Vente d’un cycle décoratif d’Henri Martin pour un édifice public de Béziers

1. Henri Martin (1860-1943)
Idylle champêtre à l’étang de Thau, 1932
Huile sur toile - 198,1 x 339,6 cm
Béziers, Chambre de Commerce
Doit être vendu à Londres chez Christie’s le 25 juin 2008
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Le 25 juin 2008, Christie’s proposera aux enchères à Londres un cycle de peintures décoratives par Henri Martin. Le vendeur est la Chambre de Commerce et d’Industrie de Béziers. Cet ensemble avait été commandé à l’artiste en 1932 pour orner la Salle des Délibérations, au premier étage du bâtiment. Pour faire bonne mesure, le décor sera dépecé et vendu tableau par tableau !

Originaire de Toulouse, Henri Martin entre en 1877 à l’Ecole des Beaux-Arts de cette ville avant de monter à Paris où il devient l’élève de Jean-Paul Laurens. Marqué par le Symbolisme de Gustave Moreau et de Puvis de Chavanne comme par le néo-impressionnisme de Seurat, il fut l’auteur de paysages et de scènes de la vie contemporaine et l’un des décorateurs les plus actifs dans le premier tiers du XXe siècle. On trouve ses décors à Paris (Hôtel de Ville, Mairie du Ve, Mairie du VIe, Mairie du Xe, Sorbonne, Conseil d’Etat au Palais-Royal,...) comme en Province (Hôtel de Ville de Tours, Préfecture du Lot, Hôtel Terminus de la gare de Lyon-Perrache, Capitole de Toulouse,...).
Notons qu’Henri Martin peignit aussi un Apollon et les Muses dans le hall de la Chambre de Commerce de Béziers. Contrairement aux tableaux vendus à Londres, réalisés sur toile et probablement (nous n’avons pas vu de photos du décor en place) insérés dans des boiseries, cette peinture est réalisée directement sur le mur. De nombreux artistes locaux ont également participé aux travaux de décoration de ce bâtiment comme le peintre Raoul Guiraud (artiste auquel le musée consacrera bientôt une exposition) ou le sculpteur Jean-Antoine Injalbert. Ces œuvres, pour la plupart d’entre elles, sont encore en place.
Les peintures mises en vente sont de très belle qualité et d’une grande poésie, inondées de la lumière méditerranéenne. L’ensemble est constitué de quatre toiles de format vertical (ill. 2 et 3) et de deux plus grandes compositions horizontales (ill. 1) représentant des scènes de vendange et de la vie campagnarde. Peintes dans un style encore pointilliste, les influences de Jean-François Millet et de Segantini sont visibles, particulièrement dans la scène d’Idylle (ill. 1). Leur estimation est très élevée (de 300 000 à 400 000 livres chacune).


2. Henri Martin (1860-1943)
Scène de vendange, 1932
Huile sur toile - 205,2 x 109,5 cm
Béziers, Chambre de Commerce
Doit être vendu à Londres chez
Christie’s le 25 juin 2008
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3. Henri Martin (1860-1943)
Scène de vendange, 1932
Huile sur toile - 205,2 x 109,5 cm
Béziers, Chambre de Commerce
Doit être vendu à Londres chez
Christie’s le 25 juin 2008
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Vendre un décor conçu pour un bâtiment public, encore conservé in situ, est évidemment parfaitement scandaleux. De deux choses l’une : soit tout s’est déroulé de manière légale, et cela prouve clairement que la loi et les procédures en place ne sont pas adaptées. Soit ceci n’est pas conforme à la législation et la vente doit être annulée.
La Chambre de Commerce et d’Industrie est un établissement public. On peut donc se poser la question de savoir s’il peut disposer à son gré des œuvres d’art qu’il conserve, surtout lorsqu’il s’agit d’éléments de décor inclus depuis l’origine dans le bâtiment, donc immobiliers par destination, voire par nature ? A priori non. Ce point devra être approfondi.
Mais au delà de la pure légalité, il y a l’aspect moral de cette histoire (un mot bien désuet, il est vrai). Comment peut-on accepter de démanteler un ensemble décoratif tellement lié à l’histoire économique locale de son époque ? Consciente du scandale que pouvait provoquer cette vente, la Chambre de Commerce s’est bien gardée d’en faire la publicité. Les services de la DRAC n’ont pas été informés de la mise aux enchères d’une partie importante du patrimoine biterrois. Ce projet n’a pas non plus été signalé au musée ni à la municipalité, qui ont découvert cette affaire lorsque nous les avons contactés, comme nous l’a confirmé Olivier Guiraud, conseiller municipal chargé des Arts Plastiques et des Musées. Le directeur de la Chambre de Commerce doit se sentir bien coupable pour avoir promis à plusieurs reprises de nous rappeler afin de nous préciser sa position et les conditions de la vente, et ne l’avoir jamais fait.

Les différentes personnes que nous avons pu contacter se montrent circonspectes sur ce dossier. La législation s’avère fort complexe, difficile à appliquer et pouvant laisser libre court à toutes sortes d’interprétations. Les œuvres d’art appartenant aux institutions publiques ne sont en effet pas suffisamment protégées. L’interdiction de sortie n’est pas non plus adaptée à un tel cas où il s’agit de conserver un cycle décoratif en place. Car on ne voit pas un mécène privé débourser 1,5 à 2 millions d’euros pour maintenir un ensemble in situ.
L’inaliénabilité des œuvres des musées ne semble - pour le moment - plus menacée. Est-ce une raison pour accepter la mise à l’encan du patrimoine mobilier de tous les bâtiments publics n’ayant pas de vocation muséographique ? Cette vente pourrait ouvrir la porte aux pires dérives [1]. Nous sommes confrontés ici, une nouvelle fois, à un vandalisme officiel.
Notre enquête a provoqué quelques remous au sein de la DRAC, de la ville et des services nationaux du ministère de la Culture. Ceux-ci et une nécessaire mobilisation locale pourront-t-il aboutir à empêcher la vente ? Espérons-le sans trop y croire.

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