Les ressources de la France en grande peinture d’histoire semblent pour le XIXe siècle proprement inépuisables. Que de tableaux de belle et significative ampleur dans les églises et pas seulement dans nos musées ! On peut encore pourvoir presque chaque semaine (ou mois) à leur repérage, et pourquoi pas, à leur nécessaire mise en valeur.
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- 1. Gustave de Lassalle-Bordes (1814/1815-1886)
La Descente de croix, 1843
Huile sur toile – 411 x 303 cm
Saint-Pal-de-Chalençon, église Saint-Paul
Photo : Doc. CAOA H-L / Cl. C. Besson-Benoit. - Voir l´image dans sa page
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- 2. Gustave de Lassalle-Bordes (1814/1815-1886)
La Descente de croix, 1843
Huile sur toile – 411 x 303 cm
Saint-Pal-de-Chalençon, église Saint-Paul
Photo : Doc. CAOA H-L / Cl. C. Besson-Benoit. - Voir l´image dans sa page
La récente exploitation d’une source bibliographique [1] – hasard de curiosité et désir de bonne information – permet ainsi de donner opportunément la reproduction (ill. 1 et 2) d’un imposant tableau religieux, pratiquement inédit, de ce Lassalle-Bordes (1814/1815-1886) qui fut l’ombrageux collaborateur de Delacroix, et dont la survie artistique ne semblait tenir jusqu’à présent qu’à la citation que fit Baudelaire, vite érigé en super-critique d’art, d’une vénéneuse Mort de Cléopâtre [2] du Salon de 1846 (Musée d’Autun, ill. 2). A tout prendre, l’immense Descente de croix de l’église Saint-Paul à Saint-Pal-de-Chalençon (Haute-Loire) qui date des mêmes années 1840 et qui va désormais revivre grâce aux salutaires investigations de M. Jacques Lapart et de Mme Claude Chabanon-Pouget [3], n’est nullement inférieure dans l’idée et en qualité, bien au contraire ; disons que cette dramatique et impérieuse Descente de croix mérite de plaider résolument en faveur d’un artiste trop facilement cantonné dans un rôle de praticien et de petite main du grand, presque trop célèbre Delacroix.
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- 3. Gustave de Lassalle-Bordes (1814/1815-1886)
La Mort de Cléopâtre, 1845
Huile sur toile – 270 x 226 cm
Autun, musée Rolin
Photo : RMN-GP/ - Voir l´image dans sa page
Le fait est qu’il n’est jamais commode, sinon même acrobatique, de mener conjointement comme le vécut notre insatisfait Lassalle-Bordes deux carrières quasiment contradictoires. Alors qu’il assista effectivement (et très honnêtement) Delacroix, patron aussi exigeant qu’inquiet, dans les importants chantiers des décors de la bibliothèque de la Chambre des Députés au Palais-Bourbon (1843-1847) et de la Chambre des Pairs (actuel Sénat) au Palais du Luxembourg (1842-1847), soit une collaboration de près de quatorze ans avec quelques interruptions et qui cessa en 1851, la correspondance du maître avec son collaborateur (que l’on qualifierait mal à propos de simple élève ou disciple) montre que Delacroix lui reconnaissait tout à fait le droit de s’adonner aussi à sa propre activité picturale, sans nul doute un véritable exutoire. En témoignent, à l’honneur d’ailleurs de Delacroix (mais pouvait-il faire autrement ?), plusieurs lettres à Lassalle-Bordes, en octobre et novembre 1842 [4], dans lesquelles Delacroix fait allusion à l’achèvement de son tableau et espère que la préparation du décor du Luxembourg pourra s’accorder avec les propres plans de son collaborateur.
