Visites conférences et ateliers : un Louvre beaucoup moins accueillant

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1. Le Musée du Louvre
Photo : Didier Rykner
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Mépris. C’est le terme qui est revenu le plus souvent dans la bouche de nos interlocuteurs guides conférenciers et intervenants en ateliers que nous avons rencontrés pour écrire cet article, à propos de la considération que leur porte le Louvre. Nous ne soupçonnions pas, à vrai dire, les problèmes auxquels ceux-ci doivent faire face, avant de recevoir des mails de plusieurs d’entre eux, indépendamment les uns des autres, pour attirer notre attention sur la manière dont le musée les traite depuis l’arrivée de Jean-Luc Martinez, et singulièrement depuis le début de l’année 2018. Ce mépris, ces contraintes indignes du plus grand musée du monde, tous ou presque le subissent, qu’il s’agisse des conférenciers de la Réunion des Musées Nationaux en charge des visites officiellement proposées par le musée, ou des conférenciers indépendants. Les intervenants en ateliers sont eux aussi dans une situation dramatique, encore davantage même que les guides conférenciers. Cela a évidemment des répercussions sur le public, notamment les scolaires mais aussi les enfants ou jeunes adultes autistes qui n’ont plus de lieu pour les accueillir.
Nous verrons, dans tous ces témoignages, et dans ces faits accumulés, une illustration de ce que nous déplorions dans nos précédents articles, notamment une ambition scientifique toujours plus restreinte et des conditions de visite dégradées. Nous y verrons aussi que, contrairement aux discours officiels du Président du Louvre, qui ne cesse de mettre en avant un Louvre « plus accueillant », la réalité est exactement inverse.

Il faut donc dans cet article distinguer plusieurs cas différents : les conférenciers (ceux du Louvre et les indépendants), et les intervenants des ateliers. Nous emploierons toujours le masculin dans la description de nos interlocuteurs, mais il peut s’agir de femmes comme d’hommes. Nous ne précisons pas davantage pour éviter que quiconque puisse être reconnu. L’un d’entre eux (ou elle donc), conférencier RMN, que nous avons rencontré, nous a dit en préambule à notre entretien : « j’ai peur d’être là, j’ai failli ne pas venir ».

1. Les guides-conférenciers du musée.

Les visiteurs du Louvre peuvent acheter directement auprès de celui-ci des visites-conférences sur des sujets proposés par le musée et menés par des conférenciers employés par la RMN. Il y a une quinzaine d’années, leur nombre était d’une cinquantaine, employés en contrat à durée indéterminée. Aujourd’hui, et le mouvement s’est beaucoup accéléré depuis l’arrivée de Jean-Luc Martinez à la tête du Louvre, ils sont moins de la moitié. Le Louvre ne nie pas cette diminution, se contentant de préciser qu’en 2018 les conférenciers RMN doivent intervenir 10 000 heures contre 11 200 en 2017. Cela fait donc une baisse de 12% en seulement un an qui, d’après nos sources (conférenciers RMN) ne fait que poursuivre et amplifier celles des années précédentes. À cela doit s’ajouter une précarisation de la situation : la RMN ne remplace plus les personnes qui partent par des contrats à durée indéterminée. De plus en plus d’intervenants ont des contrats ponctuels, à la journée.

Après sa nomination, Jean-Luc Martinez a créé une direction de la médiation et de la programmation culturelle, confiée à Vincent Pomarède. Mais depuis cette date, les choses sont allées en empirant. Lorsque le président du Louvre parle de « médiation », un terme qu’il emploie sans arrêt [1], il parle de plein de choses, de cartels notamment (nous avons vu qu’il les revoie personnellement un par un), mais jamais des visites conférences pour lesquelles il y a pourtant un public fidèle d’amateurs. Outre ces personnes, souvent des habitués du Louvre ou des touristes désireux d’approfondir leur visite, les visites-conférences s’adressent aux scolaires et au public dit « empêché » (handicapés, malades d’Alzheimer, migrants en alphabétisation…). Les griefs des guides conférenciers sont innombrables.

