Dans une tribune récemment publiée dans Figarovox, Vianney-Marie Audemard d’Alançon, président de la SAS Rocher Mistral et créateur malheureux d’un parc d’attraction au château de La Barben, classé au titre des monuments historiques, milite pour un changement drastique de la « philosophie du code du patrimoine ». Fustigeant pêle-mêle des « normes ubuesques », un « système liberticide » qui organiserait « sciemment le viol de la propriété privée des monuments historiques » ou la supposée idéologie d’extrême gauche de certaines instances et fonctionnaires du ministère de la Culture, il réclame un rééquilibrage des droits et des devoirs des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC).
Pour mieux émouvoir, Vianney d’Alançon donne des exemples, en affirmant que « le propriétaire d’un monument historique a interdiction d’installer un parasol (ou tous autres types de décors, mobiliers ou jardinières) en intérieur ou en extérieur sans autorisation des services de l’État », le zèle des fonctionnaires s’étendant au choix de « la couleur des rideaux ». Nous connaissions la légende du propriétaire ne pouvant « planter un clou » dans son monument. Voici, dans la même veine populiste, celle du parasol ne pouvant être installé sans l’assentiment des Monuments Historiques.
Qu’en est-il ? Le code du patrimoine soumet à autorisation « l’installation à perpétuelle demeure d’un objet mobilier dans un immeuble classé », ce qui suppose un scellement ou des fondations spécifiques (article 525 du code civil) et ne concerne donc pas des éléments mobiliers comme un parasol, une jardinière ou des rideaux. Pour les installations temporaires plus importantes, aucune autorisation n’est nécessaire si leur emprise au sol est inférieure à 20 m2 ou supérieure à cette surface, mais pour une durée inférieure à un mois. Les structures utiles à l’animation, notamment estivale, d’un monument ne sont donc soumises à aucune autorisation et peuvent l’être, si elles sont plus importantes.
Mais le projet du « Rocher Mistral » n’est pas celui d’un propriétaire normalement soucieux de l’animation de son monument. Il s’agit, non de planter un parasol, mais d’imposer un parc d’attraction complet aux dépens du précieux écrin du château de La Barben, trop exigu, transmis avec son mobilier, inondable, inconstructible, situé en zone incendie et classé Natura 2000 pour sa biodiversité. Le monument historique est ici relégué au rang d’accessoire d’un projet qui le dépasse et l’écrase. C’est ce qui provoque des frictions avec l’administration, les associations patrimoniale (Sites & Monuments), environnementale (FNE 13, XR) et de riverains (Bien vivre à La Barben).
Ainsi, le « Rocher Mistral » a régulièrement maille à partir avec les services de l’État. Cette société a fait l’objet de plusieurs procès-verbaux sévères de la part de la DRAC et de la DDTM depuis l’ouverture du parc. Si elle a été condamnée en première instance le 13 février 2024, ce n’est pas pour une question de parasol mais pour des infractions multiples et graves dont certaines peuvent avoir un impact irréversible. Parmi les modifications intervenues sans autorisation, on note, à l’extérieur, de nombreuses excavations faites « sans suivi archéologique », l’aménagement de souterrains qui abritaient une vaste colonie de chauves-souris protégées, l’édification d’un ascenseur, d’escaliers, de rampes, de garde-corps en « matériaux de nature à remettre en cause la conservation des ouvrages et à altérer la présentation du monument », d’édicules comblant la cour ouest du château, de passerelles et plateformes dans les jardins ordonnancés ou leurs bassins, la transformation d’un potager en « place du marché » avec édicules, le percement d’arbres centenaires à la chignole pour y visser des équipements d’éclairage ; à l’intérieur, création de sur-planchers, de portes métalliques, de sas, d’installations techniques diverses, « les décors historiques du château n’étant plus accessibles et leur surveillance et protection rendues impossibles » (procès-verbaux des 27 juin 2023 et 24 mai 2024), etc.
Les récriminations du propriétaire ne touchent pas que ces constatations de l’administration des monuments historiques. Il avait ainsi vivement critiqué en 2021 le travail des membres de la commission de sécurité qui refusaient l’ouverture du parc notamment pour des non-conformités aux normes incendie.
Ainsi, le « Rocher Mistral » est doublement nocif. D’abord, pour le château de La Barben, affublé de structures et d’animations hors d’échelle qui le dénaturent, mais également pour l’ensemble de notre patrimoine, son influent propriétaire n’hésitant pas à demander un alignement du droit français sur son projet. La méthode que l’on croit discerner à La Barben n’est pas moins délétère : faire en dépit du code du patrimoine, se plaindre ensuite de la résistance de l’administration et des associations, réclamer enfin une régularisation ou, à défaut, la modification du droit du patrimoine, édifice pourtant déjà fragilisé.
Sur le fond, le « Rocher Mistral », qui a pour propos d’exalter les grandeurs de la Provence, a pour effet d’en détruire la beauté. Tout amateur de patrimoine ayant visité le château avant et après les aménagements actuels, intérieurs comme extérieurs, en conviendra. Les monuments historiques sont protégés depuis 1830 par des normes, nécessité que même un libertarien - bénéficiant au passage de 800 000 euros d’aide de la DRAC PACA (!) - devrait comprendre.
Mais ce n’est pas tout. Il s’agirait, désormais, de réaliser une version géante du projet, avec davantage de parkings, des tribunes pour les spectateurs, un plan d’eau pour des batailles navales, une reconstitution du pont d’Avignon, du moulin de Daudet, un « village provençal » prétexte à l’installation de commerces, etc., le tout en abattant de nombreux arbres sur des terrains contigus au château. Nous sommes bien loin, décidément, de l’installation du fameux parasol. L’extension du « Rocher Mistral », heureusement repoussée à ce jour par l’État et la municipalité de La Barben, achèverait de dénaturer le site.
Cette fuite en avant surprend, puisque le parc de loisir perd déjà des millions chaque année depuis son ouverture en 2021. La création d’une affaire ne doit-elle pas débuter par une analyse sérieuse des normes applicables au secteur concerné ? Pourquoi ne pas avoir établi ce parc autour d’un bâtiment non protégé ? Le patrimoine est décidément un bouc émissaire bien commode.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments,
Xavier Daumalin, correspondant de Sites & Monuments pour le pays salonais.