Audition de Laurence des Cars : la sécurité, une urgence absolue ?

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Laurence des Cars lors de son audition au Sénat
Capture d’écran sur le site du Sénat
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Laurence des Cars a donc été interrogée mercredi par la Commission culturelle du Sénat. Une séance longue, comme c’est l’habitude dans ce type d’audience, où beaucoup de questions ont été posées, certaines d’ailleurs sans recevoir de réponses - nous y reviendrons.
Plutôt que de consacrer un article fleuve à l’analyse de cette audition, nous avons finalement choisi, pour plus de clarté, d’en publier plusieurs. Nous commencerons avec le sujet essentiel du schéma directeur de la sécurité du musée.

La présidente du Louvre a déclaré, devant la Commission : « Je n’ai cessé depuis ma prise de fonction en septembre 2021 d’attirer l’attention de notre tutelle, de la représentation nationale et des médias sur l’état de dégradation et d’obsolescence générale du Louvre, ses bâtiments et ses infrastructures. »

Nous avons rencontré Laurence des Cars à deux reprises, en novembre 2021 et en septembre 2024. Il est exact que, lors de cette dernière réunion, celle-ci nous avait fait un tableau apocalyptique de la situation du Louvre, justifiant selon elle le grand projet qu’elle allait lancer en janvier suivant. 
Mais nous avons recherché ses différentes interventions dans les médias. Et ses alertes viennent très tard en réalité, alors qu’elle n’hésite pas à parler, dès le 13 janvier 2023 sur France Inter, de la nouvelle grande entrée du côté de la pyramide. Car c’est bien elle qui a donné l’idée de ce projet à Emmanuel Macron, celui-ci n’en est pas l’initiateur. Dans cette interview, elle explique qu’elle « avait présenté un projet en ce sens à la ministre de la Culture et au président de la République »

À ce propos, elle n’a pas répondu à une question pourtant très pertinente du sénateur Pierre Ouzoulias : « qui gère le dossier du plan Nouvelle Renaissance du Louvre ? C’est le président de la République ou la ministre de la Culture ? D’où viennent les arbitrages ? Ils sont donnés rue de Valois ou à l’Élysée ? » Il n’y a pas vraiment de doute en réalité : c’est bien de l’Élysée que viennent les décisions, Emmanuel Macron s’étant approprié l’idée de Laurence des Cars pour en faire son grand projet présidentiel. On comprend qu’il ne veuille pas sa démission : dans la situation politique actuelle, pour le moins incertaine, il estime logiquement que son inspiratrice reste le meilleur atout pour le faire avancer.

Jamais donc, dans les interviews données avant le début de l’année 2025 que nous avons pu retrouver, elle n’alerte sur les questions de sécurité. Tout au plus parle-t-elle, dans l’interview cité plus haut de janvier 2023, de l’impératif d’un schéma directeur d’investissement qu’elle a porté « il y a quelques mois » devant sa tutelle ». En avril 2024, devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, elle évoque à nouveau la question des schémas directeurs, mais sans jamais mettre en avant celle de la sécurité [1].
Le 17 avril 2022, dans Le Parisien, elle ne dit rien sur le projet, sauf qu’elle souhaite ouvrir plusieurs entrées supplémentaires.

Le 22 septembre 2023, un article du New York Times, consacré à Laurence des Cars, est titré : « Elle veut transformer le Louvre. En sera-t-elle capable ? » On pouvait y lire : « Mais le grand projet de Laurence des Cars, qui impliquerait une entrée, un foyer et un espace d’exposition modernes, nécessite l’aval du président Emmanuel Macron. Que celui-ci le donne ou non dépendra de sa volonté — et de sa capacité — à marquer le Louvre comme l’avait fait le président François Mitterrand lorsqu’il commanda la Pyramide dans les années 1980. Cela dépendra aussi du pouvoir de persuasion de Laurence des Cars. » Aucune allusion, là encore, au sujet plus terre à terre de la sécurité, pas davantage qu’il n’en était question dans Le Monde en février 2022 où l’on apprenait que « Laurence des Cars veut réenchanter le musée du Louvre », en ouvrant plusieurs entrées. On y lisait même : « Fini la course au gigantisme chère à son prédécesseur, Jean-Luc Martinez, qui avait accueilli jusqu’à 10,2 millions de visiteurs en 2018, record pour Le Louvre ». La course au gigantisme est tellement finie que l’ambition de Laurence des Cars est d’attirer 12 millions de visiteurs après l’aboutissement de son projet !

À propos du schéma directeur de sécurité, voilà ce que dit Laurence des Cars au Sénat : « Face à la situation préoccupante des installations de sûreté du musée que j’ai découvert plusieurs mois après mon arrivée, j’ai accéléré l’élaboration d’un schéma directeur de modernisation des équipements de sûreté. » « Ces travaux requièrent un temps considérable d’analyses et de diagnostics. Ils sont soumis aux procédures complexes et lentes des marchés publics. Vous, législateurs, le savez mieux que personne. »
Elle ajoute : « De 2022 à 2024, les études ont été menées par la maîtrise d’œuvres spécialisée pour effectuer un diagnostic complet de l’état de nos équipements et définir le programme de travaux. »
Il aurait donc fallu deux ans pour faire un diagnostic des questions de sécurité, ce qui paraît très long à tous les experts, mais il n’aura fallu que deux mois pour réfléchir au projet Louvre Nouvelle Renaissance, qui comprend cet aspect, mais également une multitude d’autres, bien plus complexes encore. Rappelons en effet qu’il s’agit, rien de moins, que de réorganiser tout le Louvre et d’y ajouter un projet architectural à 500 millions d’euros. Nous renvoyons à cet article, qui décrit la méthode suivie depuis la fin du mois de janvier 2025, date à laquelle ce projet a été validé officiellement par le président de la République.

