Une pétition mise en ligne contre le déménagement des réserves du Louvre

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Une pétition s’adressant au président de la République et demandant à celui-ci de reconsidérer la décision prise par le Louvre de délocaliser à Liévin, à proximité du Louvre-Lens la totalité ou presque de ses réserves, vient d’être mise en ligne.

Si j’ai accepté, à la demande des rédacteurs de ce texte, de faire partie de son comité de parrainage, aux côtés de plusieurs anciens directeurs de département du Louvre, La Tribune de l’Art n’en est pas l’auteur et n’en est pas l’initiateur.
Les arguments employés sont fort proches dans leur formulation de ceux de la lettre adressée par 42 conservateurs du musée à la ministre de la Culture, qui a cru devoir n’en tenir aucun compte. Nous mettons en lien ici cette lettre et la réponse faite par Fleur Pellerin.

Nous n’ignorons pas, pas davantage que les conservateurs du Louvre, la nécessité de mettre à l’abri les œuvres en réserve qui ne pourraient pas être évacuées à temps en cas de crue de la Seine. Nous n’ignorons pas non plus les arguments que Jean-Luc Martinez, le président-directeur du musée, nous avait opposés lors de l’interview qu’il nous avait accordée.
Nous renvoyons à notre premier article sur ce sujet qui donne nos propres arguments qui nous opposent à cette idée. Nous les complèterons par quelques réflexions qui devraient, à notre sens, accompagner les actions à mener.

Avant toute chose, cela fait quinze ans au moins que la menace d’une crue est avérée et que, si l’on en croit le Louvre et le ministère, des œuvres sont en danger permanent durant l’hiver. Cette situation, dont a hérité Jean-Luc Martinez, n’a évidemment que trop duré. Puisque, quelle que soit la solution retenue, elle ne sera effective que dans plusieurs années, la seule chose qui aurait dû être mise en œuvre depuis longtemps, était de louer à proximité de Paris, comme d’autres musées [1] l’ont fait, des entrepôts afin d’extraire immédiatement du Louvre les œuvres qui ne pourraient pas en être évacuées en moins de 72 h, temps dont on disposera à partir du lancement de l’alerte.
Il est invraisemblable qu’une décision qui engagera le Louvre sur le long terme (probablement pour le siècle à venir) soit prise sous une menace immédiate sans qu’on ne fasse rien pour s’y soustraire rapidement. Supprimer ce risque imminent permettrait de commencer à réfléchir sereinement plutôt que d’imposer une solution désastreuse sous prétexte qu’il y a urgence.

On nous dit aujourd’hui que toutes les options ont été étudiées et que la seule viable serait d’envoyer les réserves à Lens. Nous n’en croyons rien.
On nous dit que trouver une solution plus proche du musée serait beaucoup trop coûteux par rapport à celle de Lens, sans jamais nous l’avoir démontré. Et en admettant que le Louvre n’ait pas les moyens de résoudre cette question seule, c’est bien la responsabilité du ministère de la Culture et, plus largement, du gouvernement et du président de la République, qui est engagée sur cette affaire. Le Louvre n’est pas un établissement comme les autres. Il est un des plus grands musées du monde, une vitrine pour la France, un élément essentiel pour la culture de notre pays et pour son développement touristique. Si la situation exige des moyens exceptionnels, le gouvernement doit les lui donner.

Le texte de la lettre à la ministre, venant des conservateurs du Louvre, affirmait que« les possibilités offertes par l’actuel Palais du Louvre pour reloger les 8500 m2 de réserves inondables n’ont pas été suffisamment étudiées et qu’il recèle un potentiel non négligeable en la matière ». Nous ne prendrons que deux exemple (mais il en existe certainement des centaines) : la documentation des peintures du musée du Louvre accueillait encore récemment de grands tableaux qui y étaient exposés et qui depuis ont été enlevés. Va-t-on les envoyer à Lens ? Le pavillon Denon vient d’être doté d’un grand espace de vente (nous y reviendrons dans les prochains jours) au détriment de plusieurs grands tableaux qui ont rejoint les réserves. Va-t-on les envoyer à Lens ?
Plutôt que de partir du postulat que les réserves doivent partir à Lens, il faudrait peut-être déjà se poser les questions suivantes :

 comment optimiser le nombre d’œuvres conservées au Louvre, soit dans les salles, soit dans les coulisses (bureaux, documentations...) sans craindre d’aboutir à des accrochages trop serrés ? Mieux vaut trop d’œuvres sur les murs que ces mêmes œuvres conservées dans des réserves loin du musée ;

 quelles sont les œuvres qui peuvent, sans trop de dommage, être envoyées dans des réserves externes, même lointaines (tableaux roulés qu’on ne peut à court terme au moins, dérouler et exposer, œuvres de qualité objectivement trop médiocre pour être exposées ou n’ayant que peu d’intérêt scientifique...) ?

