Nous avons suffisamment de sujets à traiter pour ne pas parler des cas de ventes aux enchères d’objets présentés comme d’attribution et de provenance certaines alors qu’elles sont en réalité très discutables. Mais lorsque La Tribune de l’Art est prise comme caution, laissant penser qu’un article que nous avons publié entérine les informations contenues dans la notice, et que cela concerne un ensemble majeur de l’histoire de l’art, il nous est impossible de ne pas réagir.
- 1. Sculpture présentée comme de
Jérôme Duquesnoy le jeune et
représentant la Foi
Mabre - 112 x 49 x 30 cm
Vente SVV Kohn, 17 décembre 2012
Photo : SVV Kohn - Voir l´image dans sa page
- 2. Sculpture présentée comme de
Jérôme Duquesnoy le jeune et
représentant la Renommée
Marbre - 112 x 35 x 22 cm
Vente SVV Kohn, 17 décembre 2012
Photo : SVV Kohn - Voir l´image dans sa page
C’est ainsi que dans une vente organisée par la SVV Kohn à l’Hôtel Bristol le 17 décembre prochain, deux sculptures en marbre sont présentées comme de Jérôme Duquesnoy le Jeune, figurant La Foi et La Renommée (ill. 1 et 2) et provenant de la chapelle des Tours et Taxis de l’église Notre-Dame des Victoires du Sablon à Bruxelles.
La seule bibliographie citée (outre une exposition dont nous parlerons plus loin) est un article de Denis Coekelberghs publié le 1er septembre 2006 sur notre site, et intitulé « A propos de Jérôme Duquesnoy le jeune ». Or, non seulement cet article ne parle ni ne reproduit les deux œuvres en question, mais son auteur nous a indiqué que « au vu des œuvres et à la lecture du dossier (?) fourni, il [lui] est absolument impossible de croire non seulement à l’attribution mais aussi d’accorder le moindre crédit à l’historique détaillé qui est censé être le leur […] ».
Il est donc particulièrement ennuyeux, pour ne pas dire davantage, de citer en bibliographie un article ne parlant pas de ces œuvres, par un historien de l’art ne croyant pas à l’authenticité de cette attribution et de cette provenance.
Mais les approximations de la notice ne s’arrêtent pas là. On y apprend ainsi :
– que « des croquis préparatoires sont conservés au Musée Royal des Beaux-arts de Bruxelles »,
– que « le 18 Juin 2008 [le groupe a été] proposé à la Commission d’achat du Musée Royal des Beaux-arts de Bruxelles par son directeur Joos Vander Auwera, annulé pour [sic] manque de fonds ».
Nous avons contacté Joost Vander Auwera [1], qui n’est évidemment pas directeur des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles [2] comme il a tenu à nous le préciser immédiatement, mais conservateur de la section de la sculpture et des dessins anciens. Celui-ci a démenti avoir jamais eu l’intention de faire acheter ces sculptures par les Musées Royaux des Beaux-Arts, signalant simplement que l’œuvre avait effectivement été proposée au musée, sans que la procédure aille plus loin. Enfin, il nous a confirmé qu’aucun « croquis préparatoire » n’était conservé dans son musée.
On remarquera que l’attribution à Jérôme Duquesnoy le Jeune est énoncée, ainsi que la provenance, sans aucune source ni étude digne de ce nom. On ne comprend d’ailleurs pas où auraient été placées dans la chapelle les deux sculptures en question. Après la redécouverte de La Charité de Jan van Delen (voir la brève du 6/7/12), il ne manque plus que La Foi de Gabriel Grupello. Aucune de ces deux statues ne peut, de toute façon, en raison de leur composition, correspondre à une sculpture se trouvant dans une des niches aux quatre coins de la chapelle. Il n’y a aucun emplacement actuellement qui laisserait penser qu’ils auraient pu abriter ces deux sculptures par ailleurs jamais mentionnées par les sources et les auteurs, et on ne comprend pas comment la figure de La Foi pourrait s’y retrouver représentée à deux reprises. Encore faudrait-il que la figure ainsi identifiée, et qui ne présente aucun des attributs traditionnels, soit effectivement assimilable à cette Vertu.
