Dans le grand projet de « Nouvelle Renaissance du Louvre » (voir l’article), il est expressément prévu un « renouvellement muséographique » dans tout le musée. On lit en effet page 16 du document d’expression des besoins : « La phase 1 de travaux de remise à niveau technique pourrait aussi être une opportunité pour mener un renouvellement muséographique dans des espaces du musée qui ne seront pas concernés par le projet de nouvel accès mais qui méritent aussi une mise à jour de la présentation des collections ». Nous savons par ailleurs que la présidente-directrice du musée souhaite montrer, à terme, moins d’œuvres des collections (voir l’article).
Moins d’œuvres qu’aujourd’hui ? Nous nous sommes penché - pour commencer - sur le département des peintures, et la manière dont il expose ses collections. Pour cela nous avons regardé si les acquisitions récentes (depuis 2001 soit presque 25 ans) sont montrées aux visiteurs, ce qui serait la moindre des choses, celles-ci étant faites avec de l’argent public. Nous avons par ailleurs essayé, à travers ces acquisitions, de comprendre la politique du Louvre en ce domaine. Et comme nous avions déjà pu le constater, celle-ci est laissée à la latitude des départements, bien que ceux-ci doivent renforcer les points forts et assumer les lacunes. Pour les peintures, on peut se demander s’il est vraiment question de renforcer les points forts et si l’on ne se contente pas d’assumer les lacunes… Notons que nos constats ne mettent pas en cause tel ou tel conservateur. Dans bien des cas, selon les informations (très fiables) que nous avons pu avoir, ceux-ci sont victimes de cette politique, et les responsables sont à chercher à la tête des départements et du Louvre lui-même. Projets d’expositions systématiquement refusés à certains d’entre eux, acquisitions régulièrement refusées pour privilégier des achats parfois très dispendieux et absolument redondants… Beaucoup de conservateurs du Louvre souffrent, même les meilleurs d’entre eux. Surtout les meilleurs d’entre eux aimerions-nous dire.
Nous avons donc saisi dans un tableau Excel toutes les œuvres acquises par le département des peintures, quelle que soit la manière, depuis 2021, et nous mettons en lien ici-même ce fichier [1] afin que chacun puisse se l’approprier, l’utiliser ou vérifier ce que nous écrivons [2]. Cela semble d’autant plus utile que, depuis déjà très longtemps - c’était une décision d’Henri Loyrette -, plus aucune exposition faisant le bilan des acquisitions récentes n’a été organisée au Louvre comme cela était le cas autrefois.
Voici donc les conclusions, parfois très surprenantes et regrettables, que nous avons pu tirer de cette étude quantitative, une discipline parfois bien utile pour l’histoire de l’art et pour celle des musées. Il faudrait aussi un jour s’intéresser à la qualité et à l’intérêt de certaines de ces acquisitions, mais nous ne ferons qu’effleurer cette question dans cet article.
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- 1. Grégoire Guérard (actif de 1512 à 1538)
Christ portant sa croix, 1533
Huile sur panneau - 42,2 x 35,1 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
La peinture française est assurément un « point fort » du Louvre qu’il conviendrait de renforcer. Pourtant, il est difficile de dire qu’il en va ainsi, sauf pour celle du XVIe siècle [3]. En effet, l’École de Fontainebleau et même les écoles régionales (ill. 1) ont fait l’objet d’un nombre remarquable d’acquisitions depuis 25 ans, d’autant qu’il faut ajouter à ces enrichissements des collections françaises dans ce domaine celles du château de Fontainebleau et du Musée de la Renaissance à Écouen. Dix tableaux sont entrés dans les collections depuis 2001, sept achats, un don d’un particulier, un don des Amis du Louvre et une dation, ce qui semble tout-à-fait correct compte-tenu du nombre d’œuvres de qualité qui passent sur le marché et des acquisitions des deux autres musées cités. Et toutes ces œuvres acquises sont exposées, sauf une.
