Longtemps sous-protégée, Marseille vient de bénéficier de nombreuses protections monument historique, et d’autres sont à venir comme l’avait annoncé récemment Rachida Dati. Il s’agit de l’heureuse coïncidence de plusieurs bonnes volontés, comme si les planètes se mettaient enfin en ordre : une municipalité d’abord, qui s’avère assez soucieuse de mieux protéger son patrimoine et donne son feu vert au classement des monuments qui lui appartiennent ; une conservation régionale des monuments historiques moteur sur ce sujet depuis déjà quelques années ; un architecte des bâtiments de France lui aussi actif pour avancer dans ce domaine ; et, enfin, une ministre de la Culture très favorable au patrimoine et qui s’est engagée sur ce sujet. Nous savons par ailleurs qu’après Marseille, plusieurs monuments parisiens devraient bénéficier - outre les secteurs sauvegardés en devenir (voir l’article) - de son attention [1].
Faisons donc le point sur les nouveaux classements car le ministère de la Culture annoncera demain matin [2] que :
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- 1. Cathédrale Sainte-Marie Majeure
Marseille
Photo : Didier Rykner[en]1. Cathédrale Sainte-Marie Majeure Marseille Photo: Didier Rykner
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– la cathédrale Saint-Marie Majeure (ill. 1), plus connue sous le nom de « Nouvelle Major », certes classée depuis 1906, va voir cette protection s’étendre pour englober notamment la grille de clôture réalisée par Henri Antoine Revoil, l’architecte qui a succédé à Léon Vaudoyer et Jacques Henri Espérandieu, ses prédécesseurs sur le chantier de la cathédrale, disparus coup sur coup en 1872 et 1874.
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- 2. Église Sainte-Marie des Chartreux
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
– l’église Sainte-Marie des Chartreux (ill. 2), inscrite en 2020, est aujourd’hui définitivement classée. Il s’agit ici d’un exemple typique du retard de protection dont certains monuments, notamment à Marseille, ont été victimes. On ne s’explique pas en effet qu’elle n’ait pas été protégée plus tôt. Il s’agit d’une église du XVIIe siècle, remaniée légèrement au XIXe, à l’imposante façade classique qui aurait certainement été encore plus impressionnante si les sculptures prévues à l’origine pour la surplomber avaient été réalisées.
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- 3. Hôtel de Pesciolini ou de Mazargues
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
– l’hôtel de Pesciolini ou de Mazargues (ill. 3) était un peu dans le même cas. Il s’agit d’un hôtel particulier datant des années 1672-1673 et dont la porte monumentale est ornée notamment de deux atlantes sculptés par un artiste s’inspirant de ceux de Pierre Puget à Toulon. Seule cette partie de l’édifice était inscrite, depuis 1929. Il aura fallu attendre 2023 pour que l’ensemble de l’hôtel soit inscrit, avant son classement qui vient d’intervenir
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- 4. Salon de Musique du Musée Grobet-Labadié
Marseille
Photo : Robert Valette (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– le Musée Grobet-Labadié, abrité dans un hôtel particulier construit exactement deux siècles après l’hôtel de Pesciolini en 1872-1873, n’a été protégé, par une inscription qu’en 2022. Il vient lui aussi d’être classé pour son caractère « emblématique de l’architecture des hôtels particuliers de Marseille au XIXe siècle » et « la qualité de ses décors intérieurs » (ill. 4). Si l’on se réjouit donc de cette mesure amplement nécessaire, rappelons aussi que depuis 2013, à l’exception d’une réouverture pendant à peine un an en 2019, le musée est fermé au public sauf pour quelques occasions exceptionnelles. Sa fermeture presque continue depuis plus de vingt ans est un scandale qui doit cesser. Le 13 mars 2025, La Marseillaise annonçait que le musée bénéficierait « prochainement d’un diagnostic bâtimentaire » suite à des infiltrations. On espère que ce classement aidera à résoudre rapidement une situation qui n’a que trop duré.
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- 5. Joseph Letz (1837-1890) et André Allar (1845-1926)
Fontaine Estrangin, 1890
Photo : Wikimedia (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– la fontaine Estrangin (ill. 5), elle aussi inscrite seulement en novembre 2023, est désormais classée monument historique. Ce très beau monument construit en 1890 est dû à l’architecte marseillais Joseph Letz et au sculpteur toulonnais André Allar.