L’offre s’appauvrit drastiquement, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Si le nombre de conférences diminue, leur durée est également en baisse. Avant l’arrivée de Jean-Luc Martinez, des cycles approfondis en cinq séances d’une heure et demie étaient proposés. Désormais, ces cycles ont été réduits à trois séances et doivent obligatoirement être transversaux, c’est-à-dire couvrir plusieurs départements. Prenons un exemple que nous a donné un de nos interlocuteurs : « Ce qui marchait très bien c’était « une heure une œuvre », qui s’adressait à un public de gens pointus, qui connaissaient bien le Louvre. C’est terminé, mais beaucoup d’autres thématiques ont disparu. Cette orientation a été prise il y a de nombreuses années, mais le directorat de Jean-Luc Martinez n’a fait qu’aggraver les choses. On avait de l’espoir, mais il a fait très vite l’unanimité contre lui ». Sachant que depuis le début des travaux sous la pyramide l’accueil des groupes se fait à la porte des Lions, cela rajoute dans bien des cas des trajets d’au moins un quart d’heure pour rejoindre les collections lorsqu’elles se trouvent dans les ailes Richelieu ou Lescot. Les cycles de cinq fois une heure trente qui pouvaient porter sur l’approfondissement d’un sujet unique dans un département se sont donc transformés en trois fois une heure sur plusieurs départements [2] Si la réouverture de l’accueil des groupes sous la pyramide aura lieu (en mai, comme cela nous a été confirmé par le musée), elle a déjà été repoussée plusieurs fois. Ajoutons que la porte des Lions ne proposant pas de vestiaires (certains gardiens en improvisent parfois un) et les toilettes y étant sont souvent hors service, le public y est fort mal reçu, y compris lorsqu’il s’agit de scolaires. Seuls les participants aux visites « Bienvenue au Louvre » (voir plus loin), aux visites des expositions et aux visites Famille sont toujours accueillis sous la pyramide. Les conférenciers et les visiteurs ne sont d’ailleurs pas les seuls à souffrir de cette situation : « Il fait très froid, il y a une véritable souffrance au travail. » Les travaux sous la pyramide ne justifient pas qu’une meilleure solution n’ait pas été trouvée : « Cela n’a pas été réfléchi. On aurait pu mettre en place un accueil plus central. » 

2. La salle de la chapelle
Photo : Didier Rykner
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Alors qu’auparavant les guides-conférenciers élaboraient eux-mêmes les programmes, validés par le Louvre, et pouvaient ensuite organiser les visites à leur gré, désormais c’est un service du Louvre qui les propose, et qui va même, dans bien des cas, jusqu’à imposer les œuvres à commenter, même si selon un guide conférencier, « ce n’est pas dictatorial mais oui, effectivement, il y a de plus en plus l’idée d’oeuvres imposées ; on a l’impression qu’il y a une méfiance envers nous ». Certains vivent cela très mal, estimant à raison qu’ils devraient avoir une certaine autonomie dans leur métier.
Ainsi, pour les primo-visiteurs, était proposée une visite intitulée : « les chefs-d’œuvre du Louvre » pendant laquelle le conférencier pouvait choisir un certain nombre d’œuvres essentielles pour présenter le musée. Désormais, cette visite appelée « Bienvenue au Louvre » a un déroulé imposé, et particulièrement pauvre puisqu’il s’agit de présenter trois œuvres - et trois œuvres seulement : la Joconde, la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace. Son parcours se termine par la visite, imposée, de la salle de la chapelle (ill. 2) qui n’offre pour ces visiteurs qui ne connaissent pas déjà le Louvre que peu d’intérêt [3] - sauf pour la vue qui permet de bien comprendre le palais du Louvre.

