Démolition de la chapelle Saint-Joseph : les responsables sont…

Cette fois, la messe est dite, et c’est une messe d’enterrement : la chapelle Saint-Joseph de Lille est en cours de démolition (déconstruction comme le disent les démolisseurs, vandales qui n’ont même pas le courage de désigner leur crime par son nom). Nous ne reviendrons pas ici sur l’importance architecturale, historique, artistique et urbanistique de cet édifice. Nous en avons longuement parlé, en citant certains des spécialistes, innombrables, qui ont souligné son immense intérêt.


1. Chapelle Saint-Joseph de Lille en cours de destruction
Photo : Étienne Poncelet
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Il faut, en revanche, désigner par leur nom les responsables de cet acte. Bien entendu, les propriétaires de la chapelle, l’école d’ingénieurs Junia (ex Yncrea) et l’Université catholique de Lille, à l’origine de cette destruction, sont coupables. Mais beaucoup moins finalement que ceux qui sont en charge normalement, pour le bien de la collectivité, de protéger notre patrimoine contre ces destructions. Celui qui a toutes les armes pour empêcher le scorpion de piquer est bien plus coupable que la bestiole, dont la fonction est de piquer et qui n’a même pas conscience de son acte. Il y a en France une législation qui permet d’éviter ce type de choses. Encore faut-il que ceux qui en ont le pouvoir veuillent l’exercer.

Il n’est que justice donc de donner ici la liste des principaux responsables, ceux qui avaient le devoir d’empêcher cette destruction, et qui ne l’ont pas fait :


2. Chapelle Saint-Joseph de Lille en cours de destruction
Photo : Étienne Poncelet
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 Catherine Bourlet, chef de l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine, l’architecte des bâtiments de France, c’est-à-dire celle dont l’avis était conforme (on est dans le périmètre d’un monument historique protégé) et qui avait donc le pouvoir de dire non, et d’empêcher définitivement cette démolition. Non seulement elle l’a autorisée, mais avec des arguments faux (« les désordres observés sur l’édifice » avait-elle écrit, alors que celui-ci n’était aucunement en péril) ou hors sujet quant à ses prérogatives (la « désaffection » (sic) de la chapelle et « les besoins liés à l’évolution des moyens de l’enseignement »). ;
 Martine Aubry, la maire de Lille, qui a donné le permis de démolir, se satisfaisant de la destruction de la chapelle qui lui permet de se dégager de la restauration du Palais Rameau, et dont l’indifférence pour le patrimoine et les musées est tellement visible dans la gestion de sa ville ;
 Philippe Barbat, directeur général des Patrimoines et de l’Architecture, qui ne s’est jamais rendu sur place, et qui a soutenu jusqu’au bout cette décision de démolition (voir cet article). Il avait non seulement le pouvoir de lancer une procédure d’instance de classement, mais aussi celui de réunir la commission nationale du patrimoine et de l’architecture dont le rôle est justement de se prononcer sur ce type de dossiers. Seul ou presque, il a décrété que ce monument n’avait pas d’intérêt suffisant pour se battre pour lui. Se battre pour le patrimoine est une notion qui lui est totalement étrangère.
 Roselyne Bachelot, ministre de la Culture. Son prédécesseur, Franck Riester, avait au moins eu le mérite de demander un sursis (voir l’article). Dès son arrivée, écoutant les avis de Philippe Barbat et de Jean-Baptiste de Froment, son conseiller patrimoine, elle a validé la démolition, refusant absolument de s’y opposer, alors qu’elle aussi, bien entendu, en avait le pouvoir. Nous avons longtemps été indulgent à son égard, pensant voir en elle une femme aimant le patrimoine. La déception n’en est que plus grande. Elle passera désormais à la postérité comme la ministre qui aura laissé détruire cette chapelle (sans oublier la démolition de l’enceinte classée du parc de Saint-Cloud ou la dénaturation des étangs de Corot, également classés...). Que n’a-t-elle pas tenu sa promesse de ne jamais revenir en politique ? Elle était meilleure aux Grosses Têtes.


3. Chapelle Saint-Joseph de Lille en cours de destruction
Photo : Étienne Poncelet
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La responsabilité du ministère de la Culture apparaît comme encore plus importante lorsque l’on écoute Martine Aubry intervenir sur la chapelle lors du dernier conseil municipal, le 5 février (à partir de 6 h 43’ 46"), en réponse à la conseillère Vanessa Duhamel, qui l’interpellait sur l’état du patrimoine religieux de la ville et notamment sur les menaces pesant sur Saint-Joseph. Elle s’est en effet retranchée, en fine politique, derrière l’avis de l’État. Nous retranscrivons ici exactement et intégralement ses paroles :

