Proposition de lecture des chapiteaux de Cluny 6. Le Printemps

1. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Des jeunes filles dans des mandorles régulières
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Le programme des chapiteaux du chœur de Cluny tel qu’il est exposé dans l’ancien farinier du monastère présente, en partant de la gauche, une série de trois chapiteaux à dominante végétale. Nous avons suggéré, en nous fondant sur les textes de Jean Scot [1], que ce premier trio était suivi d’une seconde série de trois chapiteaux ornés de mandorles. Cette ordonnance n’est pas celle choisie par Kenneth Conant et maintenue jusqu’à aujourd’hui, mais elle découle de la nécessité de placer le chapiteau du Paradis en avant dernière position (lire les articles précédents). Si l’on adopte ce décalage, le chapiteau du Printemps reste à la cinquième place qui lui a été dévolue par l’archéologue américain, mais il devient le centre des trois chapiteaux à mandorles, entre les mandorles hexagonales qui le précèdent et celles des quatre premiers tons, qui le suivraient donc immédiatement, en sixième position.

À l’image des mandorles hexagonales du chapiteau précédent, ce cinquième chapiteau présente à nouveau quatre figures féminines dans des mandorles qui occupent tout l’espace disponible sur chacune des faces (ill. 1). Mais, à l’image de celles des quatre premiers tons de la musique, ces mandorles sont régulières, ovoïdes, très largement épanouies et portent des inscriptions gravées sur la bordure. Dans la présentation du Farinier, ces textes sont les premiers du cycle. Les premiers chapiteaux « végétaux » en sont en effet dépourvus et les mandorles hexagonales, aussi. Comme les tituli des tons de la Musique, trois de ces textes sont gravés. Étrangement, le quatrième était peint. Retrouvé en 1928, il a, hélas, été effacé depuis [2]. Ces textes présentent deux des jeunes filles comme des saisons, le Printemps et l’Été. Les deux autres incarneraient des vertus ou, plus exactement, une double image de la vertu de Prudence.

+ VER PRIMOS FLORES PRIMOS ADVCIT ODORES :
[…]VENS Q[V]AS DE[C]OQ[V]IT A[E]STAS :
DAT COGN[OSCEN]DV[M] PRUDEN[T]IA Q[V]ID SIT AGEN[D]V[M]

Du quatrième titulus peint n’existe aucune photo fiable. En se référant au témoignage de Kenneth J. Conant [3], et à celui de Richard W. Lloyd, il était ainsi libellé :

DAT NOS MONENDV[M] § [P]RVDEN[TIA QV]ID SI[T] AGENDVM [4]

Ce qui en fait un doublon du précédent, et n’a pas contribué à éclaircir le sujet. Nombreux sont les chercheurs qui ont été déroutés, tant par ce qui apparaît comme une rédaction chaotique, erronée ou, pour le moins, peu sûre du texte, que par une sorte d’inadéquation entre les figures et les désignations qui s’y rapportent [5].
Comme pour les tituli des tons de la musique, ces quatre phrases forment un ensemble versifié énigmatique, qui reprend le principe du vers léonin avec rime intérieure [6] déjà utilisé, mais dont l’analyse paraît d’autant plus difficile que nous ne possédons pas avec certitude la totalité du texte. En effet, non seulement il y a doute sur la légitimité d’intégrer l’inscription peinte dans le corpus des tituli, mais il faut en outre déplorer l’état du titulus de « l’Été », dont ne subsiste qu’un fragment. De surcroît, l’ordre des différents vers qu’imposait la numérotation des tons de la musique, est ici problématique, et ne peut donc que découler de l’analyse des figures et des relations qui les lient. Ainsi, ce qui faisait partie des données pour l’analyse des tons, se propose, pour ce chapiteau, à l’état d’énigme supplémentaire.

2. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Les deux Prudence se font face
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Quatre jeunes filles se répartissent les quatre faces du chapiteau. Les deux Prudence se font face (ill. 2) reproduisant la relation qui, sur le chapiteau précédent, oppose la vierge sage et la femme au miroir, opposition qui s’est révélée être plutôt une articulation entre deux figures complémentaires. Les deux saisons semblent les suivre, comme la Mémoire derrière la jeune femme au miroir. Il est étrange que la disposition des figures n’ait pas été plus soigneusement observée, car c’est une des rares clés d’interprétation solide dont nous disposons aujourd’hui. Les illustrations publiées à l’appui des différentes études adoptent trop souvent des présentations fantaisistes, parfois même inversées [7] qui, comme dans le cas du chapiteau aux mandorles hexagonales, ont certainement contribué à obscurcir la signification des images. Il semble raisonnable de partir de la relation entre les figures des deux saisons, a priori clairement identifiées et dont la relation paraît simple. Le bon sens incite à placer le Printemps avant l’Été. Le redoublement de la Prudence est plus difficile à interpréter. Quant à la logique qui a présidé au mélange des deux, elle ne s’impose pas d’emblée.

+ VER PRIMOS FLORES PRIMOS ADVCIT ODORES  :
+ Le Printemps apporte les premières fleurs et les premières odeurs :

3. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Le « Printemps »
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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La figure du Printemps est, certainement, une des plus gracieuses de l’ensemble du chœur de Cluny, et une des plus justement célèbres (ill. 3). C’est aussi une des mieux conservées. Il s’agit d’une jeune fille vêtue d’une longue robe et d’un manteau attaché sur l’épaule droite ; sa tête est couverte d’un voile court, qui descend à mi-dos et revient vers l’avant sur son épaule gauche. Elle est chaussée, et porte sur son bras droit un gros livre fermé, dont les pages sont indiquées par une série de traits parallèles gravés sur la tranche inférieure. De sa main gauche, elle le retient contre elle. Sa silhouette, quoique presque de face au premier abord, à cause de l’évasement de son manteau, est nettement tournée vers la droite par l’identique orientation de ses pieds et de sa tête, qui entraîne, d’une façon plus discrète, celle se son buste.

Quel rapport peut-on établir entre cette image juvénile, qui évoque plutôt l’étude ou la lecture, et l’évocation fleurie et odorante qui s’échappe du titulus qui l’accompagne ? Cette figure champêtre et féminine est, en soi, inattendue dans un couvent d’hommes, même si la présence de l’Été, mentionnée sur la face contigüe, semble l’intègrer dans une logique naturelle, qui a tenu lieu, le plus souvent, d’explication. C’est selon cette logique qu’on a tenté de reconnaître les saisons manquantes sur les chapiteaux voisins [8], tandis qu’on cherchait, de la même façon, à compléter la double image de la Prudence − présente sur le même chapiteau − en interprétant les autres figures comme étant les vertus qui l’accompagnent habituellement (Force, Justice et Tempérance) [9]. Mais ces recherches n’ont donné « qu’une maigre récolte d’interprétations »
L’identification de la jeune fille comme une figure du printemps repose sur une inscription claire, entière, bien lisible et même magnifiquement calligraphiée (ill. 4). Néanmoins, il est à peu près certain que, sans cette inscription, rien dans la figure qui orne le centre de cette première mandorle n’aurait permis d’en percer la signification. C’est une bonne illustration des difficultés de lecture des chapiteaux dépourvus de textes accompagnateurs. Les historiens de l’art ont depuis longtemps fait observer que les saisons étaient, en général, représentées par les travaux des mois, et que ces travaux étaient essentiellement masculins [10]. Cette observation, justifiée en elle-même, l’était aussi, en l’occurrence, par l’idée présupposée que les chapiteaux récapitulaient un miroir du monde, en alignant successivement les saisons, les éléments, les vertus, les arts libéraux, etc. Il s’agit certes d’un miroir du monde, mais ce monde est intérieur, spirituel, et les saisons qui figurent sur ce chapiteau sont celles de l’âme, car « pour l’âme comme pour le corps, écrit saint Ambroise, nous calculons les âges non pas à raison du temps, mais selon le degré de vertus [11] ». C’est pourquoi ce Printemps, comme les figures qui occupent le chapiteau précédent, et pour les mêmes raisons, est une jeune fille et non un paysan.

4. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Le Printemps
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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C’est dans les méditations de Grégoire de Nysse que les moines de Cluny ont trouvé les saisons de l’âme, dont la succession accompagne la maturation progressive de la vie spirituelle : « À l’origine, note Grégoire, la nature humaine était florissante » ; le paradis n’était qu’un éternel printemps. Mais « l’hiver de la désobéissance » a changé l’ordre du monde, « la fleur s’est fanée, elle est tombée à terre, l’homme a été dépouillé de l’immortalité et l’herbe des vertus s’est flétrie [12]  ». Une fois de plus, à Cluny, malgré la progression du thème général depuis le premier chapiteau végétal jusqu’au huitième ton de la musique, chaque chapiteau − faut-il le répéter ? − reprend le même récit, celui de la chute de l’homme et de son retour à Dieu. « Celui qui rend le printemps à notre âme est venu […] Notre nature a recommencé à fleurir et à s’orner de ses fleurs véritables. Les fleurs de notre vie sont les vertus. [13] » Et Grégoire file inlassablement la métaphore : «  Ainsi, si quelqu’un ayant recueilli toutes les fleurs parfumées dans les prairies diaprées de la vertu, a fait de toute sa vie un parfum par la bonne odeur des œuvres de chaque vertu [14]  », il restaure en lui l’état paradisiaque de l’Adam primitif.

