Dispersion des collections associées au monument
Le lotissement du château de Pontchartrain a logiquement été précédé par la dispersion de son entier contenu. Le fonds de maison fut dispersé par AuctionArt à Drouot le 18 novembre 2019, les œuvres les plus importantes chez Sotheby’s à Paris le 19 novembre 2019. Certaines d’entre elles n’avaient probablement jamais quitté les murs de l’édifice. Dans le même temps, un « vide grenier » - braderie était organisé sur place.
- 1. Pierre-Denis Martin dit Le jeune ou des Gobelins (vers 1663 - 1742)
Vue du château de Pontchartrain et de ses jardins dus à Le Nôtre (perspective Ouest)
Huile sur toile - 144,5 x 205,5 cm
Vente Sotheby’s, Paris, 19 novembre 2019
Photo : Sotheby’s - See the image in its page
- 2. Pierre-Denis Martin dit Le jeune ou des Gobelins (vers 1663 - 1742)
Vue du château de Pontchartrain et de ses jardins dus à Le Nôtre (perspective Est)
Huile sur toile - 144,5 x 205,5 cm
Vente Sotheby’s, Paris, 19 novembre 2019
Photo : Sotheby’s - See the image in its page
On remarquait évidemment chez Sotheby’s, parmi les 20 lots provenant de Pontchartrain, deux grandes (144,5 x 205,5 cm) et superbes vues topographiques de Pierre-Denis Martin dit Le jeune ou « des Gobelins » (vers 1663 - 1742), surnom le distinguant de Jean-Baptiste Martin (1659-1735), dit « des batailles ». L’une montrait une Vue du château et du parc de Pontchartrain vers l’ouest (ill. 1), l’autre, la même perspective axiale vers l’Est (ill. 2). Elles furent adjugées en un seul lot pour 212 500 euros (frais compris) sur une estimation de 100 000 à 150 000 euros.
La notice du catalogue soulignait, à juste titre, que « par leurs dimensions et leur qualité, par leur sujet autant que par le témoignage majeur qu’elles constituent pour l’histoire du domaine et le rôle crucial qu’y a joué André Le Nôtre, les deux vues du château de Pontchartrain peintes par Pierre-Denis Martin sont des œuvres importantes, aussi bien historiquement qu’esthétiquement parlant. » Une vue aérienne montre l’état actuel de ce domaine (ill. 3).
Témoignages d’une des compositions les plus abouties du jardinier de Louis XIV, ces toiles fourmillent de scènes de la vie quotidienne dans un grand domaine au début du XVIIIe siècle (ill. 4). Elles n’en reçurent pas moins une autorisation d’exportation du ministère de la Culture (non communicable selon sa doctrine), alors que tous les critères d’un classement comme trésor national étaient réunis. Remarquons que ce certificat a désormais une valeur permanente (avant une loi du 10 juillet 2000, ces documents avaient une validité de 5 ans).
Il est vrai que la procédure de délivrance des certificats d’exportation, confiée aux chefs des « grands départements » de musées parisien, n’est pas susceptible de prendre en compte le caractère contextuel du patrimoine et n’aboutit jamais à un classement au titre des monuments historiques. C’est pourtant théoriquement l’une des issues possibles au statut de trésor national. L’association Sites & Monuments demande ainsi, en lieu et place de ce système, la création d’une « délégation permanente » de la Commission consultative des trésors nationaux où l’administration des monuments historiques serait représentée (voir cet article->https://www.sppef.fr/2019/10/12/proposition-de-reforme-de-la-delivrance-des-certificats-dexportation-des-biens-culturels/).
- 5. France, XVIIIe siècle
Plan du château et parc de Pontchartrain
Encre et aquarelle - 44 x 35,2 cm
Vente Sotheby’s, Paris, 19 novembre 2019
Achat des archives départementales de Yvelines (Versailles)
Photo : Sotheby’s - See the image in its page
- 6. Entourage d’Antoine Coysevox (1640-1720)
Buste de Neptune, vers 1700
Marbre – 82 x 70 cm
, Ile-de-France, vers 1700
Vente Sotheby’s, Paris, 19 novembre 2019
Photo : Sotheby’s - See the image in its page
Un plan du jardin réalisé au XVIIIe siècle (ill. 5), appartenant également aux collections du château, montrait les évolutions de la composition de Le Nôtre. Estimé entre 800 et 1 200 euros, il fut adjugé pour 8 125 euros et acquis par les archives départementales des Yvelines.
