Fontaine Saint-Michel : une publicité très lucrative

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La Fontaine Saint-Michel à Paris
Photo : Pline (CC BY-SA 3.0)
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Le système est pervers et nous l’avons dénoncé à maintes reprises (voir les articles) : la publicité sur les monuments historiques, habituellement interdite, a été autorisée en 2007 à condition qu’elle soit placée sur un échafaudage cachant un chantier de restauration, et que tous les revenus générés soient affectés à ces travaux.

Mais cette entorse à la loi est encore bien plus vicieuse que nous ne le pensions, et c’est un article paru dans Le Parisien le 29 septembre qui nous a alerté. On y lit en effet que les élus « ont le sourire » parce que la Ville de Paris a vendu pour un prix record - au moins 5,24 millions d’euros - de la publicité pendant dix mois, sur la Fontaine Saint-Michel qui va être restaurée pour un coût de 2,5 millions d’euros. Soit un bénéfice net de 2,74 millions d’euros « au moins ».
De mars prochain à janvier 2026, les bords de Seine, patrimoine mondial de l’humanité, seront donc une nouvelle fois pollués par une publicité gigantesque pour un smartphone ou des paires de baskets !

Le code du patrimoine est clair : « Les recettes perçues par le propriétaire du monument pour cet affichage sont affectées par le maître d’ouvrage au financement des travaux. » C’est d’ailleurs la mention qui apparaît en dessous des publicités : « Les revenus issus de cette publicité contribuent à la restauration de ce monument. »
Mais si l’argent doit être affecté à la restauration, que se passe-t-il quand, comme ici, le montant rapporté par la restauration est plus important ?
Nous ne le savions pas mais la réponse se trouve dans la partie règlementaire du code du patrimoine, l’article R621-91 : « Si le total des recettes d’affichage encaissées est supérieur au montant des travaux, cet excédent est pris en compte lors de l’examen de demande de subventions pour des travaux ultérieurs sur le même immeuble. »
Autrement dit, quand la Ville de Paris restaurera à nouveau la fontaine Saint-Michel, le montant des subventions tiendra compte du fait que de l’argent a déjà été encaissé grâce à la publicité.

Ceci est simplement ahurissant. Si la restauration de la fontaine Saint-Michel est bien faite (notamment grâce à la COARC [1], responsable des sculptures), la prochaine restauration ne devrait pas avoir lieu avant vingt ou trente ans. Cet argent encaissé immédiatement ne sera évidemment pas mis sur un compte bloqué pour réaliser d’hypothétiques travaux dans plusieurs dizaines d’années : il sera utilisé dès que possible, ce qui explique évidemment que les élus aient « le sourire ».
Nous avons interrogé Karen Taieb, l’adjointe au patrimoine de la Ville de Paris. Celle-ci, qui a interrogé la direction juridique, nous a confirmé que « les règles indiquent que les sommes excédentaires peuvent être utilisées dans un temps ultérieur à la restauration du même édifice », confirmant ainsi ce que nous venons d’écrire.
Elle ajoute : « il semble néanmoins possible de l’utiliser pour un objet de même nature et dans le même arrondissement. La somme excédentaire pourrait ainsi être fléchée vers la restauration de la Fontaine Saint-Sulpice située dans le même arrondissement et dont la restauration est envisagée dans un futur proche. Mais cette option n’est pas encore décidée à ce stade ».

Nous faisons confiance à Karen Taieb, qui se bat régulièrement pour le patrimoine parisien. Mais outre que rien dans les textes de loi n’impose que cet argent supplémentaire soit employé pour d’autres restaurations, même « dans le même arrondissement » et pour un « objet de même nature » (donc une fontaine), le fait que cela ne soit pas encore décidé est inquiétant. La Ville peut en effet l’utiliser comme elle l’entend et cela restera légal. Et s’il était décidé d’affecter ces 2,74 millions à la fontaine Saint-Sulpice, cet argent ne ferait que se substituer à ce que la Ville avait prévu de dépenser pour ce monument puisque sa restauration est déjà annoncée (depuis 2022, il est vrai)…

La condition que les revenus publicitaires soient affectés aux restaurations du monument est, si l’on y réfléchit bien, de toute façon absurde : soit le montant perçu est inférieur, et la municipalité affecte de facto directement ou indirectement, cet argent aux travaux, soit le montant perçu est supérieur, et cet argent n’ira pas à ce monument. Et si - comme c’est probable - l’énorme gain réalisé par la Ville sur cette restauration finit en réalité dans ses caisses pour financer tout autre chose, cela signifiera que la publicité est désormais autorisée sur les monuments historiques sans même leur bénéficier.

Il est urgent d’abolir, une fois pour toute, ce système malsain de la publicité sur les monuments historiques, décidé par Renaud Donnedieu de Vabres quand il était ministre de la Culture. Et de réfléchir à une manière pérenne et sans douleur de financer la restauration du patrimoine en France comme nous le suggérons depuis déjà longtemps : pourcentage sur les mises de la Française des Jeux et taxe de séjour (voir notamment cet article).

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