Un nouveau tableau de Louis Licherie (1629-1678) ?

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1. Louis Licherie (1629-1687)
Abigail apportant des présents au roi David
Huile sur toile - 140 x 215 cm
Paris, École nationale supérieure des beaux-arts
Photo : Ensba
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Malgré quelques articles assez anciens [1] et des recherches universitaires plus récentes [2], Louis Licherie, parfois appelé Licherie de Beurie [3] (1629-1687) demeure assez mal connu. Né à Houdan, passé par l’atelier de Louis Boullogne le Père, il fait partie de ces artistes très vite parvenus dans l’orbite du Premier peintre Charles Le Brun où ils se sont en quelque sorte dissous. Entré dans son équipe en 1666, il est nommé, dès l’année suivante, directeur de l’école de dessin de la Manufacture des Gobelins, poste qu’il occupe jusqu’en 1670 avec des émoluments se montant, selon Guillet de Saint-Georges, à 600 livres par an. Sa progression à l’Académie Royale de Peinture & de Sculpture est tout aussi rapide : reçu le 18 mars 1679 (son Morceau de réception Abigail apportant des présents au roi David est conservé à l’ENSBA [4] - ill. 1), il est nommé Adjoint à Professeur deux ans plus tard. Mais, assez curieusement, Louis Licherie semble avoir été surtout un peintre d’église (autel des Invalides, modello à Rouen, et tableaux - perdus [5] - pour Saint-Germain l’Auxerrois) ou de monastères (Grands-Augustins, Lazaristes de Paris, Dames religieuses d’Houdan, Chartreuse de Bourg-Fontaine, etc.) plutôt que de décors, qui constituent pourtant une part importante de la production de Le Brun et de son atelier.

Le catalogue de ses peintures (les dessins sont souvent plus reconnaissables), longtemps limité à ceux de l’ENSBA [6], de Saint-Étienne du Mont [7], de Rouen [8], de Nantes [9], de Dijon [10] et Cherbourg [11], auxquels s’ajoutent quelques gravures portant la mention « Licherie pinx[it] », ne peut que s’étoffer. Au XIXe siècle, Bellier de la Chavignerie avait déjà soit identifié (le maître-autel de l’église d’Houdan) soit ajouté quelques tableaux – dont celui de Cherbourg – « aux principaux ouvrages » énumérés par Guillet de Saint-Georges [12]. Les découvertes les plus intéressantes de ces dernières années sont le dessin de contrat et deux des tableaux de la Vie de Cyrus qu’il avait peints en 1671 [13] pour la « campagne » de Jacques de Vitry, greffier parisien intéressé dans la Compagnie des Indes Orientales [14], et des vues en perspective de la Chartreuse de Bourg-Fontaine, accompagnées de quelques portraits, publiés ici même (2 septembre 2014). Si, au cours du temps, certaines de ses œuvres ont pu être attribuées au premier peintre ou à son « atelier », que ce soit Francois Verdier ou Louis Testelin [15] (comme ce fut le cas à Dijon), elles l’ont parfois été à des artistes stylistiquement plus éloignés.


3. Louis Licherie (1629-1687)
Sainte Famille
Huile sur toile - 85 x 111 cm
Cherbourg, Musée Thomas Henry
Photo : Musée Thomas Henry
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2. Ici attribué à Louis Licherie (1629-1687)
Repos de la sainte Famille
Huile sur toile - 85 x 111 cm
Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage
Photo : Musée de l’Ermitage
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L’élégance de la composition et la vivacité du coloris, perceptible jusque dans les ailes des anges, de ce Repos de la Sainte Famille (ill. 2) conservé à l’Ermitage [16] expliquent sans doute son attribution ancienne à Jacques Stella. Mais le type de la Vierge renvoie assez directement à la Sainte Famille de Cherbourg (ill. 3) dont l’Enfant a peut-être servi de modèle au saint Jean de notre tableau. Si le discret hommage à Raphaël, par l’intermédiaire de l’ange distribuant des fleurs tiré de la Grande Sainte Famille, est presque un topos de la peinture française du milieu du XVIIe siècle, les autres anges se retrouvent ailleurs chez Licherie, par exemple dans le Ravissement de saint Joseph (ill. 4) provenant de Saint-Lazare [17]. Néanmoins, le tableau qui apparaît le plus proche de ce Repos en Égypte, auquel il pourrait presque servir de pendant, est un Christ aux Anges passé en 1979 dans le commerce londonien [18] (ill. 5). Dans ce tableau, qui constitue effectivement un démarquage de la célèbre composition de Le Brun, peinte pour les Carmélites en 1653 (Louvre), le type des anges, aux silhouettes assez longilignes, renvoie aussi à ceux des Neuf chœurs des esprits célestes, autre tableau de Licherie provenant de Saint-Lazare [19], aujourd’hui conservé à Saint-Étienne-du-Mont (ill. 6). Malgré la réussite que constitue les Neufs chœurs, l’ambition que Licherie manifeste dans certaines de ses compositions fait malheureusement ressortir une certaine maladresse dans le traitement des figures de grande taille, comme celle du saint Joseph, et un aspect presque maniéré avec, notamment, ce drapé relâché qui dégage l’épaule de façon parfois excessive.