Et, chez Grégoire, ce thème des saisons s’accompagne de la théorie des sens spirituels. Les jeunes filles de Cluny sont placées au cinquième chapiteau, et les textes de l’évêque de Nysse montrent que cette place est pertinente : aux cinq sens de l’homme extérieur, qui ont joué jusqu’à cette nouvelle étape le rôle de portes de l’âme, correspond en effet, pour l’homme intérieur, une structure identique des sens spirituels, « car il y a en nous deux sortes de sens, l’un corporel, l’autre divin [15] ». La seconde sorte doit être comprise comme un contact existentiel, par lequel se révèle la présence du Verbe dans une âme [16]. C’est, répétons-le, le principe de la théophanie. Pour le Père grec, il s’agit d’une restauration progressive de la vraie nature de l’homme, qui s’accompagne d’une perception nouvelle et différente de l’univers, perception semblable à celle que possédait l’homme originel avant que le péché ne le fasse tomber dans la matérialité [17]. La vie spirituelle rend à l’homme « le goût de Dieu [18] ». Bien entendu, « l’odeur des parfums n’est pas perçue par les narines mais par une faculté spirituelle et immatérielle [19] ». Or, pour Grégoire, l’odorat est le premier des sens spirituels à s’éveiller, le plus précoce [20], et la jeune fille qui perçoit le parfum divin est ainsi, naturellement, une personnification du Printemps, première des saisons de l’année calendaire. Les odeurs qui surgissent du titulus manifestent la présence du Christ dans l’âme qui en est le siège. Dieu reste inaccessible et inconnaissable, « mais la bonne odeur répandue en nous par la pureté des vertus nous tient lieu de Lui [21]  ».
Le thème de « la bonne odeur du Christ » se trouve dans saint Paul [22], qui le reprend de l’Ancien Testament. Le Cantique des Cantiques célèbre « l’arôme des parfums », dès les premières lignes, et en décline le thème d’une strophe à l’autre : « L’odeur de tes parfums est supérieur à tous les aromates [23] ». C’est sur cette phrase que glose Grégoire de Nysse lorsqu’il écrit : « par aromates nous entendons les vertus, sagesse, tempérance, force, prudence […] dont chacun de nous est parfumé selon sa puissance et sa volonté [24] », tandis qu’Ambroise méditant l’épisode du repas chez Simon [25], au cours duquel une femme verse un parfum sur le Christ, ne craint pas d’interpréter ce geste selon la même exégèse, en écrivant qu’elle « répand le parfum de ses mérites [26] », « l’arôme des bonnes mœurs, les parfums des actions justes ». L’image paraissait naturelle aux moines, et pas seulement aux clunisiens, comme le montre une lettre de Pierre le Vénérable à saint Bernard, dans laquelle il se déclare « attiré par l’odeur de [ses] parfums [27] », c’est-à-dire par les vertus de son correspondant. Comme on le comprend, il y a de nouveau un va-et-vient entre Dieu et la créature, va-et-vient dans lequel chacun est, tour à tour, odeur ou odorat. La jeune fille du Printemps perçoit les premières odeurs, mais elle est elle-même, comme saint Bernard, source de parfum, et le titulus laisse son lecteur dans l’imprécision : assimilée au Printemps, est-ce elle qui apporte les odeurs ou, au contraire, perçoit-elle celles que le Printemps de son âme verse en elle ? Il est probable qu’une telle question aurait paru oiseuse aux moines habitués à cet univers contemplatif, mobile et réciproque. D’ailleurs, le mécanisme est le même que celui de la femme retrouvant sa drachme à l’image du souverain, ou bien cette même image à l’intérieur de son miroir, au chapiteau précédent, et qui devient, elle-même, dans sa mandorle, image et sceau, miroir du miroir, image de l’image [28].
Mais saint Ambroise va plus loin, et son exégèse offre une nouvelle dimension à la compréhension de cette figure en introduisant une réflexion sur la nature du parfum qui concentre en lui « le charme de bien des fleurs  [29] ». Ainsi, à l’inverse de la diffusion de l’Un dans le multiple, qu’illustre clairement le premier chapiteau végétal [30], le parfum suggère, au contraire, la récapitulation du créé dans l’Un, thème fondamental du programme clunisien. C’est exactement le même mécanisme que celui de l’harmonie musicale née de sons différents sur les chapiteaux suivants, fusion des dissemblables, unité des séparés. Et le pasteur qu’est Ambroise conclut que «  peut-être nul ne peut offrir ce parfum que l’Église seule, qui possède des fleurs innombrables aux senteurs variées [31] ». L’Église, certes. Et, dans l’Église, l’empire clunisien, répandu dans toute la Chrétienté. Faut-il rappeler que ce retour à l’Un est ce qui réunit les élus dans le cercle final du huitième chapiteau ? C’était aussi, sous l’abbatiat d’Hugues de Semur, ce qui unissait les moines noirs lorsqu’ils venaient, chacun à son tour, − quel qu’ait été leur monastère et si éloigné ait-il été de Cluny − prononcer leur vœux dans le chœur de l’église de la maison mère, devant l’autel autour duquel se développait la corolle des chapiteaux.

[FALX RESECAT SPICAS FER]VENS Q[V]AS DECOQ[V]IT A[E]STAS[[Restitution proposée par l’abbé Pougnet, « Les tons de la musique », Annales archéol. XXVI, 1869, p. 387.]]
La faux coupe les épines que l’été ardent a brûlées

5. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Été, Printemps, les deux figures se tournent le dos.
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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A priori, il semble bien normal que l’été soit associé au printemps, et qu’une autre jeune fille vienne l’incarner dans une autre mandorle. Mais, d’une manière surprenante, les deux figures ne se suivent pas, elles se tournent le dos (ill. 5). L’inscription qui permet d’identifier l’Été est très mutilée. Les manques introduisent une possibilité d’erreur, et limitent la compréhension d’un personnage qui a, de surcroît, perdu ses attributs.
La jeune fille se présente presque de profil et franchement orientée vers la gauche (ill. 6). Comme le jeune Printemps auquel elle tourne le dos, elle est vêtue d’une robe et d’un voile, dont les étoffes fluides semblent avoir été traitées par le sculpteur avec plus de finesse que celles des vêtements des autres figures [32]. Le manteau qui enveloppe la figure précédente a disparu [33]. Son buste, penché en avant, et sa tête fortement inclinée vers le bas, étaient sans doute expressifs de l’attention qu’elle portait à l’activité dans laquelle elle était engagée. Malheureusement la figure est très mutilée : le visage est en partie détruit, elle a perdu l’extrémité de son bras droit ainsi que la totalité du gauche, et l’activité qui déterminait sa posture et orientait l’inclinaison de son visage nous échappe. Des traces d’arrachement sur le fond et sur le bord de la mandorle apportent la certitude de la disparition d’un second motif.

6. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
L’Été
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Le sens que l’on a accordé à cette figure vient non seulement de l’inscription qui l’accompagne [34] – sur laquelle le mot a[e]stas est encore bien lisible – mais aussi d‘une idée préconçue dans l’esprit des commentateurs. Si la restitution, plus ou moins généralement acceptée, du texte qui l’accompagnait autrefois, est exacte – ce qui n’est pas assuré − le rapprochement des mots spicas – qui n’existe plus et n’a peut-être jamais existé [35] − et aestas, dans la formule du titulus, a orienté les recherches vers une image de la moisson. Spica, la pointe, l’épine, peut aussi, par extension, désigner l’épi de blé, et il a paru naturel que la moisson soit associée à une figure de l’été. Pour les chercheurs, la jeune fille portait une faucille, et c’est avec cet accessoire que Kenneth Conant suggère la restitution qu’il en propose [36]. La traduction du texte la plus souvent admise est donc :
La faux coupe les épis que l’été brûlant a fait murir.
Les paraboles évangéliques du grain de blé tombé en terre et de la moisson s’imposaient comme naturellement à l’esprit. Ce personnage, dont la moisson allait enrichir les greniers du Seigneur, fournissait une image logique, satisfaisante et vraisemblable, même si sa raison d’être échappait à une analyse précise. La patrologie ne manque pas de textes sur ce thème et saint Ambroise peut, parmi d’autres, être requis à l’appui de cette interprétation traditionnelle. Car, dans l’aventure du salut, écrit l’évêque de Milan, « pour être le fruit à point, il faut mériter d’être conformé à celui qui, tel le grain de blé, est tombé pour porter en nous des fruits abondants [37] ». Les fruits dont parle Ambroise se trouvent justement représentés sur le chapiteau du Paradis qui, dans la présentation de Kenneth Conant, suit immédiatement celui-ci. Quant à la conformité au Christ, l’apparition du personnage à l’intérieur d’une mandorle régulière est là pour la proclamer.
On peut néanmoins proposer une lecture plus cohérente et mieux argumentée, aussi bien du titulus, que de la figure à laquelle il se rapporte : enfermée dans l’espace clos de sa mandorle, la jeune fille fait surgir l’Été après une succession de trois chapiteaux à forte dominante végétale. Celui qui la précède immédiatement a déjà remplacé une partie de cette végétation par des mandorles hexagonales. Mais ici, il s’agit de mandorles parfaites, régulières, épanouies, comme celle dans laquelle apparaît le Christ au fond de l’abside de Berzé-la-Ville, ou celle au centre de laquelle Il siègeait, au-dessus des chapiteaux de la grande église, et dont on a la confirmation qu’elle était bien ovale [38]. Comme aussi sur le chapiteau des quatre premiers tons de la musique qui, selon une proposition raisonnable, devait suivre immédiatement celui du Printemps en lieu et place du Paradis. L’ampleur de sa forme limite l’élément végétal, dominant sur les trois premiers chapiteaux, à un espace très réduit (ill.7).

7. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
La végétation diminue d’un chapiteau à l’autre
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Adam le terreux, chassé du Paradis, a reçu l’ordre de « manger la terre de son cœur », car « la terre, c’est le coeur d’Adam qui a été maudit à la suite du péché originel [39] ». Il mange cette terre « à travers les multiples tribulations de la philosophie pratique [40] », c’est-à-dire en travaillant, pour extraire la Vérité du spectacle de la création telle que la perçoivent ses sens. Il en fait jaillir « des réflexions qui ont germé […] telles des épines », et des opinions « tels des chardons [41] ». Les limites de la connaissance de l’homme sont vite atteintes, et la moisson méritée par ses efforts reste aussi maigre que décevante. Et Maxime le Confesseur, qui dresse ce pauvre bilan, ajoute : « quant à l’herbe, [celle des trois premiers chapiteaux] elle symbolise la connaissance acquise à partir d’un examen sensible des existants créés [42] ». C’est pourquoi, l’esprit, parvenu à un certain niveau de contemplation – à la cinquième étape ou sur le cinquième chapiteau − a le devoir de s’en débarrasser, pour pouvoir désormais ne se nourrir que du « pain de la Parole divine, qui est l’unique pain vivifiant, qui sert à préserver l’incorruptibilité des hommes qui en mangent  [43] ». C’est ce que fait le jeune Printemps, qui serre justement dans ses bras le gros livre de la Parole divine (ill. 8). Maxime conclut qu’à un certain moment de l’histoire du salut, après avoir trouvé la nourriture de sa recherche et de sa contemplation dans le monde qui l’entoure − comme c’était le cas depuis le premier chapiteau végétal jusqu’au troisième −, il devient nécessaire que « l’homme fauche spirituellement la connaissance sensible, comme si c’était de l’herbe fanée [44] ». Le verbe « resecare  », restitué dans le titulus – s’il a véritablement figuré un jour dans le texte − a bien le sens d’ « enlever en coupant, tailler, rogner, retrancher, supprimer [45] ». Si la figure que nous avons sous les yeux tenait bien une faucille, il rend compte avec précision de l’activité de cette jeune faucheuse, dont la présence, dans son été, témoigne de la maturité de la vie spirituelle atteinte par l’âme. Il rend compte, en tous cas, de la transformation des chapiteaux, de la diminution spectaculaire du décor végétal et de son renvoi à l’extérieur des mandorles. Ce décor ne disparaît pas, car le monde sensible continue à exister comme tous les niveaux de la Création divine – c’est ce qu’affirme le premier chapiteau végétal, et ce que confirme le dernier, jusqu’au huitième ton –, mais il est maintenu hors du réduit intérieur de la mandorle duquel, au contraire, il est soigneusement éliminé par l’activité de la jeune fille [46]. Il faut comprendre que, sur ce chapiteau, ce n’est pas la nature physique, sensible, qui est supprimée, mais la connaissance primaire acquise à partir de cette nature, connaissance devenue inutile à l’esprit purifié, et qui ne peut plus désormais que l’encombrer, car « ceux qui aspirent aux natures spirituelles et éternelles ne doivent pas pour autant mépriser les natures sensibles et temporelles […], mais doivent abandonner ces natures […] parce qu’elles sont instables et changeantes. [47] ».

8. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Le gros livre de la Parole divine
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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En admettant que le mot spica, disparu également, et restitué par un désir de cohérence et par le besoin d’une rime intérieure, ait bien figuré sur le titulus, il est donc probable que ce ne sont pas des épis, mais des épines, que cette jeune fille taillait de sa faucille disparue, des herbes fanées que l’été a brûlées de son ardeur. Car cette image du feu et de la cuisson qui consume, se trouve, elle, bien présente, attestée, et contenue implicitement à la fois dans l’adjectif fervens [48], qui subsiste à moitié, et surtout dans le verbe decoquit [49], que l’on peut encore déchiffrer. Or, c’est justement à quelque chose d’approchant qu’invite l’Érigène lorsqu’il incite son lecteur à « cuire ses péchés [50] » dans la pratique de l’ascèse [51], ou lorsqu’il assimile l’incendie de Jérusalem à une image de purification de la nature humaine. Citant saint Jérôme, il écrit que l’incendie « la consumera comme du foin [52] », et prend la peine de préciser que ce foin est le symbole de la matière. Après cette citation, il ajoute en manière de commentaire : « cette matière brûlera comme du foin, quand la nature créée à l’image de Dieu sera sanctifiée, c’est-à-dire purifiée, de telle sorte que rien ne restera en elle qui soit matériel ou temporel, terrestre ou visible, transitoire ou changeant, car cette matière sera entièrement transformée en une stabilité et une uniformité spirituelle. [53] ». La mandorle doit être vide pour devenir la demeure de la Divinité « qui contient tout en soi, fait son lieu et son espace dans la pureté de ceux qui La reçoivent [54] ». Quant à la matière « transformée en une stabilité et une uniformité spirituelle », c’est elle qui accompagne les quatre derniers tons de ses palmes régulières et immobiles substituées définitivement et pour l’éternité aux mandorles devenues inutiles.
Ainsi, le passage des chapiteaux végétaux aux chapiteaux à mandorles signifie-t-il aussi que la nature humaine, « fatiguée par la lassitude propre aux natures muables, et exercée à contempler la stabilité des natures immuables et éternelles, […] désire ardemment et aspire à contempler les formes immuables qui caractérisent les natures véritables, dans la beauté desquelles elle trouvera son repos sans le moindre changement [55] ». Toutes les mandorles sont désormais identiques, et reproduisent celle dans laquelle apparaissait le Christ central.

PRUDENCE !

9. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Les deux Prudence affrontées
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Sur le même chapiteau, et précédant les deux saisons, figurent deux représentations affrontées de la Prudence, doublement incarnée par deux jeunes filles (ill. 9). La première, vêtue d’une longue robe et la tête couverte d’un voile court, est armée d’un fouet ; elle est tournée vers la droite et précède le Printemps, tandis que la seconde, vêtue d’un haubert qui descend jusqu’au dessus des genoux et dont s’échappe sa longue tunique, est tournée vers la gauche, et s’avance devant l’Été [56]. Toutes deux sont chaussées. Toutes deux se présentent de profil. Une inscription gravée entoure la Prudence armée, tandis que la figure au fouet était cernée d’une inscription peinte, aujourd’hui disparue. Ces deux inscriptions, identiques à un mot près, font doublon.

DAT NOS MONENDV[M] § PRVDENTIA Q[V]ID SIT AGENDVM
La Prudence nous avertit de ce qu’il convient de faire.

La figure a conservé son fouet (ill. 10), mais la cible de cet accessoire a disparu à l’exception d’un petit pied encore visible sur le bord droit de la mandorle qui suggère que la jeune fille était occupée à châtier un enfant. L’absence de cette figure complémentaire, dont on peut sans témérité excessive supposer qu’elle était pourvue de détails précis qui en précisaient la signification, nous prive à nouveau d’un élément essentiel d’interprétation.

DAT CO[GNOSCE]NDV[M] PRVDENTIA Q[V]ID SIT AGENDV[M]
La Prudence nous fait connaître ce qu’il convient de faire

La silhouette de la jeune fille et un certain désordre dans le graphisme du titulus suggèrent que cette figure, protégée par son haubert, était pourvue d’accessoires [57] (ill. 11). Dans son essai de reconstitution, Kennet Conant la présente avec une lance ornée d’un pennon ou d’une bannière.


10. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny.
La Prudence au fouet
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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11. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
La Prudence armée
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Si l’on s’en remet au jugement de Kenneth Conant, la devise peinte autour de la figure était contemporaine des tituli gravés qui entourent les autres figures. Mais après la perte d’une partie du titulus de l’Été, sa disparition, malgré la fiabilité des témoignages qui la concernent, constitue un nouvel obstacle. La similitude des deux formules qui accompagnent les deux Prudence est gênante et d’autant plus qu’il est difficile d’envisager pour quelle raison l’une des inscriptions serait restée peinte alors que les trois autres ont été gravées. Cette anomalie trahit un flottement, un incident de chantier, qui a sans doute pesé sur l’achèvement normal des images, qu’il s’agisse d’une perturbation dans le travail du sculpteur, d’un repentir dans la rédaction, ou d’une précipitation dans la pose. Si l’on s’en tient à ce qui existe aujourd’hui, il faut se contenter d’enregistrer la différence de verbe entre les deux phrases. Une figure de la prudence prévient le péril et l’anticipe, tandis que l’autre se pose en gardienne [58]. Aller plus loin devient hasardeux. Il est vrai que, sans la présence des inscriptions, ces figures, une nouvelle fois, auraient reçu une tout autre interprétation.

