Il s’est écoulé presque une décennie depuis notre dernière recension, dans la Revue de l’Art en 2011 [1], des nouveautés concernant l’œuvre de Théodore Chassériau (1819-1856). Depuis cette date sont réapparus quelques dessins inédits et une peinture ; mais s’est aussi renouvelée l’apparition de dessins marqués d’un cachet d’atelier, et cependant difficiles à retenir dans l’œuvre du maître, une ambiguïté que nous dénoncions déjà dans notre dernier article.
La malchance qui semble peser sur le souvenir de l’artiste, mort trop jeune, incompris de la critique de son temps (en dehors de Théophile Gautier) et dont l’œuvre maîtresse, le grand décor de la Cour des Comptes, devait en grande partie être anéanti par les incendies de la Commune, subsiste toujours ; en témoignent les difficultés rencontrées pour octroyer en son honneur une fort modeste place, à peine la moitié d’un square qui borde la façade Ouest de l’église Saint-Philippe-du-Roule à Paris, dont il décora le pourtour du chœur d’une de ses plus ambitieuses compositions, une superbe Descente de Croix toujours en place. La Ville de Paris, dont tant de rues portent les patronymes de peintres médiocres ou oubliés, a longtemps résisté à honorer celui qui fut l’un des plus grands artistes français de l’époque romantique. Un vote récent du Conseil de Paris laisse espérer cet événement pour l’après-déconfinement, alors qu’une plaque a été apposée sur la maison mortuaire de l’artiste, rue Fléchier.
Cette incompréhension constante, nous la retrouvons au hasard des lectures, dans un passage de Manette Salomon des Goncourt (1867), roman consacré à l’univers de la peinture contemporaine, et qui reprend l’antienne de l’impossible synthèse entre Ingres et Delacroix, une tentative à laquelle Chassériau ne se livra en fait jamais : « Des tempéraments brillants, ardents, annonçant le dégagement futur d’une personnalité, allaient, comme Chassériau, de l’ombre d’un maître à l’ombre d’un autre, ramassant sous les chefs d’école, dont ils essayaient de fusionner les qualités, un éclectisme bâtard et un style inquiet [2] ».
Encore faudrait-il remettre en perspective certains faits de la biographie de l’artiste, parfois analysée de façon dogmatique. C’est ainsi qu’on a pu croire que le père du peintre, agent du ministère des Affaires Etrangères en Amérique Centrale et du Sud, parfois diplomate, parfois aventurier ou espion, avait été amené, à la suite de certaines prévarications, à se suicider. La récente publication, par la courageuse association « Les amis de Théodore Chassériau », sous l’égide de son président Jean-Baptiste Nouvion (lui-même descendant par les femmes de la famille Chassériau), d’une lettre adressée aux frères Frédéric et Théodore Chassériau par Jean de Vialis, médecin de Puerto-Rico, indique tout autre chose, puisque le scripteur annonce le décès de son ami Benoît Chassériau « après un mois de souffrance », et relate qu’il a été enterré avec des honneurs rendus par ses collègues consuls anglais et américain [3].
- 1. Théodore Chassériau (1819-1856)
Double étude de jeune femme (Adèle Chassériau ?)
