- 1. Louis-Léopold Boilly (1761-1845)
Le tondeur de chiens
Lithographie dans Recueils de Dessins lithographiques,
Paris, imp. Delpech, 1822
Photo : Pascal Zuber - Voir l´image dans sa page
Honneur aux pittoresques tondeurs de chiens qui hantaient le Pont-Neuf pour le plus grand bonheur des observateurs « physiologues » du Paris du XIXe siècle ! Mais, entre Joseph Lorin et sa « fame » (femme) que mentionne dès 1811 Jean-Baptiste Gouriet dans son étude sur les célébrités des rues de Paris [1]…, et le bonhomme Baptiste plaisamment dépeint par Mme Berthelot-Lavalard vers 1825-1830, lequel précède lui-même le couple Bisson dessiné par Henri Valentin et commenté à cette occasion par Edmond Texier dans son mémorable Tableau de Paris de 1852, il convient d’intercaler le tondeur « Jean » et sa femme, encore un couple, tels que nous les fait connaître le zélé et charmant Boilly, grand maître parmi les (petits) maîtres de la réalité. De quoi compléter cet amusant aperçu – quelle plus flatteuse référence que Boilly ! –, d’autant que s’annonce pour l’automne, à Lille, une grande et méritoire exposition sur ce maître.
Le fait est que Henry Harrisse, dans le catalogue de sa fondamentale monographie de l’artiste [2] (1898) mentionne bien le sujet du tondeur de chiens et ce, en trois techniques : une peinture [3] qu’il a dû voir car il l’évoque avec certains détails mais sans indiquer ses dimensions ni son support (ainsi, note-t-il, au couple qui, homme et femme, tond les chiens, s’adjoint « un petit décrotteur (qui) les regarde faire », mais il n’indique point d’écriteau à l’arrière plan) ; un dessin [4] de 30 sur 38 cm, « lavé à l’encre de Chine, rehaussé de blanc », où figure cette fois un écriteau, avec l’inscription instructive : « Jean ton lé chien et sa fame propremen va-t-en vil » (Boilly a manifestement relevé avec fidélité l’orthographe défaillante) ; enfin, la lithographie en couleurs [5], imprimée chez Delpech, signée « L. Boilly » en bas à droite et intitulée « Le tondeur de chiens » (ill. 1). Cette estampe comporte elle aussi un écriteau où se lit la réclame relative au tondeur : « Jean tond les chiens et sa femme proprement », soit un libellé plus ramassé que celui du dessin et d’une orthographie dûment rectifiée, diffusion de l’estampe oblige, mais il manque le petit décrotteur qui figurait selon Harrisse dans le tableau comme on le voit dans le dessin. Surtout, cette lithographie a valeur de témoignage chronologique, puisqu’elle appartient à un recueil de douze « Dessins lithographiques » édité en 1822 et portant comme le tondeur sur des figures du monde populaire, typiques de l’inspiration de Boilly à l’époque (chiffonnière, savoyards et marmotte, mendiant, tailleurs de pierre, fumeurs, commissionnaires, joueurs de cartes, etc.)
- 2. Louis-Léopold Boilly (1761-1845)
Jean, tondeur de chiens
Dessin connu par une photographie
(endommagée en bas à gauche)
conservée au Service d’étude et de documentation
du département des Peintures du Musée du Louvre - Voir l´image dans sa page
- 3. Jeanne-Françoise Berthelot-Lavalard
(active au moins dès 1806–après 1850)
Baptiste, tondeur de chiens
Huile sur toile - 39 x 32 cm
Amiens, Musée de Picardie
Photo : Amiens, Musée de Picardie - Voir l´image dans sa page
Du tableau on ne sait rien de plus que ce qu’en disait Harrisse il y a plus d’un siècle, comme nous le confirme Pascal Zuber qui dresse actuellement avec Étienne Bréton un nouveau catalogue de l’œuvre peint et dessiné de Boilly. Nous pouvons en revanche disposer d’une reproduction photographique du dessin qui, comme l’indique Harrisse, figura dans des ventes de 1860 et de 1889 [6]. Pascal Zuber pour sa part ne connaît cette feuille que par la photo conservée dans le dossier Boilly, à la Documentation du Département des Peintures du Louvre, et utilisée ici (ill. 2), un document d’archives malheureusement sans indication de dimensions ni de provenance ou de localisation (M. Zuber ignore lui aussi où se trouve aujourd’hui le dessin) et comportant juste une mention de prix (65 000 fr.) avec la précision « a été gravé » (plus exactement lithographié). Intéressant est dans ce cas le texte de l’écriteau à l’orthographe fantaisiste car sa rédaction, à la dénomination près de chaque nouveau tondeur, correspond quelque peu à ce que nous donnent successivement à connaître l’ouvrage déjà cité de Gouriet, le tableau de Mme Lavalard à Amiens et le dessin d’Henri Valentin reproduit en gravure dans le Tableau de Paris de Texier. On notera particulièrement dans chaque cas (est-ce à dire que les tondeurs recopiaient leur écriteau ?) l’insistant « va-t-en ville », l’activité du tondeur s’exerçant bien sûr sur le Pont-Neuf – Harrisse le relève lui aussi – mais pas seulement, d’autant que ces tondeurs, plus ou moins faméliques, devaient faire également commerce de chiens – sur le tableau d’Amiens (ill. 3), on en voit plusieurs, notamment dans une sorte de cage. Que le dessin de Boilly transcrive de la façon la plus phonétique la réclame dudit tondeur est à noter en faveur du fidélisme objectif de Boilly, bon observateur des petits métiers de la rue parisienne et évocateur attachant d’un monde de pauvres, comme Texier le fait en littérature avec non moins d’indulgence.
Peut-être le tableau de Boilly, avis aux lecteurs de la Tribune de l’Art, ressortira-t-il un jour. Et puissent d’autres représentations de tondeurs de chiens être signalées pour étoffer le dossier du gentil tableau amiénois de Mme Lavalard et, du coup, parfaire notre connaissance de la peinture de genre du XIXe siècle qui reste, il faut le reconnaître, beaucoup trop lacunaire sinon entachée de préjugés.