12. Clermont-Ferrand, Notre-Dame-du-Port
Largitas et Caritas
Photo : Epierre Notre-Dame du Port
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La figure armée aurait été regardée comme une image de la Force, et celle au fouet aurait pu stimuler les historiens par une similitude avec l’iconographie, fixée a posteriori, pour la Justice, la Discipline ou la Grammaire. C’est un pas que beaucoup ont franchi [59], et c’est oublier peut-être, qu’à l’époque où ont été sculptés les chapiteaux de Cluny, les images n’ont pas encore été codifiées comme elles l’ont été par la suite. À la fin du XIe siècle, le propre de toute vertu est d’être armée [60], car sa fonction est de combattre les vices. Dans le chœur de Notre-Dame-du-Port à Clermond-Ferrand, Largitas et Caritas, nommément désignées (ill. 12), sont équipées, comme une des deux Prudence de Cluny, de longues tuniques et de hauberts [61]. Elles portent une épée à la ceinture, un bouclier et une lance dirigée vers le bas, proche de celle dont Kenneth Conant a choisi d’équiper la Prudence clunisienne sur sa proposition de restitution. L’art roman a produit un nombre raisonnable de vertus armées, qui ne sont ni particulièrement la force ni non plus la prudence, parce qu’elles sont souvent inspirées par le texte si connu du poète latin Prudence [62], qui les ignore l’une et l’autre. Dans sa Psychomachie, la liste qu’il présente aligne foi, chasteté, patience, humilité, raison, charité, concorde, opposées chacune à un vice contraire [63]. Et lorsque Grégoire de Nysse explique que les parfums du printemps représentent les vertus, il ajoute : « c’est-à-dire la sagesse, la force, la tempérance, la justice et les autres [64] ». On pourraient multiplier les citations. La prudence fait peu partie des vertus romanes.
Trouver des vertus dans des mandorles n’a pourtant, en soi, rien de surprenant. « Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous [65]. » L’âme sanctifiée, dont la mandorle est l’image, en est l’habitacle car, aux élus, « les volontés bonnes et les vertus leur échoient par un concours de la nature et de la grâce [66] ». Le chapiteau précédent ouvre l’accès à l’âme rationnelle et, si l’on en croit Jean Scot, « la vertu est une disposition de l’âme rationnelle [67] ». Mais il n’est pas indifférent que cette double Prudence clunisienne n’appartienne pas à la Psychomachie, et qu’elle ne soit, malgré son équipement guerrier d’un côté et son fouet de l’autre, ni sur une image ni sur l’autre, présentée comme victorieuse d’un vice ennemi [68]. Aucune image du mal en tant que tel, même vaincu et terrassé, ne figure dans le chœur de Cluny. Le sanctuaire doit rester pur. La trajectoire clunisienne est résolument optimiste et généreuse, en accord parfait avec la pensée de Jean Scot pour qui la sainteté a pour résultat de transformer les vices et les passions coupables en vertus, car « aucun vice n’existe qui ne puisse se transformer en vertu chez les hommes sensés, la grâce divine opérant en eux [69]. C’est ainsi que nous apprenons que la prudence peut n’être qu’une transformation de la crainte, − ou sa sublimation [70] − et que, même l’orgueil, père de tous les autres vices, peut être changé en amour des perfections célestes et en mépris de la bassesse [71]. Une telle transformation n’existe, évidemment, que « chez les hommes qui sont devenus parfaits [72] », c’est-à-dire à l’intérieur des mandorles.
Pourtant c’est bien une double lutte que mènent ces deux Prudence, armées l’une comme l’autre, car la vie spirituelle est une lutte. Mais, selon Jean Scot, cette lutte s’apparente à un apprentissage. L’image d’un enfant que l’on corrige, puisqu’il semble que telle se présentait la mandorle de la Prudence au fouet, n’est pas celle d’un ennemi que l’on écrase, comme c’est en général le cas dans les psychomachies, mais plutôt une mortification éducative. Le péché érigénien n’est qu’une « perturbation irrationnelle » et le Periphyseon assure que ces perturbations « interviennent d’avantage pour l’éducation de la nature humaine et pour son retour à son Créateur, que pour le châtiment du péché [73] ». C’est ainsi que l’image de la Prudence au fouet pourrait être une illustration de cette transformation de la crainte en prudence dont Jean Scot se fait le théoricien. Elle constituerait alors une première étape, et précède donc logiquement le printemps.
Ainsi, une fois de plus, c’est le texte érigénien qui rend le mieux compte de l’image clunisienne et on peut lire dans le Periphyseon que « les vertus des âmes parfaites […] circonscrivent et contiennent les vices à l’intérieur d’elles-mêmes, les subjuguent et les retiennent sous leur domination et les soumettent aux lois divines [74] ». C’est précisément ce que fait la Prudence au fouet et ce qui explique que ce combat ait lieu à l’intérieur de la mandorle. Et Jean Scot développe sa pensée en comparant les vices à la couleur noire utilisée par les peintres pour faire ressortir les autres couleurs. Selon le même mécanisme, les vices transformés dans les âmes saintes, « s’avèrent bel et bien contraints d’embellir l’ordre de l’univers en obéissant aux lois éternelles de la Providence divine et du jugement divin [75] ». Comme le quatrième ton encore animé de « mouvements irrationnels  » et comme la bien aimée du Cantique qui est à la fois « noire et belle  », ils trouvent leur place dans le grand concert final et participent aussi à sa beauté. Cette conception d’une harmonie surnaturelle au sein de laquelle le péché lui-même est appelé à jouer sa note transcendée [76], constitue une originalité profonde de la spiritualité clunisienne.


13. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
Deux Prudence affrontées
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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14. Chapiteau du Paradis
La vigne taillée
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Mais, une fois de plus, cette interprétation n’épuise pas l’image et, dans le De Paradiso, Ambroise médite longuement sur la mission confiée par Dieu à Adam [77]. Le premier homme, encore pur de toute compromission, a été chargé de cultiver le Paradis dans lequel il venait d’être transporté et de le garder. L’évêque de Milan souligne qu’il s’agit de deux devoirs différents [78] et complémentaires. L’un consiste à édifier en soi le royaume de Dieu, et l’autre à le préserver de la tentation et du péché qui a détruit l’harmonie divine. Ces deux devoirs doivent être mis en relation avec la double mention de la Bible d’un homme originel fait « à l’image et à la ressemblance [79] » de son Créateur, qui sous-tend l’iconographie des chapiteaux [80]. L’image est donnée et c’est elle qui doit être gardée – ce que le premier homme n’a pas su faire [81] −, la ressemblance doit être acquise, et les pommiers du Paradis qui, sur le chapiteau du Péché originel, portent tous deux les traces d’une taille répétée, illustrent parfaitement ce travail intérieur. La dualité entre un devoir de résistance aux « mouvements irrationnels » et un autre de vigilance intérieure ressemble assez à la dualité des Prudence clunisiennes (ill. 13). La Prudence au fouet apporte un écho à cette taille vigoureuse, antérieure même au péché, et présentée comme nécessaire après celui-ci, taille assumée par la vigne christique du Paradis (ill. 14). La Prudence armée remplirait alors le devoir complémentaire de gardienne d’une image retrouvée précisement au chapiteau précédent. La complémentarité des deux figures, leur présentation face à face, serait ainsi l’illustration du double processus de sainteté qui ne peut, selon saint Ambroise, être dissocié [82].
On ne peut évidemment que regretter la mutilation des figures et la disparition des détails qui en précisaient le sens. Ainsi, l’armement de la Prudence revêtue de son haubert manque cruellement pour l’interprétation de sa figure. Kenneth Conant lui donne une lance à laquelle se trouvait attachée une bannière ou un pennon, et c’est une restitution probable. Dans un cas comme dans l’autre, la figure en acquiert une valeur collective [83], comme la vierge sage du chapiteau précédent, mais il est difficile de s’aventurer plus loin. De la même façon, il est impossible aujourd’hui d’affirmer qu’il existait entre la figure du Printemps et celle de l’Été, une différence physique comparable à celle qui est indiquée entre le tout jeune homme du premier ton et la maturité voulue du troisième. Ce serait dans l’ordre des choses mais ce n’est qu’une hypothèse.


15. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny.
La Prudence armée précède l’Été.
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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16. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny.
Le Printemps derrière la Prudence au fouet.
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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On peut noter que sur le chapiteau, les vertus viennent en premier et les saisons les suivent, comme si elles en étaient les conséquences car, écrit Grégoire de Nysse, « l’époux n’établit pas sa cour dans une âme déserte de vertus [84] ». On doit comprendre que la Prudence armée, enveloppée dans son haubert protecteur, a suscité l’arrivée de l’Été (ill. 15), de la même façon que la mortification des sens charnels, symbolisée par la jeune fille au fouet, a préalablement provoqué l’épanouissement du printemps de l’âme (ill. 16). Pour Grégoire de Nysse, la disparition des sens corporels est la condition de la vie spirituelle. La dualité des saisons et des vertus sur le même chapiteau exprime ainsi une nouvelle fois la complémentarité de la nature et de la grâce : « À mesure que l’intellect monte vers la charité, selon cette même mesure, la Sagesse divine descend par la miséricorde, et c’est elle qui est la cause et la substance de toutes les vertus. Chaque théophanie, c’est-à-dire chaque vertu, à la fois dans la vie présente où elle commence à se former à l’état inchoatif chez les hommes qui en sont devenus dignes, et dans la vie future chez les hommes qui obtiendront la perfection de la béatitude divine, est donc produite non pas hors d’eux, mais en eux, à la fois par Dieu et par eux-mêmes. [85] »

L’ordre de lecture du poème – réserve faite des incertitudes du texte et de l’existence d’un premier vers − serait donc le suivant :

Dat nos monendum prudentia quid sit agendum
Ver primos flores primos aducit odores
Dat cognoscendum Prudentia quid sit agendum
Falx resecat spicas fervens quas decoquit aestas

La Prudence nous avertit de ce qu’il faut faire
Le Printemps apporte les premières fleurs et les premières odeurs
La Prudence nous fait connaître ce qu’il faut faire
La faux coupe les épines que l’Été ardent a brûlées.