Jean-Luc Martinez avait chargé un sociologue de faire un audit des visites-conférences basé sur ce parcours « les chefs-d’œuvre du Louvre ». Le rapport de celui-ci « n’a pas été rendu public » comme nous l’a dit le Louvre, mais nous avons pu néanmoins le consulter. Il démontre que ce type de visite, avec seulement trois œuvres, est frustrant pour les visiteurs et pour les guides conférenciers à qui il est imposé, et que la visite de la chapelle n’a aucun sens pour eux (« La salle de la chapelle ça n’intéresse pas les gens. »). Cela a-t-il conduit le Louvre à modifier le contenu de cette visite ? Pas le moins du monde. Alors que le rapport confirme que l’« érudition et [le] professionnalisme des conférenciers [sont] appréciés du public », la conclusion est quelque peu étrange puisqu’elle semble les remettre en cause. On y lit en effet que les guides conférenciers « plaçant comme valeur centrale l’autonomie dans la conduite de leur visite, leur capacité d’adaptation et de flexibilité par rapport au public, les résistances émises quant à la réception de la nouvelle offre de visite souligne leur difficulté d’adaptation à un métier perçu comme en évolution [4]. » Il n’est donc guère étonnant que le bruit circule parmi les conférenciers - ce qui en dit long sur la confiance qu’ils portent dans la direction du Louvre - que cette conclusion a été rajoutée par Martinez lui-même, ce que le Louvre a démenti. Tous pensent que le musée n’a qu’une envie : se débarrasser d’eux afin de pouvoir les remplacer par des sociétés privées. Ces réticences envers les conférenciers de la RMN est perçue par eux comme une grande injustice, alors qu’ils travaillent dans ce musée depuis des dizaines d’années et qu’ils avaient réussi à créer une offre riche et variée. Selon eux, Jean-Luc Martinez aurait envoyé une lettre à Audrey Azoulay dans laquelle il disait tout le mal qu’il pensait des guides-conférenciers de la RMN. Sylvie Hubac, présidente de la RMN, ayant eu connaissance de cette lettre, aurait à son tour écrit à la ministre pour protester, cette dernière arbitrant finalement en sa faveur. Nous n’avons pu vérifier la réalité de cette histoire que le Louvre dément. Mais, réelle ou non, que les guides conférenciers le croient démontre à quel point ils se sentent mal aimés au sein du Louvre. La manière dont ils sont traités leur donne des raisons de penser cela.

3. La Petite Galerie, exposition Le Mythe des Origines
Photo : Didier Rykner
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À commencer par la perte d’autonomie réelle qu’ils ont dans l’organisation de leur travail. La visite « Bienvenue au Louvre » n’est pas la seule pour laquelle le programme leur est imposé. Comme il faut coller à l’actualité, une grande partie des visites conférences tourne autour de la programmation de la Petite Galerie (voir cet article). On sait que celle-ci (ill. 3) constitue pour Jean-Luc Martinez l’alpha et l’oméga, le condensé de la médiation. Les guides-conférenciers, qui pensent pour beaucoup comme nous que tout cela est très médiocre (« Le Louvre se fait plaisir avec cette Petite Galerie » nous a dit l’un d’entre eux) n’ont pas davantage le choix des visites dans les salles du musée. Ainsi, actuellement, plusieurs sont organisées sur le thème des « hommes de pouvoir ». Comme nous l’explique un guide-conférencier : « Parmi les figures que l’on doit présenter, il y a Darius - sauf qu’il n’y a presque pas de représentations de Darius au Louvre, et Ramsès II - pas de chance, sa sculpture est au Louvre Abu Dhabi. Au moins par exception nous laisse-t-on le choix des œuvres à montrer ».

La baisse de l’exigence du Louvre se lit dans certains sujets de visites-conférences, trop généralistes ou franchement ridicules : alors qu’auparavant étaient programmées des visites-conférences en cinq séances, voire dix séances, sur des thèmes d’histoire de l’art centrés sur des départements tels que « Les coutumes funéraires en Égypte », « La Renaissance italienne » ou « La sculpture française », ou transversaux comme « le portrait », « le baroque européen » ou « le maniérisme », on a droit désormais à « L’Égypte au fil du Nil », « Drôles de dames, portraits de femmes » ou « Monstres et légendes ». « Les familles sont contentes, on leur montre des œuvres. Mais cela finit par ne plus ressembler à rien ».
Le résultat de ces mauvaises conditions d’accueil, et de la pauvreté intellectuelle du programme proposé, c’est que « Toute l’offre proposée aux individuels se concentre sur les familles. Avant on avait un public très important d’amateurs d’art mais ce public fidèle, qui suivait ces cycles depuis des années, se désespère et vient de moins en moins. La RMN a créé des cours d’histoire de l’art au Grand Palais, ils préfèrent aller là. Le Louvre perd volontairement son public d’amateurs. » Comme le confirme un autre guide conférencier, « la RMN a fait d’immenses progrès, et les conférencières se sont pliées à l’évolution, notamment avec ces cours d’histoire de l’art. » Il ajoute « on a l’impression qu’il y a une volonté affichée de faire du grand tourisme, ce qui n’est pas une insulte, mais en même temps ils ne savent pas le faire. Il faut proposer aux touristes une offre cohérente, avec des aires de repos, des toilettes en nombre, propres et fonctionnelles. Ce n’est pas le cas. Ils cassent ce qui fonctionne pour faire quelque chose qu’ils ne savent pas faire. »

