Un tableau inédit de Jacob Van Oost le Jeune ?

Le Nord de la France et ses abords, ce que nous pourrions appeller ici la Flandre française, a payé un lourd tribut aux conflits successifs qui l’ont ravagé. A une période assez récente, et comme dans l’Est de la France, certains villages ont été parfois détruits en quasi-totalité entre 1914 et 1918. C’est le cas de Fleurbaix, commune du Pas-de-Calais située entre Lille et Armentières, alors ruinée à 90 %. L’église actuelle, toute parée de brique, date de la grande campagne de reconstruction des années 1920. Sur l’un de ses murs, parmi de rares tableaux modernes, on remarque pourtant, assez rapidement, une toile plus ancienne représentant le Mariage mystique de sainte Catherine [1] (ill. 1), dont la qualité ne souffre guère de ses légers manques, notamment du côté gauche.


1. Jacob Van Oost le jeune (1639-1713)
Le Mariage mystique de sainte Catherine
Huile sur toile - 175 x 222 cm
Fleurbaix, Eglise
Photo : Patrick Wintrebert
Voir l´image dans sa page

C’est sans doute au moment de son classement au titre des Monuments Historiques, en 1975, qu’un rapprochement a été trop rapidement fait avec le modèle bien connu de Pierre de Cortone. En l’absence de clichés disponibles, c’est cette mention qui avait éveillé mon intérêt et qui m’avait fait entrer en contact avec Patrick Wintrebert, Directeur des Archives Départementales et Conservateur des Antiquités & Objets d’Art du Pas-de-Calais. Lorsque les photographies qu’il prit alors à ma demande me sont parvenues, le patrimoine des églises de France avait sans doute perdu une énième copie de Cortone mais il nous offrait en échange un merveilleux tableau, revenant, sans nul doute, à l’un de ces artistes que l’on classe généralement dans l’entourage, ou la suite, de Rubens.

Malgré le contraste apparent entre la figure de la Vierge, si proche par son ampleur des modèles du Maître ou de son principal élève, Van Dyck, et l’élégance du profil de la sainte, cette composition présente une réelle harmonie d’ensemble. Le traitement des drapés et de la lumière presque dorée, éclairant aussi bien la scène principale que la trouée dans le beau paysage fermant la composition sur la droite, sont particulièrement bien venus. Nous sommes ici en présence d’un tableau certainement peint dans les années 1670, sans que l’on puisse immédiatement identifier son auteur. Après quelques fausses pistes, conduisant notamment vers Abraham Van Loon, un consensus s’est progressivement dégagé entre les suggestions des différents historiens et spécialistes que nous avons consultés. De fait, la comparaison du tableau de Fleurbaix avec certaines de ses œuvres permet d’envisager que ce Mariage mystique revienne à Jacob Van Oost le jeune (1639-1713), dont il constituerait l’un des chefs-d’œuvre.

Souvenons nous que cet artiste, né et mort à Bruges, qui fut l’élève de son père dont il porte le prénom, source de certaines confusions, a fait l’essentiel de sa carrière en France. Hormis un séjour de deux ans, à Paris, dans les années 1660, qu’il aurait poursuivi par un voyage plus court en Italie, il s’établit très vite à Lille, où il se marie, en janvier 1670. Pendant plus de quarante ans, sa maîtrise et son talent de peintre d’histoire et de portraitiste, vont lui permettre d’obtenir d’importantes commandes et d’occuper, dans la cité, une belle position sociale, bourgeois de la ville et marguillier de la Madeleine. Plusieurs de ses ouvrages, exécutés pour différents établissements religieux de la région, sont encore mentionnés, dans les années 1760-1770, par Jean-Baptiste Descamps [2] ou cités, un peu plus tard, au moment de la Révolution. Certains s’y trouvent encore ou sont désormais conservés dans des musées français (Lille, Tourcoing, Douai, etc.) ou belges (Bruges, Leuwen). Cependant nous n’avons pas retrouvé, dans les sources, la trace de ce Mariage mystique [3].

2. Jacob Van Oost le jeune (1639-1713)
Le Mariage mystique de sainte Catherine (detail)
Huile sur toile - 175 x 222 cm
Fleurbaix, Eglise
Photo : Patrick Wintrebert
Voir l´image dans sa page

D’un point de vue stylistique, cet éclairage, ces anges juvéniles et ce traitement des visages féminins (ill. 2), notamment dans le rendu du nez, avec ce dessin bien marqué de l’aile, semblent assez caractéristiques de Jacob Van Oost le jeune puisqu’on les retrouve dans plusieurs tableaux de l’artiste. Ainsi, l’ange vu de face à Fleurbaix est, apparemment, celui du grand Saint Jean de la Croix pansant la jambe d’un frère Carme du Musée des Beaux-arts de Lille [4], le nez assez typé se retrouve, par exemple, dans la sainte Anne de l’Éducation de la Vierge conservé à Tourcoing [5]. Enfin, le modèle féminin de la Vierge de Fleurbaix semble être celui d’un portrait de jeune femme, représentée en sainte (?), tableau qui a été exposé à Boston, en 1992 [6] . Seules les figures de l’Enfant et des puttis, souvent plus charnus chez Van Oost, et l’absence dans son corpus actuel d’une figure de Vierge aussi « vandyckienne », avec son ample drapé, apportent de premières réserves à cette séduisante hypothèse.

La plus importante de ces réserves tient toutefois dans le contraste qu’offre la qualité évidente de ce tableau et son inventivité (la figure en repoussoir de l’ange de gauche) avec sa production habituelle. On a l’impression que si Van Oost est bien l’auteur du tableau de Fleurbaix, il aurait réussi ici un chef-d’œuvre, mélange de maîtrise et de créativité permettant de renouveler un thème assez fréquent, qu’il se serait trouvé dans l’incapacité d’égaler par la suite [7].

Moana Weil-Curiel

Notes

[1Huile sur toile, 175 x 222 cm. Classé M. H. le 25 juillet 1975.

[2Jean-Baptiste Descamps, Voyage pittoresque de la Flandre et du Brabant, avec des réflexions relativement aux arts et quelques gravures, Paris, 1769 (puis 1772).

[3C’est à peine si nous pouvons mentionner qu’il existait, à Fleurbaix, une chartreuse, appelée Chartreuse de la Boutillerie ; disparue à la Révolution, sur laquelle nous ne possédons aucune archive (indication fournie par M. Wintrebert).

[4Inv. P 104. Huile sur toile, 210 x 495 cm.

[5Inv. D988.1.1. 8 (dépôt de l’église Saint-Christophe), huile sur toile, 110 x 142 cm.

[6Huile marouflée sur toile, 40,3 x 31,7 cm. Cf . le catalogue d’exposition Prized Possessions : European Paintings from Private Collections of Friends of the Museum of Fine Arts [dir. Peter C. Sutton], Boston, Museum of Fine Arts, 1992.

[7On songe à ce Repos de la Sainte Famille conservé à La Chapelle-La Reine (77), souvent attribué à Frère Luc, et qui offre le même contraste entre cet unicum et la production courante de cet artiste.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.