D’autres œuvres étaient également intéressantes, au premier rang desquelles des témoignages de l’art statuaire. Un rare [Buste de Neptune vers 1700, donné à l’entourage d’Antoine Coysevox (ill. 6), fut ainsi adjugé 372 500 euros sur une estimation de 50 000 à 70 000 euros. Le catalogue émettait l’hypothèse suivante : « La représentation de Neptune sous forme de buste étant extrêmement rare suggère qu’il pourrait s’agir ici d’une commande privée de Louis II Phélypeaux, dit ‘chancellier de Pontchartrain’, lorsqu’il devient secrétaire d’Etat de la Marine de 1690 à 1699 ». La présence de ce buste chez ces « ministres de la mer » que furent les Phélypeaux de Pontchartrain durant trois générations aurait en tous les cas du sens. Un très beau groupe de Georges Jacquot, réalisé vers 1833 (ill. 7), était également adjugé pour 212 500 euros, sans que l’on connaisse sa date d’entrée dans les collections du château. Un beau paysage de tempête de Joseph Vernet, acquis tardivement, était en outre cédé pour 143 750 euros.
- 8. Archives du château de Pontchartrain
Vente Sotheby’s, Paris, 19 novembre 2019
Achat des archives départementales des Yvelines (Versailles)
Photo : Sotheby’s - See the image in its page
- 9. Projet de replantation du parc réalisé pour la marquise de Villahermosa par L. Colin, architecte-paysagiste à Paris, 18 octobre 1912
Appartient aux archives du château de Pontchartrain
achetées par les archives départementales de Yvelines
Vente Sotheby’s, Paris, 19 novembre 2019
Photo Wilfrid Eon - See the image in its page
On vendit également en bloc le reliquat des archives du domaine (ill. 8 et 9), complément du fonds conservé aux archives nationales et aux archives départementales des Yvelines. La notice du lot 21 décrivit tout d’abord un « Ensemble de manuscrits comportant les comptes de dépenses et de recettes du château de Pontchartrain appartenant à la marquise de la Païva [...] ; avec quatre contrats en date de 1744, de 1745, de 1744 et de 1784 », avant qu’une « notice de salle » ne précise : « Avec un important ensemble d’archives du Château de Pontchartrain relatives à l’exploitation du domaine, couvrant partiellement et principalement les années 1800, 1810, 1820, 1830 durant l’occupation du comte d’Osmond, 1840; avec des documents datant de la fin du XVIIIe siècle ; avec 19 plans du château et de ses jardins, certains rehaussés à l’aquarelle ». L’ancienneté de ces documents témoigne d’une certaine continuité dans la transmission mobilière et montre les ambitions de renaissance du domaine au début du XXe siècle, sous la marquise de Villahermosa (1847-1924) (ill. 9). Cet ensemble, estimé entre 400 et 600 euros, fut adjugé pour 5 250 euros aux archives départementales des Yvelines. Il est désolant de constater que le fonds d’archives, désormais reconstitué, ne puisse être mis au service d’une restauration de qualité.
- 10. Série de 10 fauteuils et de 10 chaises d’époque Louis XVI
Vente AuctionArt du 18 novembre 2019
Photo : AuctionArt - See the image in its page
- 11. Lustres du XVIIIe siècle conservés au château de Pontchartrain
Vente AuctionArt du 18 novembre 2019 (lots n°118 et 122)
Photo : AuctionArt - See the image in its page
La vente tenue la veille à Drouot chez AuctionArt, composée de 315 lots, comportait quelques objets intéressants comme une série de 10 fauteuils et de 10 chaises d’époque Louis XVI (ill. 10) adjugée pour 4 445 euros, des lustres du XVIIIe siècle (ill. 11), adjugés respectivement 5 080 euros et 19 050 euros…
Des lots de boiseries et d’éléments décoratifs des XVIIIe et XIXe siècles (Ill. 12), provenant de décors démontés du bâtiment, probablement de son aile Nord, étaient aussi vendus, empêchant définitivement leur remise en place (lots 255, 295 B, 297 B et 301, non illustré, vendu 3 683 euros). La DRAC Ile-de-France s’en est-elle inquiétée ? Poser la question, c’est y répondre.
- 12. Lots de boiseries et d’éléments décoratifs provenant du château de Pontchartrain, probablement de son aile Nord.