L’HIVER

Mais là ne s’arrête pas encore l’enseignement du chapiteau et on peut observer que deux de ces quatre figures ont été pourvues d’accessoires insolites qui se retrouvent aussi sur deux autres chapiteaux de la série clunisienne : le Printemps et la Prudence, qui le précède immédiatement, portent, en effet, des manches d’une texture très particulière, qui dépassent sous leur robe. On en distingue une, juste avant la main droite disparue de la Prudence au fouet (ill. 17), et une autre sur le bras gauche du Printemps (ill.18).


17. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
La manche tricotée de la Prudence au fouet
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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17. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
La manche tricotée de la Prudence au fouet
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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18. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
La manche tricotée du Printemps
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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18. Cinquième chapiteau du chœur de Cluny
La manche tricotée du Printemps
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Le mauvais état de la pierre à l’extrémité du bras droit empêche d’affirmer l’existence d’une seconde manche semblable, mais l’indication soigneusement sculptée de cette matière particulière, qui évoque la laine tricotée [86], se retrouve au chapiteau précédent, sur les deux manches du personnage fléchi, en qui nous avons proposé de reconnaître la femme à la drachme perdue de l’Évangile (ill.19), à moins qu’elle n’ait tenu un miroir. Sur le même chapiteau, la vierge sage qui lui fait face porte des « chaussettes » − ou peut-être des sortes de guêtres [87]− travaillées de la même façon (ill. 20). L’indication est volontaire, car elle a été ménagée et mise en évidence par un bouillonnement de la robe, qui dévoile à propos sa cheville droite (ill. 20).


19. Quatrième chapiteau du chœur de Cluny
Les manches de la jeune fille fléchie.
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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20. Quatrième chapiteau du chœur de Cluny
Chaussette de la jeune fille au sceptre
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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Dans ce chapiteau, comme dans celui du Printemps, ces accessoires ne concernent que deux figures sur quatre et ils sont répartis différemment. Ils ont été attribués aux figures affrontées qui représentent les âmes, et ne concernent pas les figures suiveuses qui, pieds nus, seraient les abstractions personnalisées de la Mémoire (avec son coffret), de la Connaissance et de l’Action (les deux réserves d’huile). D’une façon plus surprenante encore, le Christ du troisième ton de la musique porte lui aussi ce même type de chaussettes (ill. 21), et il est très remarquable qu’il soit le seul musicien dans ce cas. On peut s’étonner que ces détails insolites n’aient pas plus retenu l’attention. Quel sens les clunisiens ont-ils pu attacher à cette précision vestimentaire, répétée d’un chapiteau à l’autre, mais qui n’affecte que certaines figures, et non leurs voisines [88] ? Il s’agit d’accessoires hivernaux qui, dans cet ensemble où figurent deux saisons , en introduisent implicitement une troisième.

21. Sixième chapiteau du chœur de Cluny
Les chaussettes du troisième ton
Cluny, Musée du Farinier
Photo : BSG
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La laine tricotée indique le froid et évoque l’hiver. Hiver intérieur, bien entendu, saison de l’âme et non de l’année calendaire [89]. Les chaussettes et les manches tricotées seraient là pour indiquer que l’âme purifiée est en train de sortir de « l’hiver du péché », ou de « l’hiver de la désobéissance [90] », de cet état où « la multiplication de l’injustice refroidissait cet amour voué à Dieu [91] ». L’expression est, à nouveau, de Grégoire de Nysse. Grégoire explique que la Parole divine – le gros livre que porte la jeune fille sur le chapiteau − « dessine donc le printemps spirituel pour la fiancée [du Cantique ], et cette saison est située entre deux autres, l’hiver avec sa tristesse, l’été avec ses fruits. » Cela expliquerait pourquoi ce Printemps porte un manteau sur sa robe et se trouve encore emmitouflé [92], alors que l’Été ne l’est plus, et pourquoi cette différence de vêture est reportée à l’identique – sauf le manteau − sur les Prudence qui accompagnent les deux saisons. De la même façon, on peut observer que les jeunes filles des mandorles hexagonales sont placées dans des mandorles encore imparfaites, les premières après le foisonnement végétal de l’univers sensible des trois premiers chapiteaux, et l’attitude instable de celle qui tient un miroir − ou sa drachme − en sortant de son linceul, exprime précisément le passage d’un état dans un autre. C’est pourquoi elles sont, l’une et l’autre, encore chaudement vêtues.

« Viens donc, ma bien-aimée, ma belle, viens.
«  Car voici l’hiver passé […]
«  Sur la terre les fleurs se montrent […]
« Le figuier forme ses premiers fruits
«  Et les vignes en fleur exhalent leur parfum [93]. »

Le Cantique des cantiques raconte, comme les chapiteaux de Cluny, les noces de celle qui était noire et qui n’avait pas su garder sa vigne, mais qui est purifiée par l’amour réciproque qu’elle porte et qu’elle reçoit.
Mais il peut sembler, à première vue, plus difficile de trouver une explication aux « chaussettes » du Christ, sinon d’y reconnaître l’affirmation que Jésus est venu « porter » le péché d’Adam. Il n’a pas participé au péché mais, comme celui qui vient tirer le malheureux du bourbier, Il a accepté de partager la boue [94], et c’est le sens du baptême qu’Il reçoit des mains de Jean-Baptiste [95]. Ayant assumé − ou endossé, comme on porte un vêtement − « l’hiver du péché », Il en a triomphé [96], et ce triomphe est la Résurrection que chante précisément le titulus du troisième ton. Dans cette hypothèse, les « chaussettes » du musicien auraient la même signification que le crâne d’Adam, placé par les artistes des siècles suivants, au pied de la croix. Avec une nuance, toutefois : le contraste brutal entre la mort et la vie est ici remplacé par une progression continue, du péché au salut, du désordre à la clarté, de l’hiver à la chaleur estivale, de la chair à l’esprit. La vertu ne tue pas le vice contraire, elle l’éduque, de la même façon que le bon jardinier taille sa vigne ou ses arbres fruitiers. Comme Jean Scot envisage le salut pour le démon lui-même, il n’y a, dans l’ensemble des chapiteaux, aucune image de condamnation, d’enfer ou de mort [97] et le quatrième ton est en train de se libérer d’un joug, comme la femme au miroir se libère d’un linceul. L’Incarnation a fait naître le Verbe au sein de « l’hiver du péché » [98] et la Résurrection y a mis fin. Le choix de chaussettes [99], pour le Fils de l’Homme du troisième ton, de préférence aux manches qui auraient paru, peut-être, moins insolites à un regard moderne, se comprend sans peine : le Christ porte une tunique et un manteau, et ces vêtements ont un sens, exploré depuis l’origine du Christianisme par les exégètes : ils représentent les deux modes qu’emprunte la Révélation, que sont la Nature et l’Écriture. L’une et l’autre, comme un vêtement, cachent et révèlent la Divinité. C’est pourquoi la contemplation de la Création et la rumination de la Parole de Dieu sont les deux méthodes de toute progression spirituelle. Des manches, à l’image de celles que porte le Printemps, auraient ajouté un vêtement supplémentaire qui aurait détruit la symbolique des deux autres, ce qui n’est pas le cas pour des chaussettes, car il s’agit d’un accessoire et non d’un vêtement. De la même façon, la vierge sage, ennoblie par les emblèmes du pouvoir impérial, ne pouvait peut-être que difficilement − quoique de façon beaucoup moins impérative − laisser dépasser de sa robe des manches tricotées. Celles-ci ont été laissées aux figures plus familières. La divinité du Christ et la dignité impériale imposaient, l’une comme l’autre, de reléguer de tels accessoires au niveau du sol. C’est ce à quoi le sculpteur s’est plié.

