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- Chaise et bergère dites de Madame Élisabeth
La bergère est probablement fausse
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
L’affaire de faux qui frappe de plein fouet le château de Versailles (voir les articles) pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les musées. Le ministère de la Culture a en effet annoncé qu’il lançait une enquête administrative sur les procédures d’acquisition des musées nationaux. Si l’on comprend qu’il ne pouvait rester inactif, il faut absolument éviter que cette enquête ne débouche sur la conclusion qu’il faudrait encore moins acquérir ou rendre encore plus difficile les procédures d’acquisitions.
Celles-ci sont déjà complexes et longues. Elles sont soumises en outre à des règles de plus en plus contraignantes et souvent ridicules. Dans certains cas et pour certains musées, il n’est pratiquement plus possible d’acheter une œuvre dont on ne connaîtrait pas l’historique pendant la Seconde guerre mondiale car on a peur que l’œuvre provienne d’une spoliation [1]. Désormais, il est aussi pratiquement interdit d’acquérir un objet qui serait passé aux enchères ces dernières années, sous prétexte que les conservateurs n’avaient qu’à l’acheter lors de la vente. Sauf que les procédures elles-mêmes, par leur lourdeur, sans compter les budgets insuffisants, leur interdisent souvent d’être réactifs et de participer aux enchères. Sans compter qu’ils n’ont pas forcément eu connaissance de la vacation (qui peut s’être déroulée dans une petite maison de vente à l’étranger). Parfois encore, l’objet n’étant pas parfaitement identifié, il leur est également interdit d’agir, puisqu’on n’achète plus, ou presque plus, d’anonymes, et qu’ils ne peuvent courir le risque de se voir revendiquer une découverte.
Ces lourdeurs administratives, ces contraintes sur la provenance ne semblent d’ailleurs pas s’appliquer à tout le monde. Si, lors de son interview, Gérard Mabille nous a affirmé que les acquisitions étaient débattues par tous, d’autres témoignages que nous avons recueillis laissent penser qu’il n’en était rien et que les achats proposés par lui (en tant que chef du département du mobilier et des objets d’art) étaient décidés par Béatrix Saule, le reste de la conservation n’ayant pas réellement son mot à dire [2]. Or ni l’un, ni l’autre ne sont spécialistes de mobilier du XVIIIe siècle [3], Gérard Mabille affirme qu’on ne peut être omniscient, il a raison sur ce point. Mais comme nous l’avons déjà écrit, de vrais experts existent dans les musées et ailleurs. On pourrait notamment citer Christian Baulez, grand spécialiste du mobilier XVIIIe, lui, prédécesseur de Gérard Mabille, qui bien qu’à la retraite aurait pu être consulté s’il n’était depuis devenu indésirable à Versailles ! Un conservateur de province nous confiait récemment qu’il avait l’impression que les petits musées étaient finalement plus contrôlés que les grands établissements. On ne peut lui donner tort lorsque la provenance d’un meuble royal, aussi vague que le paiement d’une dette, ne soulève pas la moindre question. Le maître mot, pour acquérir une œuvre, devrait être : « collégialité ».
Si la peur d’acheter des faux vient encore compliquer la tâche des conservateurs, même les plus dynamiques vont devoir renoncer à enrichir leur musée. Ce ne sont pas les procédures qu’il faut changer, c’est plutôt, dans bien des cas, les gens eux-mêmes. Quand une commission d’acquisition est présidée par un président d’établissement public ancien journaliste ou énarque, il est évident qu’on se prive délibérément d’une personne compétente. Quand on ne nomme pas à la direction d’un département ou d’une équipe de conservateurs les meilleurs spécialistes et connaisseurs, ceux qui sont reconnus internationalement dans leur domaine comme de grands professionnels, on se prive, nécessairement, de l’œil capable de choisir avec discernement. Quand ce sont les plus dociles ou ceux qui n’ont comme ambition que de monter dans la hiérarchie grâce à leur soumission envers les politiques qui sont choisis pour les postes importants, des nominations qui font parfois rire (jaune) toute la communauté des historiens de l’art, il ne faut pas s’étonner de la situation dans laquelle on se trouve et qui est loin de toucher seulement Versailles. Nous ne donnerons pas d’exemples de cas flagrants et récents qui laissent des musées entre les mains d’incapables, chacun les reconnaîtra.
C’est bien la déliquescence du ministère de la Culture, de la direction des Patrimoines et de l’ancien service des musées de France, garants du bon fonctionnement du système, qui est en cause. Privés de personnel et de moyens, dirigés par des gens sans aucune compétence particulière (on est bien loin de l’époque des Hubert Landais, des Jean Chatelain, des Françoise Cachin, ou des Olivier Chevrillon et Jacques Sallois, hauts fonctionnaires réellement au service des musées), cette administration traverse une crise profonde. L’enquête administrative devrait plutôt porter sur le fonctionnement global du ministère lui même.