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- 2. Jacques Stella (1596-1657)
La Sainte Famille avec sainte
Élisabeth et saint Jean Baptiste (non exposé)
Huile sur toile - 41 x 32 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN-GP/G. de Carvalho - Voir l´image dans sa page
Il n’en va pas de même, et de loin, pour la peinture française du XVIIe siècle, pourtant l’un des grands siècles de la peinture en France, pour lequel beaucoup de tableaux de qualité se trouvent sur le marché de l’art, à des prix souvent abordables et qui complèteraient remarquablement les collections déjà conservées au Louvre, soit pour renforcer les points forts, soit pour combler des lacunes évidentes.
Depuis 2001 en effet, seuls quatorze tableaux français du XVIIe siècle ont été achetés. Il faut mettre de côté une dation (un Louis Cretey) qui était fléchée vers le Musée des Beaux-Arts de Lyon, et six dons sous réserve d’usufruit qui sont toujours chez leurs donateurs. Si l’on rajoute trois dons, cela fait donc dix-sept tableaux du XVIIe siècle français qui sont entrés effectivement dans les collections du Louvre. Et sur ces dix-sept œuvres, huit, donc près de la moitié, ne sont pas exposées ! Parmi elles, seul un don sur les trois est exposé. Pour ne prendre qu’un exemple, le joli petit tableau de Jacques Stella offert en 2023 par Daniel Thierry (voir la brève du 24/5/23) n’est donc pas accrochée dans les salles (ill. 2).
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- 3. Étienne Parrocel (1696-1775)
L’Assomption de la Vierge (non exposé)
Huile sur toile - 64 x 36 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN-GP/M. Urtado - Voir l´image dans sa page
La peinture française du XVIIIe siècle est à peine mieux lotie. Certes, on se gargarise de certaines acquisitions comme Le Panier de fraises de Chardin (voir la brève du 7/11/23) dont on peine pourtant à comprendre la nécessité. Mais finalement, en 25 ans, seules treize acquisitions onéreuses ont été faites, soit un chiffre équivalent à celui de la peinture française. Et sur ces treize acquisitions, seules six sont exposées, sept ne l’étant donc pas.
Les dons et legs sont plus nombreux que pour le XVIIe siècle : on en compte dix en tout [4] auxquels il faut ajouter deux dons de la Société des Amis du Louvre, trois dons sous réserve d’usufruit et deux dations [5]. Si les deux dons des Amis du Louvre sont exposés, seuls quatre des dix dons et legs de personnes privées le sont !
Ajoutons deux achats grâce au mécénat : les neuf panneaux d’Oudry peints pour le château de Voré, présentés dans le département des Objets d’Art et le Chardin qui, entre deux présentations en province, ne semble pas actuellement exposé, ce qui est tout de même un comble. Cela donne en tout (hors dépôts et usufruit) vingt-huit œuvres entrées au Louvre pour le XVIIIe siècle français. Sur ces vingt-huit œuvres, la moitié, soit exactement quatorze, ne sont pas exposées, telle une esquisse d’Étienne Parrocel dont nous avions annoncé l’acquisition (voir la brève du 24/7/07), mais avant restauration (ill. 3). La même proportion donc que pour le XVIIe siècle.
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- 4. Merry-Joseph Blondel (1781-1853)
Éole déchaînant les Vents (non exposé)
Huile sur toile - 64 x 36 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN-GP/T. Querrec - Voir l´image dans sa page
Les peintures françaises du XIXe siècle ont été acquises en plus grand nombre, sans doute en raison de l’abondance d’œuvres sur le marché et peut-être parce que le directeur du département est un spécialiste de cette période. Certains tableaux très importants ont été acquis dans ce domaine, dont on n’aurait pas compris qu’ils ne le soient pas, mais sans doute tout autant ne l’ont pas été. Nous reviendrons plus en détail dans un autre article sur ces achats.
