Proposition de lecture des chapiteaux de Cluny 7. Des personnages dans les angles

Le chapiteau végétal qui ouvre la série des chapiteaux du chœur de la grande église de Cluny, telle qu’elle est exposée dans l’ancien farinier des moines, ne porte aucune figure [1]. Nous avons suggéré qu’il illustrait le plus bas niveau de la Création, qui est celui des réalités sensibles, auxquelles le péché originel a réduit l’univers de l’homme séparé de Dieu. Mais l’analyse de ce chapiteau a montré que ce niveau, parce qu’il est le plus bas, est aussi le premier de la remontée de l’humanité vers Dieu, le premier pas de son retour au Paradis, dont le péché l’a expulsée. Les deux suivants − deuxième et troisième de la corolle − montrent un jaillissement végétal très proche de celui du premier chapiteau : une corbeille de feuillages s’épanouit selon le mode corinthien, et s’enroule en volutes d’angles, avec cette différence que, sous chacune des volutes a été logé un personnage qui occupe toute la hauteur disponible (ill. 1). Sauf réserve de principe pour des figures dont une seule a conservé sa tête, tous ces personnages sont masculins. Nous avons montré que, si les jeunes filles des chapiteaux suivants, enfermées dans leurs mandorles, incarnaient les différentes facettes de l’âme rationnelle, et la progression de « l’homme intérieur », les chapiteaux végétaux jouaient le même rôle pour « l’homme extérieur », engagé dans la maîtrise progressive de la création sensible. Cette maîtrise est manifestée par la réduction programmée de l’élément végétal à l’extérieur des mandorles. (voir les articles sur les autres chapiteaux).

1. Chapiteau du chœur de Cluny
Des personnages dans les angles
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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La décision de placer les personnages des premiers chapiteaux dans les angles, et non sur les faces, ne fut pas d’essence décorative. Comme presque tous les autres choix iconographiques, on peut découvrir l’origine de celui-ci dans la Bible et, plus précisément, dans le deuxième livre des Chroniques, où il est écrit qu’Ozias, roi de Juda, « fit ce qui est agréable au Seigneur [2] ». La phrase, qui ressemble à un résumé, aussi simple qu’abstrait, de l’idéal de la vie monastique, n’offrirait en elle-même pas de prise à une illustration précise, si le texte n’ajoutait qu’il restaura Jérusalem, après sa victoire sur ses ennemis. La reconstruction de Jérusalem ne pouvait manquer d’intéresser les constructeurs d’une église qui avait l’ambition [3] d’être la plus importante de la Chrétienté occidentale. Or, le texte des Chroniques précise, à propos d’Ozias et de sa reconstruction de la ville sainte, que « sur les angles, il édifia des tours [4] ». Cette disposition particulière des tours de Jérusalem – et, plus précisément, de la ville reconstruite après la victoire, autrement dit de la Jérusalem « nouvelle » − a retenu l’attention de Maxime le Confesseur, qui y a lu une image de l’unification finale, dans le Christ, de ce que le péché d’Adam a séparé [5].
Le salut, en effet, est un retour à l’unité, une réduction de la diversité du créé par la participation de chaque élément séparé au Tout [6], comme les sons différents dans l’harmonie musicale ou les odeurs réunies dans un même parfum. « Car toutes les choses qui […] semblent opposées ou contraires les unes aux autres, et discordantes entre elles, deviennent concordantes et consonantes les unes avec les autres, quand on les considère en les restituant dans l’harmonie généralissime de l’univers [7]. » La musique des « tons » ou les parfums du jeune Printemps proposent, dans l’univers sensible, une équivalence de cette harmonie céleste récapitulative, tandis que les cymbales de la musicienne du deuxième ton en exposent le mécanisme (ill. 2). Car la rencontre des deux disques séparés des cymbales produit un son unique, unité surgie de la pluralité. Et, de la même façon que ce son unique obtenu par le contact entre deux corps matériels distincts, rappelons que c’était du choc de deux silex, qu’au début des cérémonies pascales, devait surgir la lumière de Pâques, dans l’église dépouillée, la veille, de tout éclairage [8]. Le feu nouveau − la lumière −, jailli du choc des deux pierres – la matière dans sa brutalité primitive −, allait ensuite, de cierge en cierge, de fidèle en fidèle, éclairer l’église tout entière, comme c’est encore le cas aujourd’hui, durant la veillée pascale. Sur les chapiteaux végétaux, chaque personnage, parce qu’il est placé aux angles, appartient, comme les tours d’Ozias, les cymbales de la musicienne et les silex de la veillée pascale, à deux faces, orientées à l’inverse l’une de l’autre. Par cette double appartenance, chacun amorce et réalise en lui-même sa part de l’unification finale de la création éclatée, «  l’union de l’intellect à la sensibilité, du ciel à la terre, des sensibles aux intelligibles et de la nature à la raison [9] ».

2. Cluny, chapiteau des quatre premiers tons
La musicienne aux cymbales
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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C’est vers cette unification que progresse la créature, et c’est elle que les quatre premiers tons de la musique accomplissent, par la soumission du deuxième ton féminin au premier, et par celle du quatrième, qui se retourne vers le Christ, en qui se réalise l’unification finale et définitive. Les tours d’Ozias annoncent la pierre angulaire [10] du Psaume 118 [11], qui est le Christ. C’est celle « qu’ont rejetée les bâtisseurs  », et dont saint Pierre affirme qu’elle est, au contraire, « choisie et précieuse auprès de Dieu [12] », parce que c’est elle qui assure la médiation entre le Créateur et l’homme lavé de son péché. Sur le chapiteau du Paradis, la double orientation du fleuve qui enroule son flot autour de lui entre le figuier et le pommier exprime cette médiation en utilisant le même procédé. Ainsi, tandis que les mandorles offrent une image de la conformité de la créature qui acquiert, enfin, sa ressemblance avec Dieu en se laissant former par Lui à l’intérieur de ce noyau, les personnages des chapiteaux végétaux assurent la médiation entre ce qui, en eux, a été séparé par le péché [13]. Dans la représentation du Péché originel, Adam et Ève, séduits par le serpent, ont été renvoyés sur la troisième face, face précisément perpendiculaire à celle sur laquelle « se promène  » le Verbe créateur [14], et séparée de Lui par le figuier stérile (ill. 3). C’est à ce figuier stérile que se substitue « la pierre angulaire » du Christ, et l’image du Paradis clunisien témoigne, au septième jour ou au septième chapiteau, de cette unification définitive de la terre et du ciel, par l’égalité de traitement entre faces et angles, avant que le cercle du concert final ne célèbre définitivement, en huitième position, l’union de la nature créée (l’homme en qui se récapitule la Création) avec la nature incréée (Dieu).

3. Cluny, chapiteau du Péché originel
Adam et Ève, renvoyés sur le panneau perpendiculaire.
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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C’est ainsi qu’il apparaît que chaque chapiteau représente aussi une phase de construction de la Jérusalem céleste [15], dont l’image suit, en arrière plan, la théologie de Jean Scot. Et, plus précisément qu’une phase, une pierre. Tours d’angles, pierres angulaires, personnages des premiers chapiteaux, jeunes filles des mandorles ou musiciens des tons, chacun obéit à l’injonction de saint Pierre, dont les reliques sont à quelques mètres : « Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à la construction d’un édifice spirituel [16] ». La construction matérielle de la grande église n’est que l’image terrestre de la construction surnaturelle du Temple final, de l’Église qui est le Corps du Christ [17]. Car « de fondement, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, à savoir Jésus-Christ [18] ». Et saint Paul, qui partageait avec saint Pierre l’honneur de la dédicace de l’église et se trouvait, comme lui, physiquement présent par ses reliques, semble récapituler le programme clunisien en ajoutant : « si, sur ce fondement, on bâtit avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, de la paille, l’œuvre de chacun deviendra manifeste. [19] ». L’ordre est inversé, et c’est par la paille et le foin que commence le voyage initiatique et sauveur de Cluny, par le bois du calame [20] qu’il se poursuit, pour s’élever, de degré en degré, vers les trésors d’or pur de la raison et de l’intellect. « C’est alors que sera parachevée la consistance absolument parfaite du nombre huit comme cube surnaturel [21] ».

NAAMAN LE SYRIEN

Les deux chapiteaux à dominante végétale − qui suivent le premier, dépourvu de toute figure − offrent un même jaillissement de type corinthien, qui occupe les quatre faces et dont se dégagent, sur chacun, les quatre personnages placés aux angles, sous les volutes. Sur l’un comme sur l’autre, aucune séparation n’isole les figures de leur environnement végétal, à tel point que l’une d’entre elle est en partie masquée par les feuilles qui l’entourent [22]. En l’absence de toute inscription, leur identification dépend à nouveau étroitement de l’ensemble du cycle, et ce n’est que par rapport au sens général du programme iconographique que l’on peut se permettre d’avancer des propositions d’interprétation. Le mauvais état de conservation des figures n’en simplifie pas la lecture.

4. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
La figure nue
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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En reprenant l’ordre adopté par Kenneth Conant, le premier des deux est le moins dégradé, quoique aucune tête n’ait survécu. Il est en général désigné comme « le chapiteau de la palestre  ». Sa lecture objective peut se résumer à ceci : sur quatre figures sans têtes et plus que probablement masculines, trois sont debout, tandis que la quatrième fléchit le genou. Trois portent des tuniques plus ou moins longues et toutes différentes. Un seul est nu, entièrement (ill. 4), tandis qu’un autre, au contraire, est enveloppé tout entier dans un vaste manteau, qui ne laissait dépasser que sa tête et ses mains. Un personnage en tunique courte est très clairement pieds nus. Une grand figure en marche, porte une tunique beaucoup plus longue. Deux figures de face alternent avec deux figures de profil.