L’ÉNIGME DU TITULUS

22. Chapiteau des tons musicaux
Le troisième ton
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Il devient alors peut-être envisageable de proposer une explication cohérente du désordre des tituli sur ce chapiteau du Printemps. En effet, si la présence d’une maxime peinte reste, en soi, anormale autour de la figure de la Prudence au fouet, l’absence de titulus gravé pourrait ne pas être le fruit d’une erreur : nous avons montré que l’apparition des textes à partir de certaines sculptures correspondait, comme l’éclosion des saisons elles-mêmes, à une maturation de la vie intérieure, et que la position instable de la femme à la drachme perdue, comme d’ailleurs l’instrument non fini du premier ton de la musique, exprimait cette dynamique interne, non seulement d’un chapiteau à l’autre, mais aussi à l’intérieur même de chacun des chapiteaux. Car l’intellect ne peut se révéler qu’à partir d’un certain niveau, par des sons ou des lettres, « des véhicules » de la pensée. Il n’est peut-être pas indifférent de remarquer que c’est, justement, la vertu qui précède le Printemps, c’est-à-dire la première des quatre figures selon la logique de leur présentation − logique qu’on peut, sans témérité excessive, tenir pour établie parce qu’elle découle des relations indiquées clairement entre les personnages −, qui est privée de titulus gravé. La femme en position instable est la première figure du chapiteau précédent : elle se relève. Le musicien à l’instrument inachevé et encore muet est, de la même façon, la première figure du chapiteau suivant et, si l’on se réfère à la lecture que fait Kenneth Conant du dernier chapiteau, le cinquième ton serait lui-même représenté par « une dame qui saute », c’est-à-dire par une musicienne, elle aussi, dans une position transitoire et ascendante. À la lumière de ces correspondances, il serait cohérent d’envisager, avec toute la prudence qui convient, l’absence de titulus comme une transition avec le chapiteau précédent, dont les mandorles hexagonales, malgré toute la gloire de la vierge sage, n’ont pas encore accédé à cette forme « d’incarnation » et sont restées vides de textes. La progression entre la Prudence − encore muette − du Printemps, et l’Été de l’âme, serait alors la même que celle qui permet de passer de la vièle en cours de fabrication du premier ton, à la lyre à six cordes du troisième musicien (ill. 22), car Dieu « opère selon une loi identique sur des objets identiques et toujours sous un mode identique [100] ».
Il reste néanmoins qu’un titulus peint a été retrouvé, et qu’il témoigne sans doute d’une erreur à un certain moment de l’exécution du chapiteau. Peut-être est-ce là le témoignage d’un glissement du titulus, d’une Prudence à l’autre dans l’esquisse du lapidaire, confusion compréhensible entre deux images immédiatement voisines de la même vertu. S’il semble logique que le travail du sculpteur ait été préparé sur une esquisse peinte ou noircie au charbon, l’inscription douteuse pourrait être envisagée comme une préparation, initialement mal placée, et restituée, dans un deuxième temps et avant le travail du sculpteur, à la figure à laquelle elle était destinée. Cette restitution se serait accompagnée d’une modification du verbe choisi dans la formulation du titulus, remplaçant monendum par cognoscendum sur le bord de la mandorle. Évidemment, nous sommes réduits au conditionnel mais, si cette hypothèse est juste, l’inscription mal placée est demeurée autour de la Prudence au fouet. Cette proposition a pour elle de rendre compte de la similitude insolite des deux formules qu’un seul mot distingue. Elle apporte aussi une explication à la survie étrange – pour ne pas dire inexplicable - de cette inscription peinte sur des chapiteaux dont la polychromie a pratiquement disparu. Car, la seule façon de corriger l’erreur était de recouvrir le bord de la mandorle d’un badigeon. Si tel a été le cas, ce badigeon a, sans doute, protégé l’inscription qu’il était chargé de masquer, lui permettant de résister à l’effacement généralisé, précoce ou tardif [101], des parties peintes.
On pourrait alors en conclure que cette hypothèse, purement technique, élimine l’explication des deux fonctions ambrosiennes de garde et de mise en valeur de la terre adamique, que le changement de verbe exprimait de façon particulièrement cohérente. Ce serait certainement le cas si la complémentarité des deux figures n’était suffisante, en elle-même, pour illustrer l’exégèse ambrosienne par cette double image contrastée et concomitante de la même vertu. L’absence de titulus de la Prudence au fouet ajoute simplement à cette interprétation du chapiteau une dynamique interne qui existe dans les autres et n’a donc rien qui doive étonner sur celui-là. Dans ce programme iconographique si complexe, si riche et si précis, les destructions ont commis des dommages irréparables et il faut accepter de se contenter d’une compréhension générale, globale, grossière et incertaine d’une pensée dont la subtilité avait été confiée à des détails aujourd’hui disparus. Sur cette anomalie des tituli du cinquième chapiteau, comme dans le cas des figures trop mutilées, rien n’est donc assuré et la recherche doit accepter ses limites.

Dominique Bonnet Saint-Georges

Notes

[1Le texte essentiel est celui du Periphyseon, que nous citons dans la traduction de Francis Bertin : Érigène, De la division de la Nature, Periphyseon, 4 vol. Paris, 1995-2009. Toutes les citations y renvoient sous l’abréviation Pph.

[2K. J. Conant, « The Iconography and the sequence of the ambulatory capitals of Cluny », Speculum 5 n°3, juillet 1930, p. 283-284

[3R. W. Lloyd, « Cluny epigraphy », Speculum 7, n°3, juillet 1932, p. 347, K. J. Conant en donne un dessin, « The iconography of the sequence », Speculum 5 n°3, fig. 3, p. 284, K. J. Conant Cluny, les églises et la maison du chef d’ordre, Cambridge (Mass.) The medieval Academy of America, Mâcon, 1968. fig. 171.

[4P. Quarré, « La date des chapiteaux de Cluny et la sculpture romane en Bourgogne » Annales de Bourgogne, 39, 1967, p. 58.

[5N. Stratford juge que les inscriptions ont été «  placées de façon erronée » et reconnaît « la Prudence avec son livre  » et « Fortitudo en cotte de maille ». Il juge que « les sculpteurs ne les ont pas identifiées correctement ». N. Stratford, « Les grands chapiteaux de Cluny », Cluny 910- 2010, Onze siècles de rayonnement, édit. du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux, p. 124. Il lui semble « évident » que certaines inscriptions « sont mal ajustées aux figures qu’elles prétendent identifier » ; « La mythologie revisitée chez les sculpteurs romans en Bourgogne », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et belles lettres, 2003, vol. 147- 3, p. 1246. É Mâle a reconnu la Grammaire dans la Prudence au fouet, L’Art religieux du XIIe siècle en France, Paris, 1928, p. 320. Il a été suivi dans cette identification par P. Diemer, « Femmes savantes dans le chœur des moines, le programme sculptural du déambulatoire de Cluny », Le gouvernement d’Hugues de Semur, Cluny sept. 1988, Cluny 1990, p. 154. S. Biay de son côté n’hésite pas à congédier tous les textes pour identifier les figures comme celles de la Sagesse (ou de la Philosophie), de la Grammaire, de la Rhétorique, de la Dialectique, Les chapiteaux du rond-point de la troisième église abbatiale de Cluny (fin XIe début XIIe), Étude iconographique, Université de Poitiers 2011, p. 163-166.

[6La nécessité d’une rime intérieure qui, dans les autres tituli n’est qu’une élégance de style, sans relation avec le sens des images, constitue ici une indication précieuse pour la restitution du titulus de « l’Été ».

[7C’est le cas pour les illustrations de l’article de P. Diemer qui, d’une façon stupéfiante, présentent les deux Prudence dos à dos, et les deux saisons face à face ! « Femmes savantes dans le chœur des moines, le programme sculptural du déambulatoire de Cluny », Le gouvernement d’Hugues de Semur, Cluny sept. 1988, Cluny 1990, Gesta 27, New York 1988, p. 154. K. J. Conant lui-même, qui place pourtant les figures selon leur ordre de succession dans sa proposition de restitution, les dispose comme si cet ordre était indéterminé et pouvait être envisagé en partant de n’importe laquelle (en l’occurrence la figure de la Prudence armée, tournée vers la gauche, et qui ouvre la série des trois autres alignées derrière elle à sa droite). Cette présentation, littéralement juste, témoigne pourtant d’une incompréhension surprenante des liens qui unissent les figures entre elles.

[8M. Aubert, La Bourgogne, la sculpture, Les Richesses d’art de la France, édit. Van Oest, 1929, vol. 1, p. 64

[9Pour Ch. Scillia, le Printemps devrait être interprété comme une image de la Prudence, tandis que la Prudence armée serait Fortitudo et celle au fouet, Temperentia. L’été représenterait donc la Justice. « Meaning and the Cluny capitals : Music as metaphor », Gesta, 27, 1-2, New-York 1988, p. 139-140. P. Diemer voit, dans les figures, des représentations du Trivium, complétées par une image de la Prudence, « What does Prudentia advise ? On the subject of the Cluny choir capitals » Gesta, 27, 1-2, p. 153-155.

[10A. Katzenallenbogen, Allegories of the virtues and vices in medieval art from early christian times to the thirteenth century, London, Warburg Institute, 1939, p. 53-54. P. Diemer, « What does Prudentia advise ? On the subject of the Cluny choir capitals » Gesta 27, 1-2, New York 1988, p. 153-155.

[11Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de S. Luc, I, 31, trad. G. Tissot, SC 45 bis, p. 62, ibid. III, 27, p. 134, ibid. VII, 16-20, SC 52, p. 14-16, ibid. IX, 32, p. 152.

[12Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, 872 A, trad. A. Rousseau, Bruxelles, 2008, Cinquième homélie, p. 129. La traduction utilisée est celle de J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, Essai sur la doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse, Paris, Aubier 1944, p. 107-108.

[13Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, 872 A, trad. A. Rousseau, Bruxelles, 2008, Cinquième homélie, p. 129. La traduction est celle de J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, Essai sur la doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse, Paris, Aubier 1944, p. 107-108.

[14Ibid. p. 106. Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, 872 A, Troisième homélie, 8, op.cit p. 91.

