Un conte parisien : l’histoire édifiante des fontaines de la Porte de la Chapelle

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Lors de notre enquête sur les fontaines parisiennes il y a quatre ans, nous avions répertorié plusieurs fontaines détruites, dont celles de la Porte de la Chapelle (ill. 1), sans pousser plus loin les investigations. Mais ces deux monuments, qui se trouvaient à l’époque sur le futur trajet du tramway, et qui avaient été enlevés pour sa construction, se sont il y a quelques mois réinvités dans le débat autour de #saccageparis. Des riverains se sont en effet demandé pourquoi ces deux fontaines, dont le retour avait été promis par la Mairie de Paris, n’avaient jamais été réinstallées à proximité de leur emplacement d’origine. Devant l’insistance des demandes et d’innombrables tweets consacrés à cette affaire, la Mairie de Paris n’a cessé de multiplier les mensonges, avant d’être forcée de révéler, peu à peu, la vérité.


1. Une des deux fontaines de la Porte de la Chapelle
Photo non datée
Photo : Mairie de Paris
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C’est l’un des participants sur Twitter les plus actif sur #saccageparis, @JCQDSE, qui avait posé la question le 12 février 2020 : « Mais au fait, où sont passées les fontaines construites en 1935 ?! »

Une excellente question donc, à laquelle la mairie n’opposa d’abord qu’un silence méprisant. Pourtant, comme le rappelait un autre tweet, lorsque ces fontaines avaient été démontées, Daniel Vaillant, maire du XVIIIe arrondissement, avait promis qu’elles seraient réinstallées.
Un court article fut alors publié le 13 mars 2020 par le blog Paris-bise-art qui s’interrogeait à son tour sur le devenir de ces fontaines.

En avril 2021, alors que la question revenait sur le devant de la scène grâce aux associations qui s’inquiétaient de l’aménagement prévu du site pour les Jeux Olympiques de 2024, Le Parisien se pencha sur cette curieuse histoire, s’interrogeant à juste titre : « Mais comment peut-on égarer deux édifices qui doivent peser près de 10 tonnes chacun ? ».
Emmanuel Grégoire, le premier adjoint, affirmait au journal qu’il ignorait qu’il y avait des fontaines à cet endroit, mais qu’ils allaient « tout faire pour savoir ce qu’il en est ». Quant au maire du XVIIIe arrondissement, Éric Lejoindre, il expliquait que « la direction de la voirie et des déplacements (DVD) a commencé à faire des recherches. Je ne peux pas en dire beaucoup plus à ce stade, mais nous y travaillons. » Il osait même affirmer, ne craignant pas de rompre la promesse faite par son prédécesseur (du même bord politique), être « assez dubitatif sur leur éventuelle réinstallation », prétextant qu’elles étaient « tout de même très, très monumentales… » Éric Lejoindre reproche donc à des fontaines monumentales détruites par la Mairie de Paris d’être trop monumentales. On appréciera le sens du patrimoine de cet élu.


2. Une des deux fontaines de la Porte de la Chapelle
Photo : photographe non identifié
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Comme de nombreux tweets le firent alors remarquer, ces fontaines « trop monumentales », qui étaient placées dans des jardins arborés et floraux (ill. 2), ont été remplacées par un environnement complètement minéral. C’est une des caractéristiques de la Mairie de Paris de vouloir « végétaliser » la capitale en détruisant des espaces verts existants.

Le 13 avril 2020, deux élus parisiens, Pierre-Yves Bournazel (député) et Christian Honoré (conseiller d’arrondissement), interrogèrent Emmanuel Grégoire par écrit sur le devenir de ces fontaines.
Le 30 avril, début d’aveu de la Mairie de Paris dans Le Figaro : « À l’Hôtel de ville, on est perplexe devant “cette envie subite des Parisiens de revoir ces gros blocs de béton”. On fait en tout cas comprendre que “perdues ou détruites”, les riverains ne sont pas près de revoir ces fontaines. Les mascarons seraient, eux, “entreposés a priori par une direction de la ville dans un local du 18e arrondissement” indique pour sa part la mairie d’Éric Lejoindre ».

On appréciera le mépris de la Mairie de Paris pour le patrimoine de sa ville, bien représentatif de son inculture. Ajoutons qu’il s’agit bien plus probablement de fontaines en pierre ou en marbre qu’en béton… Quant à la fable des mascarons entreposés dans un local parisien, elle sera encore entretenue pendant plusieurs mois par la Mairie de Paris.

