Ce que vient de faire le Président de la République est extrêmement grave. Sans attendre un processus législatif forcément long et d’ailleurs à l’issue incertaine, il décide, lui tout seul, dans son coin, le jour même de la remise du rapport Savoy-Farr dont nous avons démontré ici la manière dont il était biaisé et avait été mené sans même respecter les consignes qu’il avait donné, d’offrir au Bénin vingt-six œuvres appartenant aux collections publiques françaises.
- Sossa Dede
Statue royale anthropo-zoomorphe, entre 1889 et 1892
Bois polychrome et métal - 168 x 102 x 92 cm
Paris, Musée du Quai Branly
Œuvre inaliénable d’un Musée de France (pour l’instant)
Photo : Musée du Quai Branly - Voir l´image dans sa page
Nous renvoyons à l’article qu’avait écrit sur notre site Yves-Bernard Debie pour comprendre de quoi il s’agit. Ces œuvres, prises de guerre effectuées en 1892 contre un roi qui n’avait pas hésité à mettre le peuple Yoruba en esclavage (celui-ci fut délivré par le colonel Dodds, et la place du centenaire de la Libération de Kétou célèbre ce fait d’arme), sont tout à fait légalement conservées au Musée du Quai Branly et au Louvre selon les lois internationales. Ajoutons qu’au moins une sculpture qui sera « restituée » au Bénin a été pillée par le roi Glélé, père de Behanzin, à Doumè, une ville plus au nord.
La déclaration faite par Emmanuel Macron est scandaleuse parce que les collections publiques sont inaliénables et que s’il pouvait dire qu’il souhaite que ces objets soient donnés au Bénin, il n’a aucun droit de le décréter. En gros, le Président nous dit que l’État, c’est lui, en piétinant sans vergogne les lois de la République. Le communiqué de l’Élysée précise que : « les mesures opérationnelles, et le cas échéant législatives, seront prises pour que ces œuvres puissent retourner au Bénin ». Ce « le cas échéant » est admirable, concernant une mesure actuellement parfaitement illégale. En prétendant que l’envoi de ces œuvres au Bénin est « une proposition du musée du Quai Branly », l’Élysée ne recule par ailleurs pas devant une grosse contre-vérité : s’il reste très prudent officiellement (il est fonctionnaire...) nous savons de source certaine que Stéphane Martin est furieux du contenu du rapport et qu’il n’a certainement pas proposé le don « sans tarder » de vingt-six œuvres du musée qu’il dirige.
Comment, demain, refuser aux autres pays, et pas seulement aux pays d’Afrique sub-saharienne, le transfert des œuvres des collections nationales, quand un petit état comme le Bénin est si favorisé ? Déjà, les musées marocains s’interrogent : pourquoi pas nous ? (voir ici), tandis qu’un journal algérien comprend que « Macron veut tout rendre », y compris à l’Algérie (et pourquoi pas ?, l’Algérie a elle aussi été colonisée).
Demain donc, comment résister aux demandes de la Chine et lui refuser ce qu’on aura accordé à des pays sans grand pouvoir politique ou économique ? L’expression « boite de Pandore » est sans doute galvaudée, mais elle est pourtant ici parfaitement adaptée.
On peut se demander pourquoi Emmanuel Macron décide ainsi, sans réflexion autre que son bon vouloir, de restituer « sans tarder » les œuvres du Bénin. La question est légitime lorsque l’on sait que l’une des personnes les plus actives pour demander ces « restitutions » est Marie-Cécile Zinsou, fille de Lionel Zinsou, ancien premier ministre du Bénin. Or, Lionel Zinsou et Emmanuel Macron se connaissent bien. Comme on peut le lire dans cet article du Monde, « Lionel Zinsou connaît le président français nouvellement élu pour avoir travaillé avec lui à la banque Rothschild et avoir été l’un de ses soutiens durant la campagne ». Le journal L’Opinion est encore plus précis : « Après avoir côtoyé brièvement Emmanuel Macron chez Rothschild, le Franco-béninois a eu recours à ses services, comme banquier conseil, quand il dirigeait PAI, et a continué à le fréquenter quand le futur président était à l’Élysée puis à Bercy. Il a ensuite soutenu le candidat En Marche ! pendant la campagne présidentielle ». La Tribune Afrique compte même Lionel Zinsou comme un des « hommes du Président ».
Où, d’ailleurs, seront exposées les œuvres venant de France ? Au Palais d’Abomey où les œuvres actuellement conservées le sont dans de très mauvaises conditions ? Ce n’est pas nous qui le disons, c’est Marie-Cécile Zinsou qui expliquait en 2016 : « Ceux qui ont visité le Musée d’Abomey savent à quel point tout est à l’avenant. Les objets sont en mauvais état, le système électrique est hors d’âge, les cartels sont de plus en plus illisibles, les hautes herbes défigurent le palais de Behanzin, les bas reliefs s’effritent… » ! En 2016 toujours, dans un autre journal béninois, La Nouvelle Tribune, elle expliquait, à propos d’un trône de Behanzin acheté par la Fondation Zinsou : « En voyant l’état des musées [béninois] aujourd’hui, il n’est pas possible de l’exposer dans un musée national. Il va être dégradé dangereusement comme les autres œuvres. L’idée n’est pas d’aller chercher des objets, de les maintenir, de soutenir le patrimoine, de les documenter… tout ça pour après les mettre dans les termites, dans une salle où il n’y a pas de fenêtre, pas de contrôle climat, aucune sécurité ». De là à penser que les vingt-six œuvres à rendre « sans tarder » seront exposées à la Fondation Zinsou, il n’y a qu’un pas.
Il n’y a donc finalement rien d’étonnant à ce qu’Emmanuel Macron prenne des libertés avec le code du Patrimoine et un principe, celui de l’inaliénabilité des collections publiques françaises, qui existe depuis le XVIe siècle. Après tout, si c’est pour faire plaisir à un ami…