Graphite et rehauts de blanc - 38 x 20 cm
Paris, collection particulière
(une photo de meilleure qualité
sera mise en ligne prochainement) - Voir l´image dans sa page
Dans ce même volume, enrichi de nombreuses reproductions, Jean-Baptiste Nouvion a publié deux croquis qui nous étaient inconnus, l’un d’un Soldat de l’Empire exécuté lorsque Théodore était enfant, l’autre, plus tardif, au verso d’une lettre adressée à notre artiste par Achille Jubinal en 1854, une rapide Étude d’homme nu au graphite, probablement pensée pour le dernier grand tableau de Chassériau, La Défense des Gaules de 1855 (Clermont-Ferrand, musée Roger-Quillot). Enfin, parmi les inédits de cette publication, figure une Double étude de jeune femme (ill. 1) ; d’une part vue en buste, l’un des bras soutenant le coude de l’autre, dont le geste se prolonge jusqu’au menton pointé d’un doigt ; et, d’autre part, vue la tête inclinée vers l’avant et limitée aux épaules. Sans doute s’agit-il d’un seul et même modèle. La reproduction de la Correspondance oubliée ne reproduit que le dessin du haut ; probablement s’agit-il, comme le propose Jean-Baptiste Nouvion, d’un double portrait de la sœur aînée de l’artiste, Adèle, dont on sait combien Théodore aima la représenter, tout comme sa sœur Aline et leur amie Clémence Monnerot, dans de nombreux croquis pris sur le vif au cours des années 1841-1843 [4]. Curieusement, les deux attitudes se retrouvent presque à l’identique dans une feuille d’études de figures féminines conservée au Louvre et dont on peut relier certains éléments aux recherches pour la grande peinture de La Paix… à la Cour des Comptes [5].
- 2. Théodore Chassériau (1819-1856)
Portrait d’Élisabeth Chassériau
Graphite - 23 x 20 cm
Paris, collection particulière - Voir l´image dans sa page
Jean-Baptiste Nouvion a également eu l’obligeance de nous signaler un portrait au graphite inconnu, et qui se trouve toujours en collection privée ; il s’agit d’un Portrait d’Élise (ou Élisabeth, ou encore Elsa) Chassériau [6] (ill. 2). Celle-ci était la sœur de Charles-Frédéric Chassériau, l’architecte des ports de Marseille et d’Alger, cousin du peintre. Leur père, le général baron d’Empire Victor-Frédéric Chassériau (1774-1815) fut tué à Waterloo, dans l’ultime charge de cavalerie sur le plateau de Mont-Saint-Jean. Les enfants furent d’abord recueillis par un autre frère de Benoît, Henri-Théodore (1772-1826), puis, à cette dernière date, par la famille du peintre. Élisabeth vécut donc un temps avec ses cousins et cousines avant de se marier avec un avocat, Joseph Phocion Feytaud. Le mariage ne fut pas heureux, et Élisabeth, qui résidait 40 rue de l’Université à Paris, participa à maintes reprises à la vie de la famille de Théodore. Le portrait dessiné porte une inscription manuscrite Elsa 1853 en bas à gauche. Si le prénom, traité ici en diminutif familier, confirme bien l’identité du modèle, la date pose évidemment problème, aussi bien à cause de l’âge présumé de celui-ci, sans doute une femme d’une trentaine d’années (en 1853, elle aurait quarante-sept ans), que par rapport au style même de l’œuvre, que l’on ne peut rapprocher que d’autres portraits exécutés très tôt par Théodore, l’un des plus semblables étant celui de la Famille de Ranchicourt en costumes médiévaux [7] qui date de 1837. Celui d’Élisabeth, tout aussi linéaire et dépouillé, pareillement ombré par endroits de hachures un peu raides, pourrait même traduire encore davantage d’inexpérience, ce qui le situerait bien en 1836, à une époque où Chassériau n’est âgé que de dix-sept ans. La date de 1853 portée sur le dessin ne pourrait être alors que celle où il a été offert à un destinataire, car, en 1853-1854, Théodore fait preuve dans ses portraits dessinés d’une habileté souveraine, que ce soit dans celui de son ami Oscar de Ranchicourt, de l’ancienne collection Pebereau [8], ou dans les deux effigies qu’il consacre à une autre relation, le comte Osborne de Sampayo (Saint Louis, Miss., USA, collection Pulitzer [9]).
