Auxerre : le premier musée « bio »

1. Nicolas Colombel (1644 ? - 1717)
Clytie
Huile sur toile
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire
Photo : Didier Rykner
Ce tableau jusqu’ici anonyme a été
identifié par Guillaume Kazerouni après avoir
été publié comme illustration de cet article
(voir ici)
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La municipalité (socialiste) d’Auxerre vient, sûrement sans le savoir, d’inventer un nouveau concept avec le premier musée « bio », c’est-à-dire sans couleurs ni conservateur, contrairement à la réglementation en vigueur (loi des musées de 2002) [1].
L’expulsion de son bureau le 10 décembre 2009 de la conservatrice qui y œuvrait depuis 30 ans avec compétence et dévouement (peut-être trop), sa mise à la retraite d’office le 1er juin 2010 (objet d’un recours au tribunal administratif), le démantèlement de son équipe dispersée aux quatre coins des services municipaux, le lourd climat de suspicion qui règne désormais dans le musée, la réduction de ses heures d’ouverture, caractérisent ce nouveau musée.

Tout cela, qui se décide dans les bureaux feutrés de la mairie d’une ville moyenne (40 000 habitants), ne serait qu’anecdotique ou le cas isolé d’un maire à poigne mettant au pas son personnel, si justement cet exemple caricatural ne s’inscrivait dans une tendance plus générale. On constate en effet que même dans des villes métropoles, d’autres conservateurs sont poussés vers la sortie et remplacés par des attachés de conservation du patrimoine, plus jeunes, moins diplômés, aux salaires plus modestes, aux compétences professionnelles moins exigeantes et qui sont supposés plus souples d’échine.

Alors que les musées en France n’ont jamais été aussi fréquentés, alors qu’ils s’ouvrent à la création contemporaine, qu’ils multiplient les animations pédagogiques accueillant aussi un public plus diversifié - cette régression, car c’en est une, s’inscrit dans un contexte politique qui a beaucoup évolué ces dernières années.

On assiste un peu partout à une reprise en mains du pouvoir culturel par les municipalités. La loi de finances qui considère les centres culturels et les associations, dont le financement est majoritairement assuré par les collectivités locales, comme des délégations de service public, a modifié profondément le paysage culturel français.
De fait, cette recentralisation à l’intérieur de la décentralisation a entraîné la gestion directe de nombreuses activités culturelles par les services municipaux, et bien entendu, le renforcement de leur hégémonie. Le signe le plus visible en est la floraison des DAC, ces directeurs des affaires culturelles qui viennent chapeauter et opacifier aussi bien la vie associative que les institutions municipales traditionnelles (musées, bibliothèques, etc.). Ainsi s’est mise en place une gestion administrative pointilleuse et perfectionniste là où il faudrait justement plus de spontanéité, plus d’indépendance, plus de liberté, plus de créativité (mais allez donc expliquer cela à un receveur municipal !)

Cette tendance fâcheuse s’inscrit de plus dans un contexte de quasi disparition du ministère de la Culture dont les représentants sur le terrain, sans moyens financiers, ne sont plus audibles (souhaitent-ils même l’être ?) et d’assèchement budgétaire particulièrement pour les espèces les plus fragiles. L’événementiel reste encore provisoirement à l’abri. Son ramdam, ses paillettes séduisent, et semble-t-il de plus en plus, les médias et les élus : voir la multiplication des nuits de toutes les couleurs sur toutes sortes de sujets (fort dégagement de gaz à effet de serre)
Je crains que selon l’exemple auxerrois, le « modèle bio » ne s’étende à d’autres musées ou à des bibliothèques ; leur travail de service public est continu et discret parce que quotidien : la mise en valeur du patrimoine et de la création, l’ouverture sociale qui les accompagnent sont rarement sous les feux des projecteurs. Mais la distance entre leurs responsables et le pouvoir politique, la liberté des choix et des initiatives sont les conditions nécessaire pour que fleurissent la biodiversité culturelle et son développement durable.
Sans culture, il n’est pas de démocratie, comme chacun sait (mais oublie souvent).

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