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- 6. Jean Hugues (1849-1930)
Fontaine des Danaïdes, 1907
Photo : Wikimedia (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– une deuxième fontaine, celles des Danaïdes (ill. 6), un peu plus tardive car datant de 1907, et due au prix de Rome de sculpture Jean Hugues, a été également inscrite puis classée en même temps que la précédente.
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- 7. André Allar (1845-1926)
Fontaine Cantini, 1911-1913
Photo : Robert Valette (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– enfin, toujours en novembre 2023 puis en ce début d’année 2025, la fontaine Cantini (ill. 7), que le ministère de la Culture décrit justement comme une œuvre « spectaculaire [qui] rivalise avec les grandes fontaines baroques italiennes » a été successivement inscrite puis classée.
On s’aperçoit donc que la procédure est depuis quelques années particulièrement complexe : un monument est d’abord inscrit après avis positif de la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture, celui-ci pouvant ou non émettre un vœu de classement. Cela n’implique néanmoins pas forcément un classement. Il se passe souvent de nombreuses années avant qu’un monument inscrit soit effectivement classé après un passage devant la Commission nationale du Patrimoine et de l’Architecture.
Ce système est lourd et absurde dans bien des cas. Car si un monument mérite d’être classé - et si son propriétaire accepte ce classement - à quoi bon imposer d’abord l’inscription, en multipliant ainsi les étapes administratives qui prennent du temps et consomment des ressources rares compte-tenu des sous-effectifs ? Rien en effet ne l’impose dans le Code du patrimoine, sauf si le propriétaire refuse le classement, auquel cas l’inscription peut tout de même avoir lieu même sans l’accord de celui-ci [3].
La nouvelle volonté ministérielle a permis, quoi qu’il en soit, d’accélérer les choses en passant rapidement de l’inscription au classement monument historique. Nous lui suggérons de ne plus s’imposer ces contraintes et de ne pas hésiter à classer directement certains monuments qui ne sont pas du tout protégés bien que « leur conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public » qui est la condition nécessaire et suffisante pour un classement.
En attendant, d’autres monuments non encore protégés vont être proposés à l’inscription.
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- 8. Marcel Peyridier (1893-1976)
Lycée Michelet
Marseille
Photo : DRAC PACA - Voir l´image dans sa page
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- 9. Marcel Peyridier (1893-1976)
École Édouard Vaillant
Marseille
Photo : DRAC PACA - Voir l´image dans sa page
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- 10. Marcel Peyridier (1893-1976)
École Verduron
Marseille
Photo : DRAC PACA - Voir l´image dans sa page
Lors de la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture de juin 2025 devraient être inscrits plusieurs écoles Art déco (ill. 8 à 12) des années 1936-1938. Ce programme important concernait quatorze édifices scolaires dus à l’architecte Marcel Peyridier [4], dont un a été détruit. Un autre a été vendu à un propriétaire privé et reste pour l’instant en dehors du champ de la protection. Sur les douze restants quatre sont des bâtiments construits un peu plus tôt par l’architecte de la Ville Eugène Sénès, modernisés dans le style Art déco par Peyridier, tandis que douze sont des constructions nouvelles de ce dernier avec Marius Dallest, entièrement dans ce style et décorées de peintures et de sculptures [5].
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- 11. Peinture signée O. Malo dans la cantine de l’école Chateaubriand
Marseille
Photo : DRAC PACA - Voir l´image dans sa page
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- 12. Marcel Peyridier (1893-1976)
École Saint-Pierre
Marseille
Photo : DRAC PACA - Voir l´image dans sa page
Lors de la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture d’octobre 2025 :
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- 13. Basilique Notre-Dame-de-la-Garde
Marseille
Photo : Earth777 (CC BY-SA 4.0) - Voir l´image dans sa page
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- 14. Intérieur de la basilique
Notre-Dame-de-la-Garde
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- la Basilique Notre-Dame de la Garde (ill. 13 et 14) : ce monument majeur de Marseille était jusqu’à aujourd’hui dépourvu de toute protection monument historique, ce qui montre une nouvelle fois à quel point cette volonté ministérielle représente un apport majeur. Il est évident que cet édifice religieux mérite un classement. Le diocèse (propriétaire, par exception, de cette église pourtant antérieure à 1905) semblait un peu réticent à celui-ci, mais la situation semble heureusement en voie de trouver une solution.