 quelles sont les œuvres que l’on peut conserver en réserves au Louvre en ayant l’assurance de pouvoir les évacuer en 72 h ? À ce propos d’ailleurs, a-t-on prévu la possibilité - et cela ne peut se faire que par une décision gouvernementale - de réquisitionner l’armée en cas de crue afin d’aider à l’évacuation, ce qui permettrait d’être plus rapide et plus efficace ?

 quels sont les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour permettre à certaines œuvres (on pense ici aux sculptures en marbre ou en pierre) d’être protégées pendant quelques jours d’une montée des eaux ? N’est-il pas possible d’étudier leur conditionnement temporaire sous des plastiques imperméables qui leur permettraient de supporter une période courte d’inondation sans dommages ? Nous ne savons pas si une telle solution est possible, mais a-t-elle été étudiée ?

 que peut-on stocker dans les espaces disponibles sous les nombreux dômes du Louvre ? Les conditions climatiques y sont très mauvaises nous a dit Jean-Luc Martinez. Mais combien coûterait une mise aux normes ? Est-il vraiment irréalisable de les utiliser en partie, pour certains types de collections, comme réserves permanentes ? On rappellera par exemple qu’au Musée des Arts Décoratifs, situé également dans le Palais du Louvre, les combles du dôme du pavillon de Marsan sont utilisés pour présenter les collections permanentes.

Bref, toutes ces questions et beaucoup d’autres mériteraient d’être posées sereinement, sans agir sous le coup de la précipitation. On constaterait sans doute que des solutions intermédiaires (et pas forcément beaucoup plus coûteuses) pourraient être envisagées.

Car les arguments de la pétition sont tous pertinents et méritent une réponse. Non, on ne peut envisager des déplacements permanents d’œuvres entre Paris et Lens sans que cela entraîne de graves risques pour leur conservation ; oui, scientifiquement, des réserves ne peuvent tenir leur rôle si elles se trouvent à plus de 200 km de leur musée ; oui, les frais de fonctionnement du musée exploseront (annihilant à terme les supposées économies d’investissements)...
Que la situation actuelle où les réserves sont morcelées en plusieurs endroits, parfois hors du musée et dans des locaux pas forcément adaptés, soit loin d’être idéale comme nous l’a dit Jean-Luc Martinez, est certainement exact. Mais on ne peut troquer un état des lieux non satisfaisant mais temporaire à une très mauvaise solution permanente.

On terminera sur les premiers signataires de la pétition. On n’y trouvera aucun conservateur étranger. Pourtant, tous ceux que nous connaissons sont effarés par cette idée. Mais ils ne peuvent pas apparaître comme signataires car ils ont peur de compromettre les collaborations futures avec le musée du Louvre. Un conservateur américain nous a écrit ceci : « Tout le monde est d’accord avec le principe de cette pétition, mais nous sommes tous dans le même bateau, nous ne voulons pas être vus comme critiquant publiquement des collègues du Louvre qui prennent ensuite les décisions sur les prêts ou la coopération avec nos musées. Conserver les réserves du Louvre en sous-sol près de la Seine est une très mauvaise idée. Mais les envoyer à Lens est une très mauvaise idée, il faudrait privilégier quelque chose en banlieue. En réalité, des réserves hors sites ne sont pas souhaitables, parce que cela exclut l’engagement quotidien pour la collection, même si les œuvres ne sont pas montrées ».

Un autre conservateur américain, qui souhaite lui aussi garder l’anonymat, aurait bien aimé signer mais nous a dit ne pas le pouvoir pour des raisons politiques relatives à l’entente de son musée avec le Louvre.

Bref, nous n’avons pas lancé cette pétition, mais nous pouvons témoigner qu’elle correspond à un état d’esprit largement partagé par la plupart des professionnels des musées. Nous invitons les lecteurs de La Tribune de l’Art à parler pour eux.

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