Considérons comme pour les précédents le nombre d’acquisitions et le pourcentage d’œuvres exposées. Nous extrairons néanmoins de ce décompte les sept tableaux du XIXe siècle acquis pour les collections d’histoire du Louvre (il y en avait deux pour le XVIIIe et il y en a même deux qui datent du XXe siècle). Le pourcentage est vite fait : aucun d’entre eux n’est exposé (ill. 4), puisque l’histoire du Louvre n’est plus montrée, ou pratiquement plus.
Sur les trente-quatre acquisitions restantes [6], hors dons sous réserves d’usufruit et un dépôt, seules vingt-trois sont exposées, dont dix-huit au département des peintures [7]. Il reste donc onze acquisitions récentes non exposées, parmi lesquelles huit achats et trois dons.
Pour la peinture italienne, le bilan est très contrasté : plutôt bon pour les primitifs italiens jusqu’au XVe siècle, avec des achats réguliers et la plupart des œuvres exposées, il est faible pour le XVIe siècle puisqu’il n’y a eu que trois œuvres acquises en vingt-cinq ans, dont deux sont des dons des Amis du Louvre. Un quatrième achat, un panneau par le Maître des Cassoni Campana, l’a été pour dépôt à Avignon.
Quant aux XVIIe et XVIIIe siècles, qui devraient constituer une priorité pour le Louvre (dont on nous dit qu’il faut renforcer ses points forts, d’autant que beaucoup d’œuvres majeures, et pas toujours à des prix excessifs, passent en vente), on peine à comprendre sa politique : le bilan est assez désastreux. Des achats pratiquement inexistants, et des œuvres presque pas exposées. Sans doute la fermeture actuelle des petits cabinets de part et d’autre de la salle espagnole, en travaux, est-elle en partie responsable de ce constat, d’autant que la salle dite Salvator Rosa est aujourd’hui occupée (voir l’article) par l’exposition Cimabue (on se demande d’ailleurs pourquoi elle sert à cela). Mais le nombre d’acquisition récente est si faible qu’on aurait pu les accrocher ailleurs, notamment dans la Grande Galerie. Il en va de même des deux peintures portugaises acquises, notamment de la très belle Résurrection du Christ du XVIe siècle (voir la brève du 23/10/23), en parfait état, que rien n’empêche de montrer aux visiteurs.
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- 5. Italie, XVIIe siècle
Paysage avec le baptême du Christ
Huile sur toile - 78 x 118 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN-GP/T. Le Mage - Voir l´image dans sa page
C’est ainsi qu’en vingt-cinq ans le Louvre n’a acheté qu’une seule peinture italienne du XVIIe siècle (!), et quatre peintures du XVIIIe siècle, dont trois Tiepolo… Sur ces cinq peintures achetées, aucune n’est exposée. On s’en félicite d’ailleurs pour le plafond de Tiepolo - voir l’article) mais il semble que son accrochage soit néanmoins prévu.
Un tableau d’Alessandro Magnasco a été acquis par mécénat pour dépôt immédiat au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (voir la brève du 13/12/10) et un autre de Luca Giordano par dation pour dépôt au Musée Fabre de Montpellier (voir la brève du 27/9/16). Ces deux œuvres peuvent difficilement être comptées comme des acquisitions du Louvre même si elles se trouvent sur ses inventaires. Si l’on excepte un tableau donné sous réserve d’usufruit resté chez son propriétaire, il reste quatre dons et legs, et un don des Amis du Louvre. Pas un seul de ces tableaux n’est aujourd’hui accroché aux cimaises du musée… Nous reproduisons ici un don de Marc Fumaroli, en 2006, qui nous avait échappé : il s’agit d’un paysage italien du XVIIe siècle (ill. 5), certes anonyme, mais qui paraît sur photo de très belle qualité. Sur photo seulement car sauf erreur, il n’a jamais été exposé, et ne l’est en tout cas pas en ce moment.