- 3. Théodore Chassériau (1819-1856)
Deux études de figures
Graphite - 21,5 x 20, 4 cm
Grenoble, Musée
Photo : Ville de Grenoble/Musée de Grenoble - J.L. Lacroix - Voir l´image dans sa page
L’occasion qui nous a été donnée en 2018 de préfacer l’ouvrage consacré à la collection de dessins du XIXe siècle du musée de Grenoble [10] nous a permis de retrouver deux études graphiques de la main de Chassériau conservées dans le fonds du musée, toutes deux provenant du legs en 1890 d’un Conseiller d’État qui fut aussi un ardent collectionneur, Léonce Mesnard (1826-1890). Si la première, Deux études de figures, l’une assise, l’autre debout [11] (ill. 3) appartient très probablement au large groupe de copies d’après l’antique exécutées en Italie en 1840, et plus précisément à celles qui reprennent les peintures antiques de Pompéi (bien que l’annotation portée sur le dessin, Cassandre, se réfère à la geste troyenne), la seconde [12] (ill. 4) est plus facile à situer, puisqu’elle reprend, comme l’a découvert Pierre-Yves Le Pogam, une sculpture du portail sud de Notre-Dame de Paris (ill. 5).
- 4. Théodore Chassériau (1819-1856)
Vierge en majesté
Graphite - 27,2 x 20,4 cm
Grenoble, Musée
Photo : Ville de Grenoble/Musée de Grenoble - J.L. Lacroix - Voir l´image dans sa page
- 5. Sculpteur anonyme
Vierge en majesté
Paris, Cathédrale Notre-Dame,
portail Sud
Photo : Domaine public - Voir l´image dans sa page
La figure de cette Vierge en majesté, toujours en place, sera réutilisée avec quelques modifications, et dans le sens d’une plus grande « byzantinisation » de la sculpture, au centre de la grande peinture à l’huile sur enduit évoquant la Conversion de Sainte Marie l’Égyptienne au seuil de l’église de Jérusalem (ill. 6) toujours en place dans une chapelle de l’église Saint Merri à Paris. Dans cette œuvre célèbre, achevée en 1843, Chassériau a disposé le personnage principal à droite du groupe sculpté, qui apparaît recouvert de dorure et placé sur un socle antique en plein centre de la composition, les fidèles le contournant par la droite comme par la gauche pour pénétrer dans le pronaos. La feuille serait donc à dater des recherches pour le décor de Saint-Merri, circa 1842.
- 6. Théodore Chassériau (1819-1856)
Conversion de sainte Marie l’Egyptienne au seuil de l’église de Jérusalem
Peinture murale
Paris, église Saint-Merri
Photo : Wikimedia (CC BY-SA 4.0) - Voir l´image dans sa page
- 7. Théodore Chassériau (1819-1856)
Jeune femme debout
Huile sur toile - 40,5 x 22,5 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Audap-Mirabeau - Voir l´image dans sa page
Ce sont les hasards du marché de l’art et des ventes aux enchères qui ont fait réapparaître dans la dernière décennie (en même temps que certains tableaux déjà catalogués par Marc Sandoz dans son catalogue raisonné des peintures de l’artiste, comme une copie de la Joconde, adjugée à un fort gros prix, ou encore une petite copie de la Médée de Delacroix, qui a rejoint le musée du même nom) quelques autres pièces inconnues jusqu’ici. Le groupe le plus considérable est celui qui passa en vente à l’Hôtel Drouot à Paris le 17 décembre 2012, comprenant une peinture et cinq dessins.
Difficile à repérer dans la vente posthume de 1857, qui comprend plusieurs lots regroupés, par exemple sous la dénomination générique de « Figures », la peinture réapparue en 2012 portait cependant au dos de la toile le cachet de cire de la vacation qui vit la dispersion de l’atelier après la mort de l’artiste. Elle représente une Jeune femme debout, vue à mi-corps, le buste tourné vers la gauche, la tête orientée légèrement à droite [13] (ill. 7). Le personnage est vêtu d’une robe jaune et semble porter une fleur rouge à la ceinture. Ce qui frappe avant tout, c’est l’hypertrophie des bras dénudés jusqu’aux coudes, une caractéristique fréquente dans les figures féminines de Chassériau. Les traits de son visage inquiet et tourmenté rappellent quelque peu ceux d’Alice Ozy, ce qui permettrait de situer l’œuvre circa 1853, au moment de la liaison de Théodore avec la célèbre courtisane. Comme il ne semble pas exister de composition où l’on retrouverait ce personnage, peut-être s’agit-il soit d’une étude exécutée per se, soit du fragment conservé d’une plus vaste peinture ?
