La municipalité de Versailles, devant faire face au scandale que cause son projet de PLU, propose désormais de restituer les terrains de l’ancienne caserne Pion (ill.) à l’Etat (voir l’article et le communiqué de la mairie). Les conditions de cette vente - toujours effective à l’heure où nous écrivons - sont particulièrement édifiantes.
- Vue aérienne du Domaine national de Versailles.
En bleu : mur de 1685 très largement préservé.
En vert : tracé des allées de l’Etoile Royale
et contour du bassin de Choisy.
Pastilles rouges : projet de nouvelles gares.
Tracé rouge : projet de nouvelles liaisons routières.
Flèches rouges : projet de liaisons reliant le futur
métro du Grand Paris aux Mortemets et aux Matelots.
Photo : Google Earth - Voir l´image dans sa page
Un « portage » indigne
La ville de Versailles a demandé à l’Etablissement public foncier des Yvelines (EPFY) d’acheter en son nom cette partie du Domaine national de Versailles qui avait été affectée à l’armée en 1906 contre la volonté du service des Palais Nationaux. Comme nous l’apprend le maire adjoint à l’urbanisme, ce « système de portage par l’établissement public foncier permet à la Ville de ne payer […] que quand tout sera bouclé », c’est-à-dire lorsque les terrains seront prêts à être cédés à des promoteurs [1]. La ville achète ainsi à crédit et sans intérêt [2], l’opération ne comportant « pratiquement que des avantages [3] ». Une position quelque peu cynique. Il est étonnant qu’un établissement public de l’Etat, ayant notamment pour mission de « sauvegarder ou mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels » [4], se prête à une telle opération menée d’ailleurs en violation du SDRIF qui classe la moitié supérieure du terrain de Pion en « espace agricole » (voir l’article) [5].
Un prix défiant toute concurrence
On apprend également qu’une « dépollution essentiellement pyrotechnique » sera nécessaire, « suite notamment aux bombardements de 1940 » [6]. Depuis une loi de 1975, des terrains pollués ne peuvent en effet être cédés qu’après dépollution. Cette dépense préalable retardant souvent la cession des terrains militaires, la loi de modernisation de l’économie de 2008 permet qu’elle soit mise à la charge de l’acquéreur, « le coût de la dépollution s’imputant sur le prix de vente » [7]. Le prix du terrain nu, dépollué, et prêt à construire est, après réévaluation, de 11 millions d’euros, soit 524.000 euros l’hectare de Domaine National acquis par Louis XIV. Ce prix se décompose en : « 5 millions d’euros pour l’acquisition du terrain en l’état ; 2 millions d’euros pour les travaux de déconstruction ; 4 millions d’euros pour les travaux de dépollution pyrotechnique » [8], cette dernière dépense n’étant imposée que par l’urbanisation future du site [9]. Le ministère de la défense, qui profite de la vente par une dérogation au principe de l’universalité budgétaire, ne retirera ainsi que 5 millions d’euros de l’opération de Pion, gain dérisoire entrainant une nuisance patrimoniale majeure. Ce résultat absurde est révélateur, comme le souligne Sophie Flouquet dans le Journal des Arts, de « la politique [d’aliénation] menée en autiste par France Domaine » [10].
Des principes bafoués
On peut trouver la somme de 11 millions d’euros particulièrement faible pour 21 hectares d’un « site urbain d’exception à proximité de l’Etoile Royale du château », selon une formule que la municipalité emprunte déjà aux agents immobiliers [11]. Mais ce débat n’a pas lieu d’être, simplement parce qu’il n’est pas possible d’évaluer les Domaines nationaux en argent. Il s’agit du patrimoine collectif des français, de biens qui devraient être hors commerce, réhabilités, et non vendus. Leur affectation, par définition transitoire à l’armée, n’affecte en effet nullement leur appartenance à un Domaine de l’Etat, unique propriétaire de l’ensemble. L’armée n’est pas plus propriétaire de Pion, que le ministre de l’éducation nationale de Chèvreloup, ou même, l’EPV des terrains dont il est doté. Ainsi, selon son décret statutaire, « l’établissement public a pour missions […] de conserver, protéger, restaurer pour le compte de l’Etat […] les châteaux et domaines dont il est doté » [12].
Si une loi provisoire, votée en 1986, mais reconduite depuis lors tous les 5 ans [13] écarte la règle de « l’affectation préférentielle » à un autre service de l’Etat des biens devenus inutiles à l’armée, il faut souligner qu’à aucun moment les parlementaires n’ont pu imaginer que cette disposition pouvait porter atteinte à l’intégrité des Domaines nationaux. Il serait ainsi plus que normal de revenir, les concernant, aux règles bien connues d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public [14] fixées, dès 1539, par un édit de François Ier [15].
L’aliénation des terrains de Pion serait d’ailleurs un précédent dramatique pour les autres Domaines nationaux (Marly, Meudon, Rambouillet) et, dans l’immédiat, pour les dépendances du château de Saint-Cloud dont l’armée souhaiterait se défaire après avoir repoussé leur classement en 1994 [16]…
Une atteinte maximale au patrimoine
On peut finalement regretter que les promesses de développement économique de la ville de Versailles aient conduit la municipalité à « s’intéresser » aux terrains les plus rapidement disponibles du Domaine (21 ha à Pion, environ 10 ha appartenant à RFF aux Matelots et probablement le site de l’INRA [17]) qui sont malheureusement les plus sensibles patrimonialement. Les « 280 hectares à aménager » du Plateau de Satory [18] qui posent, certes, les mêmes questions de principe, ont cependant l’avantage d’être séparés physiquement du reste du domaine puisque situés sur un plateau. Leur pollution importante ne permettait cependant pas une urbanisation rapide [19] alors que le temps de la politique est un temps court...