Aucune peinture espagnole n’est présentée, ce qui se comprend puisque la salle est en réfection. On aurait pu néanmoins là encore trouver un endroit pour montrer ces acquisitions récentes. Remarquons que les achats de peinture espagnole, longtemps inexistants ou presque, n’ont repris réellement qu’en 2010 et ont pratiquement cessé en 2018, à l’exception notable de l’achat d’un primitif valencien en 2020 (voir la brève du 2/9/20).
La peinture anglaise est pour sa part, depuis très longtemps, maltraitée au Louvre. À l’exception notable des deux achats remarquables d’un John Martin en 2006 (voir la brève du 12/12/06) et d’un Benjamin West en 2008 (voir la brève du 29/7/07, ce second tableau n’est pas présenté…), les seuls enrichissements notables depuis plus de quinze ans sont des dons de Christopher Forbes. Qui ne sont pas exposés. Belle manière, une nouvelle fois, de célébrer un donateur. Quatre peintures américaines, également des dons, ne sont pas davantage accrochées.
Les peintures d’Europe du Nord de l’Est, dont un nombre conséquent est entré au musée depuis un quart de siècle, sont en général accrochées aux cimaises… mais dans une salle la plupart du temps fermée.
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- 6. Dirck Metius (dates inconnues)
La Prédiction de Cassandre, 1625-1630
Huile sur toile - 80,8 x 64,3 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN-GP/B. Touchard - Voir l´image dans sa page
Il reste à regarder les peintures nordiques du XVIIe siècle, encore un point fort du Louvre, très maltraitées depuis le départ de Jacques Foucart qui réussissait encore à faire acheter des peintures. Nous ne compterons pas dans le bilan de ces dernières années le Portrait d’Oopjen Coppit de Rembrandt qui, au terme d’une véritable pantalonnade (voir les articles), a finalement pu être acquis par le Louvre, en s’associant avec le Rijksmuseum et presque à son corps défendant.
Depuis vingt-cinq ans donc, il n’y a eu en tout et pour tout que six achats, dont cinq entre 2001 et 2004… Soit un seul en vingt ans pour les Néerlandais et les Flamands du XVIIe siècle. L’achat de celui-ci (ill. 6), de la galerie Barnabé en 2019, peint pour la galerie de Jacques Favereau, conseiller du roi Louis XIII, nous avait échappé. Au moins est-il très beau et accroché dans les salles.
En revanche, en 2006 le Louvre a reçu un legs de deux paysages du XVIIIe siècle, anonymes mais de très belle qualité, et en 2012 un nouveau legs de cinq tableaux : deux Jan van Goyen, un Adriaen van Ostade, un David Teniers et un Pieter Giejsels (voir la brève du 13/7/14). Aucune de ces sept peintures léguées au Louvre, l’essentiel des œuvres néerlandaises et nordiques des XVIIe et XVIIIe siècles acquises depuis 2005, n’est exposée.
On constate donc grâce à ces chiffres, indiscutables car fournis par le Louvre lui-même (via son site Internet car une fois de plus il n’a pas cru devoir répondre à nos questions), que la politique d’acquisition du musée et d’expositions de ces acquisitions n’est pas très brillante malgré beaucoup d’achats, et que cela ne s’est guère amélioré depuis l’arrivée de Laurence des Cars à la tête du musée, en dépit de quelques réussites ponctuelles (dont fait évidemment partie L’Annonciation d’Overbeck - voir la brève du 27/3/25).
Rappelons que dans les missions du Louvre telles qu’elles sont définies par la loi entrent notamment : enrichir et rendre les collections accessibles au public le plus large. Laurence des Cars pense-t-elle réellement que ces deux missions sont menées correctement par le musée ? Elle veut exposer moins pour exposer mieux, elle ferait mieux d’exposer plus, pour exposer mieux.
Nous nous pencherons en détail dans un prochain article sur la peinture française du XVIIe siècle.