Bijoux de la Couronne : la présidente du Louvre dans le déni

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Laurence des Cars
@TheNexusInstitute-YouTube (CC BY 3.0)
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La ministre de la Culture, Rachida Dati, a annoncé dans un tweet « l’ouverture d’une ligne de "fact check" par le service de presse du Musée du Louvre », pour contrer les « fausses informations [qui] circulent sur le vol ». C’est assez savoureux. Rappelons que le « fact check » est une notion bizarre. Car le journalisme, le vrai journalisme, doit vérifier ses informations. Les « fact checkers » sont les journalistes qui font leur métier correctement. Remplacer les journalistes qui enquêtent sur le Louvre par le service de presse du musée, ce n’est en réalité que demander à l’objet de l’article de le rédiger lui-même. C’est l’inverse du journalisme, donc du « fact check » !

Il est par ailleurs paradoxal de voir le Louvre pratiquer le « fact check », quand on entend ce que sa présidente raconte. Nous avons pu, en effet, nous procurer les interventions de Laurence des Cars et de ses adjoints devant le personnel réuni lundi dernier à 11 h pour écouter leurs explications, et ce fut un véritable festival.
Celle-ci, par exemple, prétend que la réunion à laquelle elle participe était prévue : « il était parfaitement prévu que je vous rencontre aujourd’hui ». C’est une contre-vérité évidente puisque cette réunion a été organisée au dernier moment, devant le refus unanime des agents de prendre leur poste sans que la présidente ne s’exprime devant eux. La meilleure preuve est que le Louvre devait ouvrir, comme toutes les télévisions qui étaient sur place l’ont constaté, et qu’il est finalement resté fermé, laissant les visiteurs à la porte.

La manière dont elle a entamé sa présentation est extraordinaire. Elle présente le Louvre comme un « collectif ». « C’est un moment douloureux, difficile pour notre établissement, pour notre collectif, mais c’est bien en tant que collectif que nous allons y répondre ». D’ailleurs, elle agit un peu comme une protection pour ses équipes, devant les « informations fallacieuses » (sic) qui circulent, elle leur demande de « se protéger un tout petit peu ».
C’est laisser penser que ce seraient les agents du Louvre qui pourraient être critiqués, et les assurer de sa solidarité, qui est « fallacieux ». Elle se cache, en réalité, derrière le « collectif » pour ne pas assumer ses responsabilités : « Nous faisons face ensemble. Vous n’avez pas à être remis en cause. Je ne le tolérerai pas. La ministre ne le tolérera pas. Le président de la République ne le tolérera pas ». Qu’elle se rassure. C’est bien elle qui est responsable. Elle qui est remise en cause. Et par ses troupes elles-mêmes.

À aucun moment ou presque, Laurence des Cars n’a reconnu ses responsabilités dans ce drame. Un drame, d’ailleurs, c’est beaucoup dire : pendant toute son intervention, elle s’est tenue à un seul mot : « incident ». Le vol de dimanche est un « incident ». Rappelons la définition de ce terme (dictionnaire de l’Académie) : « Événement mineur, généralement fâcheux, qui survient dans le déroulement d’une action, dans le cours d’une entreprise, d’une affaire [1] ». Notons d’ailleurs que le président de la Société des Amis du Louvre, Gérard Araud, avait tweeté en employant également ce terme, alors que plusieurs des œuvres volées ont été offertes par cette société. Devant les réactions indignées, il a depuis retiré son tweet.

Tout le monde s’étonne de la rapidité avec laquelle les deux vitrines ont pu être forcées. Pas la présidente, qui ose tout, en expliquant - sans rire - que ces vitrines étaient parfaites ou presque. Pour la chef de la sécurité, ce sont « des vitrines qui offrent un certain temps de résistance à l’effraction ». Un certain temps, comme le fût du canon pour se refroidir lorsque l’obus est sorti [2] ! Et Laurence des Cars va encore plus loin, puisque voilà ce qu’elle dit, exactement : « On voit que ces vitrines ont résisté puisque, en fait, le verre n’est jamais tombé. Donc c’est bien en passant leur main à travers, en fait une brèche, donc ils ont réussi à percer en quelque sorte. Ça montre bien la qualité, évidemment, de ces vitrines qui étaient très récentes, 2019 [3] ». Tout va très bien donc, puisque les vitrines ont résisté… Le « fact check » du Louvre c’est donc : « les vitrines ont résisté ». Laurence des Cars insiste d’ailleurs sur la rapidité de l’action : moins de quatre minutes dit-elle dans la galerie d’Apollon : « C’est incroyablement rapide ». On a donc des vitrines qui offrent « un certain temps à l’effraction » et qui sont brisées en un temps « incroyablement rapide ». La contradiction ne semble pas les perturber.