[15Cette théorie des sens spirituels dont la première expression se trouve chez Origène jalonne la patrologie. Elle est reprise tout au long de l’histoire de l’Église.

[16« Non en Lui-même, mais tel qu’Il existe dans l’âme qui en est l’image par ses vertus. » J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, op. cit. p. 248.

[17Dom Stolz, Théologie de la mystique, Ratisbonne 1936, Chèvetogne 1947, p. 231. « Avec la perte de la grâce première, notre sensibilité s’est vue limitée pour ainsi dire, à son objet propre, alors qu’auparavant elle participait selon son mode à l’union mystique de l’esprit avec Dieu »

[18J. Daniélou, note que, pour Grégoire de Nysse, «  l’expérience de la douceur de Dieu, du parfum divin, est […] la prise de conscience de cette vie de la grâce  », Platonisme et théologie mystique, op. cit., p. 265-266.

[19Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, Première homélie, 9, op. cit. p. 55. La traduction est celle de J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, op. cit. p. 241.

[20J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, op. cit., p. 245. « Avant même que la beauté [de Celui qu’elle désire] ne se montre à ses yeux, elle atteint par le sens de l’odorat Celui qu’elle cherche […] et elle dit avoir reconnu l’odeur de l’Époux dans la bonne odeur du parfum qu’on appelle nard  », Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, Troisième homélie, 8, op. cit. p. 90.

[21Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, Troisième homélie, 8, op. cit. p. 91, la traduction utilisée est celle de J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, op. cit. p. 246. «  C’est une même chose d’ailleurs que de parler des rayons du soleil, des effluves de la vertu ou de la bonne odeur des parfums.  » écrit aussi Grégoire, cité par J. Danielou, ibid, p. 106.

[22II Cor. II, 15.

[23Cantique des Cantiques 4, 10. « Ton nom est un parfum répandu. » Ibid. 1, 3, etc.

[24Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, Première homélie, 9, op. cit. p. 55-56. La traduction utilisée est celle de J. Daniélou, op. cit. p. 246.

[25Lc 7, 36-50.

[26Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de S. Luc, VI, 14, SC 45 bis, op. cit. p. 233.

[27Dom Antoine de S. Gabriel, Les lettres de S. Bernard premier abbé de Clairvaux, nouvellement traduites, 3e partie, Paris, chez Jacques de Laize-de-Bresche, 1674, Lettre 229 (de Pierre le Vénérable à saint Bernard), p. 336. « Où pourrais-je courir plus avantageusement qu’après vous, y étant attiré par l’odeur de vos parfums ?  » Dans le Iotsaldi planctus de transitu domni Odilonis, on peut lire (vers 75) que de son vivant, Odilon répandait « l’odeur de ses vertus ». Planctum describere, 1996, p. 196, M. Goulet, A. M. Deschamps, CCM 39.

[28Pour Grégoire de Nysse, toute la création conserve « un faible reste […] de la bonne odeur de Dieu » : «  la création, à la manière d’un vase à parfum, a conservé en elle-même l’empreinte [du parfum de Dieu] par les merveilles qu’on y voit ». Homélies sur le cantique, Première homélie, 10, 38, op. cit. p. 57. Le parfum fonctionne donc comme le sceau, comme l’image dans le miroir ou sur la drachme. « Dans son propre nard, elle reconnaît la bonne odeur divine. » Ibid. Sixième homélie, 2, p. 144.

[29Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de S. Luc, VI, 21, SC 45 bis, op. cit. p. 235.

[30Le chapiteau végétal illustre à la fois la diffusion de l’Un dans le multiple et, en même temps, le point de départ de cette récapitulation du multiple dans l’Un.

[31Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de S. Luc, VI, 21, SC 45 bis, op. cit. p. 235.

[32On peut y voir l’indication d’étoffes plus légères, à moins qu’il ne s’agisse de l’œuvre d’un sculpteur différent.

[33Le Printemps est la seule figure qui a été munie d’un tel accessoire.

[34Certains chercheurs cependant n’ont pas craint de congédier le titulus pour faire entrer la jeune fille dans une des séries préexistantes − saisons, vertus, arts libéraux −, avec lesquelles ils ne parvenaient pas à la faire correspondre.

[35Mais qui répond parfaitement à l’exigence de la rime intérieure.

[36K. J. Conant, op. cit, pl. XLVII, p. 132-133, LXXII, p. 154, LXXVI, p. 171.

[37Ambroise, Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 82, SC. 45 bis, op. cit. p. 110.

[38Benoît Dumoulin, docteur en médecine, Description historique et topographique de la ville, abbaye et banlieue de Cluny, manuscrit conservé à Cluny, musée Ochier, Ms 71.

[39Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios, V, trad. F. Vinel, SC 529, p. 173 et Pph. IV, 857 D, vol. 3, p. 228.

[40Ibid.

[41Pph. IV, 857 D, vol. 3, p.228. « Cette chair ne lui procure que des soucis et des inquiétudes, comme si c’étaient des épines et lui inflige maints épreuves et maints périls, comme si c’étaient des chardons » Pph. IV, 867 B, vol. 3, p. 227.

[42Pph. IV, 857 D, vol. 3, p. 228.

[43Ibid.

[44Pph. IV, 857 D, vol. 3, p. 228. Jean Scot reprend les mêmes images que celles utilisées par Maxime le Confesseur, Quaestiones ad Thalassium, V, SC 529, p. 172-177.

[45F. Gaffiot, Dictionnaire Latin-Français, Paris 1934.

[46« Il est en effet toute vérité, Celui qui ne nourrit pas l’herbe avec de l’herbe. Car l’herbe est la nourriture propre à la nature irrationnelle, tandis que l’homme, étant rationnel, se nourrit de la vraie Parole. » Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique,. Cinquième homélie, 12, op. cit. p. 139. « S’il arrive que quelqu’un devienne esprit, en étant né de l’Esprit (Jn 3, 6), il ne se repaîtra plus d’un aliment constitué d’herbe, mais il aura pour nourriture cet Esprit. » Ibid.

[47Pph. V, 958 D, vol. 4, p. 144. Les natures sensibles « attendent la fin de leur transformation en une nature meilleure » alors que les « natures spirituelles et éternelles » n’attendent plus rien. Ibid. Ambroise exprime la même idée en écrivant que la paille « des œuvres stériles » doit être brûlée. Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 82, SC 45 bis, op. cit. p. 110.

[48« Bouillonnant de chaleur, échauffé, bouillant », F. Gaffiot, Dictionnaire illustré Latin Français, Paris 1934.

[49« Réduire par la cuisson, […] séparer par fusion, […] séparer, retrancher, […] ruiner, […] faire cuire entièrement », ibid. L’écho entre fervens et decoquit suggèrerait un feu plutôt qu’une faucille.

[50Pph. V, 936 C, vol. 4, p. 114. « Le feu est celui qu’engendre la tristesse des péchés. » Pph V, 936 D, vol. 4, p. 114.

[51Il faut « brûler les souillures des vices par le feu de la pénitence. » Pph. V, 1003 A, vol. 4, p. 203. Ambroise écrit de son côté : « C’est pour cela peut-être que le Seigneur viendra dans le feu : pour consumer tous les vices au moment de la résurrection.  » Traité sur l’Évangile de S. Luc, VI 132, SC 52, op. cit. p. 56.

[52Pph. V, 960 C D-, vol. 4, p. 147.

[53Pph. V, 960 D-961 A, vol. 4, p. 147. Ambroise livre le même commentaire à propos de la parole du Christ : « Je suis venu apporter le feu sur la terre ». Traité sur l’Évangile de S. Luc, VII, 132, SC. 52, op. cit. p. 56. «  Le feu qui […] rend meilleurs les vases d’or de la maison du Seigneur en consumant le foin et la paille (I Cor III, 12 ss) en consumant toute la gangue du siècle amassée par le plaisir mondain. » Ibid.

[54Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, cité par J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, op. cit. p. 271.

[55Pph. V, 959 B, vol. 4, p. 145.

[56La féminité de la figure peut difficilement être mise en doute. Par sa désignation comme incarnation de la Prudence, par la longueur fortement accentuée de la robe qui dépasse du haubert, enfin par le sens général des deux chapiteaux contigus des mandorles hexagonales et du Printemps. Il est vrai que la femme du deuxième ton, sur le chapiteau suivant est l’unique figure féminine d’un ensemble qui comporte trois autres tons masculins. Mais il s’agit d’une exception dont nous avons montré le sens, et qui est difficilement transposable ici.

[57La large interruption entre AGEN et DV et la suppression du M final pourraient correspondre à la disparition d’un bouclier tandis qu’au contraire, la densité des lettres sur la partie opposée, suivie d’une interruption au niveau du bras de la jeune fille évoque le passage d’une arme.

[58K. Conant distingue « la Prudence qui s’impose par la crainte de la punition » et «  la Prudence qui vainc par l’intelligence »

[59Ainsi, P. Diemer a reconnu les arts libéraux dans les deux chapiteaux à mandorles. Le Printemps serait « Sapientia » ou « Philosophia », l’Été, « Dialectica », la Prudence armée, « Grammatica » et celle au fouet, « Rhetorica ». Gesta 27, 1988, op. cit. p. 154. É. Mâle avait reconnu la Grammaire, L’art religieux du XIIe siècle, op. cit, p. 320.

