D’insignes sculptures de Girardon volées à Troyes

1. Hyacinthe Rigaud (1659-1743)
Portrait de François Girardon, 1705
Huile sur toile - 81 x 64 cm
Dijon, Musée des Beaux-Arts
Photo : MBA Dijon
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En cette année 2015 où l’on célèbre l’un des plus grands sculpteurs que la France ait jamais eus, François Girardon (1658-1715), à l’occasion du troisième centenaire de son décès, nous devons aussi déplorer à Troyes, hélas, d’importantes disparitions d’œuvres de sa main.
Il y a près d’un siècle, en 1928, Pierre Francastel lui consacrait une monographie déjà remarquable [1] dont les données n’ont cessé de s’enrichir. En commémoration de cet anniversaire, les éditions Arthena ont eu l’excellente idée de commander à Alexandre Maral - conservateur en chef à Versailles chargé des sculptures - un ouvrage qui va non seulement approfondir mais aussi complètement renouveler notre vision de ce sculpteur.

Le 1er septembre 1715, Girardon 5 (ill. 1) mourait aux Gobelins, à l’âge canonique de 87 ans et six mois. Le même jour exactement s’éteignait à Versailles son souverain que tout au long de sa carrière il avait si bien servi.
Si le règne du grand roi fut riche en sculpteurs remarquablement talentueux dont les jardins de Versailles, en premier lieu, portent témoignage, Girardon les dominait tous de son génie et, dans bien des cas, c’est lui qui, sur les chantiers royaux, les avait formés, encouragés, dirigés.
Né à Troyes en 1628, puis ayant fait toute sa carrière à Paris et dans l’Île-de-France, Girardon n’avait pas pour autant oublié sa ville d’origine où il se rendait fréquemment. C’est ainsi qu’il y décora de ses œuvres l’Hôtel de Ville et plusieurs églises, que détaillera l’ouvrage que prépare Alexandre Maral pour Arthena.
Il manifesta plusieurs fois son attachement à l’église de son baptême, Saint-Remy, par divers dons, rentes et legs, mais aussi en la gratifiant d’ouvrages de sa main : une relique de saint Roch présentée dans un piédestal surmonté d’un ange d’argent qui disparut pendant les années révolutionnaires, une grande grille de fer fermant le chœur, un grand Crucifix de bronze accompagné de deux colombes dorées, deux tables de fondation pour des messes ornées de bas-reliefs. Après divers aléas, la grille fut vendue, les colombes furent transportées avec le Crucifix à l’abbaye Saint-Loup où elles disparurent, tandis que le Crucifix était restitué à Saint-Remy qui conserve aussi les deux tables de fondation.


2. Maître-autel de l’église Saint-Jean de Troyes
Tabernacle conçu par Girardon en 1691
Photographie conservée dans les archives Wildenstein, Paris
Photo : DR
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3. Maître-autel de l’église Saint-Jean de Troyes
Tabernacle conçu par Girardon en 1691
Photographie publiée par Francastel en 1928.
Photo : DR
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Pour l’église Saint-Jean, il honora une commande importante que lui fit, en 1691, le conseil de fabrique pour le tabernacle du maître-autel et pour l’autel de la communion, aussi appelé autel du Saint-Ciboire. Le tableau du retable du maître-autel, un Baptême du Christ, avait été peint en 1665 par son compatriote Pierre Mignard. Girardon donna le dessin du tabernacle, le modèle d’un ostensoir et fournit tout un décor en bronze qui rappelle, en partie, celui de la chapelle royale de Fontainebleau de 1678 dont il était aussi l’auteur : un Jésus enfant bénissant à la porte du tabernacle, un support au-dessus orné de têtes d’angelots dans des nuées pour un Crucifix ou l’ostensoir, des angelots adorateurs de chaque côté de l’arcade et une gloire dans son cul de four, deux médaillons en regard de part et d’autre avec les effigies du Christ et de la Vierge surmontés de guirlandes de chêne, entre les pilastres sur les côtés, deux grandes plaques rectangulaires ornées des figures de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l’évangéliste, les chapiteaux d’ordre ionique et les bases des colonnes et pilastres, et au-dessus de la corniche, deux chérubins sur le cintre de l’arcade et deux pots à feu, enfin deux anges adorateurs en ronde bosse agenouillés devant les entrecolonnements et six grandes torchères.