Les interprétations abondent, et il est laborieux d’en recenser l’inventaire un peu hétéroclyte. En 1930, Kenneth Conant identifie des jeux [23] ; en 1932, il précise cette idée en suggérant une palestre spirituelle [24], rejoint par Raymond Oursel [25]. En 1968, il reprend cette interprétation paulinienne d’une image de la lutte morale [26]. Joan Evans de son côté [27] discerne les quatre éléments et Francis Salet [28], en 1995, les quatre humeurs, rejoignant Charles Edward Scillia [29]. Les dernières recherches reviennent au contraire à l’hypothèse de Victor Terret [30] qui, en 1914, avait reconnu des saisons, identification reprise par Neil Stratford [31] en 1975, et par Peter Diemer [32] en 1988. C’est aussi l’interprétation retenue par Sébastien Biay [33] dans la dernière étude consacrée au sujet. Il semble donc, une nouvelle fois, aussi prétentieux que périlleux d’ajouter des propositions nouvelles.

NAAMAN LE SYRIEN

5. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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L’examen des quatre figures, et celui des relations indiquées par leurs différentes attitudes, suggèrent que le centre du chapiteau est la figure nue. En effet, les deux personnages de profil, placés à sa droite et à sa gauche dans les angles suivants, sont tous deux orientés vers elle, et semblent l’encadrer, selon une composition qui est exactement la même que celle du huitième et dernier chapiteau. Comme le cinquième et le septième tons, tournés vers le huitième, présentent leur dos au sixième, les deux figures de profil tournent ici le dos au personnage enseveli dans son grand manteau (ill. 5), qui offre donc un contraste complet avec la figure nue, vers laquelle elles semblent converger.

Néanmoins, si le personnage nu semble bien être le point focal de la composition, la figure la plus caractéristique – ou la plus insolite − de cet ensemble est un homme de profil, vêtu d’une longue tunique et qui semble chaussé (ill. 6 et 7). Il se dirige vers la gauche et s’avance avec vivacité. Les deux jambes, nettement écartées l’une de l’autre, donnent l’image d’une marche rapide. La jambe gauche est lancée très franchement en avant, et la droite, renvoyée à l’arrière, où elle prend appui sur un plan plus élevé. Détail insolite, le personnage a sa main gauche recouverte et masquée par une sorte de gant épais, grossier et très visible, en forme de sac et qui ressemble à une moufle. Cet accessoire occupe presque le centre de la figure, où il a été placé de façon ostensible.


6. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
La moufle
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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7. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
La moufle
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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En 1998, un article de Véronique Frandon [34] attirait l’attention sur une figure de Vézelay [35], qui. appartient à l’un des médaillons du portail central de la nef (ill.8), et qu’elle avait identifiée comme la personnification d’une saison ou, plus exactement, d’une double saison. Comme à Cluny, le sculpteur a représenté un homme en marche, qui porte à la main droite un gant, moins important et moins insolite que celui de Cluny, mais bien visible. L’image d’un homme ganté est suffisamment rare dans le répertoire que nous connaissons pour induire une parenté entre les deux figures quoique, a priori, elles soient aussi très différentes. L’homme au gant de Vézelay a la particularité assez extraordinaire d’être vêtu à moitié, ce qui, dans son cas, ne signifie pas à mi-corps, mais bien que la partie droite de son anatomie est recouverte de vêtements − dont un unique gant et une unique chaussure [36] −, tandis que la moitié gauche est entièrement nue. Le personnage de Cluny est, certes, vêtu d’une façon particulière par rapport à l’ensemble des autres figures clunisiennes, mais son allure générale reste parfaitement normale, et cette différence est suffisante pour hésiter à faire glisser une même lecture d’un personnage à l’autre. On peut ajouter qu’il est seul, alors qu’à Vézelay, l’homme au gant est accompagné par un paysan encapuchonné, assis à gauche dans le médaillon, et qui semble se chauffer à un feu disparu.

8. Vézelay, Vézelay, église Sainte-Madeleine
Portail central de la nef
L’homme au gant mi-vêtu
Photo : BSG
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C’est, une fois encore, dans un texte de la bibliothèque du monastère, que l’on peut trouver un éclairage sur la figure clunisienne. Il s’agit du De Imagine [37], méditation de Grégoire de Nysse sur la création de l’homme à l’image de Dieu, comme un reflet de la beauté divine. À cause du péché, écrit Grégoire, cette beauté a « été obscurcie comme un morceau de fer par la rouille de la malice [38] ». Le thème de la rouille qui cache et déforme le fer, et son utilisation comme une image du mal, qui corrompt et masque la créature, vient de Platon [39]. Reprise par Plotin [40], elle se double de celle du bourbier dans lequel tombe l’âme, qui doit ensuite nettoyer la boue qui s’est attachée à elle, thème que Grégoire de Nysse ajoute à son discours en évoquant « ceux qui précipités dans un bourbier par un faux pas, voient leur beauté enduite de fange et deviennent méconnaissables, même pour leurs amis [41] ». L’homme tombé dans le bourbier du péché n’est donc plus l’image de Dieu. Il a revêtu « l’image corruptible et fangeuse que l’Écriture conseille de dépouiller en la lavant, pour ainsi dire, à l’eau de cette conduite pure, afin qu’une fois le revêtement terreux enlevé, la beauté de l’âme se manifeste à nouveau [42] ». Le gant épais et rugueux du personnage clunisien pourrait s’accorder avec ce décrassage vigoureux et saint Ambroise, derrière Plotin, utilise l’image de la statue qu’il faut frotter pour retrouver, sous sa rouille, la beauté du métal, et celle de la forme créée par le sculpteur [43] : « La rouille de l’âme, c’est le désir des richesses, la rouille de l’âme, c’est la négligence, la rouille de l’âme, c’est la passion des honneurs [44] » C’est par le De Imagine, qu’ils possédaient dans la traduction de Jean Scot, que les moines ont connu ces images. Par le texte de Grégoire [45], et par ceux de Jean Scot lui-même, qui le reprend à son compte [46] et l’enrichit de la méditation d’Ambroise [47]. Mais, s’il existe un rapport en profondeur entre ces textes et la figure clunisienne, ce n’est pas à eux qu’elle doit ses caractéristiques. En effet, la rouille et la boue trouvent leur équivalent dans la lèpre, et la figure emblématique est alors celle de Naaman le Syrien [48]. Cet épisode du deuxième Livre des Rois est analysé, presque dans les mêmes termes, par chacun des théologiens. Naaman vient demander à Élisée la guérison de sa lèpre et s’entend dire d’aller se baigner dans le Jourdain. Après avoir refusé, il se plie pour finir à l’injonction du prophète, et sort de l’eau guéri. Grégoire en conclut que « dans le composé que nous sommes, la partie de l’âme semblable à Dieu [celle qui, selon Jean Scot est inaltérable] reste naturellement attachée, non à ce qui s’écoule dans l’altération et le changement, mais à ce qui reste permanent et identique à lui-même [49] ». Les circonstances et les accidents – les maladies physiques ou morales − ne peuvent altérer la nature humaine, qui demeure incorruptible et qui surgit, purifiée, dans la nudité radieuse de la figure vers laquelle se dirige Naaman.

8. Vézelay
Portail central de la nef
L’homme au gant mi-vêtu
Photo : BSG
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La tenue du personnage mérite qu’on s’y intéresse. Alors que les figures masculines sont, en général, vêtues de tuniques courtes lorsqu’elles ne sont pas nues, l’homme au gant porte une longue robe qui, tout au moins, le signale comme étranger aux autres personnages du chapiteau. S’agit-il d’un costume oriental ? Il est difficile de s’aventurer jusqu’à l’affirmer, mais l’hypothèse n’a rien d’invraisemblable. Ambroise précise que Naaman était « grand aux yeux de son maître et d’admirable prestance [50] », évocation qui s’accorde parfaitement avec l’image que nous avons sous les yeux, et que justifie l’absence d’hésitation des chercheurs à reconnaître un personnage masculin dans cette figure acéphale, pourtant vêtue d’une longue tunique [51]. Jean Scot, de son côté, précise que « c’est en descendant en Judée et s’en retournant de nouveau en Syrie sur l’ordre du prophète Élisée, que Naaman se nettoya de sa lèpre dans le Jourdain [52] », et sa phrase donne un sens à l’attitude du marcheur, dont l’appui de la jambe gauche lancée en avant, est plus bas que celui de la droite renvoyée à l’arrière. L’absence de la tête nous prive d’un élément important, mais le rapprochement avec le médaillon de Vézelay devient soudain plus fécond qu’il n’y paraissait à première vue. Car l’homme de Vézelay, outre sa vêture extraordinaire, présente un visage qui demande une explication : « car ce Syrien et les dix lépreux n’ont pas perdu la figure humaine, mais ils ont seulement été frappés et accablés par la boursouflure et la difformité de la lèpre [53] ». C’est bien une tête gonflée que le sculpteur de Vézelay a fait surgir de son ciseau [54], et il y a de grandes chances pour que cet insolite visage provienne directement de ces textes, autant que de pauvres modèles vivants rencontrés, trop souvent dans la société contemporaine. Auquel cas, le personnage hivernal de Vézelay, qui se chauffe au feu dans le même médaillon que l’homme au gant vêtu de façon si étrange, aurait peut-être aussi la même signification que les chaussettes et les tricots des jeunes filles placées dans les mandorles de Cluny. L’identification d’une saison serait bien confirmée, mais il s’agirait, à Vézelay comme à Cluny, d’une saison intérieure, de « l’hiver du péché ». Ce personnage si insolite, avec son visage enflé et son accoutrement extraordinaire, serait le lépreux dont la nature originelle (visible et intacte dans toute sa moitié gauche privée de vêtement) «  n’est pas perdue ou transformée, mais seulement altérée par la déformation due aux vices [55] ». Jean Scot utilise une comparaison qui s’applique exactement à la figure de l’homme de Vézelay, lorsqu’il écrit que « la déformation provoquée par la maladie cache la forme comme un masque étranger posé sur le visage [56] ». Revenant alors à Naaman le Syrien et aux dix lépreux guéris par le Christ dans l’Évangile [57], il conclut que « ce Syrien symbolise indubitablement la nature humaine ». Il puise dans l’œuvre de saint Jérôme que Naaman signifie «  beau », que la Syrie représente « la contemplation des réalités célestes », et pose alors une question qui fait écho au titulus du cinquième ton : « N’est-ce pas ainsi que la nature humaine aurait existé, si elle n’avait pas succombé à l’orgueil ? [58] ».

