Vente du patrimoine de l’Etat : toujours plus !

On doit reconnaître une chose au gouvernement de Nicolas Sarkozy : son obstination à s’attaquer au patrimoine historique. Alors que l’avis conforme des architectes des bâtiments de France dans les ZPPAUP est toujours gravement menacé (nous y reviendrons bientôt), alors que les éoliennes se développent de manière anarchique allant jusqu’à menacer le site du Mont-Saint-Michel, alors que l’on s’apprête à privatiser l’Hôtel de la Marine, un nouveau coup va être porté aux monuments historiques par la loi de finance de 2010.

Nous avions dénoncé en son temps l’opération de décentralisation de monuments appartenant à l’Etat initiée par Jean-Jacques Aillagon lorsqu’il était ministre de la Culture (voir l’éditorial du 22/6/03). Celle-ci avait clairement échoué comme nous l’avions plusieurs fois affirmé et contrairement à ce que prétendait le ministère, puisque très peu d’entre eux avaient finalement été récupérés par les collectivités locales. Il fallait donc aller plus loin, et plus vite. L’article 52 de la loi de finance, en cours de discussion au parlement, va le permettre. Signalons que Le Journal des Arts, sous la plume de Sophie Flouquet, a été le premier (et le seul à notre connaissance), à alerter l’opinion sur cet article « ajouté en catimini […] à la demande du Premier Ministre, sur lequel Frédéric Mitterrand s’est bien gardé de communiquer » [1].

Il est donc prévu de supprimer tous les garde-fous qui avaient malgré tout été posés en 2003 :

- une liste, établie par une commission présidée à l’époque par René Remond, avait été constituée afin de prendre en compte certains critères patrimoniaux ; celle-ci prévoyait notamment que les monuments considérés comme d’importance nationale devaient rester dans le giron de l’Etat : demain, tous les monuments appartenant à celui-ci pourront être transférés au collectivités locales ;

- seuls les édifices dépendant du Centre des Monuments Nationaux pouvaient être transférés : désormais, ce sont tous ceux appartenant à ses « établissements publics » ;

- les bâtiments devaient être cédés comme un ensemble : demain, c’est « tout ou partie des immeubles » dont la propriété pourrait changer,

- les objets mobiliers étaient relativement épargnés puisque seuls ceux appartenant aux monuments transférés étaient également cédés et que la liste n’en comportait aucun : désormais, n’importe quel objet mobilier classé ou inscrit peut être cédé à une collectivité territoriale.

- La possibilité de transfert était très réduite dans le temps (un an après la parution du décret précisant les monuments pouvant être concernés) : à l’avenir, cette possibilité de transfert sera permanente,

- Le ministère de la Culture n’étant pas prévu dans le processus initial, n’aura jamais son mot à dire : tout dépendra du « représentant de l’Etat », c’est-à-dire du préfet.

La motivation du gouvernement est évidente : les monuments historiques coûtent cher, il est donc urgent de s’en débarrasser. Pour résumer de manière simple : si ce texte est voté par le Parlement, tout monument, musée ou objet appartenant à l’Etat pourra être transféré sur seule décision du préfet à n’importe quelle collectivité territoriale pourvu qu’elle en fasse la demande [2]. Pourquoi pas une cathédrale ? Pourquoi pas le Petit Trianon (ill.), puisque les immeubles peuvent être divisés ? Pourquoi pas un musée national ?

Si un jour la collectivité territoriale n’est plus capable de prendre en charge l’entretien de l’édifice, rien ne l’empêchera de le revendre à n’importe qui puisque aucune disposition contraire n’est prévue. Ainsi, chaque monument ou musée appartenant à l’Etat aurait vocation à se retrouver en mains privées. Certes, l’appartenance au domaine public des collectivités territoriales suppose, comme pour le domaine public de l’Etat, l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité. Mais la sortie du domaine public est d’autant plus facile pour une collectivité territoriale que le contrôle de l’Etat tend à se faire plus lâche. Il suffira de déclasser l’immeuble sous prétexte qu’il n’est plus « affecté à un service public ou à l’usage direct du public ». Et une chose est certaine : si les monuments et les objets appartenant à l’Etat sont soumis à un certain contrôle des conservateurs des monuments historiques, celui-ci est quasiment inexistant lorsqu’il s’agit de biens appartient à une ville, à un département ou à une région.

A l’heure où le gouvernement lance un débat contestable sur l’ « identité nationale », on est en droit de s’interroger : l’identité nationale ne passe-t-elle pas d’abord par le patrimoine national, propriété de tous, que l’Etat a le devoir de protéger ? Voila une nouvelle question que nous aimerions poser au ministre de la Culture.

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