Stéphane Grodée, marchand de tableaux anciens et habitant d’Amiens, nous a adressé le texte suivant lorsqu’il a su que nous allions publier l’article de Gilles Plum contestant le nouvel aménagement de la place devant la gare de la ville. Il n’avait pas auparavant pris connaissance de celui de Gilles Plum.
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Le génie de Perret, universellement reconnu au Havre depuis l’inscription de la ville au Patrimoine mondial de l’UNESCO, ne s’est qu’incomplètement exprimé à Amiens pour des raisons économiques. La place de la gare demeura inachevée au moment de sa reconstruction par Perret au lendemain de la dernière guerre ; un demi-siècle plus tard il était regardé comme une nécéssité urbanistique de rattraper cette phase d’oubli en réintégrant l’espace vide. Un projet instaurant un accès direct aux quais depuis la place fut confié à Claude Vasconi. L’exercice consistant à se confronter à la pensée architecturale de Perret ne pouvait s’envisager qu’à travers le prisme d’une salutaire modestie, Claude Vasconi prit le parti d’en respecter les données sensibles, entretenant avec elle un lien de complémentarité, prolongeant ses lignes de force ; la suppléant toujours, ne la supplantant jamais. C’est à ce prix que nous pouvons mesurer sa réussite.
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Les architectes ont toujours au cœur la religion des olympiens, quand bien même apparaît-il comme un lieu commun de légitimer l’art d’aujourd’hui par des références au passé, et à l’inverse l’art ancien par une conception téléologique de la modernité, comment ne pas ressentir chez Perret le « purisme » de l’architecture paleo-chrétienne et chez Vasconi la majesté classicisante des beaux ordonnancements ? Partant que voit-on aujourd’hui sur cette place de la gare d’Amiens ? Une vaste agora en pente douce mourant à l’aplomb des quais, intemporel espace découvert orné d’une archaïsante et sauvage pierre granitique, renforcé de murs cyclopéens au droit desquels se dressent deux escaliers d’hypogées antiques. Un monumental portique, moderne propylée de verre et d’acier, s’insére dans les régulations orthogonales de Perret pour en accélérer les perspectives. Le voyageur sortant de la gare pourra cultiver les vertus de l’émerveillement en admirant la « Tour Perret » inscrites dans ses angles. Aspect anecdotique et plaisant, complément de nature à satisfaire les contempteurs de la minéralité, les fontainiers ont installé un jet d’eau au milieu de l’agora et les jardiniers des buis en topiaire.
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Cette réalisation conjugue à mes yeux les vraies valeurs de l’Architecture : rythme, carrure, élan, respiration, monumentalité, et prouve une fois de plus en dix neuf ans que les choix des édiles amiénois (J. Roig, F. Venezia, C. Vasconi, A. Chemetoff) pour le renouveau architectural de la ville furent toujours les bons.