« J’en reviens deux minutes sur la chapelle Saint-Joseph. Vous dites "la puissance publique ne s’en est pas saisi". La puissance publique justement s’en est saisi, puisque c’est l’ABF qui a donné la première, donc le ministère de la Culture, les bâtiments de France qui ont les premiers donnés un avis en disant que cette chapelle n’avait pas de valeur architecturale et que sa - je rappelle qu’elle est désacralisée depuis vingt ans, qu’elle n’est plus occupée du tout depuis dix ans et qu’elle était dans un état tel que sa déconstruction était inévitable - c’est la conclusion de l’ABF, la puissance publique, ceux qui sont censés connaître mieux que vous et moi ce qu’est un patrimoine et ce qui a de la valeur. Voilà. Alors vous avez souhaité tardivement, et pour les gens qui s’intéressent au patrimoine de la ville, je suis étonnée que vous ayez laissé passé la décision de déconstruction et brutalement pendant la campagne électorale, bizarrement, cette affaire qui était, si je puis dire classée, un projet privé, de l’Université catholique, soutenu par l’archevêché, soutenu par l’ABF, brutalement vous vous réveillez trop tard puisque la décision de déconstruction a été donnée. Alors, vous saisissez la ministre de la Culture pour lancer le processus d’inscription sur la liste complémentaire en tout cas des monuments historiques [1]. Là aussi, le directeur du patrimoine, sans doute un incompétent, sans doute quelqu’un qui n’aime pas les églises, c’est ça que vous allez me dire ? Parce que c’est ça que j’ai senti sous vos propos, ça aussi c’est inacceptable. Entre mes connaissances ou mes goûts culturels et ceux-là, euh, ne venez pas me chercher là-dessus non plus, ce n’est pas la peine. Donc, et bien ce directeur du patrimoine a conseillé à Madame Bachelot que j’avais encore au téléphone cette après-midi - pas pour parler de la chapelle Saint-Joseph, pour parler de projets culturels - et bien lui a dit qu’il ne fallait absolument pas ouvrir cette procédure. Voilà. Alors c’est un peu comme la pandémie, tout le monde en sortant de chez lui a une idée sur ce qu’il faut faire : il faut confiner, il ne faut pas confiner, il faut vacciner, il ne faut pas vacciner, il faut ceci, il faut cela. Là aussi il y a des experts. Les experts, c’est l’ABF. Les experts c’est la direction du patrimoine. Et ne vous en déplaise, ils ont pris des décisions. La Ville en l’occurrence n’est pas porteur de ce projet et n’a fait qu’appliquer les règles de droit, c’est-à-dire un accord de l’ABF pour un projet d’urbanisme qui respectait les règles d’urbanisme. Voilà tout ce que j’ai à vous répondre. Moi je suis quand même étonnée encore une fois que vous n’ayez rien d’autre à dire sur la politique culturelle de la Ville, que vous critiquez en permanence alors que nous sommes considérés je crois comme une grande ville culturelle, j’en parlais encore avec la ministre tout à l’heure. Mais sans doute qu’elle-même n’est pas au niveau sur la culture et que tout ce que vous dites est plus important que ce que disent ceux que disent et qui connaissent la culture comme un grand nombre d’entre nous et très certainement vous-même d’ailleurs ça j’en suis convaincue. Voilà. On va continuer comme ça longtemps ce feuilleton, sur un sujet qui n’est pas encore une fois la décision de la Ville ? Adressez-vous… ben vous l’avez fait d’ailleurs, vous êtes allés devant le tribunal, vous avez perdu. Et à aussi sans doute le tribunal est absolument incompétent, n’aime pas le patrimoine et encore moins les églises. Voilà ce que vous allez nous dire ? Moi je n’y suis pour rien si l’ensemble des personnes compétentes et qui pouvaient agir ont à chaque fois répondu de manière négative à votre demande ».

Si l’on met de côté les considérations politiques, et le fait que la maire de Lille ne peut se laver les mains d’une décision qui est aussi la sienne (la délivrance du permis de démolir), elle a raison : la « puissance publique » a dit que la chapelle n’avait pas d’intérêt et qu’on pouvait la démolir. La « puissance publique », elle cite ses représentants : ce sont l’ABF, le directeur des patrimoines, et la ministre de la Culture. Là où vient l’abus, c’est de les qualifier d’ « experts ». La seule « experte » dans cette affaire, c’est l’ABF qui, pour des raisons connues d’elle seule, a commis une grosse erreur d’appréciation. Le directeur du Patrimoine n’est expert de pas grand chose, sinon en évitement de conflits et en avancement de carrière. Et la ministre n’est en aucune façon « experte » en protection du patrimoine. Elle n’y connaît même rien du tout comme elle le prouve régulièrement. La responsabilité de ces trois personnages est énorme. Quant au tribunal, il ne s’est jamais prononcé sur le fonds, mais en référé. Les procédures se poursuivent, mais elles ne serviront à rien puisqu’elles ne sont pas suspensives…
L’intervention de Martine Aubry, pour déplorable qu’elle soit, a au moins l’intérêt de confirmer - en dehors de la sienne - les responsabilités que nous égrenions plus haut. Les « pouvoirs publics » ont failli. Quant aux experts (nous voulons parler des véritables experts indépendants : architectes, historiens de l’art, historiens de l’architecture..), ils sont presque unanimes pour dénoncer un crime patrimonial).

On le voit davantage à chaque affaire de ce genre : nous ne devons pas nous battre seulement contre les démolisseurs, il faut aussi affronter certains de ceux qui sont censés lutter à nos côtés. Le ministère de la Culture a pour rôle de protéger le patrimoine : il en est souvent le fossoyeur.

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