Des faux à Versailles ?

2 2 commentaires
1. Chaise dite de La Méridienne
Versailles, Musée national du Château
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Fausse grille, fausse fontaine, fausse entrée d’hôtel… À tous ces faux assumés et revendiqués, le château de Versailles a-t-il ajouté à quatre reprises, entre 2009 et 2012, l’achat de faux meubles, pour un montant total évalué à 2 millions d’euros ?
C’est, en tout cas, ce que semble penser l’OCBC qui vient de procéder à plusieurs auditions et perquisitions toute la journée d’hier dans le monde du marché de l’art. C’est ce que tout le milieu, des conservateurs aux marchands, en passant par les historiens de l’art spécialisés, murmure à demi-mot depuis au moins un an.

La Tribune de l’Art ne traite du marché de l’art que s’il touche à l’histoire de l’art au sens le plus noble du terme (nouvelles attributions, découvertes majeures, dispersion d’un fonds d’atelier, ventes aux enchères comprenant des œuvres majeures…) ou aux musées (acquisitions notamment). Si cette affaire n’avait concerné que des particuliers, nous ne nous en préoccuperions pas. Mais pas moins de quatre meubles (ou plutôt quatre achats, concernant six meubles en tout) acquis par Versailles sont mis en cause dans cette affaire, tous faisant partie de la même filière présumée, certains ayant même été classés « trésor national ». Deux autres chaises, également déclarées trésor national, que Versailles a failli acheter, l’ont été finalement par un particulier étranger en France. Celui-ci a rendu les meubles à l’antiquaire qui les avait vendus, en début d’année, et a été remboursé…

Personne, sauf peut-être la police, ne sait exactement si les différents intermédiaires avaient des soupçons sur l’authenticité des meubles. Sont concernés notamment un expert et marchand en mobilier ancien, un autre expert qui a présenté certains meubles aux enchères, un antiquaire célèbre de la place de Paris, divers courtiers, plusieurs maisons de vente aux enchères (dont il y a tout lieu de présumer qu’elles ne savaient pas), un artisan du faubourg Saint-Antoine qui exécutait les meubles...

L’affaire n’est pas une surprise dans le monde de l’art. Tout le monde, comme nous l’avons dit, est plus ou moins au courant depuis de nombreux mois. Versailles même sait depuis longtemps que plusieurs de ses achats sont sur la sellette. Nous avons interrogé la directrice des collections, Béatrix Saule, à deux reprises. La première fois, par téléphone, elle nous a dit que Versailles pensait les meubles authentiques jusqu’à preuve du contraire. La seconde fois, lorsque nous nous sommes rendu sur place pour prendre des photos (et que nous avons vu trois des lots incriminés), la tonalité était différente, la conservatrice apparaissant moins sûre d’elle. Parlant d’une des chaises mises en cause - celle qui proviendrait du cabinet de la Méridienne - elle nous a confié : « Ce qui m’ennuierait le plus, c’est que celle-ci soit fausse »…

Un ancien conservateur nous a confié : « Il y a depuis plus de dix ans à Paris une officine qui fabrique ou trafique des sièges royaux, qui colle des étiquettes, on trouve ça dans le commerce, chez les marchands. La seule chose qui m’intéresse, c’est que les musées, l’État, Versailles ne soient pas victimes de ce genre de manœuvres. » Il est possible, malheureusement, que Versailles l’ait été.

Les meubles incriminés sont donc :


2. Georges Jacob (1739-1814)
Chaise, détail
Collection particulière
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page
3. Chaise dite de la Méridienne, détail
Versailles, Musée national du Château
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

 Une chaise de Jacob, pour le cabinet de la Méridienne, acquise par Versailles en 2011 pour environ 400 000 € (ill. 1). D’autres exemplaires du même modèle sont connus. La comparaison de la guirlande de fleurs avec une chaise authentique conservée dans une collection privée montre de vraies différences de qualité (ill. 2 et 3).