Tout cela, on en conviendra, est fort peu sérieux.
Nous avons donc contacté Me Kohn pour en savoir un peu plus. Celui-ci était absent, nous a-t-on dit, mais à peu près deux minutes après avoir raccroché, nous avons été appelé par Jan De Maere, marchand bruxellois, manifestement habilité pour nous parler de ces œuvres alors qu’il n’est pourtant nulle part cité comme l’expert de la vente, et qu’il nous a indiqué ne pas en être propriétaire, mais juste « en charge de leur étude ».
Ce sont, en effet, des sculptures qu’il connaît bien pour les avoir présentées dans sa galerie en juin 2011, date à laquelle il avait fait appeler Denis Coekelberghs, comme celui-ci nous l’a dit, pour l’inviter à venir les voir. Une invitation déclinée par ce dernier qui les connaissait déjà car elles étaient passées en vente aux enchères en 2008, ce qui l’avait déjà convaincu qu’elles n’étaient pas dues à Jérôme Duquesnoy le Jeune.
Jan De Maere faisait d’ailleurs partie du « comité scientifique » d’une exposition organisée en 2009-2010 par la municipalité de Saint-Nicolas (Sint-Niklaas), appelée « In het spoor van Rubens » (« Dans les pas de Rubens »), dont le catalogue ne présentait, outre les photos des œuvres exposées et des fiches techniques (sans notices), qu’un essai résumant l’histoire de l’art flamand au XVIIe siècle, sans note ni bibliographie [3].
Les deux sculptures y sont simplement décrites comme : « Fama et Esperantia in Fides, sculptures pour la chapelle funéraire des Tours et Taxis dans l’église Notre-Dame du Sablon à Bruxelles, vers 1641. Marbre de Carrare, h. 115 cm, coll. privée ». L’attribution comme la provenance et la date sont avancées non comme des hypothèses mais comme des certitudes, tout comme dans le catalogue de la vente. En revanche, la date établie comme « vers 1641 » devient dans ce dernier « vers 1651 ».
Jan De Maere nous a assuré que tous les spécialistes consultés étaient d’accord avec cette attribution. Quels spécialistes ? Il ne nous l’a pas dit. En revanche, il n’a pas daigné demander à Denis Coekelberghs, co-commissaire de l’exposition Le baroque dévoilé, auteur de l’article sur Jérôme Duquesnoy auquel fait référence le catalogue, et par ailleurs co-auteur d’un livre somme sur le baroque en Flandres paru en 2003 [4].
Il n’a pas non plus interrogé Géraldine Patigny, historienne de l’art travaillant à l’Institut Royal du Patrimoine Artistique à Bruxelles, qui prépare une thèse sur Jérôme Duquesnoy le Vieux et Jérôme Duquesnoy le Jeune sous la direction du professeur Manuel Couvreur. Cette spécialiste du sculpteur est aussi l’auteur d’un mémoire de fin d’étude en histoire de l’art à l’Université Libre de Bruxelles sur la chapelle des Tours et Taxis [5]. Elle nous a dit que son analyse était la même que celle de Denis Coekelberghs tant sur l’attribution, la provenance que l’iconographie. Par ailleurs, après son mémoire, elle a pu effectuer des recherches d’archives sur la chapelle à Ratisbonne, où se trouve le château des Tours et Taxis, qui ont donné lieu à la publication de plusieurs articles parus dans un ouvrage consacré à l’église Notre-Dame-du-Sablon [6]. Elle n’a jamais rien trouvé qui pourrait faire penser que deux sculptures telles que celles-ci aient pu être commandées à Duquesnoy.
Géraldine Patigny nous a confirmé que ces deux sculptures figureraient bien dans son catalogue de l’œuvre de Jérôme Duquesnoy le Jeune. Dans les rejetés.
Remarquons enfin que la notice du catalogue est illustrée par une photographie de la chapelle des Tours et Taxis prise par nous, publiée dans un autre article (sur l’exposition Le baroque dévoilé) et sans que cette origine, la seule qui soit certaine, soit jamais mentionnée…
Moralité de cette histoire (à supposer qu’il y en ait une) : c’est bien de Foi qu’il est ici question, celle que la notice pourra inspirer à un éventuel acheteur...