Le public pourra de toute façon être rapidement rebuté par la difficulté de contacter le service en charge de vendre les visites-conférences. Celles-ci ne peuvent en effet être réservées en ligne, et il faut appeler le 01 40 20 51 77 tous les jours de 9 h à 16 h du lundi au vendredi. Mais il faut s’armer de patience - nous l’avons testé - car ce numéro est presque injoignable. Soit le répondeur vous demande de rappeler ultérieurement, soit un disque passe en boucle pendant un temps infini, jusqu’à une demi-heure avant que le téléphone ne sonne dans le vide pendant quelques minutes et qu’un interlocuteur réponde enfin. Ce n’est d’ailleurs pas la faute des personnes en charge de cette mission : ils sont en sous-effectif chronique. Comme nous l’a dit un de nos interlocuteurs : « Les services de réservation au Louvre sont en souffrance au travail. Le standard explose car ils n’ont pas les moyens de répondre, étant en nombre très insuffisant. »

Alors que nous mettions la dernière main à cet article, de nouvelles vexations sont mises en œuvre à l’encontre des guides conférenciers. Alors qu’ils recevaient le catalogue des expositions qu’ils devaient commenter, ceux-ci leur sont désormais envoyés en version PDF ! Quant aux visites pour l’exposition Delacroix, elles menacent d’être aussi difficiles que pour Vermeer. Voici ce que nous a écrit un guide conférencier : « Dans sa grande générosité le Louvre nous a donné des cartons d’invitations pour le vernissage et c’est à cette occasion que nous serons priés de faire notre repérage (!). Cette mesure concerne tout le personnel du musée et je pense que cette fois encore, il va y avoir des grincements de dents... Inutile de vous dire que les conférenciers vivent très mal cette énième vexation. » Il y aura, pour Delacroix, obligation de retirer une contre-marque réservée la veille. Comme un autre guide conférencier nous l’explique : « Ce système a été inauguré pour l’exposition Vermeer et il se pérennise. Avant on pouvait entrer sans problème dans l’exposition. C’est un scandale total, il y a un mépris complet de la part de la direction du Louvre. »

On peut s’interroger sur les raisons qui poussent le musée à mal traiter ses conférenciers. Sans doute se sent-il trop lié à la RMN et voudrait-il prendre son indépendance (il s’agit d’une tendance permanente des relations entre les deux établissements). Peut-être considère-t-il aussi que cela lui coûte trop cher, les conférenciers de la RMN bénéficient d’un accord d’entreprise spécifique signé en février 2014. Cet accord prévoit par exemple des journées de 7 h 15 et seulement 4 h 30 de visites (trois fois une heure et demi), des garanties de jours de préparation payés, des primes de langue, un dispositif pour que les agents de plus de 58 ans puissent être affectés à des travaux d’archivage ou de documentation ; l’accord prévoit aussi, sur la base du volontariat, une annualisation du temps de travail. Il y a des moments où la demande de conférences est moins importante, et sans doute le Louvre aimerait-il se dégager de ces obligations, en passant par des sociétés privées qui mettraient des conférenciers à leur disposition en fonction de leurs besoins, avec une exigence qualitative moindre. Mais comme nous l’a fait remarquer un guide conférencier : « Le Louvre comme tous les établissements publics reçoit des subventions pour les handicapés, scolaires, etc. On ne peut pas être établissement public et bénéficier d’aides de l’État, tout en voulant passer par le privé. C’est une des contradictions du Louvre. »

2. Les guides-conférenciers indépendants.

Si la situation des guides-conférenciers du musée n’est pas brillante, celle des indépendants ne l’est pas davantage. Il y a autant de cas que de guides-conférenciers. Certains se spécialisent dans les visites individuelles, certains pour des visiteurs très aisés, d’autres pour des touristes étrangers, d’autres encore pour ce public d’amateurs dont nous parlions plus haut… Nous en avons rencontré quelques-uns et tous se disent exaspérés par la politique du Louvre.

