Amaury-Duval est sans aucun doute, avec Théodore Chassériau, Hippolyte Flandrin et Henri Lehmann, l’un des meilleurs élèves de l’abondante école d’Ingres. Connu pour son livre de souvenirs intitulé L’Atelier d’Ingres, qui avait été réédité avec de nombreuses illustrations par Arthena en 1993, ses peintures et dessins sont appréciés des musées et des collectionneurs, mais son œuvre n’a jamais fait l’objet d’une monographie ou d’un catalogue raisonné (voir néanmoins le post-scriptum), à l’exception du petit catalogue d’une exposition qui s’était tenue moins d’un mois en 1974 à Montrouge, illustré en noir et blanc.
Outre les tableaux, essentiellement des portraits et des sujets religieux, Amaury-Duval a également peint de nombreux décors muraux pour des églises. À Paris, il est l’auteur des peintures de la chapelle Sainte-Philomène dans l’église Saint-Merry, à proximité de deux autres chapelles réalisées par ses condisciples de l’atelier d’Ingres, Chassériau et Lehmann. À l’exception de celui de Chassériau (qui commence néanmoins à se détériorer), les deux autres décors, dont celui d’Amaury-Duval, sont en piteux état et devraient de toute urgence bénéficier d’une restauration. Dans cette même chapelle, il est aussi l’auteur d’un tableau d’autel représentant La Mort de sainte Philomène. L’autre grand décor parisien d’Amaury-Duval est celui de la chapelle de la Vierge à Saint-Germain-l’Auxerrois, dont le morceau de bravoure est Le Couronnement de la Vierge. Hors de Paris, à Saint-Germain-en-Laye, l’artiste a bénéficié en 1849 d’une commande qui l’a vu peindre dans l’église toutes les absidioles des six chapelles latérales ainsi que le cul-de-four du chœur.
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- 1. Eugène-Emmanuel Amaury-Duval (1808-1885)
Sainte Barbe
Huile sur toile - 40 x 28,3 cm
Paris, collection particulière
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Il y a quelques années, une esquisse d’Amaury-Duval (ill. 1) était découverte sur une brocante, représentant une sainte en élévation au-dessus des remparts d’une ville, iconographie qui pouvait - sans certitude - évoquer la figure de sainte Barbe, dont on sait que l’attribut est la tour où elle fut enfermée par son père. Même si elle n’avait pas porté la signature de l’artiste en bas à droite, son style épuré aurait certainement permis de l’attribuer sans le moindre doute à ce peintre. En revanche, dans l’œuvre connu de celui-ci, nulle sainte Barbe, ni aucune grande peinture ou décor où cette figure aurait pu apparaître. Le format de ce petit tableau laissait pourtant penser qu’il s’agissait bien d’une étude préparatoire à une plus grande composition.
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- 2. L’église de Saint-Matthieu à Bard-lès-Époisses
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
La chance est souvent l’amie de l’historien de l’art : en mars 2019 en effet, une habitante de la petite commune de Bard-lès-Époisses en Bourgogne, Michèle Frommherz, nous envoyait un mail pour nous signaler que l’église (ill. 2) conservait une peinture murale d’Amaury-Duval ainsi que quelques tableaux et se proposait de nous envoyer des photos. Le mail suivant était donc accompagné de clichés, et quelle ne fut pas notre surprise de trouver parmi ceux-ci une peinture murale effectivement par Amaury-Duval (ill. 3 et 4), qui n’était autre que la même sainte que l’esquisse, en plutôt bon état, et qui n’était pas davantage répertoriée ou connue.
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- 3. Vue de l’intérieur de l’église de Saint-Matthieu à Bard-lès-Époisses avec la peinture murale d’Amaury-Duval
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
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- 4. Eugène-Emmanuel Amaury-Duval (1808-1885)
Sainte Barbe, 1863
Peinture murale
Bard-lès-Époisses, église Saint-Matthieu
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Nous avons mis un peu de temps à venir sur place, pour des raisons de charge de travail, les périodes de confinement n’ayant d’ailleurs pas arrangé les choses. Mais au début du mois de septembre, nous avons pu enfin nous rendre à Bard-lès-Époisses, reçu notamment par Michèle Frommherz et le maire du village, pour visiter l’église et voir cette peinture murale que nous ne connaissions qu’en photo. Celle-ci couvre l’écoinçon entre deux colonnes séparant la nef d’une chapelle ; elle porte la signature de l’artiste (ill. 5). La petite peinture n’est cependant pas inscrite dans ce format presque triangulaire, mais est rectangulaire, avec le haut cintré. S’agit-il d’une esquisse directement préparatoire à cette peinture murale ? D’une étude pour une autre œuvre de même composition et encore inconnue, peut-être un tableau indépendant ? Il est à l’heure actuelle difficile de répondre à cette question.
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- 5. Signature sur la peinture murale d’Amaury-Duval
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Nous n’avons que trop tardé à publier ces deux œuvres inédites. Remarquons néanmoins que le Bulletin n° 22 de l’association « Patrimoine, Ambiances et Couleurs de Bourgogne » paru en juin 2022, dans le compte-rendu de la visite qu’elle avait effectuée à Semur-en-Auxois et dans ses environs, signalait l’existence de cette peinture murale et la reproduisait. C’est grâce à Mme Frommherz et à cette association qui nous ont appris l’histoire du petit château qui se trouve juste à côté de l’église (nous n’avons pas fait de recherches en archives) que l’on peut comprendre comment Amaury-Duval a été amené à peindre cette œuvre. Le château appartenait en effet à Victor de Lanneau (1758-1830), un personnage tout à fait fascinant sur lequel nous ne pouvons ici nous attarder, qui fut d’abord prêtre, puis prêtre défroqué, constitutionnel et maire d’Autun en 1792. Il fut un jacobin particulièrement engagé dans la lutte contre la religion catholique, devenu ensuite membre de la franc-maçonnerie, avant de recréer le collège Saint-Barbe dans les anciens bâtiments de cette institution très ancienne qui se trouvait sur la montagne Sainte-Geneviève.
Lanneau fut aussi proche de Charles-Alexandre-Amaury Pineux, dit Amaury-Duval, le père d’Eugène-Emmanuel Amaury-Duval. Le lien entre ce dernier et le village de Bard-lès-Époisses peut ainsi être retracé même s’il faudrait bien sûr approfondir les conditions de la commande de cette peinture murale. Notons seulement qu’au collège Sainte-Barbe de Paris, l’artiste, qui était lui-même ancien élève de cet établissement, avait réalisé les peintures de la coupole et de la corniche de la chapelle. Malheureusement, ce bâtiment est aujourd’hui détruit avec le décor d’Amaury-Duval. La Sainte Barbe de Bard-lès-Époisses et l’esquisse conservée en collection particulière sont ainsi un précieux témoignage de ses liens avec la famille Lanneau. Il s’agit incontestablement d’une œuvre qui mériterait d’être protégée au titre des monuments historiques, comme l’église d’ailleurs, qui n’est même pas inscrite.
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- 6. France, XIXe siècle
Martyre de deux saints (?)
Huile sur toile
Bard-lès-Époisses, église Saint-Matthieu
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Reproduisons pour terminer le tableau le plus intéressant qu’elle conserve [1], une peinture du XIXe siècle (ill. 6) assez sale qui mériterait une restauration - elle est inscrite monument historique - dont nous n’avons aucune idée de l’auteur ni même du sujet (peut-être le martyre de deux saints ?). Nous remercions les lecteurs de La Tribune de l’Art qui pourraient avoir des idées à ce propos de nous les signaler.