4. À gauche, deux ployants
Versailles, Musée national du Château
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

 Une paire de ployants par Foliot (ill. 4) réalisés pour la duchesse de Parme, vendus à Versailles en 2012. Il pourrait s’agir de faux créés à partir de modèles exécutés dans les années 1960 (sans intention de tromper), puis maquillés.

 Deux chaises de Louis Delanois, réalisées pour Mme du Barry (elles faisaient partie d’un lot de quatre et avaient été classées « trésor national »). Nous n’avons pas pu voir ces chaises qui étaient en cours de restauration. L’ensemble comprenait à l’origine douze chaises, plus une treizième, un peu plus haute, faite pour le roi. Or on en connaît en tout quatorze du petit modèle, dix étant conservées désormais à Versailles, et quatre autres en collections privées. Cela fait donc au moins deux de trop… Ces deux chaises ont été acquises pour la somme de 840 000 euros [1].


5. Bergère, dite de Madame Élisabeth
Versailles, Musée national du Château
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

 une bergère de Séné (ill. 5) réalisée pour Madame Élisabeth, achetée en 2011 pour environ 240 000 €. Il est d’ailleurs curieux que ce meuble ait été acquis par Versailles, alors qu’il avait été commandé pour Montreuil.

D’après un expert parisien qui dénonce ce système, si la qualité est assez remarquable, les supercheries pourraient cependant se déceler grâce à plusieurs caractéristiques. L’œuvre douteuse, toujours censée avoir une provenance prestigieuse, voire royale, était présentée comme une redécouverte, sans aucun historique prouvé aux XIXe et XXe siècles ; les tissus recouvrant les sièges et les fauteuils étaient, dans la plupart des cas, de médiocre qualité, ce qui accentuait le côté « redécouverte ». Les sculptures ne sont pas suffisamment ajourées, comme si l’artisan qui les a créées avait peur qu’elles ne soient trop fragiles. Les assemblages sont comme neufs, sans rétractation du bois… Des étiquettes indiquant la provenance se trouvent sur la plupart de ces meubles, et deux théories s’affrontent parmi ceux pensant qu’il s’agit de faux : il s’agirait soit de fausses étiquettes entièrement refaites, soit d’étiquettes authentiques mais provenant de mobilier courant, qui auraient été ensuite retravaillées.

Le nombre d’œuvres douteuses est plus élevé, mais seules celles-ci ont été vendues à Versailles. Si des particuliers se sont faits berner, c’est ennuyeux. Si Versailles s’est fait arnaquer, c’est à notre avis beaucoup plus grave. D’une part, certaines œuvres ont été acquises avec de l’argent du mécénat. Que va-t-on dire aux mécènes ? Quid, par ailleurs, des déductions fiscales obtenues à l’occasion de ces achats ? Les œuvres vont-elles être remboursées ?

Le plus amusant (pour peu que cela soit drôle), c’est que dans le cadre de son remeublement, le château de Versailles est actuellement en train de reconstituer le lit de Louis XVI. Un faux complet et revendiqué comme tel, refait non pas à partir de gravures, mais de descriptions trouvées dans des inventaires. Et qui est en charge de la réalisation effective de cette œuvre ? Le même artisan dont le nom est cité dans l’enquête comme ayant exécuté les faux achetés par Versailles. La boucle est bouclée…

Didier Rykner

P.-S.

12/6/16. Le ministère de la Culture, dans un communiqué diffusé le samedi 11 juin, estime à 2,7 millions d’euros, plutôt qu’à 2 millions d’euros, le montant déboursé pour les meubles acquis par Versailles mis en cause dans cette affaire. La vérité semble sortir plus rapidement que nous le pensions. Nous reviendrons bien entendu ultérieurement sur cette affaire et sur ses implications pour l’établissement public.

Notes

[1Les quatre étaient vendues 1 680 000 €.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.