4.Maître-autel de l’église Saint-Jean de Troyes
Tabernacle conçu par Girardon en 1691
Photographie de Thierry Prat, fin des années 1970
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Ce sont plusieurs éléments de ce décor qui ont disparu, par étapes, au cours du siècle dernier. Ils étaient tous visibles sur une ancienne photographie publiée dans le second volume des French Sculptors [2] à la page 63 (ill. 2). Cette photographie est conservée dans les archives Wildenstein à Paris, au sein de dossiers qui ont servi à l’élaboration du chapitre consacré à Girardon.
Mais déjà, la photographie publiée fig. 70 par Francastel en 1928 révélait plusieurs absences (ill. 3) : le Crucifix, les deux pots à feu et plusieurs torchères.
A la fin des années 1970, le photographe Thierry Prat fut envoyé à Troyes à la demande de F. Souchal pour photographier à nouveau le tabernacle et son décor (ill. 4). Les chérubins et les pots à feu n’avaient pas réapparu, aucune torchère n’était davantage visible, et un Crucifix très modeste avait remplacé celui qui figurait sur la première photographie. Les beaux anges adorateurs, eux, étaient bien là et Prat put réaliser des clichés de détail de chacun d’eux (ill. 5 et 6).


5. François Girardon (1628_1715)
Ange adorateur, vers 1691
Troyes, église Saint-Jean
Photographie de Thierry Prat
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6. François Girardon (1628_1715)
Ange adorateur, vers 1691
Troyes, église Saint-Jean
Photographie de Thierry Prat
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La dernière étape - la plus navrante - est récente : à l’occasion de la publication en 2009 de l’excellent livret de Bernard Ducouret sur cette église [3], des photographies du maître-autel et du tabernacle figurent aux pages 45 et 49 sous forme de clichés récents en couleur et d’une photographie en noir et blanc. La légende accompagnant cette dernière (ill. 7) indique que « la partie centrale avec les anges et les motifs du couronnement » visibles sur cette « épreuve photographique par Lancelot ou Brunon de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle (AD Aube) » ont « aujourd’hui disparu ». C’est en effet ce que l’on constate sur la photographie en couleur (ill. 8).

Visitant en 2010 l’église qui venait d’être rénovée [4] et me réjouissant de revoir les Girardon, je fis la même stupéfiante constatation et m’en ouvrit à Bernard Ducouret, conservateur du patrimoine (service de l’inventaire) région Champagne-Ardenne et à Philippe Riffaud-Longuespée, conservateur des AOA délégué de l’Aube. Bien conscients de ces disparitions, ils avaient eux-mêmes mené d’importantes recherches, sur place et dans les églises et musées du département, restées vaines.
Ils m’ont fort aimablement fourni des indications sur les très nombreux travaux d’entretien menés dans cette église désaffectée au culte, au cours desquels les vols auraient pu se produire. Ces travaux sont précisés dans l’ouvrage de Ducouret.