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- 15. Maison Puget
Marseille
Photo : Robert Valette (CC BY-SA 4.0) - Voir l´image dans sa page
– la Maison Puget (ill. 15) : construite par Pierre Puget lui-même en 1681, cet immeuble est depuis longtemps en état médiocre, mal entretenu, et en partie défiguré par le commerce qui occupe son rez-de-chaussée. Sa non protection était, une fois de plus, une complète anomalie. Il est donc urgent a minima de l’inscrire (mais elle mérite bien évidemment un classement).
Lors de la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture de décembre 2025 ou de mars 2026 :
– la chapelle Saint-Étienne de l’île de Ratonneau (ill. 16) : là encore on peine à croire que cet édifice construit en 1828 sur le modèle des temples grecs par l’architecte Michel-Robert Penchaud, auteur par exemple de la Port d’Aix à Marseille, ne soit pas du tout protégé. À son propos, comme pour bien d’autres monuments de cette liste, une expression parait s’imposer : « Classificato Subito » !
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- 16. Chapelle Saint-Étienne de l’île de Ratonneau
Marseille
Photo : Patrick Nouhailler’s (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– la digue de Berry, appelée ainsi car construite [6] par l’ingénieur Garella entre les îles de Pomègues et Ratonneau, elle fut dédiée au duc de Berry. Elle est étroitement liée à la chapelle précédente.
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- 17. Chapelle Saint-Joseph-du-Cabot
Marseille
Photo : Fr. Latreille (CC BY-SA 4.0). - Voir l´image dans sa page
– la chapelle Saint-Joseph-du-Cabot (ill. 17), de style néogothique, qui possède de beaux vitraux des années 1860.
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- 18. Église de la Trinité-La Palud
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
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- 19. Voûte de l’église de la Trinité-La Palud
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
– l’église de la Trinité-La Palud [7] : construite en plusieurs étapes entre 1813 et 1829 sur l’emplacement d’un ancien couvent et d’une église Trinitaire démolis en 1794, il s’agit là encore - nous nous répétons, mais cela nous semble essentiel - d’un monument qui devrait être classé. Il ne devrait donc être inscrit qu’en 2026, ce qui représentera déjà une amélioration essentielle, en attendant son indispensable restauration (ill. 18 et 19).
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- 20. Intérieur de l’église Notre-Dame-du-Mont
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
– l’église Notre-Dame-du-Mont (ill. 20) : reconstruite en 1823, avec une chapelle dédiée au Sacré-Cœur ajoutée en 1843 et agrandie en 1885, voilà encore une église néoclassique, riche d’œuvres d’art, qui n’était absolument pas protégée.
– l’église Saint-André-de-Séon : édifice néo-roman à l’architecture extérieure assez simple, il bénéficie d’une riche décoration intérieure.
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- 21. Église Saint-Barnabé
Marseille
Photo : Fr. Latreille (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– l’église Saint-Barnabé (ill. 21) : elle fut construite en 1843, et son clocher en 1900. On remarque particulièrement dans le chœur le décor sur fond d’or peint assez tardivement par Henri Pinta.
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- 22. Église Saint-Lazare
Marseille
Photo : Rvalette (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– l’église Saint-Lazare (ill. 22) : il s’agit encore d’une église datant de la Monarchie de Juillet, construite entre 1833 et 1838 sur un plan basilical s’inspirant de Notre-Dame de Lorette à Paris (mais sa façade n’a jamais été construite). On remarquera les nombreux tableaux de peintres marseillais du XIXe siècle qu’elle conserve.
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- 23. Église Saint-Philippe-et-Notre-Dame-de-Lourdes
Marseille
Photo : Rvalette (CC BY-SA 3.0). - Voir l´image dans sa page
– l’église Saint-Philippe-et-Notre-Dame-de-Lourdes (ill. 23) : elle date de la toute fin du XIXe siècle et est de style romano-byzantin fréquent à l’époque.