UNE FIGURE NUE

Mais l’histoire de Naaman est celle d’une guérison, et c’est une guérison que montre le chapiteau. « Cette déformation qui défigure le visage, est supprimée par le Verbe, comme ce fut le cas pour Naaman le Syrien et pour les dix lépreux [59].  ». Le personnage vers lequel court Naaman, émerge du feuillage dans la nudité et la beauté originelles de la création divine (ill. 9) : « Lépreux quand il se plonge, il émerge fidèle [60] ». Et il exhibe sa main gauche redevenue intacte (ill. 10). L’homme nu a souvent été considéré comme émergeant de l’eau. C’est plus une impression qu’une réalité, et l’eau n’est pas vraiment représentée, comme elle l’est, par exemple, pour les fleuves du Paradis. Comme sur le dernier chapiteau, où le sculpteur a seulement évoqué une table, sans vraiment la représenter, parce que le sens de l’image était beaucoup plus large que le seul banquet final promis aux élus, la transcription du bain relève plus de l’allusion, allusion bien réelle cependant puisque, dès les débuts de la recherche, c’est un baigneur qui a été reconnu dans cette figure.


9. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
La figure nue
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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10. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
Naaman guéri, montre sa main gauche
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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L’immersion de Naaman dans le Jourdain a toujours été interprétée comme une image du baptême. Néanmoins, les Clunisiens, derrière Jean Scot, n’ont pas mis l’accent sur la dimension liturgiquement sacramentelle de la guérison du Syrien, de la même façon que, dans la symbolique du chiffre huit, à laquelle ils ont accordé pourtant une place centrale, ce n’est pas cet aspect qui a retenu leur attention. Le sacrement produit, certes, une transformation qui est celle décrite par le chapiteau, mais la pensée clunisienne qui se dégage de ces sculptures est trop évolutive, progressive, pérégrinante pour s’arrêter à la transformation surnaturelle immédiate et définitive enseignée par l’Église. Sans remettre, bien entendu, cette doctrine en question, Jean Scot en offre une interprétation plus complexe. Car c’est le Verbe de Dieu qui purifie l’humanité : « En s’en retournant en Syrie, Il [le Verbe] sauvera notre nature, c’est-à-dire Il nous ordonnera de retourner à notre statut originel, voué à la contemplation des essences intelligibles [61] ». Naaman, nu et guéri, surgit du feuillage en montrant sa main, et c’est le même feuillage que celui du premier chapiteau, celui dont on peut dire doublement : « Toute chair est comme de l’herbe [62] » et « Oui le peuple c’est l’herbe [63] ».

Or « ce n’est pas seulement la forme de l’âme créée à l’image de Dieu, mais c’est également la forme naturelle du corps, laquelle imite l’image de l’âme, qui continue toujours à subsister comme une forme incorruptible et immuable [64] ». Ainsi, de même que Naaman se nettoya de sa lèpre dans le Jourdain et que sa peau fut rénovée, « de même, notre nature, quand elle confessera sa maladie et la honte de ses vices, […] descendra […] pour confesser sa misère et […] sera […] purifiée en retournant à elle-même  [65] ». Le mouvement de descente, plusieurs fois exprimé dans le Periphyseon, est ici rendu sensible par l’attitude du personnage au gant dont les deux pieds sont à des niveaux différents, le pied avant plus bas que le pied arrière.

LES DIX LÉPREUX

Sur l’angle opposé à celui de l’homme au gant, un personnage en tunique courte est, en sens inverse, orienté très nettement vers la droite, c’est-à-dire, lui aussi, vers la figure nue (ill. 11). Ses jambes sont fléchies dans une sorte de révérence. La main gauche, ramenée à plat sur la poitrine, accentue cette impression. Cette main est aussi ostensible que celle couverte d’un gant sur la figure opposée. C’est aussi la même main (gauche), posée de la même façon sur la poitrine du personnage [66] et elle est, de surcroît, assez nettement surdimensionnée.

11. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
Le lépreux guéri
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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De la même façon que l’évangile de la drachme perdue est considéré comme un doublon de celui des vierges sages, les différents textes consacrés à Naaman mettent sa guérison en relation avec l’épisode, rapporté par saint Luc [67], des dix lépreux guéris par le Christ. L’histoire n’est pas la même mais, à maladie identique, elle oppose une égale guérison : « Ces lépreux ne symbolisent-ils pas les caractéristiques de notre nature qui a été rachetée par son Rédempteur, et qui est quotidiennement rachetée en chacun des hommes, et qui sera à la fois rachetée et libérée à la fin du monde dans tous les hommes  ? [68] » demande le maître du Periphyseon à son disciple, poursuivant, dans cette phrase, la préoccupation première de Jean Scot et des moines de Cluny, qui est celle du salut final de l’humanité. Dans l’Évangile, un seul des dix lépreux guéris revient en arrière pour rendre grâce à son Sauveur, et l’Érigène, loin d’y voir une manifestation d’ingratitude, considère que la disparition des neuf autres exprime la récapitulation de la nature humaine dans le seul intellect. Selon son arithmologie, dix est le chiffre de la nature humaine dotée d’un corps et d’une âme, et ces dix lépreux n’en font qu’un seul, comme les vierges sages et folles de la parabole, également au nombre de dix ou comme, − quoique inversement − les dix drachmes, dont une a disparu. Le corps, écrit Jean Scot à propos de cet épisode, est composé des quatre éléments et de la forme, tandis que l’âme comprend l’intellect, la raison, le sens intérieur, le sens extérieur et le mouvement vital, dont l’énumération est traitée sur les premiers chapiteaux [69]. Parallèlement et selon un autre comput, « l’homme pentagonal » du cinquième ton est celui doté de cinq sens. Mais il l’est doublement, puisque aux cinq sens du corps correspondent les cinq sens de l’âme, illustrés sur le chapiteau du Printemps. C’est pourquoi le chiffre dix récapitule l’humanité. Et c’est aussi pourquoi, débarrassée de sa lèpre, la nature humaine, symbolisée d’abord par les dix lépreux, « sera ramenée à l’unité [cet unique malade désormais guéri], de telle sorte qu’elle ne correspondra plus au nombre dix, mais qu’il ne restera que le seul intellect, uni par la contemplation pure, à la Vérité simple [70] ». Le personnage fléchi en une sorte de salut révérencieux, exhibant sa main gauche intacte sur sa poitrine – précisément, faut-t-il le rappeler, la même que la main cachée dans le gant sur l’autre face, et que celle exhibée par le « baigneur » sauvé −, correspond sans peine à l’image du lépreux évangélique, revenu guéri pour remercier Jésus, et dans lequel Jean Scot reconnaît la nature humaine, ramenée par le Sauveur à l’unité, dans le seul intellect [71]. L’attitude du personnage est celle d’un salut plein de déférence, et la main sur la poitrine, un geste de gratitude. Ces caractéristiques ne sont peut-être pas suffisantes pour lier avec certitude le texte à l’image mais, une fois encore, celle-ci se prête sans difficulté à servir d’illustration à celui-là. Le personnage de Naaman lépreux, et la figure fléchie à la main sur le cœur, seraient alors l’équivalent, développé sur deux images – ou trois en comptant le « baigneur » −, de l’unique figure à moitié nue du portail de Vézelay, tandis que le paysan qui se chauffe, réinterpréterait le thème de l’hiver du péché et des lainages tricotés de Cluny. On ne peut que déplorer la disparition de détails précis, et particulièrement des visages, qui auraient permis d’avancer avec plus de fermeté cette identification.

CHAUSSURES ET PIEDS NUS

Un détail vient conforter cette interprétation : le personnage est pieds nus, à l’image de celui qui « reçoit l’ordre de détacher la chaussure de ses pieds [72], afin que les pas de son cœur et de son âme, dégagés des entraves et des liens du corps, s’engagent dans les voies de l’esprit [73] ». Ainsi parle saint Ambroise. Pour l’évêque de Milan, le cuir, fait de la dépouille des animaux morts [74], symbolise la chair, le corps. La nouvelle naissance, que réalise la guérison de Naaman et celle des dix lépreux, de la même manière que le vœu de conversio morum prononcé par le moine, ouvre la voie à une nouvelle vie. Encore une fois, c’est moins le baptême, préfiguré par le bain de Naaman dans le Jourdain, que cet engagement spécifiquement monastique qui a présidé au choix des constructeurs de Cluny. Naaman court vers le Jourdain, « mais il portait la chaussure, non du Seigneur, mais de ses pieds [75] », comme le postulant qui arrive au monastère. Pour saint Ambroise, l’acte de délier ses chaussures correspond à une phase de détachement [76], et toute une exégèse s’attache au fait de porter ou d’enlever ses chaussures. Ainsi, les « apôtres avaient quitté la chaussure du corps lorsqu’ils furent envoyés sans chaussure, sans bâton, sans besace et sans ceinture [77] », tandis qu’en sens inverse, « la chaussure nuptiale, c’est la prédication de l’Évangile [78] ».