Il s’agit bien sûr, comme le relève André Joubin, l’éditeur de la correspondance de Delacroix, de la Descente de croix de Lassalle-Bordes, même si cet auteur reste muet sur sa localisation, tout en notant que l’œuvre fut commandée par l’État mais jamais exposée (sans doute pense-t-il au Salon de Paris). Dans son mémoire de 1967 à l’École du Louvre sur les élèves [sic] de Delacroix, Lassalle-Bordes et Andrieu [5], Henriette Bessis, se référant aux dossiers des Archives nationales (série F21, commandes de l’Etat aux artistes), signale quant à elle que la Descente de croix, une toile de 12 pieds de haut sur 9 de large [soit en accord avec les dimensions de l’œuvre mesurées par Mme Chabanon-Pouget : 4,11 m sur 3,03 m], fit l’objet d’un arrêté du 22 avril 1842 et fut envoyée à l’église de Saint-Pal-de-Chalençon, le 3 mai 1843 [6]. Reste que sa présence au Salon de 1843 au dire de Lassalle-Bordes (mais Mme Bessis n’indique pas sa source), n’est pas prouvée par le livret du Salon (voir aussi supra Joubin). Un envoi, ajoute-t-elle, effectué sur la sollicitation du député de la Haute-Loire (non nommé). Précisons ici grâce à Mme Chabanon-Pouget qu’il s’agit du député d’Yssingeaux issu de l’un des trois collèges électoraux de la Haute-Loire avec les députés de Brioude et du Puy ; à savoir, pour la période qui nous intéresse, le marquis Henry de Sagnard de la Fressange (1791-1852), député de 1837 à 1848 et vigilant protecteur des intérêts de son département (il fut maire de Saint-Didier-en-Velay de 1823 à 1831 et de 1847 à 1848, conseiller général de 1833 à 1848, président du Conseil général en 1839 et en 1842), au demeurant aussi bon légitimiste localement, en Haute-Loire, que habile et raisonnable rallié à Louis-Philippe et au parti de gouvernement, à Paris (voir le mémoire de DEA de Jérôme Sagnard, 1995) [7]. Pour autant, Mme Bessis croyait que la toile de Saint-Pal était perdue, mais avait-elle pu procéder aux nécessaires vérifications. Il fallut attendre 2001 pour que, grâce à M. Lapart qui entreprenait alors toute une enquête de fond sur Lassalle-Bordes, un repérage sur place soit effectué à sa demande et que le conservateur des antiquités et objets d’art de la Haute-Loire, Mme Chabanon-Pouget, fasse photographier le tableau (en 2001 et à nouveau en 2013), en note les dimensions et les signature et date, bref, que l’on puisse en parler en connaissance de cause et que l’on fasse enfin de la bonne et vraie histoire de l’art !
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- 4. Gustave de Lassalle-Bordes (1814/1815-1886)
La Descente de croix
Crayon noir – 40 x 28 cm
Paris, musée national Eugène Delacroix
Photo : RMN-GP/G. Blot - Voir l´image dans sa page
L’œuvre est d’une éloquence suffisamment prenante, ne serait-ce que par sa révérence d’héritage aux grands ancêtres Le Brun et Jouvenet, moins le coloris plus réservé et sombre qui est d’une certaine manière aux antipodes de Delacroix, observons-le. Elle se ressent en quelque sorte d’un penchant néo-caravagesque et post-davidien pour des harmonies grises et foncées – comme un souvenir de Prud’hon –, chères en fait à nombre de peintres d’histoire actifs sous la Restauration et encore fort présents au temps de la Monarchie de Juillet (il n’y a pas que Delacroix et le romantisme scintillant attaché à son nom !). Que l’on songe seulement à Schnetz ou Heim, lesquels rappellent quelque peu le sérieux pictural déployé à Saint-Pal-de-Chalençon, voire Géricault si tôt disparu, sans oublier bien entendu Larivière, le premier mentor de Lassalle-Bordes. Un tel traditionalisme ne laisse pas finalement d’être salvateur. De se retrouver simple clone de Delacroix eût été pour Lassalle-Bordes, il faut bien le reconnaître, infiniment moins porteur, ce qu’a reconnu le musée Delacroix dans un bel œcuménisme artistico-scientifique en achetant un soigneux dessin préparatoire d’ensemble pour la Descente de croix [8] (ill. 4).
Par ses nobles cadences, par le jeu de formes fermes et calculées, par une ambitieuse intransigeance, par sa digne et sérieuse monumentalité, qui font exemple et qui proscrivent la banalité, le tableau de Saint-Pal méritait hautement son inscription au titre de monument historique prononcée en août 2003, juste consécration de l’enquête de M. Lapart et de Mme Chabanon-Pouget. Qu’ils en soient ici à nouveau félicités et remerciés !