Tout est fait pour entraver leur travail, et cela commence avec l’augmentation délirante des prix des billets et du « droit de parole » - désormais baptisé « droit de visite » car faire payer un droit de parole en France où la parole est libre est illégal - qui touche en premier lieu les visiteurs. Ceux qui prennent un guide-conférencier doivent en effet payer, en plus du prix de la conférence qui rémunère le conférencier, 17 € au lieu des 15 € pour le visiteur ordinaire (sauf bien sûr ceux qui bénéficient de l’entrée gratuite). Et non contents de payer 2 € de plus, ils n’ont pas le droit de revenir dans le musée après la visite-conférence faute de disposer d’un billet individuel, alors que celui-ci est normalement valable pour la journée. Quant au « droit de visite », qui était de 45 € l’année dernière, il a soudainement grimpé à 70 €. Le calcul est vite fait pour les guides conférenciers : « Pour un groupe de dix personnes, je dois payer 70 € de droit de parole, plus 170 € de droit d’entrée. Cela fait donc 240 € que l’on doit payer d’avance, et qui ne nous sont pas remboursés si certains annulent leur visite. S’ils sont plus, on doit payer davantage, mais s’ils sont moins, on ne nous rembourse pas. Comme le droit de parole est dû à partir de 7 personnes, le calcul est vite fait, je ne prends plus que des groupes de six personnes au maximum. Ou plus simple : je n’y vais plus. Plein de groupes décident de ne plus venir au Louvre. » S’ils ne sont pas remboursés dans le cas où le nombre de personnes dans le groupe est moins nombreux que prévu, ils peuvent par téléphone, avant la visite, ajouter de nouveaux visiteurs, au tarif de 17 €. Mais s’ils le font au dernier moment, avant d’entrer dans le musée, le prix passe de 17 à 25 €, soit 10 € de plus que le prix normal d’une entrée. Manifestement, le public des visites conférences est considéré par le Louvre comme des vaches à lait.

Ajoutons à cela que les groupes RMN ne devant plus payer de droit de parole/droit d’entrée, le prix hors tarif de la conférence d’un groupe de dix personnes avec un guide RMN, est donc de 150 €, c’est-à-dire le même que s’ils rentraient individuellement. Un groupe équivalent de dix personnes guidées par un conférencier extérieur doit en revanche payer 170 € plus 70 €, soit 240 €. Ce qui fait exactement 60% de plus. Pour un groupe de 25 personnes, le coût supplémentaire par personne est encore de 32% de plus. Comme nous l’a dit un guide conférencier : « Toutes les conditions sont réunies pour qu’une action devant le tribunal administratif aboutisse à une condamnation du Louvre. En 1996, celui-ci avait déjà été condamné pour avoir imposé un « droit de réservation » pour les groupes extérieurs au musée (on était donc dans la même situation qu’aujourd’hui) ». Le paiement par un visiteur d’un groupe privé de 17 euros de droit d’entrée sans pouvoir ensuite retourner dans le musée, alors que le droit d’entrée normal est de 15 euros, est sans aucun doute tout aussi illégal.

Non seulement le prix des conférences devient prohibitif, mais le service est moins bon que dans la plupart des autres musées : alors qu’Orsay, le Centre Pompidou, le Grand Palais, le Musée Marmottan, le Musée Jacquemart-André, le Luxembourg et d’autres encore fournissent aux groupes un système d’audiophones, ce qui évite aux guides de s’époumoner dans les salles en dérangeant les autres visiteurs, ce système n’est pas fourni par le Louvre !

La réservation des créneaux horaires pour les guides conférenciers externes est très complexe. Pour les collections permanentes, il est possible de réserver par internet, mais le prix doit être payé dès la réservation, soit parfois plusieurs jours à l’avance, alors que le guide conférencier ne connaît pas le nombre exact de personnes qui seront présentes, et sans possibilité, comme on l’a vu, d’être remboursé (sans compter la ponction sur leur trésorerie). Par téléphone, il est possible de ne payer que le droit de visite, et d’appeler la veille pour payer les droits d’entrée, mais les problèmes d’accès au standard sont les mêmes que pour réservations des visiteurs individuels.
Pour les expositions, la seule manière possible de réserver est par téléphone. L’un des guides conférenciers rencontrés nous a expliqué que, pour l’exposition Delacroix, dès l’ouverture des réservations, il avait pris trois téléphones simultanément (un fixe et deux portables) pour essayer de forcer le passage. Il a commencé à 9 h et n’a pu avoir quelqu’un au téléphone qu’à 11 h 30.

