De la tour Eiffel à la cour du Bel Air : la sous-protection de Paris

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1. Tour Eiffel
Photo : Didier Rykner
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Dans une interview parue aujourd’hui dans Le Parisien, la ministre de la Culture Rachida Dati annonce son intention de classer d’office la tour Eiffel (ill. 1), si la maire de Paris refusait le classement qui lui a été demandé et qui doit passer (voir cet article) en décembre devant la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. C’est un geste fort et normal dont on doit lui savoir gré. Car si la tour Eiffel n’est évidemment pas menacée de destruction, elle fait face à de nombreuses attaques qu’un classement devrait aider à contrer. Par ailleurs, il est évidemment totalement anormal que ce monument insigne et unique ne bénéficie pas de la protection la plus haute pour un édifice que donne le code du patrimoine (voir ces articles).

Ce n’est cependant pas suffisant pour protéger Paris, et Rachida Dati semble l’avoir compris. C’est la première fois à notre connaissance qu’un ministre de la Culture dit tout haut ce que les défenseurs de la capitale affirment depuis des lustres : « Paris est une ville sous-protégée. Notre capitale se distingue tristement des autres grandes villes françaises par le faible nombre de lieux protégés et classés ». Il faut donc créer d’urgence de nouveaux sites patrimoniaux remarquables dans une ville qui n’en possède que deux, alors qu’elle est la plus grande et la plus chargée d’histoire de notre pays. Là encore, nous ne disions pas autre chose dans un précédent article.

Car les associations et même le ministère de la Culture, quand il veut bien se pencher sur les questions patrimoniales de la ville, s’épuisent sur des dossiers ponctuels qui auraient dû depuis longtemps être réglés par la création de ces secteurs sauvegardés. Rappelons en effet qu’un « site patrimonial remarquable » comme on les appelle désormais s’attelle à protéger un quartier historique dans son intégralité. Élaboré en partenariat entre l’État et la municipalité, avec l’assistance d’experts, le processus qui peut prendre plusieurs mois consiste à déterminer notamment quels immeubles doivent être conservés et sauvegardés, ainsi qu’à protéger les éléments intérieurs qui le méritent.

2. Escalier de 1820 promis à une démolition prochaine
en l’absence de protection du ministère de la Culture
Photo : Didier Rykner
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Un exemple de ce que pourrait permettre un tel site patrimonial remarquable du Faubourg Saint-Antoine (une idée à laquelle, notons-le, même le maire du XIe arrondissement adhère), serait d’empêcher la destruction d’éléments patrimoniaux insignes de la cour du Bel Air, dite cour des Mousquetaires. Nous avons consacré un article à cette affaire qui se fait de plus en plus menaçante puisque l’escalier du XIXe siècle (ill. 2) pourrait être détruit du jour au lendemain à partir du 15 octobre. La juge, sollicitée par des copropriétaires qui s’opposent à sa destruction pour l’installation d’un ascenseur (pour lequel une autre solution existe), a en effet déclaré que si le ministère de la Culture ne prenait aucune mesure de protection, cela prouverait le manque d’intérêt des lieux. La démolition pourrait donc avoir lieu très rapidement.

3. Escalier du XVIIe siècle dit des Mousquetaires noirs
Non protégé au titre des monuments historiques
Photo : Didier Rykner
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Or le dossier monté par la DRAC est plein d’erreurs. Ces immeubles théoriquement protégés par le PLU (qui en réalité ne protège de pas grand-chose et pas du tout les intérieurs) sont d’un intérêt insigne. Les deux maisons sur la rue du Faubourg Saint-Antoine datent de 1637 et sont les plus anciennes de cette rue ; les caves du XVIIe siècle voûtées en arête sont les seules de ce type à subsister dans ce quartier ; l’escalier du XVIIe dit « des Mousquetaires noirs » (ill. 3) était déjà signalé dans les guides touristiques du XIXe siècle ; quant à l’escalier de 1820, il s’agit d’un rare exemple d’escalier d’ébéniste, de très belle qualité, qui par ailleurs a un intérêt mémoriel en tant que témoin de la déportation des habitants juifs de cet immeuble. C’est celui-ci qui doit être démoli en premier, ce qui affectera également une partie des caves.

Il est indispensable que le ministère de la Culture pose une instance de classement très rapidement sur cet ensemble. Cela permettrait dans un premier temps de mener le dossier d’inscription monument historique (rappelons que celui-ci ne nécessite pas l’autorisation des propriétaires). Cela pourrait servir de lancement à la création d’un site patrimonial remarquable du Faubourg Saint-Antoine, puis d’autres quartiers parisiens qui le méritent tout autant. Rachida Dati a fait le bon diagnostic, il est urgent maintenant de passer aux mesures concrètes.

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