L’HOMME NOUVEAU


12. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
L’homme nouveau
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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12. Cluny, chapiteau de Naaman le Syrien
L’homme nouveau
Cluny, Musée du Farinier
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La quatrième figure est tout enveloppée dans un vaste manteau en forme de pluvial. Elle se présente debout, en position frontale, parfaitement symétrique, et porte une tablette rectangulaire entre ses mains disparues (ill. 12). L’image n’offre, a priori, pas de détail particulier, sinon l’objet tenu entre les mains du personnage, objet qui devait le caractériser. Une fois encore, il semble raisonnable de chercher une interprétation selon le sens général du chapiteau. La première qui se présente, en continuité avec l’épisode de Naaman et avec celui des dix lépreux, est la parole de Paul sur laquelle médite saint Ambroise : « Dépouillez-vous du vieil homme [79] avec ses activités, pour revêtir celui qui est renouvelé par la sanctification du baptême [80] ». Et, un peu plus loin, Ambroise insiste à nouveau auprès de ses auditeurs : « Conservons donc le vêtement dont le Seigneur nous a revêtus au sortir de l’eau sainte [81] ». Et, pour la troisième fois, après quelques lignes : « Il faut dépouiller le vieux, revêtir le neuf, afin de nous trouver dépouillés, mais non pas nus [82] ». Il s’agit, précise encore Ambroise dans le même texte, du « vêtement nouveau de la grâce [83] ». Au risque d’égrener les redites, ces textes étaient lus et médités à Cluny et on en retrouve un écho précis dans le sermon de Pierre le Vénérable sur la Transfiguration [84]. Toutes ces phrases donnent un sens à l’apparence quasi liturgique du vêtement porté par cette quatrième figure. Rappelons que lors de la cérémonie des vœux, le candidat se dévêtait complètement pour revêtir l’habit consacré [85]. L’opposition claire entre la figure nue et cette image entièrement couverte, donne une bonne illustration de ce passage, de ce baptême, récapitulé dans le chiffre huit, dont la symbolique court d’un chapiteau à l’autre.
Si l’on accepte cette interprétation, il reste à préciser la nature de l’objet que tient cet « homme nouveau ». Il ne s’agit pas d’un livre, comme celui que serre le Printemps entre ses bras, mais d’une tablette plate, à l’image de celles dont on se sert pour écrire. L’état de la figure ne permet pas d’affirmer que cet équipement était complété par un calame, mais cette hypothèse a pour elle une forte dose de probabilité. Le premier chapiteau proposait l’herbe vulnérable et éphémère comme image de la fragilité de l’homme. « Nous sommes roseaux [86] », écrit Ambroise dans ce Traité sur l’Évangile de S. Luc qui semble avoir nourri si souvent l’inspiration des moines. Or, loin de s’attarder sur cette fragilité humaine, l’évêque de Milan s’en empare dans une démonstration en relation étroite avec l’objet du chapiteau clunisien : « Si on arrache ce roseau des plantations de la terre, si on le débarrasse du superflu – en se dépouillant du vieil homme et de ses actes [87] […] voilà que ce n’est plus un roseau, mais un calame, qui gravera au fond de l’âme les préceptes des divines écritures, les inscrira sur les tablettes du coeur [88] ». La phrase ne fait que reprendre le texte de saint Paul aux Corinthiens : « Vous êtes une lettre écrite, non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs [89]. » C’est bien du « superflu » de la lèpre que Naaman se débarrasse dans le bain sauveur, c’est bien un dépouillement radical que manifeste la figure nue qui surgit des feuillages, et c’est bien sur son cœur que le quatrième personnage porte sa tablette. Chaque mot du texte résonne comme un commentaire des images et chacun, d’ailleurs, est transposable à la vocation monastique : arrachement au monde, abandon des biens terrestres, dépouillement du « vieil homme  » et renaissance sous l’habit consacré, médiation de la créature humaine entre la richesse de l’Écriture et l’humanité pécheresse : « le remède de la lèpre, c’est la parole [90] », reçue, écrite, ruminée et transmise. Et la suite du texte d’Ambroise n’est pas moins éloquente : il exhorte ses auditeurs en paraphrasant une nouvelle fois saint Paul : « Imitez ce roseau par la maîtrise de votre chair. Et trempez votre roseau, c’est-à-dire votre chair, non dans l’encre, mais dans l’Esprit du Dieu vivant [91]. » Et, un peu plus loin : « Baignez votre chair dans le sang du Christ [92] », phrase qu’il commente en expliquant qu’il s’agit d’effacer ses défauts et de laver ses péchés. Naaman se retrouve dans chaque figure et la transformation de la chair passe par celle de l’herbe en calame qui joue, entre les mains de l’homme nouveau, le même rôle que la vièle du premier musicien.

LE MOUVEMENT VITAL


13. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital ».
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Le chapiteau placé en troisième position dans la présentation fixée par Kenneth Conant est peut-être le plus endommagé de tous. Sur les faces l’élan végétal, commun aux trois premiers, culmine dans le fleuron lancé sur le tailloir, à la base duquel court un motif circulaire de cordage (ill. 13). Comme sur le chapiteau de Naaman, quatre personnages occupaient autrefois les angles mais, sur les quatre figures, trois se réduisent aujourd’hui à leurs jambes, et il faut bien s’en contenter. Deux d’entre elles se présentent plus ou moins de face, même si le célèbre « apiculteur [93] » obéit plutôt à une double orientation. Les deux autres figures, nettement de profil et contigües, sont tournées en sens inverse l’une de l’autre, et se font face dans un affrontement que l’on retrouve, à l’identique, sur les chapiteaux à mandorles. L’une n’a plus que deux pieds nus, dirigés franchement vers la droite et complétés par une longue jambe, entièrement nue, elle aussi. Le personnage qui lui fait face n’a conservé que deux pieds, nus également, et deux genoux fléchis à l’intérieur d’une tunique plissée. Il est orienté vers la gauche. L’affrontement de ces deux figures voisines, convergentes et particulièrement mutilées, impose un axe de lecture dynamique, que les deux personnages disposés à l’arrière, semblent accompagner, selon un schéma qui est celui des chapiteaux à mandorles.

Ainsi, parmi ces quatre figures nouvelles, deux sont nues ou presque nues, les deux autres sont habillées ; le pseudo « apiculteur » est discrètement nu, sous un manteau souple, et la figure placée à l’opposé, selon la diagonale du chapiteau, relève du même type, sans que l’on puisse affirmer l’existence d’un semblable manteau. Entre ces deux nudités sont intercalés deux personnages vêtus, placés aux deux extrémités du second axe : l’un des deux, botté, porte une tunique courte et le souvenir d’un manteau, tandis que, sur l’arête opposée, deux pieds mutilés sortent encore d’une tunique, qui accompagne le fléchissement marqué des genoux du personnage. Ces fragments constituent de bien maigres indices.

LE SOUFFLE

Parmi les huit figures des chapiteaux végétaux à personnages, une seule a conservé sa tête et nous est parvenue dans sa presque totalité, à l’exception de son pied droit et − destruction plus gênante − de l’essentiel de son visage. Il s’agit d’un jeune homme entièrement nu, à l’exception d’un manteau agrafé sur son épaule gauche. Il porte un objet conique assez volumineux, dont il dirige la pointe derrière lui en direction du sol (ill. 14). Cette pointe présente une terminaison cylindrique percée de cinq trous bien visibles. La jambe droite du jeune homme est pliée, et l’accessoire dont il est pourvu, appuyé en équilibre sur sa cuisse relevée pour lui servir de support. Sa main gauche a saisi la pointe − ou l’embout − de l’objet, tandis que la droite accompagne son geste sur le côté large. Sa tête, fortement penchée semble attentive à l’activité des mains. Le personnage obéit à une double orientation : sa silhouette est assez nettement tournée vers la gauche, alors que l’objet qu’il porte est dirigé vers la droite.


14. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital ».
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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15. Vézelay, église Sainte-Madeleine.
Chapiteau n° 23, nef, pile sud.
Les quatre vents et leurs soufflets
Photo : BSG
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Il est surprenant que l’on ait pu sérieusement envisager de reconnaître un apiculteur, même symbolique, dans une figure nue, et la proximité du personnage botté avec tant de soin, placé immédiatement à droite sur le chapiteau, rend cette identification d’autant plus paradoxale. La nudité du sujet aurait dû, semble-t-il, orienter dès l’origine la recherche vers la personnification d’une abstraction [94], ou vers l’image d’un phénomène naturel, sur le modèle antique des fleuves ou des saisons. La figure est proche − très proche − de celles des fleuves du Paradis, dont elle partage la nudité et la jeunesse. Mais l’objet tenu par le jeune homme avait été reconnu comme une ruche. Dès 1923 néanmoins, Kingsley Porter [95] observait qu’un chapiteau de Vézelay en propose une image extrêmement voisine, et que ce chapiteau représente les vents (ill. 15). Un des vents de Vézelay est aussi nu que celui de Cluny. Les trois autres portent des tuniques plus ou moins courtes. Tous quatre ont entre les mains des objets, dont trois sont identiques à celui de Cluny, avec la même forme conique, la même structure tressée ou plissée et, à la pointe, le même embout circulaire percé de trous et dirigé vers le bas. Le quatrième, par chance, actionne un soufflet dont le type est encore en usage de nos jours. Ce rapprochement a permis d’identifier avec plus de vraisemblance le jeune clunisien comme la personnification d’un vent ou, plus simplement, du vent. L’objet, qui paraissait être en vannerie, serait en fait, en cuir souple et plissé Cette reconnaissance a été généralement admise.

Mais, si l’accord s’est fait sur cette identification, et s’il ne semble pas qu’il y ait lieu d’y revenir, la tentation de l’étendre aux autres figures du chapiteau clunisien est plus contestable. Elle s’appuie sur la présence des quatre fleuves du Paradis en fin de cycle, sur celle des quatre vents dans la nef de Vézelay, et sur le goût des quaternités [96] chères à Raoul Glaber [97] et à ses contemporains. Pourtant, peut-on le répéter, le personnage botté, qui occupe l’angle suivant, introduit un contraste violent qui rend périlleuse son assimilation à un type collectif. Il faut sans doute rappeler que les quatre fleuves ne figurent pas, en tant que tels, dans le programme iconographique ni à titre d’échantillonnage. Dans le chapiteau du Paradis, ils jouent un rôle qui va bien au-delà de leur simple image. Ils ont été choisis pour exprimer l’identité entre le commencement et la fin, entre la Genèse et l’Apocalypse, entre l’A et l’Ω, entre la création et le salut. Ils témoignent de la disparition du péché, et affirment que l’Histoire du monde, et celle de l’homme, reprennent à l’identique, ou presque, après la rupture imposée par le péché d’Adam. La couronne qu’ils portent est celle d’une victoire.