- 8. Anciennement attribué à Théodore Chassériau (1819-1856)
Étude de femme demi-nue étendue sur un divan
Graphite - 13 x 24,5 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Audap-Mirabeau - Voir l´image dans sa page
- 9. Théodore Chassériau (1819-1856)
Feuille d’études pour le panneau de La Guerre à la Cour des Comptes
Plume et encre brune - 30 x 25,5 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Audap-Mirabeau - Voir l´image dans sa page
Les cinq dessins qui apparaissaient dans la même vacation à la suite du tableau ne constituaient pas à nos yeux un groupe homogène, le premier d’entre eux ne présentant pas toutes les caractéristiques permettant de l’attribuer en toute sécurité à notre artiste. Il s’agit d’une Étude de femme demi-nue étendue sur un divan, tournée vers la gauche [14] (ill. 8), que le rédacteur du catalogue de la vente de 2012 décrivait d’ailleurs comme seulement « attribué à » Chassériau. La manière dont est conçue cette figure alanguie, toute en larges masses courbes dans la partie inférieure, davantage linéaire en ce qui concerne le torse et le visage, nous parait fort éloignée de celle de Chassériau, et, devant un tel dessin, on serait plutôt tenté de prononcer le nom d’un artiste néo-grec dans le goût de Picou, ou d’un romantique attardé comme Tassaert.
La seconde feuille de la même vacation [15] (ill. 9) revenait quant à elle sans aucune hésitation à notre artiste, et constituait une intéressante recherche inédite pour le grand panneau de La Guerre (ou, plus exactement, L’Ordre pourvoit aux besoins de la Guerre) dans l’escalier de la Cour des Comptes, panneau dont il ne subsiste aujourd’hui presque rien. C’est pourtant l’un des quinze décors de l’escalier pour lequel on recense le plus de dessins préparatoires, regroupés dans l’immense fonds du Département des Arts graphique du musée du Louvre [16]. Chassériau avait conçu sa composition comme une sorte de triptyque, avec au centre une représentation de la déesse de la Guerre, Bellone, accompagnée de la figure de l’Ordre, un homme à l’allure de législateur, et, sur les côtés, à droite un groupe de forgerons occupés à fabriquer des armes, et à gauche des cavaliers qui montaient en selle ou s’éloignaient vers un futur combat.
Les deux personnages principaux de notre dessin n’affichent pas la sévère maturité des protagonistes de la peinture, telle que l’on peut la supposer par deux dessins d’ensemble, l’un très poussé [17], l’autre plus esquissé et comportant un travail de collage [18]. Il s’agit ici d’un jeune homme au visage décidé, qui tient par la main une jeune femme dénuée d’attributs guerriers. Derrière eux, cavaliers et troupes à pied se regroupent dans un beau désordre, qui semble traduire l’agitation d’un départ ; une inscription manuscrite à la plume …des cavaliers de / chaque côté les fantassins conforte bien l’identification du sujet. L’écriture s’avère rapide, expressive, allusive, des traits de plume répétés dans la partie supérieure, rectilignes et diversement orientés, contribuant au dynamisme de la composition en suggérant, de façon allusive, la présence d’armes brandies, d’étendards levés ou de trompettes sonnantes.
