Le point sur le vol des bijoux de la Couronne au Louvre

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Si nous ne publions cet article que très tard après l’événement, c’est que nous étions mobilisé sur les plateaux de télévision et sur les radios, afin de tenter de donner un éclairage sur cette affaire. Cela permet une plus grande visibilité à La Tribune de l’Art, ce qui est important pour nous. Quoi qu’il en soit, il est peut-être mieux de n’écrire que maintenant, alors que l’on en sait un peu plus sur cet événement tragique pour le patrimoine français.


1. France, premier tiers du XIXe siècle
Diadème de la parure de la reine Marie-Amélie et de la Reine Hortense
Diamant et saphir de Ceylan - 6,2 x 10,7 cm
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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Résumons donc les faits. Le braquage aurait commencé vers 9 h 30, sans que l’on sache à quel moment débute le chronomètre, à l’arrivée du monte-charge, ou à l’entrée des malfrats dans la galerie d’Apollon. Selon, notamment, Le Figaro et d’autres journaux, qui ont obtenu des informations directes de source policière, l’alarme aurait retenti à 9 h 37, et les voleurs se seraient enfuis à 9 h 38. Cela laisse donc penser que l’alarme reliée à la porte-fenêtre donnant sur un balcon du côté de la Seine n’aurait pas retenti au moment de son ouverture.
Cela se recoupe avec des informations que nous avons pu avoir de plusieurs sources internes au Louvre, dont une, très haut placée, sur le dysfonctionnement de l’alarme reliée à la porte-fenêtre. Il y a environ un mois, des signalements sur ce dysfonctionnement avaient été remontés à la direction (nous avons une preuve de ce que nous affirmons), qui semble les avoir ignorés - c’est ce que nous disent nos sources - et avoir alors effectivement désactivé le système. Celle-ci avait-elle été remise en marche ? Cela semble douteux.
Le ministère de la Culture et le procureur ont néanmoins publié des communiqués affirmant que toutes les alarmes avaient fonctionné. Dont acte. C’est donc un hasard si celle-ci était défectueuse il y a un mois, et le déroulement minute par minute ne serait pas celui que décrivent nos confrères.


2. France, premier tiers du XIXe siècle
Collier de la parure de saphirs de la reine Marie-Amélie et de la Reine Hortense
Diamant et saphir de Ceylan
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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Il reste, sans même prendre en compte cette affaire d’alarme, que la facilité avec laquelle les voleurs ont pu agir est stupéfiante. Comment peut-on, le long du Louvre et de la galerie d’Apollon, amener un monte-charge, le tourner dans le sens inverse de la circulation, mettre en place des cônes de signalisation, puis tranquillement monter en plein jour jusqu’à une fenêtre du Louvre sans être repéré par un PC sécurité surveillant les vidéos du périmètre autour du Louvre, qui, à supposer qu’il existe, était manifestement défaillant ? Comment peut-on ensuite, tranquillement, fracturer une fenêtre qui ne semblait pas très sécurisée, puis ensuite, rapidement, briser des vitrines soi-disant blindées ? Rappelons que la galerie d’Apollon a été entièrement restaurée il y a quelques années, et les bijoux de la Couronne soi-disant sécurisés.
Tout cela démontre, a minima, une responsabilité importante de la direction du Louvre, d’autant que cela fait longtemps que les syndicats demandent davantage de moyens pour la sécurité.


3. France, premier tiers du XIXe siècle
Boucle d’oreille, d’une paire de la parure de la reine Marie-Amélie et de la Reine Hortense.
Diamant et saphir de Ceylan - 5,1 x 2,2 cm
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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Le président de la République a tweeté ce soir, en réagissant à ce vol (une réaction bien tardive comme l’ont remarqué plusieurs observateurs), que : « Le projet Louvre Nouvelle Renaissance, que nous avons engagé en janvier, prévoit un renforcement de la sécurité. Il sera le garant de la préservation et de la protection de ce qui constitue notre mémoire et notre culture ». Comment ce projet ruineux, dont les objectifs principaux sont de construire une nouvelle grande entrée, des salles d’exposition souterraines et une salle spéciale pour la Joconde (également en sous-sol) serait-il une réponse à des questions qui se posent déjà depuis longtemps, sans que la présidente du Louvre ait rien fait pour les résoudre rapidement ? Qu’avait-on besoin de refaire le département des Antiquités islamiques qui date de moins de quinze ans ? Pourquoi avoir laissé la sécurité se dégrader ainsi, en diminuant le nombre de gardiens (ce qui implique un taux de fermeture des salles insupportable) ? Quand prendra-t-on en compte les conditions désastreuses de conservation des œuvres dans certaines salles ? Un seul exemple : si le Louvre n’a prêté qu’un seul Georges de La Tour à la rétrospective du Musée Jacquemart-André, c’est que les autres sont trop fragilisés pour pouvoir être déplacés.


