La litanie est sans fin, des monuments historiques, en France et en Europe, qui s’embrasent alors qu’un chantier était en cours pour les restaurer. Cette fois donc c’est au tour du Danemark d’être frappé par cette véritable plaie : la Bourse de Copenhague (ill. 1), magnifique monument du XVIIe siècle vient d’être ravagé par les flammes, et devinez quoi ? ll était en cours de restauration et pour cette raison couvert d’échafaudages (ill. 2).
- 1. Pignon centrale et la flèche aujourd’hui détruite de la Bourse de Copenhague
Photo : Victor R. Ruiz (CC BY-SA 2.0) - Voir l´image dans sa page
- 2. L’incendie de la Bourse de Copenhague le 16 avril 2024 après la chute de sa flèche.
Le bâtiment était entièrement sous échafaudage
Photo : Penguin (CC BY-SA 4.0). - Voir l´image dans sa page
Nous ne connaissons pas la législation relative à la sécurité sur les chantiers au Danemark. Quelles que soient les précautions prises, un accident est toujours possible, mais c’est un truisme de dire que moins elles sont fortes, plus le danger est grand. Et si les incendies peuvent survenir hors chantier, la plupart, comme nous ne cessons de le répéter ici, interviennent lors d’une restauration. Les causes en sont multiples, mais il est évident que l’accumulation de « points chauds » dus notamment à des travaux de soudure, multiplient les risques.
Quittons le Danemark pour revenir en France et dire, encore et encore - et pour l’instant nous prêchons dans le désert - que la règlementation actuelle est très insuffisante. La restauration d’un édifice insigne, qui nous a été transmis par nos prédécesseurs et que nous avons pour mission de transmettre à nos successeurs, devrait être beaucoup plus stricte. Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons écrit à plusieurs reprises sur ce site, la première fois ici, au moment de l’incendie de l’hôtel Lambert (il y a déjà plus de dix ans !). Et ce que nous avons détaillé dans le livre Notre-Dame. Une affaire d’État. L’inaction des ministres de la Culture successifs, qui entraînera d’autres drames et l’incendie d’autres monuments historiques (ce n’est pas une prévision, c’est une certitude), est coupable. Il faut être bien irresponsable pour ne rien faire quand des solutions sont possibles, préconisées d’ailleurs par les pompiers. Il y a un coût, mais il est dérisoire face aux conséquences d’un incendie.
Cela nous ramène, évidemment, à Notre-Dame. Certes, nous restons très prudent tant que l’enquête n’a pas rendu ses conclusions - si elle le fait un jour. Il n’y a pour l’instant aucune preuve que le chantier serait à l’origine du feu, ou même qu’il ait été un facteur aggravant de celui-ci. C’est une hypothèse sérieuse, mais si tel était le cas, cela ne voudrait pas forcément dire que des erreurs auraient été commises, puisque les mesures que nous préconisons ne sont pas obligatoires.
- 3. Détail d’une photo diffusée par le diocèse, datée du jour de la dépose des sculptures. On voit distinctement à l’arrière d’un des camions une bouteille de gaz et un chalumeau
- Voir l´image dans sa page
Dans un article publié par La Croix dimanche 14 avril qui rappelle les différents scénarios de l’incendie, Richard Boyer, le directeur de Socra, société qui a restauré les sculptures de Viollet-le-Duc autour de la flèche, répond à notre interrogation, évoquée par les les journalistes, sur « l’utilisation d’un outil, disqueuse ou chalumeau, comme possible source de l’incendie ». Il est catégorique : « Nous avions terminé le travail préparatoire depuis déjà un mois. Ce jour-là, il s’agissait juste de retirer les statues à l’aide d’un camion-grue. Comme il bloquait la rue, il fallait aller vite. Il n’y a eu aucun usage de matériel pouvant créer un point chaud ce jour-là ». Très bien. Mais il serait alors intéressant de savoir à quoi servait la bouteille de gaz et le chalumeau que l’on distingue fort bien sur une des photos diffusées par le diocèse (ill. 3), au moment de la dépose de ces sculptures sur le camion-grue dont il parle. La bouteille est parfaitement visible sur cette photo et il est légitime de se demander à quoi elle a servi, puisque l’on nous dit que cela faisait un mois que le travail était terminé. Par ailleurs, le même matériel est également visible dans les ateliers de la Socra près des statues. Preuve que cet outil était utilisé sur ces sculptures. Nous voulons bien croire que ce n’était pas le cas le jour de la dépose, mais il y a clairement matière à se poser des questions.
Évidemment, l’usage de chalumeaux n’est pas prohibé sur un tel chantier, il est même souvent inévitable. Nous ne parlons pas ici de manquement aux consignes de sécurité, mais de cause possible du drame.
Questions sur l’origine de l’incendie, incapacité de l’État à légiférer pour réduire les risques majeurs que courent les monuments lors des travaux de restauration lourd, sans parler des multiples questions liées aux fouilles archéologiques, à la suppression des vitraux de Viollet-le-Duc ou à l’installation dans les tribunes de buffets en verre pour l’orgue de chœur... Décidément, l’affaire de l’incendie de Notre-Dame, même si les travaux de restauration du toit et de la flèche s’achèvent, n’est pas terminée.