Les vitrines sont irréprochables donc, mais aussi les alarmes. Écoutons à nouveau Laurence des Cars : « les alarmes ont parfaitement fonctionné, que ce soit sur la fenêtre, sur les vitrines. Qu’on torde le cou à cette idée que nous n’entendrions pas les problèmes et que le système était déficient. Non. » Le ministère de la Culture a diffusé un communiqué de presse expliquant la même chose.
Cette question des alarmes est pour l’instant encore floue. Nous répétons ici notre information : le 13 septembre, un signalement de dysfonctionnement de celle de la porte-fenêtre donnant sur la Seine avait été effectué. Celui-ci occasionnait des alertes intempestives et avait été désactivé. La question est donc : avait-elle été réparée et remise en service au moment du casse ? Nos sources disent que non, mais sur ce point, nous n’avons pas de preuve. En revanche, selon nos confrères de France Info : « une source policière affirme que les malfaiteurs sont rentrés par une fenêtre "dont le système d’alarme est en panne depuis un mois et demi. Ça suppose du renseignement, des complicités, du repérage. La fenêtre n’a pas sonné…" "Les vérifications se poursuivent sur le fonctionnement des systèmes d’alarme", précise mardi le parquet de Paris ». Cela confirmerait donc, qu’en réalité, l’alarme de la porte fenêtre n’était toujours pas remise en service.

Laurence des Cars ne reconnaît qu’une seule « faiblesse dans cette affaire » : « la surveillance périmétrique du bâtiment, c’est-à-dire les caméras à l’extérieur, pour être très claire ». Difficile il est vrai de prétendre autre chose puisque tout le monde a pu constater qu’on pouvait tranquillement installer un monte-charge sur le trottoir longeant la galerie d’Apollon pour entrer dans celle-ci et commettre son forfait.
Mais ce n’est pas vraiment de sa faute et ce n’est vraiment pas de chance ! Car tout était prévu… dans les 80 millions du schéma directeur qui sera mis en œuvre avec le projet « Louvre Nouvelle Renaissance ». Elle va désormais « discuter avec le cabinet et la ministre » pour avancer plus vite. Elle reconnaît ainsi qu’il n’y a pas de protection autour du Louvre mais, bien sûr, ce n’est pas de sa faute.
Quant à la couverture très insuffisante de l’établissement en caméras vidéos à l’intérieur des salles, notamment dénoncée par la Cour des Comptes, si elle admet qu’elle est exacte, en parlant même d’une « situation structurelle de sous-couverture vidéo qui est tout simplement invraisemblable, invraisemblable », elle a, bien sûr, pris la mesure des choses depuis quatre ans. Car il fallait quatre ans pas moins pour mener des études. En réalité, et nous y reviendrons quand notre enquête à ce sujet sera terminée, celles-ci ont pris énormément de retard en raison d’une gestion de projet catastrophique et de la recherche d’économies.

Pour Laurence des Cars, il faut « tuer la rumeur et la malveillance » : « L’information a très bien circulé » au sein des équipes du Louvre au moment du casse. Là encore, les contradictions ne lui font pas peur puisque un peu plus loin sa chef de la sécurité décrit toutes les mesures à prendre pour que les communications fonctionnent correctement, notamment le déploiement en cours, depuis le mois de juin, des équipements radio. Celle-ci ajoute que « la communication entre les agents de la Direction de l’accueil du public et de la surveillance (DAPS) et les agents de la Direction de la Médiation et du Développement des publics (DMDP) […] doit être absolument irréprochable », et ils vont travailler ensemble pour qu’elle le soit.
Donc, la communication a parfaitement fonctionné, mais elle n’est pas irréprochable ? C’est un peu comme les alarmes qui ont fonctionné sans fonctionner vraiment. Tout cela serait presque drôle si ce n’était tragique.

Nous pourrions encore tirer beaucoup d’informations de cette réunion, et nous le ferons sans doute. En attendant, d’après Le Figaro, Laurence des Cars aurait donné sa démission, qui aurait été refusée. On ne dit pas par qui, mais forcément par le président de la République qui la nomme. Elle est en effet bien soutenue, comme la corde soutient le pendu, par Emmanuel Macron et Rachida Dati. On nous permettra de ne pas croire à cette fable de la démission, qui n’a pas dû être proposée de manière bien ferme. D’ailleurs, démissionne-t-on pour un simple incident ? La présidente du Louvre a expliqué aux agents que son cœur saignait. Le nôtre aussi.

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