36Publiée par L. Alvin, Op. cit., p.212.

[37Voir Ph. Grunchec, La peinture à l’Ecole des beaux-arts. Les concours d’esquisse peintes (1816-1863), 2 vol., Paris, 1986.

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