À Bordeaux, le maire veut faire voter pour la restauration de l’hôtel de ville

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La polémique stérile et absurde sur la restauration de Notre-Dame recommence, à plus petite échelle et cette fois à Bordeaux, pour la porte de l’hôtel de ville (Palais Rohan) ! Le maire de la ville, Pierre Humic, a en effet tweeté qu’il demanderait son avis aux Bordelais sur la manière dont cette porte devait être restaurée. Ou plutôt, si elle devait être restaurée. Voilà en effet les trois choix que propose l’élu à la population de la ville :

 scénario 1 : la refaire à l’identique
 scénario 2 : la consolider et la conserver avec cet aspect
 scénario 3 : une création contemporaine suite à un concours d’artiste.


1. Porte de l’Hôtel de Ville de Bordeaux (avant l’incendie)
Photo : Chabe01 (CC BY-SA 4.0)
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Certes, le maire s’est montré plus nuancé devant son conseil municipal le 4 avril. Il a en effet expliqué que les options qu’il mettrait au vote devraient être d’abord validées par la DRAC et que celles-ci devrait être « compati[ble] avec les contraintes patrimoniales ». Pourquoi alors tweete-t-il aussitôt sur ces scénarios ?


2. Porte de l’hôtel de ville de Bordeaux (après l’incendie)
Photo : Thierry Meneau
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Remarquons que comme le président de la République avec Notre-Dame, le maire de Bordeaux n’emploie jamais le terme « restauration » qui est pourtant celui qui s’impose ici. Il s’agit bien de restaurer le portique de l’hôtel de ville dont la porte est un élément. Quant à cette dernière, il faut d’abord, évidemment savoir si elle est restaurable. L’incendie a-t-il attaqué le bois de manière irrécupérable, ou une partie des reliefs existent-ils encore et peuvent-ils être restaurés ou en partie restitués directement sur la structure d’origine ?


3. Porte de l’hôtel de ville de Bordeaux (après l’incendie)
Photo : Thierry Meneau
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Les vraies questions, évidemment, sont uniquement des questions de professionnels de la restauration dans lesquelles la vox populi n’a pas vraiment sa place. Ainsi, la solution doit être celle qui répondra à la fois aux exigences du code du patrimoine (le monument est classé), de la déontologie (charte de Venise) et de l’état effectif de la porte.

 soit celle-ci est restaurable, et elle doit l’être,
 soit elle ne l’est pas, et on peut alors faire deux choix :
* on la conserve telle quelle,
* on en fait une réplique à l’identique qui vient s’y substituer, la porte d’origine étant déposée dans un musée (à l’évidence le Musée d’Aquitaine).


4. Porte de l’Hôtel de Ville de Bordeaux (après l’incendie)
Photo : Thierry Meneau
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Mais la question se pose en réalité dans un cadre plus global : la porte est un élément du Palais Rohan, comme la flèche l’était de Notre-Dame. C’est bien le Palais Rohan que l’on restaure, et il n’y a aucune hypothèse sur son état avant l’incendie, la porte étant - on l’espère au moins - parfaitement documentée.
La restauration du Palais Rohan, monument historique, doit donc se faire dans l’état documenté dans lequel il se trouvait avant l’incendie. Et dans ce dernier cas, il faut donc restituer la porte à l’identique pour redonner au monument son aspect initial.