Les fermetures des salles toujours plus importantes et bien au delà du « plan d’ouverture garanti » ont des conséquences très gênantes pour les guides. Il arrive qu’ils préparent des visites pour leurs clients, et que le jour dit, les salles soient fermées de manière imprévue. Ecoutons un guide conférencier : « J’organisais une visite ce soir, jour de la Saint-Valentin, sur le thème « L’Amour vu par les peintres au 18ème. Amour filial, charnel, etc. De Watteau au baron Gérard »Les salles sont normalement ouvertes le mercredi soir. Mais une collègue m’a dit « ne fais pas ça ils ferment tout le temps ces salles ». Je suis naïf, j’ai voulu quand même la préparer. Pas de chance, les deux fois où je suis venu, les salles étaient fermées, mais « exceptionnellement » m’a-t-on dit. Cette après-midi, consciencieusement je vais vérifier avant ma visite. Les salles étaient fermées, à cause du froid ! Bien sûr, rien n’était indiqué sur le site. Heureusement que j’avais un groupe de moins de sept personnes, sinon j’aurais en plus payé à l’avance. Je suggère que vous lanciez une souscription pour le chauffage au Louvre ! ». Il ajoute : « Notre public, ce sont des franciliens, des gens cultivés, qui travaillent et qui veulent venir en nocturne et éventuellement le week-end. On se plaisait à faire des visites soit par département, soit transversales ; cela devient désormais très compliqué. » Un autre guide souligne que certains jours, la fermeture de nombreuses salles augmente la fréquentation de celles qui restent ouvertes par un effet mécanique évident, ce qui rend les conditions de visite encore plus difficiles. Sans compter que des œuvres majeures du musée deviennent inaccessibles, comme les taureaux de Khorsabad dont les salles sont fermées tous les mercredis.

Un guide nous a confié qu’il avait jusqu’à maintenant toujours des billets d’entrée au musée sur lui, afin de pouvoir, à la dernière minute, lorsqu’un client l’appelle pour faire une visite rapidement, être très réactif. Mais depuis le mois de janvier, le Louvre ne vent plus de billets à l’avance mais uniquement avec des créneaux horaires ! Cela n’est pas seulement gênant pour les guides : le tabac du Carrousel, qui vendait des billets d’entrée pour le musée, s’est vu privé de cette activité depuis le 1er janvier, ce qui a obligé cet établissement à enlever une journée de paye par semaine à ses salariés pour éviter des licenciements. Comme nous l’a dit ce guide : « On restreint l’accès aux billets, on restreint le nombre d’entrées, on restreint le nombre de salles. Le Louvre rétrécit de l’intérieur et de l’extérieur ». Nous n’avons pas pu éviter de comparer avec ce que le titre d’un de nos précédents articles : « Du grand Louvre au petit Louvre » !

Pour terminer ce chapitre, les guides extérieurs sont également exaspérés par les faux guides, ou les guides sans cartes professionnelles, qui envahissent le musée, rejoignant ainsi le combat des guides RMN : « Avant il y avait une distinction entre les guides touristiques et les conférenciers nationaux qui avaient fait l’école du Louvre et qui avaient passé un concours. Les visiteurs ne peuvent plus savoir désormais à qui ils ont affaire. » Des entreprises dont le siège se trouve hors de France emploient des étudiants étrangers ou des auto entrepreneurs, ce qui fait parler à certains d’« uberisation » du métier de guide conférencier.

3. Les ateliers

Les ateliers d’art plastique, qui ont pour objectif de proposer aux différents types de publics une approche des œuvres du Louvre combinée à la pratique des techniques, sont au moins autant sinistrés que les guides conférenciers. Pourtant, ces activités s’adressent à tous, individuels, familles et scolaires, mais aussi aux autistes et handicapés (dont là encore de nombreux enfants). Or ce public ne peut plus venir ou presque plus, faute de moyens.
Le nombre de plasticiens employés par le Louvre est passé d’une trentaine à une quinzaine en quelques années (le Louvre prétend qu’ils ont toujours été entre 15 et 20 personnes et que cela n’a pas changé, ce que tous mes interlocuteurs ont contesté). Nous avons pu lire une lettre adressée à Jean-Luc Martinez le 9 mars, jour du Conseil d’Administration, par un syndicat qui dénonce leurs conditions de travail, et le nombre de signataires était de douze, qui représentent la quasi intégralité des personnes employées

