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Entretien avec Patrice Benadon, collectionneur
Vous n’avez pas grandi dans un milieu artistique et avez exercé le métier de dentiste. Comment est née cette passion pour l’art qui vous a mené à constituer une collection à la fois riche et variée, dans laquelle la peinture religieuse des XVe et XVIe, et la sculpture du XIXe siècle ont la part belle ?
Quand j’étais petit, à la maison, il n’y avait rien. Une table, six chaises, un canapé. Aucun objet. J’étais toujours impressionné par les meubles et les œuvres d’art qui agrémentaient les appartements de mes petits camarades lorsque j’allais goûter chez eux. Il me semblait qu’il n’était possible de voir ce genre de merveilles que dans les vieilles familles françaises ou dans les musées.
À 14 ans, j’ai séjourné en Angleterre. La famille qui m’avait accueilli habitait à côté d’un antiquaire. Dans la vitrine étaient exposés de grands couverts à poisson, en argent et ivoire, que je trouvais magnifiques. Je suis entré et j’ai demandé le prix ; il correspondait à la somme que j’avais pour vivre pendant quinze jours. Alors, durant deux semaines, je ne suis pas sorti, je n’ai rien dépensé, et le quinzième jour, j’ai acheté ces couverts. Je les conserve aujourd’hui encore. À partir de cette époque, je me suis mis à regarder les objets.
Par ailleurs, comme mes parents travaillaient énormément, je passais tous les mois de juillet à Paris. Pour m’occuper, je faisais le tour des églises ; j’étais fasciné par l’art religieux et dès que j’ai commencé à gagner trois sous, j’ai acheté des peintures, modestes au début, plus importantes au fil du temps. Plus tard je me suis tourné vers la sculpture.
- 1. Collection de Patrice Benadon
Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875)
Mater Dolorosa, vers 1869-1870.
Nicolas Cordonnier (?-1531)
La Prédication de saint Vincent Ferrier
Huile sur panneau - 87,5 x 91 cm
Photo : bbsg - Voir l´image dans sa page
Cherchez-vous à constituer un ensemble cohérent autour de quelques artistes ou d’une période précise ?
J’achète les œuvres qui me plaisent, sans réfléchir à la place qu’elles occuperont dans ma collection. Un objet doit d’abord séduire, il doit parler aux yeux, au cœur et aux tripes, non à la raison. La Mater Dolorosa de Carpeaux par exemple me bouleverse (ill. 1). Non seulement l’artiste a su traduire la douleur d’une mère qui a perdu son enfant, mais cette douleur me semble plus sensible dans l’œuvre que je possède, qui est une esquisse en terre cuite. Le geste du sculpteur, libre et spontané, rend cette sculpture plus puissante que la version achevée de l’œuvre. J’ai aussi de Carpeaux un plâtre d’Ugolin entouré de ses enfants ; leur nombre varie, il n’est pas le même sur la version définitive qu’on peut voir à Orsay. J’ai enfin deux Vénus, l’une en terre et l’autre en bronze : ce sont des merveilles dont je ne me séparerai jamais.