Plus grave. Si la DRAC Nouvelle-Aquitaine que nous avons interrogée à ce sujet nous a répondu rapidement, ce qu’il faut souligner car toutes ne sont pas aussi réactives, sa réponse est, compte-tenu des circonstances, inacceptable. Nous la retranscrivons entièrement : « Le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, a annoncé en Conseil municipal la soumission de ce vote aux Bordelais et a précisé qu’il leur serait soumis en tenant non seulement compte des conclusions de l’étude en cours de l’architecte du patrimoine (destinée à évaluer l’état sanitaire précis de la porte et mettre au point une méthodologie d’intervention), mais aussi de la concertation étroite préalable et déjà en cours avec les services de l’État.
Cette méthodologie d’intervention offre, à ce stade, 3 possibilités techniques telles que rapportées par Europe 1
 [1] : « consolidation en l’état de la porte, refaire en totalité [i.e. restitution à l’identique], ou autre projet » dont une création. La DRAC n’a pas mis en avant une solution plutôt qu’une autre. Par ailleurs, nous nous employons avec les services de la Ville et l’architecte à retracer dans les archives l’histoire précise de cette porte.
Après les conclusions de l’architecte, et lorsque le projet sera prêt, la DRAC sera saisie pour autorisation de travaux. Nous examinerons la pertinence de ce projet et sa qualité ainsi que le respect de la législation (dont la charte de Venise) en tenant compte de l’intérêt historique, matériel et symbolique de la porte. Aucune des trois hypothèses évoquées n’est donc écartée à cet instant et nous continuerons, à chaque étape, de travailler étroitement avec la ville.
 ».

Une fois de plus donc, le ministère de la Culture semble trouver légitime d’envisager de remplacer une partie de monument historique par une création contemporaine, en violation évidente de la charte de Venise (voir cet article). Il est à peu près certain que, même si cette solution était proposée, les Bordelais (comme si d’ailleurs seuls les habitants de cette ville était concernés par le sort d’un monument historique classé...) se prononcerait en nombre contre un « geste architectural ». Le simple fait que celui-ci puisse être envisagé, y compris par ceux théoriquement en charge de la protection du patrimoine, est inadmissible.
Il n’y a ici aucune place pour une « création contemporaine », même « suite à un concours d’artiste ». Aller contre ce raisonnement ne serait pas seulement une nouvelle agression contre cet édifice incendié. Ce serait, s’il laissait faire cela, un appel clair du ministère de la Culture à l’attaque des monuments historiques que l’on voudrait garnir d’un geste contemporain, puisqu’il suffirait d’un incendie pour parvenir à ses fins.

Remarquons encore deux point. D’abord à propos de ce vandalisme infâme : le principal suspect (qui selon la presse a avoué son geste), est mis en examen pour « dégradation de bien public » et non pour « dégradation de monument classé ». Or le code pénal est plus clément dans le premier cas (article 322-3 : 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) que dans le second (article 322-4 : 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende). Nous aimerions savoir pourquoi la dégradation, proche de la destruction, de cette porte, n’est pas qualifiée comme cela devrait l’être. Nous avons interrogé le procureur de la République et contrairement à ce que nous avions écrit, il nous a bien répondu rapidement, mais le mail était bloqué par notre anti-spam. Voici donc la réponse : « Ils ont été mis en examen pour dégradations par moyen dangereux, infraction qui est punie de 10 ans d’emprisonnement. » Ils risquent donc plus que les sept ans de la dégradation de monument historique, mais il aurait peut-être été utile tout de même d’ajouter ce chef d’inculpation, qui alourdit l’accusation et rend plus difficile la mansuétude.

Enfin, on aimerait connaître le coût de l’organisation de ce vote souhaité par le maire de Bordeaux : n’a-t-il pas mieux à faire dans sa ville pour le patrimoine que de demander à ses administrés leur avis selon des modalités plus que discutables (il suffit de voir ce qui s’est passé à Paris pour les trottinettes) et avec une procédure hors de prix ?

Didier Rykner

P.-S.

Nous avons ajouté le 10 avril la réponse du procureur de la République que nous n’avions pas vue.

Notes

[1Nous avions en effet interrogé la DRAC en faisant allusion à un article sur le site d’Europe 1 où était citée la conservatrice des monuments historiques, Floris Alard : « Est-ce qu’on peut par exemple, consolider en l’état cette porte  ? Est-ce qu’on doit la refaire en totalité ? Ou alors peut-être laisser libre cours à un autre projet ? »

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