Le vent clunisien ne porte pas de couronne et, à première vue, il semble seul. Aucun détail ne permet d’affirmer que la seconde figure nue, placée à l’angle opposé du chapiteau, selon la diagonale du bloc de pierre, doive nécessairement être identifiée comme celle d’un autre vent, même si sa nudité et son appartenance au même chapiteau incitent à voir en elle une personnification de même nature, réalité physique ou abstraction. C’est en tenant compte de cette unicité que Francis Salet [98] a suggéré que, plus que de celle d’un vent, il s’agirait d’une image de l’air, rejoint dans cette lecture par Charles Scillia [99], et cette suggestion ouvre des perspectives plus riches. Un texte de Grégoire de Nysse [100] s’étonne que, dans le récit de la Genèse, l’air ne soit pas mentionné, comme l’est la création de l’eau ou l’apparition de la terre, et il analyse cette absence par le fait que l’air est l’élément dans lequel s’inscrit la vie, et sans lequel aucune vie n’est possible. Le mécanisme de la respiration est par excellence celui de la vie. L’image du jeune homme au soufflet pourrait donc être, non seulement une image de l’air, mais celle de la respiration et de ce que Jean Scot appelle le mouvement vital, qu’il considère comme le second degré du retour des créatures vers Dieu. Car « l’air attise toujours le feu du cœur [101] ». Après le tout premier chapiteau consacré au niveau des corps et de la matière, celui-ci ouvrirait l’accès au niveau de l’âme, « car l’homme se compose d’un corps, c’est-à-dire d’une matière sensible informée par une forme, et d’une âme qui se compose, à son tour, de sens intérieur, de raison, d’intellect et de mouvement vital [102] ». Nous avons montré que la raison était le sujet des mandorles hexagonales, et l’intellect, celui des saisons et des vertus. Dans ces conditions ce chapiteau serait, non pas en troisième position, comme l’a placé Kenneth Conant, mais à la deuxième place dans la progression [103], et viendrait immédiatement après le premier chapiteau végétal corinthien, permutant ainsi avec celui dit « de la palestre », dans lequel nous avons proposé de reconnaître l’histoire de Naaman le Syrien.

Jean Scot reprend l’argumentation de Grégoire : « Prenons l’exemple de l’air qui nous environne, que l’on aspire et que l’on expire par les poumons comme par des soufflets remplis d’air [104]. » Le mot employé est « folles », pluriel de «  follis », que Gaffiot traduit par « soufflet pour le feu, coussin à vent, poumon ». Il examine les variations de l’air, nuageux ou limpide, obscurci par « une densité ténébreuse et semblable aux souillures terrestres  » ou, au contraire, doté d’une « ténuité lumineuse et proche de la pureté de l’éther  ». Et il observe que « l’air lui-même conserve toujours, dans toutes ces modifications, la qualité immuable de sa subtilité et de sa sérénité [105] ». C’est donc pour lui une nouvelle image expressive de la stabilité éternelle de la nature humaine qui, malgré la faute originelle, les passions et les vices, continue « toujours à subsister comme sauve, intacte, incorruptible [106] ». C’est ce que montre le lépreux de Vézelay, dont le corps surgit, intact, sous le vêtement qui le cache pour moitié, et qui a pour fonction d’en masquer l’altération. Et parce que la nature humaine, créée à l’image de Dieu, ne peut que rester « intacte et incorruptible », ce sont « les phénomènes extérieurs » et « contraires » à cette nature originelle, que nous appelons péchés, qui seront « punis » en elle, et disparaîtront à la fin des temps. Et, comme l’air « ne devient pas matériel dans les nuages et ne s’avère pas perturbé par les perturbations qu’il subit [107] », rien ne peut oblitérer « la sérénité et la simplicité » de la nature humaine, telle qu’elle est sortie des mains de Dieu. « Car, de même que l’air auquel nous avons emprunté une analogie avec l’humanité, descend d’en haut depuis les lumières éthérées, et reçoit dans sa descente des obscurcissements concrets [108] », de la même façon, la nature humaine, « déchue par ses impulsions irraisonnées […] et emprisonnée dans des corps corruptibles [109] », retrouvera sa pureté originelle inaltérée, « lorsqu’au moment de sa régénération, elle retournera à son ancien statut [110] ». Le jeune homme qui pointe son soufflet en direction du sol, semble bien être né de cette phrase, ou d’une autre exprimant une pensée identique. Les cinq trous percés dans l’embout du soufflet renverraient alors aux cinq sens [111] par lesquels l’homme accède aux théophanies.

16. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital »
L’air
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Mais l’air et, en particulier, le souffle dont le jeune homme offre l’image, est aussi un symbole de l’esprit ou de l’Esprit « car on l’appelle air, c’est-à-dire esprit [112] ». En grec, le même mot pneuma sert à désigner les deux, et l’image juxtapose sans peine le « sensus simplex » et l’allégorie. Après le premier chapiteau de la chair, fragile et périssable comme de l’herbe, le second semble vouloir suivre la Genèse, dans laquelle on peut lire que «  Dieu façonna l’homme du limon de la terre et souffla sur son visage un souffle de vie [113] », tandis que le Psaume 104 reprend la même image :
« Tu envoies ton souffle, ils sont créés
« Tu renouvelles la face de la terre. [114] »
L’analyse des chapiteaux a montré que le programme général de la sculpture du chœur raconte précisément les différentes étapes de ce renouvellement, et progresse vers une re-création. Selon saint Paul, « si quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle [115] » et, pour ce destin surnaturel, l’humanité a reçu « les arrhes de l’Esprit [116] ». Cette nouvelle création, octroyée et conquise au cours des différentes étapes d’une octuple ascension, répond à nouveau, par un balancement en miroir, à l’Hexameron initial. C’est bien au deuxième chapiteau, juste après celui qui illustre la condition mortelle de la créature marquée par le péché, que la terre doit recevoir ce souffle divin, « l’insuflatio Dei [117] », qui peut la transfigurer.
Mais, pour cela, l’homme doit aussi intervenir, et le mouvement est réciproque. L’étude du premier ton a montré que le jeune musicien était occupé à confectionner un « véhicule » de communication, à la fois avec Dieu − pour recommencer à chanter sa louange − et avec ses semblables, à l’intérieur desquels sa musique pourra pénétrer et son intellect s’unir : « Notre intellect se fabrique des sortes de véhicules, tirés du matériau de l’air ou des figures sensibles, grâce auxquels il peut se communiquer aux facultés sensorielles des autres hommes, abandonnant ces véhicules dès qu’il a atteint leurs sens externes [118]. » C’est bien « aux facultés sensorielles » que font référence les cinq trous de l’embout du soufflet. La création est bonne dans toutes ses composantes ; elle doit être utilisée, et le vent − ou l’air − du second chapiteau annoncerait donc ainsi les « véhicules » instrumentaux du chœur final des huit musiciens, comme l’apparition des inscriptions, autres « véhicules », à partir de la cinquième étape.

UNE FIGURE BOTTÉE

Dans l’angle suivant, à la droite de l’Air, un personnage en tunique courte a conservé une seule jambe attachée à son bassin (ill. 17). Il se présente de face et en marche. Les chapiteaux à mandorles offrent l’énigme des manches et des chaussettes tricotées, les chapiteaux végétaux se caractérisent par l’abondance des pieds nus. Autant qu’on puisse en juger, tous les personnages du chapiteau sont masculins [119] et, sur quatre figures, trois sont pieds nus, tandis que cette quatrième est, au contraire, chaussée de bottes que l’on ne retrouve sur aucun autre personnage du cycle. Les chaussures des musiciens sont globalement du même type, et les chaussures féminines des mandorles, plus ou moins identiques, elles aussi. Mais ces bottes-là sont uniques, et ont été sculptées avec beaucoup trop d’attention pour ne pas être remarquées. L’une a disparu, mais celle qui est encore visible présente un système d’attaches qui emboîtent la cheville jusqu’au mollet, avec une attentive précision (ill. 18). Son caractère ostensible, comme celui des mains malade et guéries du chapiteau voisin, est encore renforcé par le voisinage des trois figures exclusivement pieds nus.


17. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital »
L’homme botté
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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18. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital »
L’homme botté
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Que disent les textes ? Pour Ambroise, « la chaussure, c’est la prédication de l’Evangile », et c’est pourquoi « la grâce de prêcher l’Évangile a été dévolue aux apôtres qui sont chaussés pour l’Évangile [120] ». Néanmoins, malgré l’adéquation de ces textes avec l’image placée à droite du vent de l’Esprit, le rapprochement n’est pas satisfaisant, car le monachisme clunisien n’a jamais prétendu être prêcheur. Saint Paul, dans cette même épître aux Corinthiens, dans laquelle il affirme que Dieu a donné à l’homme « les arrhes de l’Esprit », paraît plus proche de la figure clunisienne, lorsqu’il poursuit en ces termes : « Ainsi donc, toujours pleins d’assurance […] nous cheminons dans la foi [121] ». Il ne s’agit plus d’apostolat, mais de voyage, et c’est bien d’un voyage que traitent les chapiteaux. « Nous avons tout quitté pour te suivre [122] », parole de saint Pierre, définition parfaite de la vocation monastique. Un passage de l’Évangile de Jean offre, lui aussi, un rapport suffisamment étroit pour être retenu. Le texte se situe après la résurrection du Christ, qui a ouvert la voie au salut de l’homme. Jésus pénètre dans la pièce « toutes les portes étant closes [123] », détail dans lequel les exégètes ont vu une image de l’âme humaine. Rappelons que chaque chapiteau, aussi bien végétal que pourvu de mandorles, doit être envisagé comme une image de l’âme. Il leur dit : « ʺComme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie.ʺ Cela dit, Il souffla sur eux [124] », réalisant la prophétie d’Ézéchiel : « Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts et qu’ils vivent. [125] » Le texte fait état d’un unique souffle surnaturel, comme il semble que ce soit le cas à Cluny. Et le Christ ajoute : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leurs seront remis [126] ». L’homme botté, associé au vent clunisien, fournit une assez bonne image de cette mission confiée aux apôtres par le Christ ressuscité, mission qui n’est pas spécifiquement de prédication, mais qui débouche sur la rémission des péchés, à laquelle les moines noirs concourent inlassablement par leur prière. L’homme botté serait alors, peut-être – car l’état du chapiteau réduit la recherche à des hypothèses, si argumentées soient-elles − celui qui, ayant reçu le souffle de l’Esprit, se met en route vers son propre salut, ayant mis à son pied cette chaussure qui est « comme la sauvegarde de sa bonne intention et de sa course, de crainte qu’il ne heurte le pied contre une pierre [127] ». Les accidents du chemin sont nombreux, et une simple épine peut entraver la marche. Elle a d’ailleurs été choisie dans l’art roman comme une image du péché entré dans la chair, et a produit quelques « tireurs d’épine » assez pittoresques [128], dont l’un des plus élégants est conservé au musée Ochier de Cluny (ill. 19).