Si nous ne pouvons pas nous prononcer, faute de les connaître assez bien, sur le classement ou non de certaines de ces églises, il est évident que leur absence totale de protection était une anomalie qu’il était urgent de corriger.
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- 24. Palais du Pharo
Marseille
Photo : Remontees (CC BY-SA 4.0). - Voir l´image dans sa page
Ajoutons à ces listes que le Palais du Pharo (ill. 24), superbe construction du Second Empire, qui sert aujourd’hui de Centre de Congrès à la Ville et qui n’était pas encore protégé, vient d’être inscrit. Espérons qu’il sera ensuite rapidement classé.
Signalons aussi deux cas particuliers dont on espère qu’ils se résoudront rapidement. D’abord le Palais de la Bourse, qui appartient à la Chambre de commerce : il a été inscrit en 2022 mais attend encore semble-t-il l’accord de celle-ci pour être classé. Alors que celle-ci se vantait (voir cet article) de l’avoir fait classer, confondant ainsi inscription et classement...
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- 25. Escalier Saint-Charles
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
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- 26. Escalier Saint-Charles
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
L’autre cas concerne le magnifique escalier Saint-Charles (ill. 25 et 26) qui relie la gare au boulevard d’Athènes, inscrit (seulement depuis 2022). Son classement est retardé car la propriété entre la Ville et la Métropole est discutée, chacun possédant semble-t-il une partie du monument. La Ville est favorable à son classement, tandis que la position de la Métropole est moins claire...
Quoi qu’il en soit, inscrit ou classé, l’escalier Saint-Charles souffre d’un des pires fléaux que connaissent nos villes aujourd’hui, et dont Marseille est un triste exemple : les tags, innombrables, qui couvrent le monument. Une surveillance forte et une répression vigoureuse à l’égard de leurs auteurs s’imposent.
D’autres dossiers sont en cours, soit que les monuments aient été récemment inscrits (en 2022) et attendent un passage en Commission nationale pour un classement (la basilique du Sacré-Cœur du Prado, le domaine Borély, l’École nationale de danse, l’église Saint-Ferréol, le monument aux Mobiles des Bouches-du-Rhône...), soit qu’ils attendent un passage en CRPA pour une inscription (la Bastide Saint-Joseph, la Caserne des Marins Pompiers, la crypte et le crématoriume du cimetière Saint-Pierre, la Cité des Associations, la citerne des Moulins, la colonne de l’Immaculée-Conception, le domaine Pastré, l’église Saint-Martin d’Arrenc, le jardin de la colline Puget, le monument aux aéronautes Capazza et Fondères, le monument des Rapatriés, le parc Chanot, la piscine Tournesol de la Martine, la cheminée rampante de l’usine Legré-Mante, la Villa Gastaut...). Si nous ne connaissons pas tous ces monuments, l’un d’entre eux nous semble très urgent à protéger : la Halle Puget dont nous parlions dans notre recension de l’ouvrage sur Pierre Puget. Si elle n’est pas due à cet artiste, cette halle du XVIIe siècle est très importante et mérite évidemment un classement. Voilà un monument qui gagnerait à passer rapidement en CNPA, en évitant le passage inutile en CRPA.
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- 27. Église Saint-Charles-Borromée
Marseille
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Remarquons enfin que si l’église Saint-Charles-Borromée (ill. 27) construite entre 1826 et 1834, vient d’être inscrite monument historique en 2024, celle-ci n’a pas été proposée pour le classement. Si nous ne connaissons pas toutes ces églises, nous avons pu visiter celle-ci en 2020. Et elle mérite amplement cette protection ne serait-ce qu’en raison de son riche décor intérieur, par ailleurs en fort mauvais état. Voilà typiquement un monument qui devrait faire l’objet dans un proche avenir d’une proposition de classement. Toute personne ou institution ayant intérêt à une protection peut en faire la demande. En tant que journal spécialisé notamment dans le patrimoine et sa défense, nous demandons donc à la DRAC d’étudier rapidement le classement de cette église.
Beaucoup de travail reste à faire donc, mais quand le ministère de la Culture fait son travail, on ne peut que le féliciter. Bien loin du malthusianisme qui prévalait ces dernières années en terme de protections de monuments historiques, celles-ci, qui en annoncent donc beaucoup d’autres, sont une excellente nouvelle.