Certains lots n’étaient pas illustrés par le commissaire-priseur
Vente AuctionArt du 18 novembre 2019 (lots 255, 295 B, 297 B et 301)
Photo : AuctionArt - See the image in its page
L’impossible retour des œuvres dans leur contexte
Le 20 novembre 2019, soit le lendemain de la vente organisée chez Sotheby’s et le surlendemain de celle organisée par AuctionArt, l’étude de Baecque adjugeait à Drouot (voir cet éditorial), pour un peu plus de 3 millions d’euros (sur une estimation de 500 000 à 800 000 euros), un buste de Paul Phélypeaux de Pontchartrain (1569-1621) (ill. 13) portant à son revers l’inscription « Paul Phélypeaux seigneur de Pontchartrain secrétaire d’estat 1610 » (ill. 14). Il fit en effet l’acquisition de la seigneurie de Pontchartrain en 1609 puis fut, l’année suivante, le tout premier Phélypeaux titulaire de fonctions ministérielles. L’importance historique de ce buste est donc majeure.
- 13. Attribué à Francesco di Bartelomeo Bordoni (1574-1654)
Paul Phélypeaux, Seigneur de Pontchartrain (1569-1621)
Buste en bronze à patine brune sur piédouche en marbre bleu turquin - 70,5 x 66 x 32 cm
Vendu à un collectionneur privé le 20 novembre 2019
Photo : De Baecque - See the image in its page
- 14. Inscription au revers du buste de Paul Phelypeaux de Pontchartrain (1569-1621) : « Paul Phélypeaux seigneur de Pontchartrain secrétaire d’estat 1610 »
Photo : De Baecque - See the image in its page
Il s’agit en outre d’une œuvre très rare, puisque seulement une dizaine de bronzes équivalents sont connus. Après avoir orné un temps la chapelle funéraire des Phélypeaux à l’église Saint-Germain-L’auxerrois à Paris, le buste fut inventorié en 1714 et en 1747 au château de Pontchartrain puis fut placé par le comte de Maurepas (1701-1781), dernier ministre de la famille, dans les jardins du pavillon de l’Hermitage à Versailles, prêté par Louis XVI [1].
Qu’il date du début ou de la fin du XVIIe siècle (il aurait alors été commandé par le chancelier de Pontchartrain), son importance historique et artistique en faisait un parfait candidat au statut de trésor national. Le 24 septembre 2019, l’association Sites & Monuments a demandé au ministre de la Culture la consultation de son dossier d’exportation (voir cet article. Cette requête a été tacitement rejetée, comme les autres demandes faites précédemment, malgré un avis de principe favorable rendu par la Commission d’accès aux documents administratifs (voir cet article).
La solution menacée du « portage patrimonial »
Le dossier du château de Pontchartrain montre comment le non usage des dispositions du code du patrimoine conduit à des situations inextricables. Loin de remédier à ce problème, le ministère de la Culture choisit l’illusion de l’action en s’appuyant sur un promoteur. Il condamne en outre toute possibilité de replantation du parc de Le Nôtre, qu’une copropriété de 86 lots (comme une commune de 5600 habitants) ne sauraient évidemment assumer, et enlève toute légitimité à d’éventuelles aides publiques futures, le château n’étant plus que l’ombre de lui-même. On voit comment la fiscalité du patrimoine, privée de ses garde-fous, conduit à un nouveau façadisme patrimonial, créant de facto un classement de second ordre. Au lieu de généraliser ce dispositif fiscal couteux et néfaste, n’était-il pas préférable d’exonérer de l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI) les monuments historiques ouverts au public (voir cet article) ? Bref, d’encourager les repreneurs vertueux plutôt que les promoteurs ? La vente d’un seul bloc à une entreprise aurait aussi été un moindre mal. L’aspect mobilier du dossier est également éloquent, le ministère de la Culture se montrant incapable d’élaborer une stratégie, notamment fiscale (voir [cet article]), de maintien in situ des quelques œuvres importantes présentes au château et de faire revenir celles liées à son histoire.
Enfin, en refusant une fois de plus de communiquer les documents administratifs éclairant ses décisions - tant en matière immobilière que mobilière - le ministère de la Culture se ferme à toute discussion avec les associations reconnues d’utilité publique.
Le château de Pontchartrain, qui avait tout pour susciter une forte attractivité régionale, à deux pas d’un château de Versailles saturé par le tourisme, est désormais irrémédiablement privé de ses attraits, tandis que le Grand Paris avance inexorablement, absorbant l’un des derniers domaines campagnards situé à ses portes.
