Valoriser en détruisant : l’oxymore du Havre

3 3 commentaires
1. Marcel Chauvenet (1906-1988)
La Ronde sur la mer, 1949
Port du Havre
Photo : P. Michel-Courty
Voir l´image dans sa page

Quand on veut détruire un monument historique, on l’accuse désormais de « ne plus répondre aux standards d’efficacité énergétique », et de « présenter un risque sanitaire ». Ce sont les raisons ahurissantes données par le Port du Havre pour justifier la démolition de la Gare Maritime (voir l’article), et endossées immédiatement - les éléments de langage sont bien rodés - par le maire de la ville, Jean-Baptiste Gastinne, dans les réponses qu’il fait à ses administrés qui s’indignent à juste raison de ce vandalisme : « Cette Gare ne répondait plus aux standards d’efficacité énergétique actuels et présentait un risque sanitaire en raison de nombreuses traces d’amiante »

Protéger le patrimoine, une mission déjà difficile actuellement, va donc devenir dans bien des cas impossible. Nous aimerions savoir si la Sainte Chapelle ou Versailles « répondent aux standards d’efficacité énergétique actuels ». Et nous voudrions savoir pourquoi les horribles tours Montparnasse et Jussieu (qui présentaient un peu plus que des « traces d’amiante ») ont été désamiantées, et non détruites. Car nous sommes heureux d’informer le maire du Havre qu’il est possible de désamianter un bâtiment sans le démolir.

Le Port du Havre ne se contente pas de trouver des arguments ineptes pour justifier la démolition. Il ose prétendre, dans le même communiqué diffusé avant-hier le 3 juin, qu’il est « engagé dans la protection de son patrimoine culturel ». Ou comment détruire un chef-d’œuvre de l’Art déco en affirmant qu’on le protège. On apprend ainsi que le Port du Havre est engagé dans « une démarche volontariste de gestion de son héritage parmi lequel figurent les œuvres de la Gare Maritime ». Le volontarisme des bulldozers sans doute ?
On découvre par la même occasion que les ferronneries que nous admirions tant sont - faut-il s’en étonner ? - du plus grand ferronnier des années 30, Raymond Subes, et que « parmi les nombreuses pièces majeures », les sculptures sont de Georges Saupique et un grand relief, La Ronde sur la mer, de Marcel Chauvenet (ill.). Tout cela ne sera pas détruit (il ne manquerait plus que ça) mais déposé (deux mosaïques l’avaient déjà été l’année dernière), comme s’il était suffisant de conserver les éléments de décor en détruisant l’architecture qui l’abrite. À ce compte, on pourrait tout aussi bien détruire une cathédrale, du moment qu’on en garderait les vitraux et les sculptures ?

2. Le grand hall de la gare maritime
transatlantique du Havre
Carte postale ancienne
Voir l´image dans sa page

Car les photos démontrent ce qu’apparemment ni le Port du Havre ni la Ville (ni manifestement la DRAC Normandie qui ne l’a pas protégée) ne sont capables de voir : la gare Maritime du Havre était une œuvre d’art totale, où le décor forme un tout avec l’architecture, qui est d’ailleurs remarquable en elle-même (ill. 2). Rien d’étonnant d’ailleurs, c’est très souvent le cas dans les constructions de cette époque.
Comment peut-on détruire ce monument et oser dire simultanément, comme le fait le directeur général d’HAROPA-Port du Havre, « La richesse de notre patrimoine maritime et portuaire témoigne de l’identité de la Ville et de son Port, chère aux Havrais. Cet héritage n’est pas accessoire ; il était de notre devoir de le préserver et d’en assurer la valorisation tout en accompagnant le développement économique de notre territoire. » Car la vérité, c’est qu’ils n’ont pas préservé cet héritage, ils l’ont détruit.

Mais heureusement - on est rassuré - « le port veut rendre accessible au grand public cette collection d’œuvres uniques  [1], via notamment des projets d’expositions  [2] » Traduction : « on va conserver ces œuvres en réserves, et on vous les montrera de temps en temps, n’est ce pas aimable de notre part ? ». Et mieux encore : «  Un ouvrage mémoriel  [3], qui recueillera des témoignages, photos et autres documents, sera en outre publié aux Éditions des Falaises et disponible en librairie dès l’automne prochain grâce au soutien d’acteurs impliqués dans la valorisation du patrimoine maritime et portuaire. » On peut désormais détruire, mais en publiant un livre sur le monument détruit, on le valorise. Et pourquoi pas, demain, un spectacle en 3D avec reconstitution de la gare maritime qu’on aura ainsi encore mieux « valorisée » ?


Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.