Le principe était simple : les participants font d’abord une visite des salles du musée en lien avec le thème de l’atelier, puis tout le monde se rend dans le lieu réservé pour les ateliers où ils peuvent pratiquer les techniques étudiées. Or depuis deux ans (lorsque les travaux ont commencé) et dans le meilleur des cas au moins jusqu’en 2020, il n’y a plus de lieu pour les ateliers, ceux-ci devant à terme être installés dans les anciennes salles du département islamique dans l’aile Richelieu. Actuellement, pour ceux qui le peuvent (ateliers dits « non salissants »), ils ont lieu directement dans les salles du musée. Pour les autres ateliers (mosaïque, fresque, pastel, peinture à la colle, peinture à l’huile, collages, cinéma - filmer l’œuvre d’art -, peinture à la cire, etc.), il n’est plus possible de travailler.

L’accueil des participants, y compris des enfants, se fait depuis plus d’un an et encore jusqu’en mai, comme pour les visiteurs des conférences, dans de très mauvaises conditions par la Porte des Lions, très loin d’une grande partie des collections, et souvent sans vestiaires faute de personnel. Comme pour les visites conférences (c’est le même numéro), le standard téléphonique qui accueille les demandes ne répond pas, ou répond après un temps d’attente très long. Les intervenants dénoncent aussi une augmentation forte du prix des ateliers, tant pour les scolaires que pour les familles. Auparavant, les parents qui accompagnaient leurs enfants ne payaient pas l’entrée dans le musée, celle-ci étant incluse dans le prix de l’atelier. Désormais, ils doivent payer l’atelier, plus le prix d’entrée au musée. Pour une famille de deux enfants, qui viennent avec leurs parents, le tarif d’un atelier est donc de 78 € [5] ce qui est effectivement prohibitif.
Résultat : de moins en moins d’ateliers sont organisés, y compris pour les scolaires, de moins en moins de personnes peuvent suivre ces ateliers, les intervenants sont précarisés (leurs contrats sont « vides d’heures », si bien que leur salaire dépend entièrement du nombre d’heures que le Louvre peut leur demander).

Les scolaires sont donc fortement pénalisés, mais encore davantage les enfants handicapés et autistes qui ne peuvent presque plus venir, préférant d’autres musées où ils sont mieux reçus. Nous avons réussi à joindre trois personnes s’occupant d’enfants et de jeunes adultes autistes, qui les amenaient régulièrement au Louvre. Si l’une d’entre elle a répondu qu’elle ne le faisait plus à cause du plan Vigipirate, celui-ci est loin de tout expliquer comme voudrait nous le faire croire le Louvre.
Les deux autres personnes extérieures au Louvre, l’une en charge d’enfants autistes dans une classe dite « Ulis » d’un collège, l’autre s’occupant de jeunes adultes également autistes, nous l’ont confirmé. Laissons parler la première : « Auparavant, nous allions au Louvre, nous restions une demi-heure dans les salles, et ensuite nous allions dans les ateliers. Nous ne le faisons plus car il n’y a plus d’atelier où les enfants peuvent travailler dans le calme. Les enfants du spectre autistique ont besoin de s’isoler du bruit, ils ont une hyperacousie. Il n’est pas du tout possible de faire des ateliers dans les salles. Nous sommes accueillis désormais très bien par d’autres musées comme le musée d’Art moderne et le musée Bourdelle. On y a dispose de vrais ateliers. »
L’autre personne, qui s’occupe de jeunes adultes autistes, avait le rôle de « personne relais », c’est-à-dire qu’elle était formée par des conférenciers afin de pouvoir par la suite les accompagner au musée. Or, elle nous a appris que depuis un an, il n’y a plus de conférenciers mis à leur disposition ! Quant aux ateliers, de son propre aveu : « cela devient très compliqué, d’ailleurs tout le monde se plaint ». Est-ce cela un Louvre plus accueillant ?

