Nous nous plaignions, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, des baisses budgétaires du ministère de la Culture. Mais nous ne savions pas alors - comment aurions-nous pu l’imaginer ? - que ce n’était rien par rapport à ce qui allait suivre. Car au delà de l’exercice obligé de la présentation du budget, qui donne lieu à des séances d’auto-congratulations satisfaites d’à peu près tous les ministres (et nous en avons vus…), il reste la réalité des chiffres, bien loin des promesses, bien loin même du budget présenté aux journalistes chaque mois de septembre. Les chiffres que l’on nous donne ne signifient en réalité pas grand-chose, si ce n’est peut-être une orientation. Mais le budget effectif, celui qui est dépensé réellement, est souvent bien loin de celui qui est affiché dans le projet de loi de finance [1].
L’orientation proposée par Françoise Nyssen lors de sa conférence de presse de lundi dernier (on peut écouter son discours ici) n’est évidemment pas bonne. Le budget global n’est pas sanctuarisé, puisqu’en augmentant de 0,7%, et si l’on considère l’inflation (1,8% attendu pour 2018), il diminue en réalité en euros constants.
Quant au budget consacré au patrimoine et aux musées, le niveau est tellement bas qu’il ne fait qu’entériner une situation réellement catastrophique qui a commencé sous François Hollande et qu’Emmanuel Macron n’a évidemment pas l’intention d’endiguer même s’il déclare « croire au patrimoine ». Si l’on ajoute ce constat à celui de la terrible régression législative de la loi Élan, on peut dire que le début du quinquennat du nouveau président est réellement néfaste pour le patrimoine. Seuls surnagent dans ce désastre deux points positifs : le sauvetage du château de Villers-Cotterêts (qui risque néanmoins de se faire, dans un tel contexte, au détriment d’autres monuments) et la nomination de Stéphane Bern dont on peut dire qu’elle a un peu dépassé l’effet qu’en attendait le Président. En mettant l’animateur amoureux de vieilles pierres sur le devant de la scène, il a créé une attente qui pourrait bien à terme le contraindre à faire beaucoup mieux. C’est en tout cas l’espoir que nous avons.
L’évolution des budgets réels depuis 2011
Mais revenons un instant sur l’évolution des crédits, non pas promis mais réellement dépensés, à savoir les crédits de paiement exécutés, que l’on peut trouver, année après année, sur le site de la performance publique.
Nous avons ainsi examiné les évolutions de trois programmes, depuis 2011. Nous avons choisi cette date qui correspond à la dernière année complète de Nicolas Sarkozy parce qu’avant celle-ci, le patrimoine monumental était comptabilisé avec le patrimoine archéologique, et que les périmètres ont été modifiés ce qui rend toute comparaison avant 2011 avec les années qui suivent particulièrement difficiles.
Voici donc ces variations qui parlent d’elles mêmes [2]
Tout d’abord, le programme « patrimoine monumental » soit celui consacré aux monuments historiques, était de 314 millions d’euros (réellement dépensés) en 2011. Il a baissé sous François Hollande jusqu’à 277,8 millions en 2014, avant de remonter un peu pour s’établir à 301,6 millions en 2017. Pour illustrer à quel point le budget présenté dans le projet de loi de finance est trompeur, rappelons que les crédits de paiement en 2017, tels qu’ils avaient été présentés par Audrey Azouley, devaient être de 336,6 millions d’euros. La réalité était donc de plus de 10% en moins [3] !
Le programme « Patrimoine des musées » a subi les mêmes variations. En 2011, il était de 386,88 M€. dépensés réellement, un chiffre qui avait même augmenté en 2012, jusqu’à 398,77 M€. Sous François Hollande, il est descendu jusqu’à 327,68 M€ (soit près de 20% de moins), avant de remonter un peu à 348,69 millions en 2017, ce qui reste encore très peu.
Les « Acquisitions et enrichissements des collections publiques » ont été totalement sacrifiés sous François Hollande [4] et ne sont jamais vraiment remontés de manière significative.
Un budget 2019 médiocre
Une augmentation de 4,1% des crédits de paiement par rapport à ceux inscrits dans la loi de finance initiale 2018 est prévue pour le patrimoine monumental pour atteindre 348,4 M€. On peut s’en féliciter, mais il faudra bien entendu voir à combien se monteront les crédits de paiement effectivement dépensés puisque l’exemple de 2017, dont nous parlions plus haut, montre que pour 336,6 M€ budgétés, seuls 301,6 avaient été réellement consommés ! Heureusement qu’on pourra au moins compter sur les 20 M€ du loto patrimoine, qui s’y ajoutent.
Quant aux prévisions d’autorisations d’engagement, si elle augmentent fortement entre 2018 et 2019 (elles passent de 376,5 à 473,7, soit 94 millions d’euros), il s’agit évidemment d’un trompe-l’œil car ces crédits concernent pour 55 millions la programmation pluriannuelle sur Villers-Cotterêts, et pour le reste l’opération du Grand Palais dont nous avons parlé ici. Il s’agit donc seulement d’une planification sur plusieurs années qui ne se traduira pas par des crédits de paiement supplémentaires.
Le budget patrimoine des musées de France est en forte baisse puisqu’il passe de 350,7 (Loi de finance initiale 2018) à 338,6 M€ (Projet de loi de finance 2019), ce qui est considérable (12,1 M€ en moins, soit une baisse de 3,4%). Rappelons d’ailleurs que l’inflation attendue en 2019 est de 1,8%, et que cela diminuera d’autant les budgets en euros constant.
Si le budget des acquisitions et enrichissement des collections publiques est prévu pour augmenter, cette augmentation est totalement dérisoire sur un budget tellement bas qu’il est toujours environ deux fois plus faible qu’en 2011).
Et ne parlons même pas des archives. Leur budget, qui était (en exécuté) de 46,68 M€ en 2011 n’était plus que de 30,46 M€ en 2017. Et la diminution entre la loi de finance initiale 2018 (36,5 M€) et le projet de loi de finance 2019 (30 M€) est de 6,5 M€, soit moins 17,8%. Quand on sait que la loi de finance initiale est le plus souvent inférieure au projet de loi de finance, et que les chiffres réels sont encore plus bas, on peut affirmer que les archives sont sacrifiées.
Dans son discours, la ministre s’est vanté que le budget des monuments historiques serait « sanctuarisé à un niveau historiquement haut ». C’est évidemment faux. Car même avec 348 M€ (chiffre qui de toute façon ne sera pas atteint puisqu’il s’agit seulement du projet de loi de finance), ce serait encore 50 M€ de moins qu’en 2012. Il n’y a donc rien d’historique là dedans. Elle n’a pas osé parler des musées et des archives. Elle aurait, pourtant, pu parler à raison de niveau historique. Mais historiquement bas.