Un édifice inscrit monument historique va être détruit à Nîmes

Au 23 rue Fénelon, à Nîmes, l’hôtel Colomb de Daunant (ill. 1 et 2), une demeure particulière datant de la fin du XIXe siècle, a été inscrit aux monuments historiques le 8 octobre 2010. Il sera pourtant démoli dans les prochains jours par un promoteur immobilier.


1. L’hôtel Colomb de Daunant à Nîmes
datant de la fin du XIXe siècle
Inscrit au Monuments Historiques
avant l’incendie du 10 juillet 2013
Photo : La Tribune de l’Art
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2. L’hôtel Colomb de Daunant à Nîmes
datant de la fin du XIXe siècle
Inscrit au Monuments Historiques
avant l’incendie du 10 juillet 2013
Photo : La Tribune de l’Art
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Cette affaire révèle une aberration de l’actuel système de protection des monuments historiques : un bâtiment inscrit, qui présente donc, selon le Code du patrimoine, « un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation » va être détruit. La raison en est simple : un permis de démolir avait été délivré par la mairie de Nîmes en 2007, et entériné par l’Architecte des Bâtiments de France qui aurait pu l’interdire au titre des abords (il se situe en effet dans le périmètre de protection d’un autre monument historique). Or, le permis de démolir, délivré avant l’inscription, est considéré comme un droit acquis sur lequel il est impossible de revenir selon les principes d’indépendance des législations et de sécurité juridique. La seule manière d’empêcher cette destruction serait qu’une instance de classement, suivie d’un classement monument historique, soit décidée par la DRAC. Or, celle-ci nous a dit que l’hôtel, s’il a été inscrit, ne mérite pas d’être classé - ce qui semble incontestable au vu des photographies - et qu’un tel choix pourrait être considéré comme un détournement de procédure.

En 1984, l’hôtel avait été acquis par la ville de Nîmes aux héritiers Colomb de Daunant pour y installer la Maison de l’urbanisme. Trois ans plus tard, la ville le revendait au MEDEF du Gard. Alors qu’il était encore adjoint à l’urbanisme de Jean Bousquet, l’actuel maire de Nîmes, Jean-Paul Fournier, lors d’un débat en séance du conseil municipal défendait cette vente contestée par l’opposition municipale : « cela a permis de conserver un hôtel particulier de la fin du XIXème siècle, qui était voué à la pioche des démolisseurs si on ne l’avait pas rénové, et je crois qu’il est bon sur cette avenue où il y avait plusieurs hôtels particuliers de cette époque, qui ont été malheureusement détruits pour faire des immeubles, je crois que c’est une bonne chose de le conserver, qui plus est, quand on sait que c’est un immeuble qui va rester pour les Syndicats Patronaux et qui va être encore amélioré. Si vous voulez pour la Ville de Nîmes, c’est un patrimoine qui est sauvegardé et c’est une bonne chose de l’avoir fait. »


3. L’hôtel Colomb de Daunant à Nîmes
datant de la fin du XIXe siècle
Inscrit au Monuments Historiques
après l’incendie du 10 juillet 2013
et avant sa démolition
Photo : La Tribune de l’Art
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Comme si tout cela ne suffisait pas, le 10 juillet, un incendie se déclare dans l’hôtel particulier, pourtant inoccupé (ill. 3).

Dans cette affaire, il convient donc de souligner le rôle joué par les principaux acteurs dont aucun n’a répondu à nos sollicitations [1].

 Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes, qui se félicite de la conservation d’un immeuble pour lequel il délivre ensuite un permis de démolir.

 Jacques Dreyfus, architecte des bâtiments de France du Gard, qui laisse détruire un bâtiment suffisamment intéressant pour être inscrit aux monuments historiques, et qui récidive le 3 octobre 2010 en délivrant une nouvelle fois un avis favorable (cinq jours avant l’inscription aux monuments historiques), puis le 12 avril 2012 en délivrant cette fois un avis conforme.

 Alain Penchinat, le promoteur, qui va démolir une bâtiment inscrit aux monuments historiques. Le plus drôle - si l’on ose dire - est qu’Alain Penchinat a, rien de moins, été élu en 2012 membre résidant à l’Académie de Nîmes (il avait été élu correspondant en 2010). Cette société savante, dans ses statuts, précise que ses travaux « comprennent les lettres et les beaux-arts, les sciences et leurs applications au point de vue de l’utilité publique ». Il est peu probable que la destruction de cet hôtel servira les beaux-arts. Quant à l’utilité publique, la DRAC considère que « cette démolition démontre une absence totale de prise en compte de l’intérêt général qui s’attache à la préservation du patrimoine ». Dans son discours de bienvenue, le président de l’Académie, René Chabert, a dit du nouvel académicien qu’il savait « lier la notion de valeur à celle de l’argent qui ne peut être évitée ». On le croit volontiers. Et dans ses remerciements, Alain Penchinat a avoué avoir « beaucoup de défauts ». On admire sa modestie.

Puisque le ministère de la Culture souhaite faire voter l’année prochaine une loi patrimoine, il semble évident au vu de cette affaire qu’une inscription au titre des monuments historiques prise après l’octroi d’un permis de démolir doit être considérée, au même titre que le classement, comme une interdiction de démolir un édifice. Il faudrait, en réalité, qu’il soit possible de prendre une « instance d’inscription », laissant le temps d’instruire le dossier, comme on délivre une instance de classement. Il est absolument anormal qu’un bâtiment dont on considère que « la préservation est désirable », puisse être détruit.

Pour terminer cet article, on signalera aussi que Jacques Dreyfus, l’ABF, est membre du Cobaty Club de Nîmes [2] qui « réunit le gratin de l’"acte de bâtir" » selon un article de L’Express daté de 2002 et qui a depuis cette date « ses entrées à l’hôtel de ville ». Toujours dans L’Express, cette fois en 2008, dans un article intitulé « Le système Fournier. La galaxie », on lit que la garde rapprochée de Jean-Paul Fournier est constituée notamment de Jacques Mounis, ancien président de Cobaty, et de Jean-Paul Bonicel, vice-président de Cobaty. Alain Penchinat est, bien sûr, membre de Cobaty [3]. Tout est dans tout, et réciproquement. Mais est-il normal qu’un architecte des bâtiments de France, chargé de contrôler les constructions liées aux protections des monuments historiques fasse partie d’une telle association, qui regroupe par nature tous ceux qui ont besoin de son accord pour démolir ? Cette question peut être également posée à son autorité de tutelle.

Didier Rykner

Notes

[1Devant l’impossibilité de trouver l’adresse courriel du promoteur, M. Penchinat, nous avons tenté en vain de le joindre par téléphone (le siège de sa société est domicilié à son domicile, à Nîmes, si l’on en croit l’annuaire). Nous avons envoyé des courriels à la mairie via le site et via l’adresse du maire, et envoyé un mail à l’ABF que nous avons également appelé, mais celui-ci est en congés...

[2Cherchant en vain à le joindre, nous avons essayé via cette association qui nous a confirmé ce que nous savions déjà par une autre source.

[3Comme on le précise ici.

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