Le Louvre, dans la réponse qu’il nous a adressée, nous abreuve de chiffres, dont la plupart n’ont pas de rapport avec les questions que nous abordons ici. Ainsi, en ce qui concerne le public « scolaire/handicap/éloigné de la culture », voici sa réponse : « Pour rendre l’art accessible aux publics éloignés de la culture, le musée du Louvre met en œuvre des programmes sur mesure. Par exemple, en 2017 :
 plus de 2 100 personnes en groupes scolaires, du champ social ou du handicap ont été accueillies de façon privilégiée le mardi, jour de fermeture du musée.
 300 classes étaient partenaires du Louvre pour des projets inscrits dans la durée associant visites au musée et dispositifs pédagogiques du Louvre en classe.
 740 étudiants partenaires ont animé les Nocturnes « les Jeunes ont la parole
 ».

Les intervenants d’ateliers, à qui nous avons soumis cette réponse du Louvre, nous ont répondu à propos de l’accueil du mardi : « si cela est vrai - ce qui est douteux - cela ne se fait pas avec nous ».

4. L’exposition Valentin de Boulogne au Louvre
Photo : Didier Rykner
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Dans la réponse très incomplète que le Louvre nous a faite lorsque nous l’avons interrogé avant de publier cet article, la conclusion porte sur le « taux de satisfaction » des visiteurs du Louvre : « près de 97% des visiteurs sont satisfaits de leur visite, saluant ainsi les projets de rénovation de salles, de la signalétique directionnelle en quatre langues (français, anglais, espagnol, mandarin) et de traduction des textes d’explication de salles et des œuvres en anglais et en espagnol. » On aimerait connaître les modalités de réalisation de cette étude qui n’a pas dû être effectuée auprès des visiteurs des expositions Valentin (ill. 4) ou Vermeer, ni de ceux - fort rares il est vrai - qui s’aventurent dans les salles du Pavillon de l’horloge. Si ces statistiques au relent soviétique sont aussi fiables que les 90% de garantie d’ouverture des salles, on peut légitimement douter de leur justesse Il est vrai qu’un pourcentage de satisfaction ne peut s’adresser qu’aux personnes qui viennent au musée. Tous les autistes ou scolaires qui n’y sont plus reçus faute de conditions de visite décente ne sont pas comptés dans ces 97% de visiteurs satisfaits, un chiffre néanmoins parfaitement crédible pour ceux qui se contentent de venir deux heures au Louvre voir la Joconde et la Vénus de Milo. Si le Louvre « accueillant » de Jean-Luc Martinez est uniquement celui du tourisme de masse, nul doute que son objectif est atteint.

Didier Rykner

Notes

[1« Je veux mettre la médiation et l’accueil du public à la première place » dit-il dans une interview à Pèlerin, 20 février 2014.

[2Le Louvre a répondu à cela en nous résumant le programme des visites conférences destinée au public individuel, que nous reprenons intégralement ici mais qui ne change rien à notre constat : « La programmation des visites pour le public individuel est constituée de :
 une visite quotidienne Bienvenue au Louvre (1 en français et 2 en anglais en période ordinaire, 2 en français et 2 en anglais par jour pendant les vacances scolaires, enfin jusqu’à 8 par jour en été) qui comprend l’histoire du Louvre (palais et collections) + la découverte des chefs-d’œuvre dont les trois chefs-d’œuvre que vous citez mais pas uniquement. La conclusion se fait dans la salle de la Chapelle pour y montrer la diversité des collections et inciter le visiteur à rester dans le musée pour se diriger vers ce qu’il a envie de découvrir.
 une visite quotidienne de l’exposition du Hall Napoléon (nouveau)
 une visite hebdomadaire de l’exposition Arts graphiques de la Rotonde Sully (nouveau)
 une visite hebdomadaire à destination des familles dans Petite Galerie (nouveau)
 les mercredi, samedi et dimanche, 2 visites à destination des familles dans les collections du musée. 4 thèmes par trimestre. Ce mois-ci, le thème « les animaux au Louvre » (nouveau)
 chaque samedi une visite des collections permanentes collection par collection (nouveau).
 »

[3Elle n’offre d’ailleurs d’intérêt pour à peu près personne comme nous l’avions déjà expliqué ici.

[4Souligné en gras dans le rapport.

[5Les parents payent chacun 15 € pour l’entrée du musée, et 15 € pour l’atelier, les enfants payent chacun 9 € pour l’atelier, l’entrée du musée étant gratuite.

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