4. Louis de Licherie (1629-1687)
Le Ravissement de saint Joseph
Huile sur toile - 241 x 166 cm
Nantes, Musée des Beaux-Arts
Photo : RMNGP/G. Blot
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5. Louis de Licherie (1629-1687)
Christ au désert servi par les Anges
Huile sur toile - 48 x 63 cm
Heim, London, Summer exhibition, 1979
Photo : Heim
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Si nous ne connaissons pas, malheureusement, les couleurs du Christ au désert servi par les Anges, le Repos de l’Ermitage offre des teintes et des accords qui se retrouvent très souvent dans les tableaux de Licherie, ce qui conforterait son attribution au peintre. Ainsi, même s’il apparaît un peu assombri, le jaune presque orangé de la tunique de saint Joseph se retrouve, par exemple, dans l’ange visible à l’extrême droite des Neufs chœurs. Licherie superpose souvent un autre jaune très lumineux mais un peu moins saturé à une draperie bleue lavande : c’est le cas ici de l’ange placé sur la gauche et, ailleurs, de la sainte Élisabeth du tableau de Cherbourg, d’une des servantes représentées au centre de son Morceau de Réception et, de façon plus complémentaire (l’un est en bleu, l’autre en jaune) des Anges placés en bas à droite des Neufs chœurs. On retrouve aussi le rouge et le bleu très vifs du manteau de la Vierge utilisés, de façon superposée, dans la tenue de l’officier visible à gauche dans son Morceau de réception ou accolés, à Cherbourg, dans les drapés de la Vierge et de saint Joseph. Il y a aussi ce vieux rose presque mauve, utilisé ici dans le manteau flottant de l’ange emprunté à Raphaël, là dans le costume du héros et celui d’une des servantes de son Morceau de réception, sur le drapé couvrant le sein de la Vierge de Cherbourg, ou dans les anges placés sur la gauche du Saint Joseph ou des Neufs chœurs.

Si notre hypothèse devait se confirmer [20], Le Repos de la Sainte Famille conservé à l’Ermitage viendrait se rattacher à un ensemble stylistiquement cohérent, regroupant les deux tableaux parisiens et celui de Cherbourg, que Licherie aurait peint dans les années suivant sa réception à l’Académie Royale en 1679. Ces œuvres sont caractérisées par une composition dont l’organisation est clairement maîtrisée et par l’usage de couleurs aussi vives que la lumière qui les baigne.

Moana Weil-Curiel

Notes

[1Guillet de Saint-Georges, « Louis Licherie », Mémoires inédits…, [Paris, 1855], t. II, p. 61-72, E. Bellier de La Chavignerie, « Recherches sur Louis Licherie, peintre normand, membre de l’ancienne Académie royale de peinture et de sculpture (1629-1687) », Mémoires de la Société des Beaux-Arts de Caen, 1860 [édité en tiré à part la même année] ; J. Thuillier, « Un tableau de Louis Licherie, le Saint Louis soignant ses soldats atteints de la peste », Revue du Louvre et des Musées de France, n° 6, 1969, p. 347-354 ; C. Goldstein, « Theory and Practice in the French Academy : Louis Licherie’s ’Abigail and David’ », The Burlington Magazine, Vol. 111, No. 795 (Jun., 1969), pp. 346-351.

[2Marijke Michielin, Le corpus dessiné de Louis Licherie (1629-1687), Mémoire de Master I [inédit], sous la co-direction d’Alain Mérot (Paris-Sorbonne) et d’Emmanuelle Brugerolles (ENSBA), Université de Paris-IV, 2011. Nous n’avons pu consulter son mémoire de Master II consacré, l’an dernier, au peintre.

[3Bellier de la Chavignerie (op. cit. p. 17), avait signalé certains actes passés dans les années 1680 où notre peintre, prenant la suite de son frère, Noël Licherie, se fait appeler « Louis Licherie, sieur de Beuron ».

[4Inv. Mra 100. Guillet de Saint-Georges précise qu’il put en faire cadeau à l’Académie (« le mérite du tableau l’emporta sur la coutume ») plutôt que de devoir traiter un sujet imposé. Comme l’a rappelé T. Bajou (cat. exp. Les Peintres du Roi 1648-1793, Tours-Toulouse, 2000, p. 104-107, cat. 11), si Licherie y emprunte, pour son héros, la figure d’Alexandre de la Tente de Darius de Le Brun (Versailles), ce tableau se distingue surtout par ses réminiscences maniéristes, notamment dans le traitement « à la flamande » du paysage (déjà soulignée par A. Blunt).