Bien avant dans sa jeunesse, vers 1837, Chassériau produisit tout un ensemble de croquis à sujets religieux, épisodes de la vie du chrétien, sacrements ou moments de la messe : on en retrouve dans le fonds du Louvre [19], comme dans le catalogue de la vente posthume de 1857 [20], ainsi que dans les collections du British Museum à Londres et du Metropolitan Museum à New York [21], et en mains privées (La Confession [22]).
Le troisième dessin [23] (ill. 10) catalogué dans la vente de décembre 2012 appartenait sans nul doute au même groupe, et pourrait représenter La Mort, un thème évoqué par un dessin (peut-être celui-ci ?) catalogué dans la vente posthume des 16 et 17 mars 1857 sous le numéro 74 (adjugé 28 francs à Duperré), mention que nous reprenions dans notre liste des dessins connus par une mention en 1988 [24]. Le style très synthétique est bien celui des années de jeunesse de l’artiste, qui choisit d’évoquer le sujet par la déploration d’une jeune fille morte sur laquelle se penche un groupe de figures, dans un décor curieusement montagneux.
- 10. Théodore Chassériau (1819-1856)
La Mort
Fusain - 25 x 18 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Audap-Mirabeau - Voir l´image dans sa page
- 11. Théodore Chassériau (1819-1856)
Le petit Jehan de Saintré
Plume et encre brune, rehauts de gouache blanche - 30,5 x 25,5 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Audap-Mirabeau - Voir l´image dans sa page
De la même période juvénile, le quatrième dessin de la vente de 2012 (qui devait d’ailleurs réapparaître l’année suivante dans une autre vacation) [25] (ill. 11), évoque un texte littéraire du Moyen-Âge, Le petit Jehan de Saintré. Celui-ci met en scène un personnage historique, compagnon de Du Guesclin, et dont le fils suggéra à l’écrivain Antoine de La Sale de s’inspirer de sa vie pour publier en 1456 un roman chevaleresque qui connut un grand succès, Histoire et plaisante chronique du petit Jehan de Saintré et de la dame des Belles-Cousines, sans doute une lecture de Chassériau à l’époque de l’extrême fin de l’engouement pour les sujets dits « troubadours », vers 1837-1838.
- 12. Théodore Chassériau (1819-1856)
Études de femme relevant sa chevelure et de
mendiante tenant un enfant
Plume et encre brune - 28 x 22 cm
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts
Photo : ENSBA - Voir l´image dans sa page
- 13. Théodore Chassériau (1819-1856)
La Toilette d’Esther
Huile sur toile - 45,5 x 35,5 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Wikipedia/Domaine public - Voir l´image dans sa page
Le cinquième et dernier dessin de la vacation de 2012 n’était pas le moins intéressant [26] (ill. 12). Cette Étude de femme assise relevant sa chevelure et de vieille mendiante debout tenant un enfant présentait toutes les caractéristiques d’un croquis relevé sur le motif durant le séjour italien de 1840-1841, pendant lequel Chassériau s’attacha particulièrement à représenter les populations locales, séduit par leur pittoresque. On décompte ainsi une centaine d’études de figures locales dans le fonds du Louvre [27]. Celle qui nous occupe présente l’intérêt d’avoir certainement inspiré à Chassériau la pose de sa Toilette d’Esther (Paris, Louvre) conçue peu après le retour en France et présentée au Salon de 1842 (ill. 13). Bien que le modèle soit ici évidemment entièrement vêtu, et son visage en partie dissimulée par l’ombre du bras gauche levé, le geste est pratiquement semblable, tout comme la position des mains retenant les cheveux . Le contraste est sans doute voulu entre cette puissante figure juvénile et la vieille mendiante, d’un type que là encore l’artiste a souvent évoqué dans ses croquis italiens.