19. Cluny, Le tireur d’épine
Musée Ochier
Photo : BSG
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20. Vézelay, église Sainte-Madeleine
Bas-côté sud, chapiteau n°7
Pélerins, voyageurs
Photo : BSG
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Et saint Ambroise revient sur la force donnée aux apôtres, et à tout homme, par le souffle de l’Esprit, en écrivant : « Peut-être ce mystère s’accomplit-il aujourd’hui encore dans notre vie présente [129].  » L’Esprit donne l’impulsion « pour préparer les chemins de notre âme à la Foi, et faire de la piste tortueuse de cette vie, les voies droites d’un pélerinage, de peur que nous ne tombions dans quelque ravin d’erreur [130] ». Il est tentant de rapprocher cette phrase de l’attitude décidée et frontale de la figure clunisienne, dans laquelle certains ont reconnu un voyageur. Et si la comparaison avec un chapiteau de Vézelay [131], sur lequel sont rassemblées quatre figures comparables (ill. 20), est pertinente, on peut observer que les quatre voyageurs de Sainte-Madeleine, vêtus comme à Cluny d’une tunique courte et d’une pélerine [132], sont enfermés dans trois mandorles, ce qui indique que, dans leur cas aussi, le voyage est intérieur. Comme à Cluny, il s’agit peut-être du « retour » et les pélerins de Vézelay obéiraient alors, comme le voyageur botté de Cluny, à l’injonction d’Ambroise : « Il est temps de revenir au Père [133]. » S’il en était ainsi, l’image renverrait à l’exégèse à laquelle se livrent Ambroise, et Jean Scot derrière lui, de la parabole du fils prodigue qui a, peut-être, inspiré le musicien du premier ton [134]. Rappelons que le jeune facteur d’instrument peut, sans témérité excessive, être interprété comme une illustration du fils revenu chez son père [135], malgré la disparition de sa main cassée, sur laquelle la présence d’un anneau aurait apporté une certitude. Mais il ne s’agit que de propositions et, en l’état des figures qui nous sont parvenues, elles ne peuvent à nouveau être présentées qu’au conditionnel.

LA PART DU MYSTÈRE


21. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital »
Jambes nues
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG `
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22. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital »
Genoux fléchis
Cluny, Musée du Farinier.
Photo : BSG
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L’ensemble des chapiteaux comporte vingt-huit figures et quatre arbres. Si l’interprétation de vingt-six d’entre elles est envisageable − même avec toutes les réserves nécessaires pour des figures le plus souvent étêtées, et privées des accessoires qui leur donnaient un sens précis − il faut accepter le mystère que constituent deux personnages réduits, l’un à une longue jambe nue complétée par deux pieds (ill. 21), et l’autre, à deux genoux drapés dans une tunique plissée (ill. 22). Le sens général du chapiteau ne peut qu’être déduit des significations de ses voisins, et de la compréhension du programme général, éclairé par les textes de Jean Scot et par ceux dont il s’est servi. Il illustre ce que l’Érigène désigne comme le mouvement vital. Mais malgré l’affirmation de saint Ambroise selon laquelle « l’attention force la porte de la vérité [136] », ces vestiges, en l’état actuel de nos connaissances, n’ouvrent pas de voie à une interprétation raisonnée. Le personnage nu est sans doute la personnification d’une abstraction ou d’un élément naturel, comme le vent, l’air ou l’esprit, qui occupe l’angle opposé, avec lequel il partage une identique nudité, tandis que les genoux fléchis appartiendraient, plus probablement, à un personnage de l’Écriture. On peut seulement observer que, si l’ensemble des quatre figures peut être envisagé selon deux paires en « guillemets », comme sur le chapiteau du Printemps ou sur celui à mandorles hexagonales, l’ordre à l’intérieur de chacune de ces paires est différent, et reste mystérieux. En effet, cet ordre est inversé d’une paire à l’autre, disposition originale, unique dans l’ensemble des chapiteaux : la figure nue disparue, nettement tournée vers la droite, est placée devant le personnage botté. Elle ouvre donc la marche et amorce le mouvement, suivie par le « voyageur », assez franchement de face, et donc plus ou moins affranchi de la subordination qui, jusqu’à présent, a caractérisé les figures « suiveuses ». Dans l’autre couple, au contraire, le vent, l’air, le souffle ou l’Esprit, nu sous son manteau léger, et doublement orienté, suit au contraire les genoux drapés, dirigés nettement vers la gauche, c’est-à-dire vers la figure nue disparue qui lui fait face. Le chiasme entre figures nues et vêtues, alternées et disposées selon les deux axes du chapiteau [137], est volontaire, tout en restant inexpliqué. En revanche, on pourrait rapprocher le premier couple de celui qui orne, à Vézelay, une pile nord de la nef [138] (ill. 23). Comme à Cluny, une figure entièrement nue est associée à une autre vêtue d’un manteau. Comme à Cluny, les jambes de la figure nue sont plutôt de profil et semblent tourner le dos au personnage vêtu, qui se présente de face. Le chapiteau de Vézelay a été identifié comme une représentation du Printemps et de l’Été [139]. Malheureusement, cette identification reste incertaine et, si le rapprochement est légitime, il ne suffit pas à percer le mystère.


23. Vézelay, église sainte Madeleine
Pile nord de la nef, chapiteau n° 48
L’Hiver
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23. Vézelay, église sainte Madeleine
Pile nord de la nef, chapiteau n° 48
L’Été
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Une autre observation peut contribuer un jour à lever le voile qui masque aujourd’hui ces figures : contrairement au couple clunisien du Printemps et de l’Été, dont les personnifications, tout en suivant les deux Prudence qui les précèdent, se tournent résolument le dos, les deux personnages du vent et du voyageur adoptent, entre elles, une attitude de convergence que l’on pourrait qualifier de secondaire (par rapport à celle, évidente et particulièrement franche, des deux personnages affrontés et non identifiés), mais qui relève du même axe que la première. La jambe gauche du vent et la jambe droite bottée du voyageur, comme lancées l’une vers l’autre, suggèrent un lien, ou peut-être une attraction, entre les deux figures, et ceci, sans préjudice de l’orientation assez nette du jeune vent vers la gauche (ill. 24). En conclure que la mise en route du voyageur se fait sous l’action de l’Esprit n’est évidement pas suffisant, parce que c’est un truïsme, truïsme manifesté d’ailleurs par la direction de l’embouchure du soufflet. Mais, dans le voyage surnaturel que racontent les chapiteaux, ce truïsme peut devenir le premier échelon d’une réflexion plus féconde.

24. Cluny, chapiteau du « Mouvement vital »
Jambes convergentes du Vent et du voyageur botté
Cluny, Musée du Farinier
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Un dernier détail demanderait enfin une explication, c’est le motif de cordage qui enserre le chapiteau au-dessus des personnages. Son interprétation est rendue difficile par l’imprécision à laquelle le très mauvais état des sculptures réduit l’analyse. Il évoque la corde surnaturelle, dépliée par saint Pierre et par saint Paul dans le Songe de Gunzo [140] (ill. 25), corde interprétée à juste titre comme une image du futur chantier de la grande église. Les chapiteaux construisent la Jérusalem céleste et le motif n’aurait rien d’insolite. Après le simple tropisme des feuilles d’acanthe, dressées vers le Christ sur le premier chapiteau, il aurait été placé au-dessus de cette mise en route pour signifier le travail de l’homme en quête de son propre salut : l’Esprit souffle et l’humanité, récapitulée dans le voyageur botté, se met en marche, chaussée solidement pour ne pas trébucher en chemin. Il pose ainsi la première pierre surnaturelle qui le fait entrer au monastère. Mais la corde ou la cordelière est aussi, et plus généralement, une image du lien qui unit les personnes, et il est permis de penser au chapiteau qui orne un des piédroits du portail de Mailhat, prieuré clunisien du-Puy-de-Dôme (ill. 25) [141] ». Les moines y sont représentés en bouquet serré, retenus par une corde qui les lie au milieu du corps, image dans laquelle on a reconnu la règle à laquelle ils doivent aliéner leur liberté, leur individualité et leur altérité.


25. Prieuré de Mailhat, Puy de Dôme
Chapiteau du portail de l’église
« Vous êtes tous enrôlés sous l’étendard d’une même règle »
(Dom Antoine de S. Gabriel, Lettres de S. Bernard abbé de Clairvaux)
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26. Le songe de Gunzo
Parchemin enluminé, début XIII siècle
abbaye de Saint-Martin-des-champs
Paris, BNF, Latin 17716, folio 43
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C’est celle que donne de « la sainte légion des moines [142]  » la Hiérarchie ecclésiastique du Pseudo Denys. Leur vie, peut-on lire, « loin d’être divisée, demeure parfaitement une [143] » et «  c’est un devoir pour eux de ne faire qu’un avec l’Un [144] ». « L’ordre des parfaits, écrit encore Denys dans le même texte, comprend les moines parce qu’ils ont unifié leur vie [145].  » Et il précise qu’ils « s’unifient eux-mêmes [146] ». Cette interprétation, comme la première, est en parfait accord avec la pensée directive du programme iconographique et la fréquente polysémie des détails de cet ensemble de sculptures, autorise, hélas sans certitude, à les présenter toutes deux.

Dominique Bonnet Saint-Georges

Notes

[1Voir supra.

[22 Ch. 26, 4.

[3Avouée ou inavouée.

[42 Ch. 26, 9.

[5Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios, trad. J. Cl. Larchet, F. Vinel, SC 554, II, question 48, p. 72-93 ; Ambigua ad Johanem 41, PG 91, 1308 D-1312 B, trad. É. Ponsoye, Paris, 1994, p. 292-298.

[6É. De Bruyne, Études d’esthétique médiévale, Bruges 1946, 1, p. 306 ss.

[7Pph. 1, 517 C, vol. 1, p. 181.

[8É. Mâle, L’art religieux du XIIe siècle en France, Paris, 1958, p. 16.

[9Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios, J. Cl. Larchet, F. Vinel, SC 554, II, question 48, p. 85.

[10Paul, Eph. 2, 10-18 ; I Cor. 3, 10-11 ; Pierre, I P. 2, 4.

[11Ps 118, 22 : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. »

[121 P. 2, 4. Ambroise, De Tobia, 21, 83, trad. B. Cabaud 2001.