[5Selon Guillet de Saint-Georges (op. cit., p. 67), Licherie, Claude II Audran et Antoine Bouzonnet-Stella ont chacun peint deux tableaux, exposés en alternance dans la chapelle de M. Dumoulin. Ceux de Licherie représentaient Jésus retrouvé au Temple au milieu des docteurs et saint Pierre & saint Paul conduits au supplice.

[6Abigail apportant des présents au roi David (1679). Inv. Mra 100T.

[7Le dessin préparatoire, identifié par Pierre Rosenberg dès 1971, est conservé à Bergues (Michielin, cat 14).

[8Saint Louis soignant les pestiférés, esquisse du tableau peint pour les Invalides (signé « Lichery in. et pinxit »). T. 79,5 x 56,0, inv. 1966.3.

[9Le Ravissement de saint Joseph, Inv. 653.

6. Louis de Licherie (1629-1687)
Le Partage de la Terre Promise
Huile sur toile - 51 x 60,5 cm
Dijon, Musée Magnin
Photo : RMNGP
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[10Le Partage de la Terre Promise. Inv. 1938-F905.

[11La Sainte Famille (signé « Licherie P. »). Inv. 835-130. Sur une indication de B. Bréjon de Lavergnée, M. Michielin à identifié un dessin en rapport direct avec ce tableau conservé au Louvre sous une attribution à François Verdier (D. A. G. Inv. 33192, Michielin cat. 8).

[12Les premiers sont des tableaux qu’il livre, alors qu’il travaille aux Gobelins, pour le couvent des Cordelières du faubourg Saint-Marcel. Il a aussi peint cinq tableaux représentant les Mystères de la Passion pour les religieuses d’Houdan. Guillet cite encore « plusieurs tableaux » pour les Visitandines de Saint-Denis, deux autres pour les Grands Augustins (Sainte Monique, connu par un dessin, et Saint Thomas de Villeneuve faisant l’aumône), et les trois tableaux commandés par Louis Abelly pour Saint-Lazare (il nous manque le troisième, La Remise des clefs à saint Pierre).

[13C’est le « dessin de contrat » du tableau de Villemomble conservé à l’Ensba qui livre la date du marché : le 27 juillet 1671 (voir le cat. exp. Bossuet Miroir du Grand Siècle, Lavaur, 2004, p. 84-87 (rep.) [notice de Sylvain Kerspern].

[14C’est sans doute ce rapport (commercial) avec l’Orient qui a motivé le choix du thème de ce décor. L’ensemble comportait un plafond et sept peintures. Voir l’article de Sylvain Kerspern du 12 novembre 2004.

[15Pourtant la simple comparaison de ce Partage de la Terre Promise avec les Mays (1652 et 1655) ou du Saint Louis soignant les malades (Grenoble) de Louis Testelin (1615-1655) avec celui de Licherie (modello à Rouen) montre que leurs quinze années d’écart les amènent à pratiquer deux styles très différents.

[16Inv. ГЭ 1199, anciennes collections Crozat puis Crozat de Thiers (« Stella »), attribution conservée par les différents catalogues du Musée. Nous remercions Guillaume Nicoud de ses précieux renseignements sur l’historique du tableau.

[17Inv. 653. Comme les Neuf chœurs des esprits célestes (Paris, Saint-Étienne du Mont), il lui fut commandé par Louis Abelly, ancien évêque de Rodez qui s‘était retiré dans ce couvent.

[18Heim, London, Summer exhibition, 1979, cat. 9. Jennifer Montagu, qui a identifié son auteur, souligne alors que si Licherie reprend la disposition des trois anges principaux, il profite du format en largeur pour les éloigner. Il modifie aussi la position de celui qui est placé dans la pénombre, et s’inspire des puttis voletant autour du dais ou du modèle de l’aiguière. La galerie Prouté à exposé en 1977 (« anonyme ») puis en 1982 une étude dessinée pour ce tableau (Michielin cat. 10) qui est passée en vente à Londres en décembre 1990. Celle-ci permet de constater que du dessin au tableau, Licherie a notamment réduit le nombre des anges.

[19T. 268 x 170 cm (signé et daté « L. Licherie 1679 »). Louis Abelly, le commanditaire, avait publié neuf ans auparavant un ouvrage justement intitulé Du Culte et de la vénération, qui est due aux neuf ordres des hiérarchies célestes. On a souligné depuis longtemps que Licherie avait sans doute trouvé l’inspiration de sa composition dans le Jugement dernier de Michel-Ange comme dans celui de Jean Cousin.

[20Nous devons signaler que cette hypothèse n’a pas été acceptée par la spécialiste de Licherie lorsque nous lui avons soumis la photo du tableau (comm. orale, 2013).

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