À quoi sert la législation des monuments historiques ? (6) : le temple de Mercure

Il fallait, pour dénoncer ce nouveau scandale ahurissant, rouvrir notre série « À quoi sert la législation des monuments historiques ? ». On pourrait plutôt l’appeler d’ailleurs : « À quoi sert la législation des monuments historiques lorsque ceux en charge de la faire respecter s’en révèlent incapables ? »


1. Vue des ruines du temple de Mercure
avant la reconstruction partielle
Photo : Wikimedia/Fabien1309
CC BY SA-2.0.fr
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2. Vue des ruines du temple de Mercure
avant la reconstruction partielle
Photo : Wikimedia/Fabien1309
CC BY SA-2.0.fr
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On se trouve en effet ici dans un cas exactement similaire à celui, il y a quatre ans, des arènes de Fréjus. On se rappelle que, pour rentabiliser ces ruines, la mairie les avait fait recouvrir de béton par un architecte en chef des monuments historiques, transformant les anciennes arènes « inutilisables » en une salle de spectacle. C’est la même logique frico-touristique qui vient de dénaturer gravement (pour ne pas dire détruire) le temple de Mercure, sur le Puy-de-Dôme.
Ce temple est un sanctuaire gallo-romain du IIe siècle après J.C., découvert en 1875 et classé dès 1889. Les ruines étaient constituées essentiellement des soubassements et des amorces d’élévations. Dans le paysage grandiose du Puy-de-Dôme, elles formaient un cadre particulièrement évocateur et authentique (ill. 1 à 3).


3. Vue des ruines du temple de Mercure
avant la reconstruction partielle
Photo : Wikimedia/Thesupermat
CC BY SA-3.0
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4. Le temple de Mercure après la reconstruction
vu du même angle que l’illustration 3.
Cela correspond sur le plan de Michel Trubert (ill. 6)
à la partie 3 de sa reconstruction
Photo : La Tribune de l’Art
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C’est, désormais, terminé. Le Conseil général du Puy-de-Dôme, considérant que tout cela n’était pas suffisamment parlant pour les touristes, a décidé de « reconstruire certains éléments que les études archéologiques permettent de restituer d’une manière fiable : le mur d’enceinte méridional du sanctuaire, l’angle sud-est de la terrasse du Temple, et plusieurs murs de soutènement. Le but ? Faciliter la compréhension de son organisation et donner aux visiteurs la sensation de son ampleur [1] » ! Le maître d’œuvre ? Michel Trubert, autre architecte en chef des monuments historiques [2]. Le résultat est visible sur photo (ill. 4), mais aussi par des captures d’image d’un film mis en ligne sur Youtube par le Conseil général (ill. 5 et 6). Un faux s’est substitué à une grande partie des ruines authentiques. Le temple de Mercure découvert au XIXe siècle, n’existe plus, il a été remplacé par une recréation moderne. À quoi servait la protection monument historique du site ? À quoi sert le ministère de la Culture chargé de faire protéger la loi ? À rien, manifestement. Il suffit qu’un Conseil général décide de le sacrifier au tourisme de masse, de le transformer en parc d’attraction, pour qu’il obtienne toutes les autorisations.


5. Louis-Clémentin Bruyerre (1831-1887)
Vue général du site du temple de Mercure, 1876
Aquarelle
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine
Copie d’écran d’une vidéo du conseil général sur la reconstruction
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6. Plan de l’ACMH Michel Trubert en charge de la
reconstruction partielle du temple de Mercure
Travaux réalisés en 2013-2014
(d’après le relevé de Louis-Clémentin Bruyerre)
Copie d’écran d’une vidéo du Conseil général
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La direction des patrimoines au ministère de la Culture nous a fait la réponse suivante, que nous publions intégralement : « [Le temple de Mercure est un] monument historique de l’État transféré en 2007 au Conseil Général ; une solution permettant de rendre la lisibilité à ce monument majeur - mais dont on saisissait mal les contours et l’importance dans son état actuel - a été très rapidement recherchée. Le projet de restauration a été approuvé par l’inspection des patrimoines en 2009, la restitution partielle de certains éléments étant conçue comme permettant de rendre l’échelle et la singularité du temple perceptibles au visiteur. Les aspects archéologiques, architecturaux et pédagogiques ont été validés par les conservations régionales (CRA et CRMH). Les professionnels en charge du dossier ont donc été amenés à se prononcer sur ce projet de manière unanime. »
CQFD : nous dénonçons justement ces autorisations données par les « professionnels en charge du dossier » qui tournent le dos à leur mission de préservation du patrimoine, peut-être par souci de ne pas déplaire aux élus du Conseil général.