Il existait pourtant des solutions quasi-opérationnelles adaptées à la situation du château de Pontchartrain. L’article L. 621-18 du code du Patrimoine prévoit en effet la possibilité pour l’État d’exproprier un monument historique dans le but de le « céder de gré à gré à des personnes publiques ou privées […] s’engage[ant] à l’utiliser aux fins et dans les conditions prévues au cahier des charges annexé à l’acte de cession. »
Le même code donne à la Fondation du patrimoine la possibilité de mettre en œuvre cette disposition, en demandant à l’État d’exproprier « à son bénéfice et à sa charge » un monument historique menacé pour le « céder de gré à gré à des personnes publiques ou privées », « après l’accomplissement des actions indispensables à [sa] sauvegarde » (comme le précisent les statuts de la fondation, assorti d’un « cahier des charges » encadrant son utilisation future.
Dans le même ordre d’idées, la Fondation du patrimoine peut demander à l’État de préempter « à son bénéfice et à sa charge » des œuvres dans une vente publique. Ces biens mobiliers peuvent par la suite être cédés ou « rétrocédés » (c’est-à-dire revenir à leur emplacement, assortis d’un cahier des charges. Il s’agit de la seule préemption organisée dans un but non muséal par le code.
Les travaux parlementaires de la loi du 2 juillet 1996 relative à la Fondation du patrimoine explicitent ces deux dispositions. Le ministre de l’époque, Philippe Douste-Blazy, annonce que la Fondation « conduira des actions de sauvegarde urgente de monuments ou d’ensembles mobiliers menacés de ruine ou de dispersion, en se substituant temporairement au propriétaire défaillant pour éviter une destruction ou une perte irrémédiable » [2], ce qui correspond parfaitement aux besoins du château de Pontchartrain. Les travaux parlementaires précisent que « la Fondation n’a vocation qu’à assurer un portage temporaire » de ces biens et non à en demeurer propriétaire [3], contrairement au Centre des Monuments Nationaux (CMN) [4]. C’est toute l’originalité du « portage patrimonial », à situer dans une optique « monument historique » préférant encadrer plutôt qu’acquérir la propriété.
Sites & Monuments avait suggéré de perfectionner ce dispositif en autorisant la Fondation du Patrimoine à préempter des immeubles - solution plus consensuelle que leur expropriation - les meubles acquis par préemption devant par ailleurs être proposés au classement.
Ainsi, la Fondation du patrimoine aurait pu préempter le domaine de Pontchartrain lors de sa vente à un promoteur immobilier, y réaliser les travaux indispensables, préempter les toiles de Pierre-Denis Martin, le buste de Neptune et celui de Paul Phélypeaux (pour un total de 3,5 millions d’euros) et revendre le tout, assorti d’un classement avec attachement à perpétuelle demeure et d’un cahier des charges assurant l’indivisibilité et l’ouverture au public du domaine. Ceci aurait évidemment eu un coût - à comparer aux économies faites par l’État pendant des années concernant ce monument et au manque à gagner fiscal découlant de sa vente à la découpe. Mais ces dépenses auraient suscité une vocation touristique de premier ordre en lisière du Grand Paris.
- 15. Vue panoramique des abords du château de Pontchartrain (Yvelines), janvier 2020
Photo : Sites & Monuments/Julien Lacaze - See the image in its page
Pourtant, une proposition de loi sénatoriale visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du Patrimoine, déposée le 15 mars 2019, aujourd’hui examinée en deuxième lecture vise à abroger cette possibilité de « portage » au motif qu’elle n’a « jamais été utilisée »… Sites & Monuments avait recommandé sa conservation aux sénateurs car seule une entité comme la Fondation du Patrimoine peut donner vie à ces prérogatives d’État. Avec l’appui du Gouvernement, le Sénat considère pourtant, dans un raisonnement étrangement circulaire, que, « Si l’existence de telles prérogatives exorbitantes du droit commun pouvait se justifier à l’époque [de la loi de 1996], où il était envisagé de créer au travers de la Fondation du patrimoine un National Trust à la française, tel ne paraît plus être le cas une fois cette ambition abandonnée »… Voilà qui a le mérite d’être clair. La solution susceptible de protéger le château de Pontchartrain (et bien d’autres) disparaîtrait avec lui !