Rappelons que ces deux mois d’étude, censés déboucher sur un cahier des charges pour refaire le « plus grand musée du monde », ont entrainé le lancement d’un concours d’architecte en juin, pour lequel les cinq candidats finalistes ont été désignés en octobre, le gagnant devant être choisi en avril 2026, et les travaux étant prévus pour commencer à l’automne de cette même année. Moins de deux ans donc pour commencer les travaux d’un chantier gigantesque, quand la mise à niveau de la sécurité du musée a été étudiée en deux ans sans que les travaux ne soient prévus avant l’an prochain !
Devant la commission, la présidente du Louvre a précisé le déroulement du chantier de mise à niveau du système de sécurité : « les marchés ont été lancés à la fin de l’année 2024 pour des travaux qui débuteront au 1er semestre de 2026. Ils se poursuivront à minima jusqu’en 2033 ». La comparaison de ce planning avec celui de la partie architecturale du projet est édifiante : 2022-2033 (soit onze ans) pour la sécurité, 2025-2031 (six ans) pour tout le reste…

Sur la question de la sécurité périmétrique du musée (ses abords), Laurence des Cars explique que : « Concernant la sécurisation du domaine du Louvre et des Tuileries, j’ai également poursuivi la sécurisation périmétrique du bâtiment et de ses abords en finalisant en 2022 la pose de nouvelles grilles autour du domaine »
Oui, c’est exact, un chantier de création de nouvelles grilles permettant de fermer entièrement le domaine du Louvre a bien été mené ces dernières années et n’est toujours pas terminé. Mais celui-ci concerne le jardin des Tuileries, le Carrousel et la cour Napoléon où se trouve la pyramide, et en aucun cas les façades extérieures du Louvre.
Elle prend prétexte de ces travaux pour expliquer que, privilégiant « la sécurité du domaine », la première étape avait consisté à s’occuper de ces grilles.
Mais absolument rien n’empêchait de mener de front les deux chantiers : sécurisation du domaine, et sécurisation du musée. Il est d’ailleurs curieux d’apprendre, pendant l’audition, de la bouche de la chef de la sécurité (qui était également présente au Sénat), qu’elle ne savait pas s’il y avait eu une demande auprès de la préfecture de police d’installer des caméras sur les quais pour surveiller les façades.

Nous ne reviendrons pas sur les caméras de surveillance à l’intérieur du musée. Ce point a été largement abordé, et les chiffres de la Cour des comptes ne sont pas contestés par le Louvre.
En revanche, il faut revenir sur les vitrines dont Laurence des Cars a répété au Sénat, comme elle l’avait dit devant le personnel du Louvre, contre toute évidence, qu’elles étaient « hautement sécurisées ». Elle ose même « réaffirm[er] que les vitrines installées en décembre 2019 représentaient [...] un progrès considérable en termes de sécurité ». Le Canard Enchaîné, Le Parisien et Libération ont publié des articles démontrant que ces vitrines « hautement sécurisées », étaient en réalité des passoires, comme les événements l’ont d’ailleurs prouvé. Ces vitrines avaient été installées par son prédécesseur, Jean-Luc Martinez. Alors qu’elle se prive rarement de critiquer celui-ci, elle a choisi ici d’endosser ce choix, pourtant indéfendable, ce qui la rend tout autant responsable que lui.

Quant à la fable du « nouveau type d’attaque, [...] de nouveaux modes opératoires qui n’avaient pas été envisagés », qui peut se laisser abuser ? En novembre 2019, à Dresde, les voleurs ont utilisé une hache pour briser les vitrines (voir cet article) ; le 27 mai 2022, le reliquaire du cœur d’Anne de Bretagne était volé au Musée Dobrée et ils ont brisé la vitrine à coup de hache ; le 28 juin 2022, à la foire de Maastricht, ils ont utilisé une masse ; et, il y a un an, le vol des tabatières au Musée Cognacq-Jay était effectué à coup de hache (voir la brève du 21/11/24). Il est vrai que, dans ce dernier cas, la chef de la sécurité du Louvre expliquait au Monde : « Pour entrer au Louvre et arriver aux œuvres, il faut parcourir de longues distances. », et le journal concluait : « En d’autres termes : impossible, vu la configuration du bâtiment, d’y faire un vol en plein jour en moins de trois minutes, comme à Cognacq-Jay ».

« J’ai fait de la sécurité une urgence absolue ». Cette affirmation, de Laurence des Cars devant les sénateurs, est fausse. Jamais, bien au contraire, la sécurisation du Louvre n’a été au cœur de ses préoccupations, et ce point n’était d’ailleurs jamais abordé en conseil de direction. S’il l’avait été, comment expliquer ce retard à agir ? Car ce n’est pas le manque d’argent qui l’interdisait. Grâce à la redevance sur la marque Louvre que paie Abu Dhabi, le musée a reçu 82 millions et 55 millions d’euros supplémentaires en 2022, 55 millions en 2023 et encore 55 millions en 2024. Le fonds de roulement du Louvre est au plus haut. Mais Laurence des Cars réservait cet argent pour son grand projet architectural (qui par ailleurs attend en vain, pour l’instant, le mécénat dont il a besoin). Une réaffectation rapide de ces fonds devient nécessaire.

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