Car les vrais professionnels, les archéologues qui ont fouillé le site, pensent évidemment le plus grand mal de cette opération. Nous avons en effet interrogé Frédéric Trément, de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, qui a fouillé les alentours du temple entre 1999 et 2003, ainsi que Dominique Tardy, directrice de recherche CNRS et Institut de Recherche sur l’Architecture Antique, qui y a dirigé des fouilles entre 2000 et 2004 [3].

Voici la réponse de Frédéric Trément : « Je n’ai pas été associé par le Conseil général ou par le Ministère de la Culture au projet de reconstitution du temple de Mercure. Personnellement, et tout scientifique que je suis, je reste attaché à l’authenticité et à la magie romantique des ruines antiques, qu’il faut laisser selon moi telles qu’elles ont été dégagées, notamment au XIXe siècle (tout en prenant les mesures de protection nécessaires, bien sûr). La reconstitution proposée a pour conséquence paradoxale de rendre ces ruines invisibles derrière un imposant et hideux mur de Berlin... ».

Et voici celle de Dominique Tardy : « Pour ma part, je n’ai pas caché au CG et à la Culture que j’étais en désaccord avec le projet de restauration tel qu’il avait été proposé. J’étais en effet favorable à une solution de "cristallisation" des vestiges accompagnée d’un entretien régulier et sur la durée. Toutefois, il est apparu que si les collectivités territoriales pouvaient mobiliser des budgets d’investissement considérables, il était plus difficile d’envisager des budgets d’entretien conséquents, année après année.
Lors de l’étude, nous avons conduit une analyse architecturale exhaustive qui permet, certes, d’étayer scientifiquement les propositions de restauration mais ne légitime pas, à mon sens, une reconstruction massive. Cette reconstruction, argumentée par le fait que l’on ne pouvait pas laisser des maçonneries à nu et qu’il fallait donc remplacer le grand appareil manquant, a fait l’impasse sur des solutions plus conservatoires mais qui évidemment auraient été moins visibles....
Les vestiges avaient déjà beaucoup souffert des restaurations précédentes et la lecture du site, très détériorée, aurait gagné à être rétablie en utilisant tous les moyens actuels à disposition : réalité augmentée, 3D etc. Ce qui, d’ailleurs a été réalisé en partie avec grand profit dans le chalet de l’observatoire.
Ni la lecture du site, à partir des seuls vestiges, reste très obscure, ni la préservation des maçonneries authentiques - du moins ce qui en restait - ne trouvent grâce dans cette reconstruction massive, qui touche d’ailleurs à l’état archéologique de démantèlement de l’édifice pour ce qui concerne en particulier son angle sud-est. On a voulu faire cela pour que les visiteurs comprennent mieux, mais que l’on passe en dessus ou au dessous, on ne voit plus le système processionnel ; résultat : les gens ne comprendront certainement pas davantage.
La charte de restauration des monuments antiques (charte d’Athènes), après les reconstructions intégrales du XIXe siècle, avait institué des pratiques respectueuses des vestiges qui sont loin du parti mis en œuvre ici qui consiste à reconstruire de la ruine... Il s’agit pourtant des vestiges d’un des sanctuaires parmi les plus importants de l’Occident romain...
 »

Les professionnels (ceux qui connaissent bien le site, les archéologues qui l’ont fouillé) étaient donc en réalité opposés à cette reconstruction, mais soit on ne leur a pas demandé leur avis, soit on ne les a pas écouté.
À l’heure où l’on nous explique sur tous les tons qu’il n’y a plus d’argent et que le patrimoine et les musées doivent se serrer la ceinture, on dépense donc 5 millions d’euros (financés par l’Europe, l’État, la Région et le département !) pour détruire un monument sous prétexte de lui « redonner vie ». Tout cela est réellement révoltant, mais bien dans l’air du temps. On aimerait entendre davantage les associations d’archéologues s’exprimer sur ce sujet et exiger haut et fort que ce type de vandalisme soit strictement prohibé.

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