7. Maître-autel de l’église Saint-Jean de Troyes
Tabernacle conçu par Girardon en 1691
Épreuve photographique par Lancelot ou Brunon
de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle (AD Aube)
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De novembre 1793 à juin 1800, l’église fut fermée puis servit de grenier et perdit une grande partie de son mobilier.
1826-1827 : travaux de consolidation et de restauration dans la nef.
1840 : inscription de l’église sur la liste des Monuments historiques. Consolidation du clocher.
1846 : remplacement de l’ancien autel par un nouveau qui supporte l’ancien tabernacle, lequel n’a pas changé.
1911  : travaux à la façade, étayée jusqu’en 1920-1921 et consolidée par l’architecte Jules Tillet. Démolition des échoppes et des ateliers bordant le flanc nord de la nef.
Années précédant la Seconde Guerre mondiale : restauration des quatre dernières travées de la nef.
1951-1954 : restauration du bas-côté sud.
1955-1957 : rénovation des vitraux et leur remise en place.
Années 1960 : restauration des piliers, des voûtes et des arcs boutants du chœur, ainsi que des vitraux.
1975 : restauration de la couverture des sept chapelles du bas-côté nord du chœur.
1999-2008 : les architectes en chef des Monuments Historiques, Jean-Michel Musso puis Éric Pallot, restaurent l’extérieur et les trois portails, puis font un grand nettoyage par peeling de l’intérieur, des parements de la nef, des bas-côtés et du chœur, consolident, étayent et sécurisent les zones les plus fragiles de la nef et du déambulatoire, et posent un badigeon blanc sur le tout, en vue de présenter l’exposition sur la sculpture champenoise en 2009.

8. Maître-autel de l’église Saint-Jean de Troyes
Tabernacle conçu par Girardon en 1691
Aujourd’hui, les Anges adorateurs ont disparu.
Photo : DR
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Il en ressort que les pots à feu, les chérubins couronnant l’arcade et les torchères, et peut-être le crucifix, ont été volés avant 1928, au début du XXe siècle semble-t-il.
En ce qui concerne les Anges adorateurs, le dernier témoignage visuel qu’on en ait remonte à 1993 : les statuettes avaient été placées dans la sacristie haute de l’église certainement dans la louable intention de les protéger. Ce sera peut-être au cours des derniers travaux de 1999 à 2008 qu’ils auront disparu.

À la demande de Bernard Ducouret et de Philippe Riffaud-Longuespée, la ville de Troyes, propriétaire de ces objets, a porté plainte pour vol le 7 janvier 2010. Une enquête a été menée par l’OCBC et Interpol.
Cinq années se sont écoulées, sans résultat.
Sans vouloir certes faire le procès de qui que ce soit, il m’apparaît que la publication dans La Tribune de l’art de tous ces éléments volés, en particulier les très beaux Anges adorateurs, ne pourra qu’aider à les retrouver. C’est le vif espoir que je nourris ici.

Cette disparition est d’autant plus désolante que de tels anges sont rarissimes dans la production du sculpteur. Il en avait réalisé deux en bronze doré pour le tabernacle de l’autel de la Belle Chapelle de Fontainebleau, en 1679, hauts de 14 pouces, soit 38 cm. Visibles mais de façon un peu imprécise sur une gravure de Scotin illustrant la description du tabernacle par l’abbé Guilbert [5] , ils ont été perdus ou volés, sans doute à l’occasion du transfert du tabernacle dans l’église Saint-Louis de Fontainebleau en 1793. D’après la gravure, ils devaient ressembler à ceux de Troyes qui étaient un peu plus grands (45 cm).

Françoise de la Moureyre

Notes

[1Pierre Francastel, Girardon, éd. Les Beaux-Arts, Paris, 1928.

[2François Souchal, et Françoise de La Moureyre et Henriette Dumuis, collab., French Sculptors of the 17th and 18th centuries. The reign of Louis XIV, Cassirer, Oxford, vol. II, 1981, p. 14-83.

[3L’église Saint-Jean-au-Marché de Troyes, Aube, dans la collection Parcours du Patrimoine, 2009, texte de Bernard Ducouret, photographies de Bernard Thomas.

[4A l’occasion de l’exposition Le beau XVIe siècle. Chefs-d’œuvre de la sculpture en Champagne qui y était présentée.

[5Abbé Guilbert, Description historique des château, bourg et forest de Fontainebleau, 1731, I, p. 65..

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