Deux sculptures de l’ancienne cathédrale d’Arras, « trésor national » en vente chez Christie’s New York

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Flandres, 1517
Saint Joseph et un donateur et Melchior
Albâtre - H. 63 cm
Vente Christie’s New York 19 avril 2018
Photo : Christie’s
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Le ministère de la Culture veut faire « circuler » des œuvres d’art « iconiques » dans les provinces françaises, particulièrement dans de soi-disant « zone blanches » qu’il considère comme des déserts culturels. Nous avons déjà dénoncé l’aspect méprisant de ce projet qui témoigne par ailleurs d’une ignorance abyssale de la richesse patrimoniale de la France (voir notre article). Mais les deux sculptures qui vont être vendues à New York par Christie’s dans quelques jours témoignent d’une autre manière de la totale absurdité de la politique patrimoniale publique.

Résumons les faits. Le 8 mars 2014, le Journal Officiel publie un arrêté refusant le certificat d’exportation de deux statuettes en albâtre « datant probablement du XVIe siècle » et provenant de l’autel de la Manne, dit aussi autel « des reliques » de la cathédrale d’Arras, situé dans la chapelle axiale de l’ancienne cathédrale, aujourd’hui entièrement disparue. En 1791, un inventaire du Mobilier de Notre Dame répertorie « sept effigies en albâtre représentant l’Adoration des Mages » dont font partie ces deux figures, celle de saint Joseph et celle de Melchior. Les sept statues se trouvaient dans les niches de l’autel. Outre celles-ci, quatre autres (Gaspard, Balthazar, David and Isaïe) sont aujourd’hui conservées au Musée des Beaux-Arts d’Arras, à l’exception de la septième, celle de la Vierge Marie, qui est aujourd’hui encore perdue.

Le classement « trésor national » s’imposait donc, comme s’imposait aussi son achat par le Musée des Beaux-Arts d’Arras. Que ces deux œuvres n’aient pu finalement être acquises est un scandale patrimonial majeur - un de plus - qui met en cause gravement la responsabilité de la ville d’Arras, mais également celle du ministère de la Culture.
Nous avons interrogé ce dernier qui nous a fait la réponse suivante : « Le montant fixé à l’issue de l’expertise s’est révélé supérieur aux moyens qui pouvaient être mobilisés par l’État et la ville d’Arras, ce qui a conduit à renoncer à l’acquisition. ». Nous avons alors demandé si l’estimation de Christie’s (300 000 à 500 000 $, soit environ 400 000 € pour le montant haut) était conforme à celle de l’expertise. Le ministère nous a répondu par l’affirmative, et a précisé que « la ville d’Arras n’a, cependant, pas souhaité poursuivre, compte tenu des moyens qu’elle pouvait allouer à cette opération pour compléter l’apport prévu par l’Etat. » Les deux sculptures vont donc être vendues à New York, risquant ainsi de quitter définitivement le territoire français et de priver le musée de la possibilité de réunir toutes les figures du retable.

Or, cette lamentable affaire se déroule à Arras, ville connue depuis quelques années pour les expositions de longue durée qu’elle organise avec Versailles. Si celle des carrosses n’était pas déshonorante (voir l’article), celle appelée « Le château de Versailles en cent chefs-d’œuvre » était une honte (voir l’article). Nous n’avons pas vu celle actuellement en cours sur Napoléon et Versailles.
Quel que soit ou non leur intérêt, ces expositions ont des caractéristiques communes : elle se contentent de transporter des œuvres de Versailles à Arras sans réelle plus-value, elles empêchent le Musée des Beaux-Arts d’Arras de mener une véritable politique d’expositions et elles coûtent extrêmement cher : entre 1,4 millions d’euros (selon La Voix du Nord) et 2,1 millions d’euros (comme le dit un autre article de ce même journal). Soit, si l’on prend une moyenne, plus de 5 millions d’euros dépensés depuis 2012 pour organiser ces trois expositions !

La Ville d’Arras [1] aurait pu bénéficier d’une aide importante de l’État. Pour les œuvres majeures, le fonds du patrimoine apporte en moyenne 50%, mais peut aller jusqu’à 80% du prix total. La région peut également être sollicitée, une souscription peut être lancée qui dans tous les cas permet de recueillir le complément de la somme. Au total, la Ville d’Arras n’aurait donc eu à débourser que, au pire, peut-être 40 000 à 50 000 € pour acquérir deux œuvre majeures de son histoire (rappelons que la cathédrale gothique d’Arras a entièrement été détruite après la Révolution). Mais elle préfère manifestement le temporaire et le spectaculaire plutôt que la sauvegarde de son patrimoine.
Si la ville est la première responsable, l’État ne peut se défausser entièrement. Car c’est bien lui qui encourage des entreprises aussi coûteuses et vaines que « Versailles à Arras ». C’est lui toujours qui veut désormais faire circuler des œuvres des musées nationaux en dépensant beaucoup d’argent qui ne profitera pas à long terme aux régions concernées. C’est lui aussi qui diminue drastiquement les montants des budgets d’acquisition (ils ont baissé encore de 500 000 € en 2018, soit davantage que le prix de ces deux statuettes - voir l’article)… C’est lui, enfin, qui se satisfait finalement de laisser sortir ces deux sculptures dont le prix n’est même pas prohibitif, laissant ainsi l’indifférence de la mairie d’Arras décider de la politique patrimoniale de l’État. Car ces deux sculptures sont des trésors nationaux, pas des trésors régionaux…

Comment ne pas s’indigner enfin que le classement trésor national, dont l’objectif est normalement l’enrichissement du patrimoine français, ne serve plus que d’accroche publicitaire à la maison de vente qui va être chargée de les disperser. La notice de Christie’s se conclut en effet comme cela : « Classées ‘trésor national’ par les autorités françaises, les figures de Saint Joseph et Melchior constituent une extraordinaire opportunité pour les collectionneurs ainsi qu’un souvenir de l’iconique cathédrale d’Arras, un chef-d’œuvre du gothique, définitivement disparu ».
Françoise Nyssen voulait faire circuler les œuvres ? Elle réussit au delà de ses espérances en permettant à ces sculptures de partir pour les États-Unis.

Didier Rykner

P.-S.

Ajoutons un point, que nous a fait remarquer un lecteur de cet article. Non seulement le prix d’achat était parfaitement raisonnable et aurait pu être réuni par le Musée d’Arras et le ministère de la Culture, mais que ce dernier n’ait pas été capable, en deux ans et demi, de trouver une ou des entreprises capables de dépenser en tout 36 000 € (en comptant les 90% de déduction fiscale) pour acquérir ces sculptures prouve son incroyable incompétence dans le domaine du mécénat.

Notes

[1Nous avons bien sûr interrogé la municipalité sans recevoir encore de réponse. Quant au musée, il était injoignable par téléphone.

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