Nous avions révélé il y a un an et demi qu’Emmanuel Macron, pour l’entrée de Maurice Genevoix au Panthéon initialement prévue le 11 novembre 2019, voulait faire une commande pérenne pour le monument, la première depuis plus d’un siècle (voir la brève du 29/5/19). Nous écrivions alors qu’il était bien tard, cinq mois avant, pour organiser cela. Nous avions raison, il a fallu un an de plus. Et nous étions inquiets du résultat. À juste titre hélas, sauf pour la musique de Pascal Dusapin, réellement belle et qui n’est quoi qu’il en soit pas diffusée en permanence.
- 1. Nef du Panthéon, avec à droite et à gauche
deux toiles d’Anselm Kiefer (celles-ci sont temporaires)
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Cette opération s’est déroulée dans le plus grand secret, sans aucune transparence, contrairement à l’habitude pour une telle commande publique - nous n’avons pas souvenir d’une intervention pérenne de ce genre dans un monument historique sans que personne soit au courant jusqu’à son installation. Par la seule volonté de celui qui se croit manifestement dans une royauté absolue, avec bien entendu l’assentiment de tous les fonctionnaires chargés normalement de la protection du patrimoine, qui comme d’habitude se sont tous couchés devant la volonté d’un seul homme qui s’avère être leur maître, six œuvres d’Anselm Kiefer ont donc été déposées de façon permanente dans le Panthéon.
- 2. Deux des vitrines d’Anselm Kiefer
dans le Panthéon
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 3. Ces vitrines sont fixéees sur les marches
de manière pérenne
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Nous ne discuterons pas ici de la valeur artistique de ces installations dont Le Monde nous apprend qu’elles coûtent, avec la musique de Pascal Dusapin, la bagatelle d’un million d’euros, entièrement pris en charge par le ministère de la Culture [1]). Kiefer n’est certainement pas le plus mauvais artiste contemporain [2], même s’il devient l’un des plus officiels (ce qu’il était déjà). Nous ne sommes pas hostiles par principe à l’art contemporain. Nous sommes en revanche hostiles aux interventions d’architectures ou d’art contemporains dans ou devant des monuments historiques, la plupart du temps faites sans aucun égard pour leur environnement. Rares sont les artistes du talent d’un Tadao Ando qui s’insère avec tact et délicatesse dans la rotonde de la Bourse du Commerce.
- 4. Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898)
Sainte Geneviève veillant sur Paris et
Sainte Geneviève ravitaillant Paris assiégé (état avant Kiefer)
Peinture murale
Paris, Panthéon
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 5. Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898)
Sainte Geneviève veillant sur Paris et
Sainte Geneviève ravitaillant Paris assiégé (état après Kiefer)
Peinture murale
Paris, Panthéon
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Mais ce que vient de faire Anselm Kiefer avec la complicité active d’Emmanuel Macron va au-delà de tout ce que nous pouvions imaginer (et est bien pire que la sculpture de Jeff Koons). Quel manque d’intelligence et de modestie que de s’installer en ce lieu comme un coucou. Il réussit l’exploit, avec ses vitrines de 3 mètres de haut sur 4 à 6 mètres de large (ill. 2), de nier à la fois l’architecture de Germain Soufflot en s’insérant sur les marches du chœur (elles y sont scellées - ill. 3) et des transepts de l’ancienne église Sainte-Geneviève et en masquant en partie les colonnes, et les peintures de Pierre Puvis de Chavanne (ill. 4 et 5), Jean-Paul Laurens, Alexandre Cabanel, Henri Lévy (ill. 6 et 7), Jules Lenepveu (ill. 8) et Joseph Blanc, soit quelques-uns des plus importants peintres de la seconde moitié du XIXe siècle français. Il est en effet désormais impossible de voir de loin et dans leur intégralité ces grandes compositions qui s’étendent chacune sur six peintures et quatre grands registres verticaux. Cela revient à supprimer totalement leur caractère narratif et leur fonction décorative [3].
- 6. Henri-Léopold Lévy (1840-1904)
Le Couronnement de Charlemagne et Charlemagne restaurant les lettres
(état avant Kiefer)
Peinture murale
Paris, Panthéon
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 7. Henri-Léopold Lévy (1840-1904)
Le Couronnement de Charlemagne et Charlemagne restaurant les lettres
(état après Kiefer)
Peinture murale
Paris, Panthéon
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
La petite fille de Maurice Genevoix trouve cela « absolument grandiose et fabuleux ». On apprend dans la même phrase que c’est la première fois qu’elle entre au Panthéon, ce qui suffirait à rendre son témoignage nul et non avenu. Prétendre célébrer les morts de 14-18 (qui y avaient déjà leur monument) en vandalisant cette ancienne église qui rend hommage aux grands Hommes, est un outrage à leur mémoire. Quand Macron sera parti, il faudra absolument militer pour enlever ces œuvres et les déposer ailleurs.
Privé de sa flèche contemporaine sur Notre-Dame, le président a tenu absolument à poser sa marque sur un monument français emblématique, comme un enfant capricieux. Il se prend pour Laurent le Magnifique, il en est tellement loin...
- 8. Jules Lenepveu (1819-1898)
Épisodes de la vie de Jeanne d’Arc
Peinture murale (derrière la vitrine d’Anselm Kiefer)
Paris, Panthéon
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page