[13« Toute la création intelligible et sensible, dont l’homme est composé comme de termes extrêmes antinomiques, [devient en lui] une unité indivisible. » C’est pourquoi l’homme est « l’agent médiateur et unificateur de toutes les créatures ». Pph. II, 536 B, vol. 1, p. 298.

[14On pourrait objecter qu’avant le péché, le premier couple humain est, identiquement, placé sur une face perpendiculaire à celle sur laquelle figure « la promenade » du Verbe créateur. Mais c’est faire abstraction du « soleil » divin, à sept pétales, qui insuffle la Vérité dans le crâne d’Adam immédiatement voisin, et qui est chargé d’illustrer par sa présence bien visible, l’intimité originelle entre Dieu et sa créature. Le Verbe créateur du panneau central ne figure que par rapport au couple pécheur, tandis que la vie paradisiaque du couple originel est, au contraire, concentrée sur une seule face, dont l’avancée d’Ève en direction du serpent va le faire sortir.

[15C’est la Jérusalem céleste, fortifiée de ses tours angulaires, qui portait la lumière sur le grand lustre de la chapelle palatine de Charlemagne à Aix-la-Chapelle.

[161 P. 2, 5. Ambroise reprend la phrase : « C’est de vous construire qu’il s’agit. » Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc X, 50, trad. G. Tissot, SC 52, p. 173. Paul, 1 Cor. 3, 10-16 : « Tel un bon architecte, j’ai posé le fondement […] Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?  » La disposition des colonnes du chœur illustrait en outre un verset des Proverbes : « La Sagesse a bâti sa maison, elle a dressé ses sept colonnes. » Pr 9, 1. La huitième est celle qui ouvre le recommencement.

[17« L’insistance sur le Temple unique, la maison unique, la civitas unique où tous reviendront à la fin des temps, est significative. » T. Gregory, « L’eschatologie de Jean Scot », Jean Scot Erigène et l’histoire de la philosophie, Actes du colloque 561, Laon 1975, CNRS, 1977, p. 389.

[181 Cor. 3, 11. D. Iogna-Prat a montré comment, sous l’influence du pseudo Denys, l’église construite à cette époque commence à être envisagée comme une personne vivante, dont la dédicace correspond au baptême, et dont les différentes parties sont assimilées à celles d’un corps, La Maison-Dieu. Une histoire monumentale de l’église au Moyen Âge, 800-1200, Seuil, 2006.

[191 Cor. 3, 12-13. On peut observer que, parmi les fleuves du paradis qui terminent le programme clunisien, le Phison est présenté dans la Bible, comme charriant « de l’or pur » (Gn. 3, 13). Il apporte ainsi un contrepoint parfait à la « paille » du premier chapiteau végétal. Ambroise identifie le Phison comme étant la Prudence, représentée deux fois sur le chapiteau du Printemps (Ambrosii Opera, De Paradiso, 3, 14, CESL 32, 1, édit. Schenkl). L’or pur du Phison avait sans doute été confié à la polychromie disparue.

[20Voir infra, Naaman le Syrien.

[21Pph. V, 1021 A, vol. 4, p.227.

[22Il est cependant remarquable qu’il n’y a aucune interférence entre l’univers végétal et les personnages, comme c’est fréquemment le cas dans l’art roman, qui multiplie les figures crachant des feuillages, ou des anatomies humaines qui se terminent en rinceaux. Ce mélange affecte d’ailleurs aussi bien les organismes humains que les espèces animales. Décrits pour la première fois par lady Raglan en 1937, et désignés par elle sous l’expression « the green man  », ils expriment sans doute l’unité profonde de la création et sa progression permanente, selon une sorte de darwinisme spirituel. Lady Raglan, « The green man in church architecture », Folklore magazine, mars 1939. Kathleen Basford, The green man, Brewer 1978.

[23K. J. Conant, « The iconography and the sequence », Speculum 5, 1930, p. 285.

[24K. J. Conant, « The apse at Cluny », Speculum 7, 1932, p. 30-31. Cette interprétation avait déjà été proposée par L. Bréhier, « Questions d’art roman bourguignon », Revue archéologique, 1929, p. 314.

[25R. Oursel, Bourgogne romane, Zodiaque, 1987, 8e édit., p. 137.

[26K. J. Conant, Cluny, les églises et la maison du chef d’ordre, Mâcon, 1968, p. 88.

[27J. Evans, Cluniac art of the romanesque period, Cambridge university press, 1950, p. 115.

[28F. Salet, Cluny et Vézelay, L’œuvre des sculpteurs, Société française d’archéologie, 1995.

[29Ch. E. Scillia, « Meaning and the Cluny capitals, Music as metaphor », Gesta 27, 1-2, 1988, p. 141.

[30V. Terret, La Sculpture bourguignonne aux XIIe et XIIIe siècles, Ses origines et ses sources d’inspiration, Cluny, Autun, Paris 1914, p. 152.

[31N. Stratford, « The apse capitals of Cluny III, Studies in burgundian romanesque sculpture, London 1975.

[32P. Diemer, « What does Prudentia advise ? On the subject of the Cluny choir capitals », Gesta 27, 1-2, 1988. p. 149-173.

[33S. Biay, Les chapiteaux du rond-point de la troisième église abbatiale de Cluny (fin XIe-début XIIe), Étude iconographique, Université de Poitiers 2011, p. 136-143.

[34V. Frandon, « Le multiple dans l’Un, approche iconographique du calendrier et des saisons du portail de l’église abbatiale de Vézelay », Gesta, 37, 1998. Ibid. Le Patrimoine de la basilique de Vézelay, coll. Dirigée par J. L. Flohic, édit. Flohic, Charenton-le-Pont, 1999, p. 67.

[35Troisième médaillon à gauche sur le portail central.

[36Une autre figure des médaillons du portail central présente la particularité de n’avoir qu’une chaussure et une jambe nue. Le sculpteur lui a fait une tête hirsute. Une balance cassée gît à ses pieds. V. Frandon, » Iconographie des calendriers médiévaux », Le Patrimoine de la basilique de Vézelay, sous la direct. De J. L. Flohic, édit. Flohic, 1999, p. 71.

[37Grégoire de Nysse, La Création de l’homme, trad. J. Laplace, notes J. Daniélou, SC 6, 1944. Le titre De Imagine, adopté au Moyen Âge, récapitule la pensée de Grégoire sur l’homme image de Dieu.

[38Grégoire de Nysse, Traité de la virginité, XII, 2, trad. Michel Aubineau, SC 119, p. 407. J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique. Essai sur la doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse., Paris, 1944, p. 223, 226, 261, 268-69.

[39Platon, République X, 609 a.

[40Plotin, Ennéades IV, 7, 10, 47, Les Belles Lettres, Paris 1924.

[41Grégoire de Nysse, Traité de la virginité, XII, 2, trad. M. Aubineau, SC 119, p. 409.

[42Ibid.

[43Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc ; IV, 49, SC 45 bis, op. cit p. 170 : « Le remède dépend de la volonté.  »

[44Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, I, 14, SC 45 bis, op. cit. p. 54-56.

[45Grégoire de Nysse, Homélie sur les Béatitudes, 6e béatitude, 2, 4, PG 44, 1272 A.

[46Pph. V, 872 A, vol. 4, p. 26.

[47Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, trad. G. Tissot, SC 45 bis.

[48II Rois, III, 5.

[49Grégoire de Nysse, La Création de l’homme, XXVII, trad. J. Laplace, notes J. Daniélou, SC 6, 1944. En ligne.

[50Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, IV, 50, SC 45 bis, op. cit. p. 171.

[51Contrairement par exemple à la figure du cinquième ton, identiquement vêtue d’une tunique longue.

[52Pph. V, 873 B, vol. 4, p. 28.

[53Pph. V, 873 A, vol. 4, p. 28.

[54La tête est tellement étrange qu’elle paraît anachronique et qu’on peut se demander légitimement, au premier abord, s’il ne s’agit pas d’une restauration maladroite, ce qui ne semble pas être le cas.

[55Pph. V, 873 A, vol. 4, p. 28.

[56Pph. V, 872 C, vol. 4, p. 27. On trouve la même phrase en Pph. IV, 801 B, vol. 3, p. 144.

[57Lc, 17, 11-19.

[58Pph. V, 873 A, vol. 4, p. 28.

[59Pph. IV, 801 B, vol. 3, p. 144.

[60Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, IV, 51, trad. G. Tissot, SC 45 bis, p. 171.

[61Pph. V, 873 B, vol. 4, p. 29.

[62Is. 40, 6.

[63Ibid.

[64Pph. V, 872 D, vol. 4, p. 28. Pour Grégoire de Nysse, l’image divine est si indélébile en l’homme que même la lèpre du péché ne parvient pas à la détruire. R. Leys, L’image de Dieu chez Grégoire de Nysse. Esquisse d’une doctrine, Bruxelles-Paris 1951, Museum Lessianum, section théologique, n° 49.

[65Pph. V, 873 B, vol. 4, p. 28.

[66Le lépreux de Vézelay montre sa main gantée de la même façon et avec le même geste qui la place au même endroit, même si la présence du manteau qu’il porte sur l’épaule rend son attitude naturelle.

[67Lc. 17, 11-19.

[68Pph. V, 874 A, vol. 4, p. 29.

[69Les énumérations de Jean Scot sont soumises à variations et les chapiteaux jouent de ces variations. Ainsi le sens intérieur et le sens extérieur se retrouvent synthétisés en un seul chapiteau qui est celui de Naaman le Syrien.

[70Pph. V, 874 B, vol. 4, p. 30.

[71Cet unique lépreux a été interprété comme une image des baptisés, en particulier par Bruno de Segni (1045-1123), abbé du Mont Cassin, en 1107 qui ne fait que reprendre l’exégèse d’Ambroise (Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 40) : «  Cet homme représente tous ceux qui ont été purifiés et guéris dans l’eau du baptême. »

[72Ex. III, 5.

[73Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 81, SC 45 bis, op. cit. p. 109.

[74Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc VII, 57, SC 52, op. cit. p. 27.

[75Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc IX, 31, SC 52, op. cit. p. 152.