[60C’est Le Pasteur d’Hermas qui semble être à l’origine de la représentation des vertus sous l’apparence de jeunes filles et c’est à Tertullien qu’elles doivent d’être armées. Tertullien, Contre les spectacles, XXIX, trad. M. Turcan, Paris, 1986.

[61J. Baschet, J-C. Bonne, P. O. Dittmar,« "Iter" et "locus", lieu rituel et agencement du décor sculpté dans les églises romanes d’Auvergne », Images revues, hors-série n°3, 2012.

[62Prudence, Psychomachie, trad. M. Lavarenne, Paris 1933.

[63Quant aux listes des vertus cardinales et théologales, il ne semble pas qu’elles aient eu déjà la place privilégiée et presque exclusive qu’elles ont acquise par la suite. Elles sont, certes, connues et utilisées dans le discours, mais n’appartiennent pas à l’iconographie courante de la sculpture romane. À Cluny, ce sont les fleuves du Paradis qui les évoquent symboliquement.

[64Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, XLIV, 781 D, J. Daniélou, op. cit. p. 109.

[65Lc. XVII, 21.

[66Pph. V, 946 C, vol. 4, p. 127.

[67Pph. I, 466 B, vol 1, p. 102. Les vertus se confondent avec les mouvements rationnels de l’âme. Pph. IV, 752 D, vol. 3, p. 67.

[68Selon le petit carnet de croquis exécutés par F. van Risamburgh (1794-1866) en octobre 1814, avant la démolition complète du chœur, la psychomachie avait peut-être été réservée au déambulatoire.

[69Pph. V, 916 C, vol. 4, p. 89. On retrouve la même idée en Pph. V, 972 A, vol. 4, p. 162. C’est, à nouveau, une idée platonicienne.

[70Pph. V, 916 B, vol. 4, p. 80. Maxime le Confesseur, Questions à Thalassios, trad. F. Vinel, SC 529, Paris 2010, Question 1, p. 155-157. Grégoire de Nysse : La Création de l’homme, trad. J. Laplace, notes J. Daniélou, SC 6, 1943, 2002, chap. XVIII. http://www.gregoiredenysse.com/

[71Pph. V, 916 C, vol. 4, p. 88.

[72Pph. V, 916 B, vol. 4, p. 88. Au Livre IV, l’Érigène précise : « Dieu seul a le pouvoir de faire le bien à partir du mal issu de la volonté irrationnelle  » Pph. IV, 807 C, vol. 3, p. 154. Mais l’homme a le devoir de travailler à cette transformation : « Pour remplacer les membres du mal que vous avez détruits, construisez les membres du bien qui sont les vertus » Pph. IV, 747 B, vol. 3. P. 59.

[73Pph. V, 959 B, vol. 4, p. 145. Cette conception éducative du péché se retrouve chez saint Ambroise. Traité sur l’Évangile de S. Luc, VII 141, SC. 52, op. cit. p. 60-65. Il en va de même pour le salut du diable. Ambroise se préoccupe que le diable ne soit pas condamné «  à cause de nous », c’est-à-dire à cause des péchés de l’homme. ibid VII 153, p. 65.

[74Pph. V, 972 A, vol 4, p. 162.

[75Pph. V, 972 B, vol. 4, p. 162-163.

[76Maxime le Confesseur compare le bon usage des passions aux « médecins habiles qui ôtent l’infection […] à l’aide du venin destructeur de la vipère, ils utilisent ces passions pour détruire le mal présent et à venir et pour acquérir vertu et connaissance » Questions à Thalassios, trad. F. Vinel, SC 529, Paris 2010, Question 1, p. 155-157.

[77Ambrosii Opera, De Paradiso, IV, 25, CSEL 32 1, édit Schenkl, p. 269.

[78« Non idem est operari et custodire. » Ambrosii Opera, De Paradiso, IV, 25, CSEL 32 1, édit Schenkl, op. cit. p. 281.

[79Gn, 1, 26.

[80L’image du premier ton de la musique qui a retrouvé l’Image de Dieu et qui travaille à acquérir sa ressemblance en construisant sa vièle, celle des deux jeunes filles des mandorles hexagonales, dont l’une retrouve l’Image et l’autre accède à la ressemblance et se voit dotée des attributs royaux, expriment ce double mouvement de la vie spirituelle.

[81Grégoire de Nysse médite sur le verset du Cantique des cantiques : « Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée », Ct 1, 6, et l’interprète comme un rappel du péché originel. Homélies sur le Cantique, Deuxième homélie, 5, op. cit. p. 69.

[82« Haec duo ab homine requiruntur », Ambrosii Opera, De Paradiso, IV, 25, op. cit. p. 281. Et quelques lignes plus loin : « Haec duo ergo a te exiguntur  » IV, 25, ibid. p. 282.

[83La lance, à la fin du XIe siècle, était l’armement d’un chevalier qui pouvait équiper plusieurs chevaux et plusieurs archers. L’armée médiévale se comptait en nombre de lances qui représentaient chacune au moins cinq personnes. Ainsi la Prudence armée aurait-elle peut-être la même résonnance d’autorité que le premier ton assis sur son escabeau.

[84Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, XLIV, 1093, trad. J. Daniélou, op. cit. p. 271.

[85Pph. I, 449 C, vol. 1, p. 77.

[86À moins qu’il ne s’agisse de cuir souple et plissé, mais le motif évoque vraiment la laine.

[87Le raccord avec les chaussures indique plutôt qu’il s’agit de chaussettes.

[88À Clermont-Ferrand, les figures de Notre-Dame-du-Port sont, au contraire pour la plupart et, semble-t-il, sans discrimination particulière, pourvues de manches d’un type assez voisin. Les anges eux-mêmes en ont.

[89« Jadis l’humanité était figée par le froid de l’idolâtrie », Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, B. Potier A. Rousseau, édit. Lessius 2008, Cinquième homélie 5, p. 126.

[90Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, Cinquième homélie 6, op. cit. p. 129.

[91Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, Cinquième homélie, 6, op. cit. p. 129.

[92« Voici que l’hiver est passé, la pluie s’en est allée, elle a disparu d’elle-même, les fleurs sont apparues sur la terre, la saison de la cueillette est arrivée », Ct. 2, 11-12. Grégoire de Nysse glose sur ces deux versets du Cantique : « Tu vois dit [le Verbe], la prairie fleurie de vertus. Tu vois la Tempérance, ce lis resplendissant et parfumé […] Tu vois la violette qui est la bonne odeur du Christ.  » Homélies sur le Cantique, Cinquième homélie, 6, 153-154, op. cit. p. 129. Ambroise n’est pas en reste : « Voici le temps favorable : l’année ne frissonne plus sous les frimas de l’hiver et les brumes de la fausse foi ; l’écorce difforme du blasphème ne s’épaissit plus sous les neiges entassées et la gelée persistante ; mais, affranchie des bourrasques du sacrilège, la terre déjà, conçoit de nouveaux fruits…etc. », Traité sur l’Évangile de S. Luc, IX 32, SC 52, op. cit. p. 152.

[93Cantique 2, 10-13.

[94« Celui qui n’avait pas connu le péché il l’a fait péché pour nous », écrit saint Paul, II Cor. V, 21. Jean Scot n’utilise pas la comparaison de l’hiver, mais il use de celle du vêtement taché : « C’est comme si quelqu’un portait un vêtement qui avait été éclaboussé avec des taches de sang  » et argumente sur le fait que « le sang qui tache le vêtement ne salit pas le corps de la personne. » Pph. IV, 745 D, vol. 3, p. 57. De son côté, Ambroise évoque le Christ « couvert des vêtements d’une chair humaine » (Traité sur l’Évangile de S. Luc, II, 65, SC, 45 bis, op. cit. p.101), avant de Le montrer « prenant sur Lui la monstruosité imprégnée des souillures de nos actions ignobles ». Ibid II, 69, p. 103.

[95Mt. 3, 13-17, Lc, 3, 21-22.

[96« Le Soleil de justice se lève sur ce rigoureux hiver et crée un printemps ; en même temps, le Souffle du midi fait fondre cette glace…etc. » Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique, trad. A. Rousseau, Paris 2008, Cinquième homélie, 5, p. 126.

[97Contrairement par exemple à la nef de Vézelay dont presque tous les chapiteaux du bas-côté nord sont illustrés de victoires violentes, sanglantes, jalonnées d’une succession de têtes coupées.

[98C’est le sens de la date choisie pour célébrer Noël.

[99Le traitement des « chaussettes » du Christ du troisième ton n’est pas exactement le même que celui des autres accessoires tricotés, et cette différence introduit un doute sur l’identité de matière entre cet accessoire particulier et les autres. Si le doute ne peut pas être absolument écarté, la cohérence du programme cautionne, dans les seules limites de la vraisemblance, il est vrai, l’interprétation que nous proposons.

[100Pph. I, 523 A, vol. 1, p. 189. Ambroise développe avec vigueur, à propos de Zacharie, le passage du silence à la parole : « le manque de foi [...] est châtié par le silence, et la foi des prophètes, attestée par leur parole. » ; « Zacharie, n’ayant pas cru, n’a pu parler. » ; « Est muet celui qui ne comprend pas la loi. » ; Traité sur l’Évangile de S. Luc, I, 39-42, SC 45 bis, p. 66-68.

[101Au moment de la réalisation des moulages pour le Musée des Monuments français.

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