- Sénat
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Le Sénat examine actuellement une proposition de loi « visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du Patrimoine ». Celle-ci comporte des mesures ayant pour objectif d’attribuer un label - ce qui signifie, concrètement, de permettre des déductibilités fiscales - au patrimoine non protégé situé dans les « zones rurales, bourgs et petites villes » de moins de 20 000 habitants, alors que cela était réservé jusqu’à présent au agglomérations de moins de 2 000 habitants. Cette extension des labels sera aussi possible « au bénéfice de jardins, de parcs, ou de patrimoine industriel. » Enfin, la proposition contient des mesures relatives à la gouvernance de la Fondation, ainsi qu’une autre permettant de réattribuer plus facilement l’argent initialement donné pour des projets finalement abandonnés.
Tout ce qui permet de faciliter les souscriptions et les restaurations au profit de monuments qui n’étaient naguère pas concernés nous semble, bien entendu, aller dans le bon sens. Néanmoins, cette proposition de loi comporte à notre avis une disposition nettement plus contestable, qui a au moins pour conséquence de mettre l’accent sur une problématique qui nous est chère, celle des monuments et des œuvres d’art menacés par leur vente. Il s’agit de supprimer du code du patrimoine l’article L. 143-5 qui rend insaisissable par ses créanciers les biens acquis par la Fondation pour leur sauvegarde (un cas de figure peu probable on l’espère), et surtout l’article L. 143-8 qui permet à la Fondation du Patrimoine de bénéficier de l’expropriation par l’État d’un monument en péril afin d’en assurer temporairement la gestion avant de le céder à une personne publique ou privée, avec éventuellement des conditions définies par un cahier des charges, ainsi que du droit de préemption de l’État pour les biens mobiliers et les archives.
La Fondation du Patrimoine nous a dit que ces dispositions étant exorbitantes du droit commun ferait considérer la Fondation du Patrimoine comme un organisme public, alors qu’il est privé, ce qui pourrait freiner certains donateurs qui préfèrent donner au privé, plutôt qu’au public. Cette raison nous semble spécieuse, d’une part car rien ne dit que la générosité des donateurs s’appliquerait davantage au privé qu’au public, et d’autre part car la Fondation a, par nature (elle est définie par la loi), une spécificité publique. Une simple fondation privée n’a pas de dispositions spécifiques dans la loi. Ajoutons que le droit d’expropriation est basé sur l’utilité publique, ce qui s’applique parfaitement aux actions de la Fondation du Patrimoine, et qu’il peut parfaitement profiter à des opérateurs privés. En outre, la préemption peut, selon la loi, être appliquée au bénéfice d’« une personne morale de droit privé sans but lucratif propriétaire d’une collection affectée à un musée de France ou d’une fondation reconnue d’utilité publique propriétaire d’un fonds d’archives ». On ne voit pas pourquoi la Fondation du Patrimoine devrait renoncer à cette possibilité.
L’autre argument de la Fondation du Patrimoine est que ces dispositions n’ont jamais été mises en œuvre, car elle n’a jamais eu les moyens de le faire et qu’elle n’a pas, aujourd’hui, de compétence dans le domaine de la gestion des monuments. Il nous semble tout autant irrecevable. D’une part car on ne sait jamais ce que réserve l’avenir, la politique de la Fondation pouvant évoluer. Ensuite car l’on touche ici à une question essentielle, qui si elle n’est pas traitée par la Fondation du Patrimoine devrait être - et depuis longtemps - prise en charge directement par le ministère de la Culture. Nous voulons parler de deux questions essentielles pour le patrimoine français :
1) Que faire lorsqu’un monument protégé est négligé par son propriétaire, jusqu’à sa mise en péril ? La solution de l’expropriation avec portage temporaire existe, et est même mise en œuvre ponctuellement, et beaucoup trop rarement par le ministère. On se rappelle par exemple du cas du château de Bridoire en Dordogne, ex-propriété de Bokassa, ou du château de Maulnes dans l’Yonne, qui avaient été expropriés par l’État, puis revendus à des particuliers pour le premier et au Conseil général de l’Yonne pour le second.
On pourrait parfaitement imaginer que la Fondation du Patrimoine ne puisse plus le faire (puisqu’elle ne l’a jamais fait) mais au moins faudrait-il qu’une structure soit mise en place qui serait chargée de le mettre en œuvre, ou, ce qui serait plus simple, que le Centre des Monuments Nationaux soit très officiellement désigné pour cette mission qui nous semble parfaitement en adéquation avec sa raison d’être.
2) Comment éviter la dispersion des ensembles mobiliers historiques qui peuvent encore rester en mains privées ? Nous voulons évidemment parler du démantèlement des monuments historiques sur lesquels nous avons déjà beaucoup écrit. Plus le temps passe, et moins il reste d’ensembles à démembrer, même si cela est sans doute beaucoup moins vrai pour ceux datant du XIXe siècle et du XXe siècle.
Là encore, la Fondation du Patrimoine devrait maintenir cette possibilité dans ses moyens d’action, sauf si une structure était à même de la mener. Et, une nouvelle fois, le CMN pourrait être chargé de cette mission : acquérir du mobilier qu’il pourrait ensuite soit conserver, soit rétrocéder à des propriétaires publics, voire à des propriétaires privés. Dans ce dernier cas, on pourrait même imaginer que le mobilier pourrait être déposé dans le château d’où il provient [1]. Il faudrait aussi mettre en œuvre les idées proposées par l’association Sites et Monuments (voir cet article) consistant à permettre la préemption d’un monument historique et à imposer le classement monument historique du mobilier acquis pour le sauver d’un démantèlement. Ces mesures, combinées à celles également préconisées par Sites et Monuments sur la question des contre-parties apportées aux propriétaires privés en cas de classement monument historique du mobilier qu’il possède (voir cet article) seraient incontestablement de nature à sauver notre patrimoine de bien des désastres à venir.
En résumé, bien au delà de la proposition de loi du Sénat relative aux prérogatives de la Fondation du Patrimoine, il faut s’interroger sur la meilleure façon de mettre en œuvre ces procédures. Si la Fondation du Patrimoine ne le peut ou ne le veut pas, il faut s’assurer qu’un autre le fasse, et le CMN nous semble alors tout désigné. À défaut d’une réflexion globale (celle-ci devrait être évidemment menée par le ministère de la Culture, à supposer qu’il y en ait un) qui serait concrétisée par l’adaptation des missions confiées au CMN, il ne faut rien changer aux articles L. 143-5 et L. 143-8 du code du patrimoine.