- 14. Théodore Chassériau (1819-1856)
Portrait d’une fillette, vue de face, à mi corps
Graphite - 18,5 x 13 cm
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts
Photo : ENSBA - Voir l´image dans sa page
Si l’École des Beaux-Arts acquit judicieusement ce dessin en 2015, elle devait marquer une nouvelle fois son intérêt pour l’art de Chassériau en faisant entrer dans ses collections l’année suivante un portrait récemment réapparu. Il est difficile de supputer l’identité de cette Fillette, vue de face, à mi-corps [28] (ill. 14), que le dessinateur a saisi dans sa vivacité songeuse. Certains traits insistants, comme celui à la base du cou, sont typiques de la technique de l’artiste lorsqu’il entreprend de souligner un détail d’un costume.
- 15. Théodore Chassériau (1819-1856)
Étude d’ange volant vers la gauche
Graphite - 15,8 x 24,4 cm
Paris, galerie La Nouvelle Athènes
Photo : La Nouvelle Athènes - Voir l´image dans sa page
C’est la galerie Jean-François Baroni qui découvrit le dernier dessin autographe de notre petite recension, qu’elle présenta au Salon du Dessin à Paris en 2014. Depuis, ce dessin a connu par deux fois le feu des enchères [29]. Il est aisé de mettre en relation cette Étude d’ange volant vers la gauche (ill. 15), signée en bas à gauche, avec les recherches pour la chapelle des Fonts Baptismaux à l’église Saint Roch à Paris, décor achevé en 1853. Dans l’un des deux sujets qui y sont traités, Saint Philippe baptisant l’eunuque de la reine d’Ethiopie, Chassériau a introduit un ange volant et qui vient parler à l’oreille du saint. Deux premières pensées conservées au Louvre [30] prouvent qu’il avait pensé faire figurer deux et même trois anges volant au dessus de la scène. Finalement, il consacrera à l’un ou l’autre de ces personnages pas moins de sept autres croquis [31], adoptant finalement une attitude moins dynamique. Le dessin réapparu, dans lequel l’ange vole calmement vers la gauche, est certainement le plus apaisé de l’ensemble, à tel point que ses liens avec la peinture réalisée demeurent assez lâches. Mais il séduit par le caractère souriant et délicat du personnage, au visage presque asexué.
- 16. France, XIXe siècle
Tête d’homme barbu les yeux levés au ciel
Crayon, rehauts de blanc - dimensions inconnues
Localisation actuelle inconnue - Voir l´image dans sa page
- 17. France, XIXe siècle
Étude d’homme nu
Crayon, rehauts de blanc - dimensions inconnues
Localisation actuelle inconnue - Voir l´image dans sa page
On se souviendra peut-être que lors de notre précédente recension des nouveauté chassériennes, en 2011, nous avions insisté in fine sur l’étrange réapparition à quelques mois d’intervalle de plusieurs dessins évidemment tracés d’après des œuvres de Chassériau ou trop faibles pour lui être attribués, et qui comportaient une marque de l’atelier très proche de l’estampille L. 443. Deux autres dessins de ce type sont récemment venus à notre connaissance, une Tête d’homme barbu les yeux levés au ciel (ill. 16) et un étude d’Homme nu vu de dessus, à mi-corps et tourné vers la droite (ill. 17), peut-être une recherche pour un bourreau dans une scène de la Passion ? Selon nous, les deux dessins n’ont rien à voir avec la manière de Chassériau, bien qu’ils portent la marque de l’atelier ; on ne peut envisager à cela que deux explications, puisque la marque originale fut détruite le 16 août 1934, lors de l’entrée de l’immense donation du baron Arthur Chassériau au musée du Louvre [32]. Il n’est pas impossible, comme nous le suggérions à l’époque, que le baron Arthur Chassériau, qui faisait office d’expert pour l’œuvre de son cousin, mais était devenu à la fin de sa vie presque aveugle, ait apposé avant 1934 la marque authentique sur des dessins qui lui étaient proposés comme étant de la main de l’artiste. Mais il semble plutôt – un témoignage en ce sens nous a été fourni – qu’une nouvelle marque a été fabriquée, dans une intention frauduleuse, et que l’on s’en soit servi pour estampiller des dessins d’autres artistes.