Réaménagement de l’intérieur de Notre-Dame : l’inquiétude subsiste

« Les experts ont rendu un avis favorable au programme de réaménagement intérieur » aurait déclaré le ministère de la Culture à l’AFP. Cette affirmation est fausse et si le ministère a bien dit cela, il faut s’interroger sur ses motivations.
Il s’agit bien, c’est exact, d’un « programme », à savoir de grands principes que nous avons décrits dans un précédent article, en soulignant que rien n’était encore complètement figé. Mais bien loin de les avoir tous validés, comme semble vouloir le faire croire le ministère, la commission a fait part d’un certain nombre de réserves, ce qui nécessitera qu’elle soit à nouveau saisie pour approuver ou non le détail de leur réalisation. [Précision (10 décembre 2021) : le communiqué de presse publié ce jour par le ministère de la Culture est plus nuancé que la réaction reprise par l’AFP.]

Notons aussi une chose importante : la commission n’a pas statué sur un des points les plus discutables du projet, les projections lumineuses sur les murs, notamment de mots tirés des écritures, car cela ne touche pas au monument classé…
Quant à l’ajout d’œuvres d’art contemporain, Il semble que celles-ci pourraient consister - c’était évoqué dans le document de présentation - en la création d’une tenture tissée par les Gobelins, chacune des chapelles étant ornée d’une tapisserie. Si tel était le cas, cela ne serait pas un problème : outre que cela permettrait de fournir une importante commande à la manufacture dont l’excellence n’est pas à démontrer, on peut imaginer que ces œuvres ne viendraient pas rompre l’harmonie du décor des chapelles et s’opposer trop drastiquement aux tableaux anciens qui les ornent déjà. Mais cela n’est qu’une hypothèse, et le pire est souvent possible. La commission devrait avoir à se prononcer lorsque le choix des artistes et des œuvres sera fait, mais ce point reste ambigu, car il s’agit d’objets mobiliers que l’on peut ajouter ou enlever et qui ne touchent pas non plus au monument. Il faut donc rester vigilant sur ce point.

Voici les principaux points sur lesquels la commission a pris des décisions.


1. « Axe liturgique » (copie écran d’une vidéo de mai 2021)
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1. La création d’un axe central (ill. 1) dans la cathédrale allant d’un baptistère au centre de la nef, au tabernacle, en passant par l’ambon et l’autel. Si la commission ne s’y est pas opposée, elle n’a pas donné un blanc-seing au clergé. Les nouvelles œuvres créées (le baptistère, l’ambon, l’autel…) devront être confiées à un seul et même artiste pour conserver une cohérence, une commission de suivi devra être mise en place, et la CNPA devra valider, ou non, le choix final.
Il est regrettable que celle-ci ait validé l’installation du baptistère, fixé au sol et forcément massif, au centre de la cathédrale, et il faut espérer qu’il ne dénaturera pas la nef.


2. Victor Geoffroy-Dechaume (1816-1892)
Saint Landry
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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2. La commission a refusé la dépose des sculptures qui se trouvent sur les autels (ill. 2) ; il faut espérer que celles qui avaient autrefois été déposées soient remises en place ; en revanche, les garnitures des autels (l’orfèvrerie de Viollet-le-Duc) ne sont pas prises en compte, à l’exception de la garniture d’autel du Sacre de Napoléon Ier, qui sera installée dans la chapelle Saint-Georges, et de celle du maître-autel qui sera installé dans la chapelle Saint-Guillaume.


3. Gabriel Blanchard le Neveu (1630-1704)
Saint André tressaillant de joie à la vue de son supplice, May de 1670
Huile sur toile
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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3. Les Mays (ill. 3) resteront dans les chapelles, certains pouvant être installés dans le transept.

4. La commission a validé l’enlèvement des confessionnaux dessinés par Viollet-le-Duc qui se trouvent dans les chapelles de la nef pour en installer quatre dans des chapelles du déambulatoire et les autres dans les tribunes où ils seront donc invisibles, comme nous l’avions dit, ce qui consiste une fois de plus à enlever des éléments du décor de Viollet-le-Duc quand il faudrait au contraire les faire revenir. Ainsi, il n’est évidemment pas question que la couronne de lumière de la croisée du transept soit remise à l’endroit pour lequel Viollet-le-Duc l’avait conçue. De même, il n’est pas prévu de remettre en place la grille du chœur. Cette dernière n’est pourtant pas réellement un objet mobilier, mais bien un immeuble par destination qui n’aurait donc jamais dû être enlevé et dont le ministère de la Culture s’honorerait à exiger sa réinstallation.


4. Croix de Pie IX
Bronze
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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5. La croix dite de Pie IX (ill. 5), un grand crucifix en bronze offert par le pape à Napoléon III en 1856, qui se trouvait avant l’incendie sur le mur du bas-côté droit près de l’entrée doit être suspendu dans le déambulatoire, selon un système qui a laissé perplexe la commission ; celle-ci a demandé qu’un test à échelle 1 soit mis en œuvre afin qu’elle puisse juger sur place de l’effet.

6. Un « lieu de dévotion » devait être installé dans le chœur, derrière l’autel : la commission s’y est opposée pour éviter d’abimer le sol.

7. À propos des bancs, assez massifs, tels qu’ils ont été conçus et présentés à la commission : celle-ci a indiqué : « qu’elle était très réservée », ce qui en langage diplomatique signifie qu’elle demande que leur dessin soit revu et lui soit à nouveau soumis.

8. Enfin, à la volonté du clergé d’installer un monte-charge dans la nef, la commission a demandé qu’une alternative soit imaginée pour éviter de percer le sol de la cathédrale et la voûte de la crypte de Soufflot.

Si certaines options ont donc été validées par la commission, on constate qu’elle est bien loin d’avoir donné carte blanche au diocèse. Cela rend d’autant plus inquiétante la déclaration du ministère. Sachant en effet que l’avis de la commission n’est que consultatif, dire que celle-ci a donné son feu vert pourrait permettre de laisser le diocèse faire ce qu’il veut tout en s’appuyant sur un avis supposé positif de la commission. Il faudra donc rester très vigilant à ce sujet.

Il reste que la volonté du clergé, toujours intacte, et les incertitudes quant à la prise en compte des avis de la commission - qui a par ailleurs eu tort d’approuver l’effacement d’une grande partie des confessionnaux et l’installation d’un baptistère dans la nef - rendent toujours ce projet très inquiétant, et qu’il faut maintenir la pression pour qu’il prenne un tour plus acceptable.

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