Édouard Niermans, architecte de villas à Mers-les-Bains

Pierre Petit (1832-1909)
Edouard Niermans
photographie datant de 1895
Institut français d’architecture.
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Dans une petite localité située sur les bords de la Manche, qui s’appelle à cette époque Mers-Plage, Edouard Niermans édifie au début du XXe siècle plusieurs villas qui comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’architecture balnéaire. Récemment restaurée, la villa Jan et Helena nous donne l’occasion de nous interroger sur le statut et la place d’Édouard Niermans au sein de l’Art Nouveau.

Édouard Niermans, un parisien né en Hollande [1]

Eduard Johan Niermans (1859-1928) est le fils d’un architecte d’Enschede, localité des Pays-Bas, située à proximité de la frontière allemande. Il suit les traces de son père et poursuit des études d’enseignement artistique à l’École polytechnique de Delft dont il sort diplômé en 1883.
La même année, il s’installe à Paris dans l’Ile Saint-Louis, au 41 quai d’Anjou. Il dessine des modèles de lustres et de pièces d’orfèvrerie qui lui valent des succès appréciables [2]. En 1889, il reçoit sa première commande en tant qu’architecte. Avec son confrère Posthumus Meyjes, il construit les pavillons de la section néerlandaise de l’Exposition universelle. Peu de temps après, il est décoré de la Légion d’honneur.
A partir de 1891, Niermans travaille principalement à la décoration de brasseries [3]. Son œuvre la plus marquante, heureusement conservée, est la brasserie Mollard. Niermans réaménage en 1894-1895 ce restaurant qui fait face à la gare Saint-Lazare. Il fait appel au concours d’artistes et d’artisans d’art dont le plus notable est le peintre Simas qui exécute les cartons de panneaux décoratifs réalisés en faïence de Sarreguemines. En 1895, Édouard Jean Niermans qui a francisé son prénom obtient la nationalité française. Parrainé par Charles Garnier, il est admis au sein de la Société Centrale d’Architecture. Le 23 juillet, il épouse Louise Marie Héloïse Dewachter originaire de Leuze en Belgique.

Édouard Niermans à Mers-les-bains

L’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Le Tréport sur Mers en 1873 encourage et stimule la construction privée. Plusieurs architectes originaires de la région ou de l’Île-de-France seront des acteurs très actifs de la construction à Mers, tels Jules Dupont (Villa Rip), Théophile Bourgeois (Villa Bon Abri), Frédéric Marin et Joseph Graf (Villa La Lune et Le Soleil). Entre 1899 et 1907, Édouard Niermans construit quatre villas à Mers-les-bains comprenant une ou plusieurs unités d’habitation. Sur un étroit périmètre inscrit entre l’actuelle avenue Foch et l’esplanade maritime, il édifie successivement deux villas simples, la Villa française et la Villa parisienne, une villa double, la Villa Jan et Helena et une villa triple, la Villa Cyclamen, les Iris et les Phlox [4].

La villa Jan et Helena (1902-1903)


Art et Curiosité
10 avril 1904
Institut français d’architecture.
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A. Raguenet
Monographies de bâtiments modernes.
Paris : Ducher, 1904, n° 199.
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Située rue Boucher de Perthes, la villa Jan et Helena porte le nom de deux enfants d’Édouard Niermans, nés respectivement en 1897 et 1901 [5]. Ces noms de baptême familiaux laisseraient penser que la villa Jan et Helena a été conçue par l’architecte pour son usage personnel [6]. Toutefois, Il semble que Niermans a rapidement changé d’avis. En effet, en avril 1904, une publicité parue dans Art et Curiosité [7] proposait à la vente « deux villas avec vue sur la mer, à quelques mètres de la plage » correspondant à Jan et Helena. Il était précisé que les villas en question « sont construites depuis un an et n’ont jamais été habitées ».

« Un caractère décoratif tout à fait nouveau et fort intéressant »

Elevée sur trois niveaux et pourvue d’un sous-sol, la villa Jan et Helena juxtapose deux constructions jumelles unifiées par un pignon central en forme de demi-croupe. Dans ses Monographies de bâtiments modernes, Raguenet vante l’excellence de l’architecte qui « a su installer de nombreuses chambres à coucher avec une réception suffisamment grandiose dans une surface relativement restreinte [8]». De fait, l’implantation des pièces d’habitation reflète la hiérarchie sociale : les gens de maison, bonnes et domestiques, sont logés au sous-sol et au troisième étage ; les étages nobles abritent les chambres des maîtres.