4. François-Régnault Nitot (1779-1853)
Collier en émeraudes de la parure de Marie-Louise, 1810
Or, diamant, émeraude - 43 x 7 cm
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/J.-G. Berizzi
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Il faut maintenant s’interroger sur le devenir de ces objets dont on ne comprend pas bien quel intérêt les voleurs pouvaient avoir à les emporter, tant ils sont connus. La plus grande inquiétude concerne un éventuel dépeçage de ces œuvres, pour vendre les pierres et les perles séparément. C’est hélas une possibilité, même si certains objets ne sont formés que de diamants très petits qui sont pratiquement impossibles à retailler. Ce serait alors une perte « inestimable » pour le patrimoine français, « inestimable » étant le mot qui a été sans doute le plus prononcé aujourd’hui à propos de ce vol.
Mais sur le plan de la valeur financière, ces œuvres « inestimables » ont un prix parfaitement documenté. Rappelons en effet qu’à la suite de la désastreuse vente d’une grande partie des joyaux de la Couronne par l’État en 1887, le Louvre n’a eu de cesse ces dernières années de chercher à les faire revenir. Sur les huit objets volés, sept ont été en effet acquis sur le marché depuis 1985 (dont deux vendus en 1887). Ce sont quelques dizaines de millions d’euros qui ont été volés, mais cette valeur en réalité est nulle car personne ne peut se risquer à acheter ces œuvres, très connues et documentées. Souhaitons que les forces de police, très nombreuses, affectées à cette affaire, les retrouvent vite. L’espoir est permis, puisque, dans certains cas, les œuvres sont retrouvées, comme cela a été le cas récemment pour plusieurs tabatières dérobées au Musée Cognacq-Jay (voir la brève du 14/10/25).

Faisons, enfin, la liste des objets volés :

 le Diadème de la parure de la reine Marie-Amélie et de la Reine Hortense (ill. 1), acquise en 1985. Cette œuvre était restée dans la descendance des Orléans et n’avait donc pas été vendue en 1887,

 le Collier de la parure de saphirs de la reine Marie-Amélie et de la Reine Hortense (ill. 2), qui partage le même historique que le diadème,

 la Boucle d’oreille, d’une paire de la parure de saphirs de la reine Marie-Amélie et de la Reine Hortense (ill. 3), de même historique que les précédents,

 le Collier en émeraudes de la parure de Marie-Louise (ill. 4), offert par Napoléon à Marie-Louise à l’occasion de leur mariage, autre bijou n’ayant pas été vendu en 1887, car il n’avait pas fait partie des collections nationales, acquis en 2004 avec la participation de la Société des Amis du Louvre,


5. François-Régnault Nitot (1779-1853)
Collier en émeraudes de la parure de Marie-Louise, 1810
Or, diamant, émeraude - 5,7 x 3,1 cm
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/J.-G. Berizzi
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 une paire de boucles d’oreilles en émeraudes de la parure de Marie-Louise (ill. 5), de même historique que l’œuvre précédente,


6. Paul-Alfred Bapst (1823-1879)
Broche dite broche reliquaire, 1855
Diamants, or - 17,5 x 4,6 cm
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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 une Broche, dite broche reliquaire datant de 1855 (ill. 6), curieusement affectée au Louvre en 1887, date de vente d’une grande partie des bijoux ; comme le signale Julien Lacaze, président de Sites & Monuments, dans un tweet, « les diamants agencés en ailes de papillon sous le Second Empire par le joaillier Bapts sont les Mazarin no 17 et 18 (legs fait à Louis XIV par son ministre), tandis que le gros diamant, au centre, était le quatrième bouton du justaucorps de Louis XIV, avant d’être utilisé comme boucle d’oreille par Marie-Antoinette. Soit un petit résumé de l’histoire de France. ».


7. Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884)
Diadème de l’Impératrice Eugénie, 1853
Perle d’Orient, diamant, argent, or - 7 x 19 x 18,5 cm
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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 le Diadème de l’Impératrice Eugénie (ill. 7), créé en 1852 et qui, lui, avait été vendu en 1887 et offert au Louvre en 1982 par la Société des Amis du Louvre,


8. François Kramer (1825- ?)
Grand nœud de corsage de l’impératrice Eugénie, 1855
Argent, diamant, or - 3,5 x 22,2 x 10,5 cm
Paris, Musée du Louvre (volé le 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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 et, enfin, le Grand nœud de corsage de l’impératrice Eugénie (ill. 8), également vendu en 1887, et acquis en 2008 en partie grâce au legs consenti à la Société des Amis du Louvre par M. et Mme Michel Rouffet.

On sait que, dans leur fuite, les voleurs ont laissé échapper la couronne de l’Impératrice Eugénie qu’ils avaient également emportée. Celle-ci a été malheureusement détériorée, on ne sait pas de quelle manière.


9. Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884)
Couronne de l’impératrice Eugénie, 1855
Or, diamant, émeraude - 13 x 16,5 x 15 cm
Paris, Musée du Louvre (abîmé pendant le vol du 19 octobre 2025)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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Voilà ce qu’on peut dire, ce soir, de cette affaire. Clairement, les responsabilités de la direction du Musée du Louvre sont écrasantes. Nous écrivons depuis maintenant des années sur la gestion désastreuse de ce musée, sans être réellement entendus. Que le président de la République se croit obligé de mettre en avant son projet de Renaissance du Louvre, alors que celui-ci est un symptôme des problèmes qui minent le musée, rend les sanctions pourtant nécessaires très peu probables. En France, les responsables ne démissionnent pas, et ne sont pas remerciés. On les célèbre.

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