- Façade de la basilique de Saint-Denis
Photo : Zairon (CC BY-SA 4.0) - Voir l´image dans sa page
Le dossier de la flèche de Saint-Denis est absolument ahurissant. En témoignent deux courriers dont nous venons de prendre connaissance.
La première est la lettre de démission de Jean-Philippe Garric, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du « Conseil scientifique pour la reconstruction de la tour Ouest de Saint-Denis » qu’il vient de publier sur Facebook. Après avoir souligné notamment son intérêt pour l’architecte François Debret « injustement sacrifié à Viollet-le-Duc », il explique pourquoi il a pris cette décision. Il met en cause clairement les modalités de fonctionnement du conseil, pour deux principales raisons. Citons-le ici in extenso « la première tient à sa nature et à son fonctionnement : réuni de façon très erratique, sans dossier scientifique envoyé à l’avance, il apparaît comme une simple instance de légitimation, extérieure aux réflexions et étrangères aux décisions, comme un alibi que l’on rassemble à la va-vite, au rythme des oppositions qui s’expriment. La seconde motivation de mon revirement tient à la nature du financement. Annoncé à l’origine comme lié à l’exploitation touristique du chantier, il apparaît désormais comme devant provenir du budget de l’État, et ce qui me trouble encore davantage, du budget du ministère de la Culture. Or je ne crois pas que la culture en France soit si riche, qu’elle doive financer ce qui ne relève nullement de son domaine, mais de celui du ministre délégué au tourisme. Je crois cette dernière question symboliquement fondamentale au point où nous en sommes, c’est-à-dire à un moment où une part toujours croissante du patrimoine est livrée avec empressement et volontarisme à la marchandisation touristique ».
Résumons : la commission scientifique n’est donc qu’une instance fantôme qui n’a comme objectif que de légitimer l’opération. Cela confirme donc ce que l’on pouvait craindre, de la part d’un projet mené par l’architecte en chef des monuments historiques Jacques Moulin : cela n’aura rien de scientifique. Cela rejoint aussi l’analyse que nous avons toujours faite de ce projet, tandis que la deuxième motivation vient également confirmer ce que nous annoncions : bien loin d’être un projet qui ne coûtera rien au patrimoine, il sera pratiquement exclusivement financé par de l’argent public et, plus grave, par le ministère de la Culture. Ce ministère se fait donc le complice d’une opération douteuse, sans justification scientifique ou patrimoniale, et qui va utiliser des budgets qui auraient pu être utilisés pour de vraies restaurations de monuments historiques.
La deuxième lettre est celle que le directeur général des Patrimoines, Jean-François Hébert, a adressé en 8 septembre dernier à Mathieu Lejeune, l’un des deux initiateurs du texte opposé à cette reconstruction de la flèche paru dans Le Point et signé par 128 spécialistes (voir l’article). Celui-ci défend mordicus le projet en utilisant des arguments très spécieux. Mais le plus choquant est l’extrême mauvaise foi dont il fait preuve dans deux de ses affirmations. Il justifie d’abord les travaux que va nécessiter la construction de la flèche sur la façade par « une fragilisation du massif occidental destiné à supporter tour et flèche » qu’aurait montré une étude. Une manière de procéder qui laisse entendre que les travaux que cela va entrainer pour remédier à cette fragilité serait inhérente au monument et pas uniquement due à la construction de la flèche... Mais ce n’est rien encore par rapport à sa seconde affirmation. Si nous ne souhaitons pas accabler l’actuel directeur des patrimoines (bien plus présent sur les dossiers que son prédécesseur), on ne peut qu’être stupéfait en le lisant. Il ose en effet écrire qu’« on ne peut d’ailleurs pas considérer que ce projet a été rejeté par les professionnels du patrimoine siégeant à la Commission nationale. La Commission nationale se prononce à la majorité de ses membres présents ou représentés. 8 membres ont voté contre ce projet, 6 pour, et 2 se sont abstenus. Aucune majorité ne s’est donc dégagée parmi les membres ».
Drôle de conception donc d’un vote démocratique que de prétendre que 57,1 % des suffrages exprimés ne représentent pas une majorité ! Faire dire à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture l’inverse de l’avis qu’elle a exprimé - un peu comme pour le réaménagement de Notre-Dame de Paris (voir l’article) - est une manière très habile de ne pas la suivre tout en faisant croire qu’on l’écoute. Il est peu probable que ses membres goûteront cette manière de procéder.