Quand le Louvre se vend au plus offrant

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Musée du Louvre
Photo : Didier Rykner
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Beaucoup de nos lecteurs se scandalisent de la vente aux enchères organisée par le Louvre au profit de la création d’un « projet à destination des plus précaires » (voir par exemple ici), estimant que le musée met ici le doigt dans un engrenage dangereux.

Si certains mécènes sont désormais « interdits » de Louvre, ils peuvent être rassurés : plus rien ne les empêche de se racheter une réputation sans tâche en aidant le musée parisien, qui plus est pour un « projet à destination des plus précaires ». Il leur suffit désormais d’acheter une œuvre, lors d’une vente aux enchères « caritative ». Et l’heureux adjudicataire pourra ainsi se prévaloir d’avoir mécéné le Louvre, même s’il s’agit de Sackler, à l’origine d’un scandale récent (voir par exemple ici). D’ailleurs, le Louvre « offre la possibilité à tous, enchérisseur ou non, de soutenir le Studio, nouvel espace éducatif qui ouvrira en septembre 2021 » et d’« inscrire son nom dans l’histoire du Louvre » en faisant un don, comme on peut le lire dans le catalogue. Le mécénat « éthique », ce n’est pas vraiment d’actualité.

Qu’on se rassure : même si la communication sur ce genre d’événement est délicate et fait penser à beaucoup que le musée vend des œuvres de ses collections, il n’est pas question de cela. Plus prosaïquement, des artistes donnent des œuvres au Louvre qui les commercialise ensuite via Christie’s et Drouot.
Mais il ne vend pas que des œuvres : c’est ainsi qu’un chanceux pourra passer un peu de temps avec la Joconde… et avec Jean-Luc Martinez ! Voir la Joconde, c’est assez facile, surtout en ces temps de Covid où le musée est souvent assez vide. Voir Jean-Luc Martinez en revanche, voilà qui n’est pas donné à tout le monde, et l’heureux bénéficiaire (on espère que ce ne sera pas le PDG de Sackler) pourra le faire, pour la modique estimation de 10 000 à 30 000 €. Mais un autre lot ne propose qu’une visite du Louvre en présence du président du Louvre, avec une estimation de 5 000 à 10 000 €. Un simple calcul arithmétique permet de déduire que Jean-Luc Martinez vaudrait à peu près le même prix que la Joconde.

Si tout cela est grotesque, le pire reste à venir : le Louvre va vendre en effet ce qu’il est censé proposer gratuitement au public, et qui fait partie de ses missions : venir voir des dessins au département des Arts Graphiques. Sous le titre ronflant : « Trésors cachés du cabinet des dessins », le lot 14 propose en effet de « partir à la découverte des joyaux du Cabinet des dessins du Louvre » « exceptionnellement montrés en petit comité pour vous et vos invités », en ayant ainsi « le privilège de contempler ces chefs-d’œuvre ». Cette visite de 2 h est proposée pour une estimation modique de 6 000 à 12 000 €, et la durée de validité est jusqu’au 31 décembre 2022.
 Faut-il rappeler que le Louvre est un musée public, que montrer ses collections, y compris ses collections de dessins, est une obligation, que c’est possible sans date de péremption, bien au-delà de 2022 et que, cerise sur le gâteau, si l’entrée au Louvre est payante, celle au cabinet des dessins est gratuite ? Il s’agit donc d’un « privilège exceptionnel », pourtant gratuit en temps normal. On pourrait donc en conclure que c’est la présence de Xavier Salmon, le directeur du département des Arts Graphiques, qui valorise cette visite à un tel prix (et donc plus cher que son président) ? Outre qu’il arrive fréquemment que Xavier Salmon soit présent en personne - et gratuitement pour les visiteurs - au cabinet des dessins, ce n’est pas ce qu’on lit de la description du lot. Imaginons que le passage rond point des Champs-Élysées soit payant sous prétexte que les frères Bouroullec y présenteraient leur œuvre, cela serait-il légal ? Nous en doutons.

Il y a dans cette opération une autre chose très gênante : vendre des visites du Louvre aux plus fortunés quand les simples visiteurs se retrouvent très souvent devant des salles fermées, parfois pendant de longs mois, sans aucune raison valable. Le Louvre va-t-il devenir la chasse gardée de quelques millionnaires qui bénéficieront de visites exceptionnelles quand le simple amateur se verra refuser d’accéder à certaines œuvres sans aucune autre raison que l’organisation défaillante du musée et le manque de gardiens ? C’est ce que l’on pourrait conclure de ce type d’opérations qui se multiplient (on se rappelle de celle menée avec Airbnb).

Cette opération éminemment discutable n’est qu’un exemple parmi celles que le Louvre imagine désormais pour récolter de l’argent qu’il est prêt à dépenser par ailleurs de manière totalement inconséquente, dans des travaux inutiles (voir l’article). Nous reviendrons bientôt sur la manière dont il brade son image à l’étranger.

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