Édouard Niermans (1859-1928)
Villa Jan et Héléna
Photo D. Morel, avril 2016
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Le caractère Art Nouveau de l’habitation est clairement marqué par les éléments en bois structurant le bow-window [9] qui paraissent directement issus du monde végétal. Au premier étage, les membrures cintrées des bow-windows ondulent en une courbe qui se prolonge et s’assagit dans les arcs qui encadrent les baies vitrées. Le balcon du deuxième étage est couvert aux angles d’une toiture portée par des ramures de bois qui marient harmonieusement courbes et contre-courbes. Enfin, les lettres qui composent les prénoms Jan et Helena sur les très beaux cartouches d’angle sont composées dans une police raffinée qui ignore la ligne rectiligne.
La façade est bornée sur les côtés par deux chaînes harpées en pierre blanche contrastant avec la brique laissée apparente. Ce parti décoratif propre à l’architecture classique se conjugue avec l’utilisation de chapiteaux ioniques qui supportent la retombée des arcs, de part et d’autre du pilier central. Tout en animant sa façade d’un jeu de lignes sinueuses, Niermans a soigneusement équilibré sa composition répartie de manière symétrique autour d’un axe médian.
Cette alliance de deux esthétiques, l’une qui emprunte à l’Art Nouveau l’essentiel de ses formes et de ses lignes, l’autre, qui, plus discrètement, fait référence à la grammaire des styles est constitutive de l’art singulier d’Édouard Niermans. Dans sa préface - remarquable - au livre de Pinchon, Bruno Foucart ne saluait-il pas déjà le « style insaisissable [10]» d’Édouard Niermans qui a tant déconcerté le rédacteur d’Art et Curiosité [11] ?

Dominique Morel

Footnotes

[1Selon l’expression du professeur Sluyterman, cité par Jean-François Pinchon, Édouard Niermans Architecte de la Café Society, Paris, Mardaga, 1991, p. 21. J’emprunte à J. F. Pinchon l’essentiel de mes connaissances sur Niermans.

[2Le musée d’Orsay conserve un Projet de lanterne pour une église dessiné par Niermans.

[3« Entre 1891 et 1900, il projette ou réalise l’aménagement de seize tavernes, brasseries et restaurants » (Pinchon, op. cit., p. 35.

[4Voir le site en ligne de l’inventaire de Picardie, rédactrice Elisabeth Justome.

[5Jean Niermans, fils aîné d’Édouard Niermans obtient en 1929 le Grand Prix de Rome d’Architecture. Associé à son frère cadet Édouard, il dresse en 1937 les plans de la salle de spectacle du palais de Chaillot et en 1951 aménage plusieurs salles de la Maison de la radio (cf. Jean-François Pinchon, Édouard et Jean Niermans: du Trocadéro à la Maison de la radio, Bruxelles : Mardaga ; Paris : Institut français d’architecture, 1985.

[6Comme l’affirme Bernard Toulier « L’architecte parisien d’origine néerlandaise Édouard Niermans qui a déjà dessiné trois habitations à Mers-les-Bains acquiert en 1902 une parcelle dans un des derniers lotissements communaux de Mers-les-Bains et construit cet édifice pour son propre usage entre 1904 et 1907 ».

[7Art et Curiosité, 10 avril 1904.

[8Raguenet, Monographies de bâtiments modernes, Paris : Ducher, 1904, n° 199.

[9Synonyme d’oriel que le Vocabulaire d’architecture publié par l’Inventaire (Paris, 1972, p. 31, n° 26) définit comme « un ouvrage à claire-voie formant avant-corps sur la hauteur de plusieurs étages et renfermant de petites pièces ».

[10«On est tenté de penser que cette incapacité de Niermans à adhérer au système de L’Art Nouveau , telle qu’elle a été remarquée par ses contemporains et mise à son passif par la postérité, est le lieu même de son originalité», op. cit.

[11« Il n’a pas attendu la critique pour savoir que son projet d’emprunter à la nature, à la branche de l’arbre, des formes cambrées et de libres attitudes l’a quelque peu trahi dans les façades de ses villas. Mais il croit avoir réussi à donner en rez-de-chaussée une juste impression de force par son pilier central et par ses deux arcs butés aux culées latérales. Il a encore trop sacrifié à la volute ionique dans ce chapiteau, il eût été préférable qu’il donnât un caractère moins classique à la figure de ce couronnement de pilier, mais il sait mériter quelque éloge pour sa stylisation florale ici et là et, s’il nous demande le décompte de ses efforts heureux ou non, il est assuré de notre estime. », op. cit.

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