Le 25 mai, lors du Conseil du XVIIIe arrondissement, une réponse est enfin apportée : oui, les fontaines ont bien été détruites. Le Parisien le confirme dans un article paru le 26 mai : « “Ne cherchez plus les (énormes) fontaines disparues de la porte de la Chapelle. Elles ont été détruites depuis bien des années. L’énigme a été résolue en quelques secondes, mardi soir, lors du conseil du XVIIIe arrondissement de Paris, par la voix d’Antoine Dupont, adjoint (EELV) à la voirie du maire (PS), Eric Lejoindre.” » On y apprend par ailleurs qu’elles n’étaient pas en béton comme le prétendait Éric Lejoindre, mais en « pierre blanche ».
Comme en témoigne cette vidéo, l’adjoint EELV parle à plusieurs reprises de « macarons », et non de « mascarons ». On en rirait presque...

Après avoir persisté jusqu’à la fin du mois de juin dans le mensonge des mascarons conservés dans un local de la Ville de Paris, et devant notre insistance pour les voir, le service de communication de la Ville de Paris nous a adressé le 10 juin la réponse suivante : « le chantier du Tramway, porte de la Chapelle, a obligé la dépose d’une fontaine dans les années 2010 ; Le socle en béton n’a pas été conservé, comme souvent en pareil cas, mais les six mascarons de la fontaine avaient été entreposés dans des locaux techniques des jardins d’Éole, à proximité. Ces éléments ne s’y trouvent plus en effet et nous privilégions la piste du vol et la ville de Paris va déposer plainte. »

Cette même réponse est faite par Emmanuel Grégoire le 1er juillet, dans un courrier au député Pierre-Yves Bournazel. La manière dont le premier adjoint explique la situation vaut son pesant d’or : « En 2014, en prévision de la construction de la ligne de tramway T3, et des travaux de requalification de la Porte de la Chapelle, ces constructions de style Art Déco ont été ôtées ». On connaissait déjà le terme « déconstruction » à la place de « démolir », il faudra désormais parler de fontaines « ôtées », et non de fontaines « détruites » ! L’élu ajoute (ce qui nous avait déjà été répondu) : « Le socle en béton n’a alors pas été conservé, comme souvent en pareil cas ». On se demande vraiment de quoi parle Emmanuel Grégoire : il appelle les fontaines des « socles en béton ». On ne saurait davantage se moquer du monde. Nous aimerions par ailleurs connaître d’autres exemples de fontaines Art Déco « ôtées » dont les « socles en béton » n’ont pas été conservés.

Aujourd’hui, 9 juillet, nouvelle péripétie dans cette affaire : Emmanuel Grégoire lui-même tweete que les mascarons ont été retrouvés et restitués au commissariat du XVIIIe arrondissement.

Il affirme donc qu’après restauration, il souhaite « mettre en valeur » ces bronzes.

Nous ne pouvons qu’être inquiet pour la restauration de ces bronzes dont la seule photographie connue (ill. 3) depuis qu’ils ont été retrouvés (fournie par la préfecture de police) montre qu’ils sont en mauvais état : il ne faut pas qu’elle soit faite par les services techniques de la ville comme celle du banc Davioud offert par #saccageparis, qui a été saccagé, s’il s’agit bien du banc d’origine, ce qui reste à démontrer (voir l’article). La Ville de Paris dispose, avec la COARC, d’un service très compétent pour les œuvres d’art, et qui doit être ici maître d’ouvrage.
Quant à la « mise en valeur », une seule solution est acceptable : restituer les fontaines disparues et les réinstaller non loin de leur emplacement d’origine. Il s’agit d’une promesse faite par la Mairie de Paris, et la reconstruction de ces monuments ne présente dans le cas présent aucune difficulté, les photographies étant suffisamment nombreuses, et les formes suffisamment simples pour que celle-ci soit facile à réaliser.


3. Deux des mascarons après leur restitution
Photo : Préfecture de Police
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Résumons donc cette triste affaire qui montre comment la Mairie de Paris traite son patrimoine, et comment elle utilise les infox comme moyen ordinaire de communication :

 Des fontaines Art déco doivent être enlevées en raison de travaux de construction d’un tramway.
 La mairie affirme qu’elles seront simplement déplacées. Premier mensonge.
 La mairie détruit les fontaines, ne conservant que les mascarons en bronze et les stocke on ne sait où.
 Les mascarons sont dérobés sans que la ville s’en aperçoive.
 Des Parisiens amoureux de leur ville interpellent la mairie.
 Celle-ci refuse de répondre pendant des mois.
 Elle finit par répondre qu’elle cherche à savoir où sont les fontaines. Deuxième mensonge : il est assez facile pour elle de savoir qu’elle les a détruites.
 Elle finit par admettre les avoir détruites.
 Mais elle affirme que les mascarons sont toujours conservés. Troisième mensonge.
 Devant l’insistance de nombreuses personnes (dont nous même) à voir ces mascarons, la mairie reconnaît qu’ils ont été volés et qu’elle va porter plainte.
 Les mascarons sont restitués.

Il faut espérer que l’enquête permettra rapidement de savoir par qui et comment ont été volés ces bronzes soi-disant conservés dans un local municipal. Cette affaire démontre hélas une nouvelle fois qu’on ne peut jamais faire confiance à cette municipalité.

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