[76Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc IX, 31, SC 52, op. cit. p. 152. « Il faut quitter les chaussures, en sorte que notre âme, gravissant le trône très saint, soit dégagée des liens et entraves du corps »

[77Mt. 10, 9, Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 81, SC 45 bis, op. cit. p. 109.

[78Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 81, SC 45 bis, op. cit. p. 109.

[79Col. III, 9.

[80Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc V, 23, SC 45 bis, op. cit p. 191.

[81Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc V, 25, , SC 45 bis, op. cit p. 192.

[82II Cor. V, 2-4, cité par Ambroise, Traité sur l’Évangile de S Luc V, 25, SC 45 bis, op. cit p. 192.

[83Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc V, 28, SC 45 bis, op. cit p. 194.

[84Sermon sur la Transfiguration, Petrus venerabilis cluniacensis abbas, Sermones, PL 189, Paris 1980, col. 961 : « Abluitur aqua illa quidquid sordium animae adhaeserat, redditur homo novus, albis, novisque induitur vestibus, ut et ipse in spiritu candidatus et renovatus, aptus appareat in Christi corporis vestimento »

[85« L’ayant ensuite dévêtu entièrement, il lui impose un habit nouveau.  » Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique, VI, 2, trad. M. de Gandillac, SC 58.. « Le dépouillement des anciens vêtements et la prise d’habit représentent le passage d’une sainteté médiocre à une plus grande perfection. » Ibid. VI, 3, 4.

[86Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc V, 104, SC 45 bis, op. cit. p. 221.

[87Ambroise inclut dans son texte une citation de Paul, 1 Col. III, 9.

[88Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, V, 106, SC 45 bis, op. cit. p. 221.Le mot employé par Ambroise est bien « calamus » que G. Tissot, par souci de clarté, traduit par « plume ». Tout en respectant sa traduction pour le reste de la phrase, la réintroduction du mot « calame » correspond avec plus de précision à la fois au texte latin et à l’image clunisienne.

[892 Cor.3, 3.

[90Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, V, 5, SC 45 bis, op. cit. p.184.

[91Ibid V, 106, op. cit. p. 222.

[92Ibid.

[93P. Pouzet, Notes sur les chapiteaux de l’abbaye de Cluny, Paris, 1912, p. 109-110. Jules Blanchereau, Travaux d’apiculture sur un chapiteau de Vézelay, Caen, 1914. Conant, après avoir identifié un des vents (« The iconography and the sequence of the ambulatory capitals of Cluny », Speculum V, juillet 1930, p. 281) donna sa caution à cette identification. (Speculum VII, 1932, p. 29-30)

[94Il est vrai que l’apiculteur reconnu par certains chercheurs était un apiculteur symbolique dont la ruche, également symbolique, représentait la communauté monastique dans un perpétuel bourdonnement spirituel. Mais cette image, envisageable en elle-même, ne justifiait pas la nudité du personnage, dont la nature restait difficilement explicable. Apiculteur et ruche n’appartiennent pas au même registre, et la reconnaissance de la communauté monastique dans l’image de la ruche ne présumait pas de la raison d’être de l’apiculteur.

[95K. Porter, Romanesque sculpture of the pilgrimage roads, Boston, 1923, p. 79. E. Panofsky, en 1939 a rapproché ce type de soufflet d’autres représentations. Essai d’iconologie, Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, New York, 1939, Paris 1967. p. 65.

[96La recherche des quaternités a été meurtrière pour la recherche. Elle est à l’origine de la majorité des hypothèses concernant les chapiteaux.

[97Raoul Glaber, Histoires, Livre 1, chap. 1, « De divina quaternitate ». Présentation et traduction par M. Arnoux, Brepols, Turnhout, 1996. P. E. Dutton a montré que Raoul Glaber devait son chapitre sur les quaternités à Maxime le Confesseur, dont il avait lu les Ambigua dans la traduction de Jean Scot. « Raoul Glaber’s ʺDe divina quaternitateʺ, an unnoticed reading of Eriugena translation of the Ambigua of Maximus the Confessor », Medieval studies, 42, 1980, p. 431-435.

[98F. Salet, Cluny et Vézelay : L’œuvre des sculpteurs, Paris, Société française d’archéol. 1995, p. 34.

[99Ch. E. Scillia, « Meaning and the Cluny capitals », Gesta 27, 1-2, 1988, p. 137. Malheureusement l’application du schéma des quaternités a entraîné à reconnaître le feu, la terre et l’eau dans les autres figures, tandis que la même pensée faisait identifier les quatre figures comme celles des quatre vents par P. Diemer, op. cit, Gesta 27, 1-2, 1988, p. 149-173.

[100Grégoire de Nysse, Traité sur les six Jours, trad. T. Lecaudey, mémoire de maîtrise, Paris IV Sorbonne, 1999, 85 D-88 C.

[101Pph. V, 947 A, vol. 4, p. 128.

[102Pph. IV, 786 C, vol. 3, p. 123. Exceptionnellement, la phrase ne respecte pas la gradation habituelle des niveaux.

[103Voir infra.

[104Pph. V, 947 A, vol. 4, p.128. Nous nous permettons, dans cette phrase, de nous écarter de la traduction de F. Bertin qui transcrit le mot « folles » par « coussins ».

[105Ibid.

[106Pph. V, 946 A, vol. 4, p. 127.

[107Pph. V, 947 A, vol. 4, p. 128.

[108Pph. V, 948 B, vol. 4, p. 130.

[109Ibid.

[110Ibid.

[111Pph. IV, 787 B, vol. 3, p. 124 : « C’est intégralement que l’âme humaine anime et nourrit son corps, et qu’elle lui assure sa croissance ; c’est aussi intégralement que l’âme humaine ressent les sensations, dans les cinq facultés sensorielles… » On peut lire aussi que « un unique sens corporel, subdivisé en cinq sens, inhère communément à tous les hommes. » Pph V, 943 B, vol. 4 p. 123.

[112Pph. V, 947 C, vol. 4, p. 129. Le septième musicien de Cluny, qui reçoit « les dons » de l’Esprit, soufflait sans doute dans un instrument à vent. « Le Seigneur Lui-même a [...] promis à ses apôtres de leur accorder la vertu de l’Esprit. » Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, I, 37, SC 45 bis, op. cit. p. 65.

[113Gn. II, 7. Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 85, SC 45 bis, op. cit. p. 112 et I, 7 p. 50.

[114Ps. 104, 30. Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, I, 7, SC 45 bis, op. cit. p. 50 : « Je reconnais-là Celui qui a façonné debout l’homme et lui a donné le souffle de vie. »

[1152 Cor. 5, 17.

[1162 Cor. 5, 5.

[117Ambrosii Opera, De Paradiso 6, 32, édit Ch. Schenkl, CSEL 32, 1, p. 289.

[118Pph. III, 633 C, vol. 2, p. 90.

[119Réserve faite des genoux pliés que l’on pourrait légitimement rapprocher de la femme à la drachme perdue du quatrième chapiteau. La plus forte probabilité reste néanmoins en faveur d’une figure masculine.

[120Éph. VI, 15, Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 80, SC 45 bis, op. cit. p. 109.

[1212 Cor. 5, 6.

[122Lc 18, 28.

[123Jn. 20, 19.

[124Jn. 20, 21-22.

[125Ez. 37, 9.

[126Jn. 20, 23.

[127Ps. 90, 12. Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc VII, 231, SC 52, op. cit. p. 95. L’image revient plusieurs fois dans le même texte, avec le souhait « que le terrain glissant ne fasse pas trébucher les faibles pieds » du corps, et que l’âme soit «  assurée désormais dans sa marche.  » Ibid, X, 33-33, p. 167. Les bottes du personnages indiquent sans doute ici qu’il se met en route car, comme l’explique Ambroise : « Si quelqu’un est en peine de la raison pour laquelle, en Égypte, il est prescrit d’être chaussé pour manger l’agneau, […] il lui faut considérer qu’étant en Égypte, on doit encore prendre garde aux morsures des serpents. » Ibid, VII, 57, p. 27. Le voyageur de Cluny, au deuxième chapiteau ou à la deuxième étape de son retour, est peut-être encore « en Égypte ».

[128Chapiteau de l’église de Grandson (canton de Vaud), façade de l’église de la Trinita d’Aregno (diocèse d’Aleria).

[129Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc VII, 231, G. Tissot, SC 52, p. 95

[130Ibid.

[131M. Angheben, Les chapiteaux, Le patrimoine de la basilique de Vézelay, sous la direction de J.L. Flohic, édit. Flohic, Charenton-le-Pont, 1999, p. 88.

[132Le voyageur clunisien laisse encore deviner un pan de manteau peu discernable au milieu des feuillages qui l’entourent.

[133Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc VII, 231, SC 52, op. cit. p. 93.

[134Voir supra, chapiteau des quatre premiers tons.

[135Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc VII, 231, SC 52, op. cit. p. 95. La disparition de la main du musicien supprime la certitude qu’aurait apportée la présence d’un anneau au doigt du jeune homme.

[136Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, Prologue 6, trad. G. Tissot, SC 45 bis, p. 43.

[137Et non plus selon un axe privilégié, qui existe cependant.

[138M. Angheben, Les chapiteaux, Le patrimoine de la basilique de Vézelay, sous la direction de J.L. Flohic, édit. Flohic, Charenton-le-Pont, 1999, p. 102.

[139Ibid. On pourrait aussi envisager de l’interpréter comme l’image synthétique d’un dépouillement préalable à une mise en route.

[140Manuscrit de Saint-Martin-des-champs. Parchemin enluminé, B.N.F. Fonds latin n° 17716.

[141Dom Antoine de S. Gabriel, Lettres de S. Bernard abbé de Clairvaux, nouvellement traduites, 3e partie, chez Jacques de Laize-de-Bresche, 1674, Lettre 229 (de Pierre le Vénérable à S. Bernard), p. 118.

[142Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique, VI, 1, 3, trad M. de Gandillac. « De tous les ordres d’initiés, le plus élevé est la sainte légion des moines  »

[143Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique, VI, 1, 3, trad M. de Gandillac, SC 58. « De tous les ordres d’initiés, le plus élevé est la sainte légion des moines. »

[144Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique, VI, 3, 2, trad M. de Gandillac.

[145Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique, VI, 3, 5, trad M. de Gandillac.

[146Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique, VI, 1, 3, trad M. de Gandillac.

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