Proposition de lecture des chapiteaux de Cluny : 2. Les quatre premiers tons de la musique

1. Les trois derniers chapiteaux.
Le chapiteau du Paradis et les deux chapiteaux de la Musique
Fin XIe - début XIIe siècle
Cluny, Musée Ochier, Farinier des moines.
Photo : BSG
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Dans la présentation qui en est faite aujourd’hui au Farinier de Cluny, la corolle des chapiteaux qui portaient autrefois la conque de l’abside, dans le chœur de la grande église construite par Hugues de Semur, se termine par deux chapiteaux dont le sens est éclairé par des inscriptions. Ils représentent les huit tons de la musique, identifiés par ordre numérique et répartis en deux séquences de quatre musiciens régulièrement espacés. La numérotation tourne deux fois de gauche à droite. Les quatre premiers tons sont placés dans des mandorles profondes, sur la bordure desquelles ont été gravées les inscriptions (tituli) qui se rapportent à chacun. Sur le second chapiteau, les musiciens apparaissent à l’intérieur d’un bandeau circulaire qui, comme les mandorles des quatre premiers tons, a reçu les tituli relatifs à chacune des figures (ill. 1). S’il semble illogique de commencer l’étude des chapiteaux par ceux qui ont été placés en fin de cycle, il est conforme à la raison d’asseoir la lecture de l’ensemble sur celles des figures qui sont identifiées avec certitude par les textes qui les accompagnent.

En effet, l’expression consacrée de tons musicaux ou de tons du plain chant, donne a priori l’illusion reposante de maîtriser le sens de cette partie du programme iconographique et, sinon d’en épuiser les nuances, du moins d’en saisir l’essentiel. On lit communément que la liturgie occupait la plus grande partie de la vie du moine noir, que, dans cette liturgie, la psalmodie avait une place prépondérante, et qu’il est donc naturel de trouver dans le chœur de Cluny III une représentation imagée de ce qui en était un des principaux supports et le mode d’expression privilégié, la musique.

De tels commentaires se heurtent pourtant à une anomalie importante car, dans l’ensemble des huit figures – autant qu’on puisse interpréter les figures très mutilées du deuxième chapiteau – aucun personnage ne montre un moine ou un chanteur. Si le véritable sens de ce décor avait été d’être une illustration de la liturgie clunisienne, il eût été plus normal et plus justifié de mettre en scène une procession de moines ─ thème particulièrement adapté à la corbeille d’un chapiteau, et que l’on trouve illustré à San Pere de Roda, en Catalogne, ou dans le cloître de Saint-Martin du Canigou [1]─ ou un office de chœur réunissant la communauté dans une même psalmodie.

2. Chapiteau des quatre premiers tons
Les musiciens sont des laïcs
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Au contraire de cette hypothèse cléricale, tous les personnages suffisamment bien conservés ─ en particulier sur le premier chapiteau ─ sont des laïcs (ill. 2), et tous les détails encore lisibles des figures mutilées du second renvoient à une identification laïque [2]. D’autre part, tous ces laïcs ─ sauf réserves inévitables pour les personnages mutilés ─ sont des musiciens instrumentistes et non des chanteurs. L’analyse soigneuse des figures a identifié des instruments à cordes, à percussion, à vent, un éventail assez divers des pratiques instrumentales connues, mais aucune bouche ouverte pour chanter [3]. Il est donc difficile de maintenir l’explication du thème par la liturgie clunisienne et, si l’écho de cette liturgie s’impose comme une évidence à cet endroit de l’église, du monastère et même de l’ordre tout entier [4], il est probable que les musiciens que nous avons sous les yeux ont une signification plus complexe, et sans doute plus large, que la fonction purement illustrative qui leur est habituellement accordée [5].

Il y a une certaine difficulté à entrer dans cette notion de ton, que la musique notée a fait disparaître [6]. Le répertoire grégorien s’est constitué à l’époque carolingienne selon le système de l’octoéchos (les huit échos) qui répartissait la musique en huit tons, et dont l’étude [7] déborde les limites d’un travail iconographique. On peut seulement rappeler que l’idée d’illustrer chaque ton par un musicien n’est ni unique ni nouvelle [8] et envisager une relation possible entre les huit tons clunisiens, répartis en deux chapiteaux, et un texte de Reginon de Prüm dans lequel il expose que la musique parfaite devrait être composée de deux fois quatre tons entiers, ce qui impliquerait un intervalle identique entre les sons successifs [9]. C’est précisément le cas pour les sculptures des chapiteaux. L’abbé de Prüm oppose ce système à celui de la musique terrestre et humaine, composée imparfaitement de sept tons auxquels s’ajoutent deux demi-tons. Ce texte, qui intéresse d’abord le musicologue et le musicien, n’est pas ici sans importance, car il oriente la compréhension que nous pouvons avoir des musiciens de Cluny : la musique qu’ils produisent doit être envisagée, par-delà la musique humaine et religieuse ─ au sens restreint que nous donnons généralement à ce mot ─, comme l’accomplissement d’une harmonie qui, n’existant pas sur terre, appartient sans doute au registre de la perfection divine.

3. Mars-sur Allier, prieuré clunisien
Porte latérale de l’église Saint-Julien
La création conçue comme un organisme
qui se déploie pour revenir en lui-même.
Le retour du créé dans la louange de l’octave.
Photo : BSG
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Pour qui lit le Periphyseon, les sons, les tons et la musique offrent une manifestation privilégiée de l’unité de la Création, telle qu’elle est sortie des mains de Dieu et telle qu’elle doit redevenir à la fin des temps. Jean Scot envisage la Création comme une effusion de l’Un divin dans le multiple, à laquelle doit correspondre une récapitulation finale qui ramènera la multiplicité du créé à l’Unité originelle (ill. 3). Dès le Livre I, il explique que l’Unité divine consiste « en une multiplicité admirable et féconde [10] » et le Periphyseon tout entier est animé par ce mécanisme double, inverse et réciproque d’effusion et de contraction que son auteur perçoit au centre du monde [11]. La Création est pour lui un organisme vivant unique, qui se déploie pour revenir en lui-même, comme le cercle dans le centre duquel se récapitulent tous les rayons qui en jaillissent [12]. Cette image du cercle [13], revient d’un livre à l’autre comme un schéma fondamental, et trouve naturellement son illustration dans la disposition des supports de l’abside, en corolle autour de l’autel (ill. 4 et 5). L’autre exemple privilégié est celui de la suite infinie des nombres qui fluent de la monade et se récapitulent en elle [14]. Et l’Érigène retrouve cette double pulsion en œuvre dans les aspects les plus divers de la Création, que ce soit dans la dialectique, par laquelle l’esprit passe du général au particulier et revient du particulier à l’essence elle-même, dans la géométrie dont toutes les figures procèdent du point, dans l’ « astrologie », dont le principe est l’atome. Mais avant l’ « astrologie », il place la musique, dont le principe est le ton qui, écrit-il, récapitule en lui toutes les mélodies [15]. Comme le huitième degré de la contemplation érigénienne où les bienheureux se trouvent bienheureux, annonce – obscurément sans doute pour beaucoup de nos contemporains − les saints de Cluny, bienheureux dans le huitième ton (voir l’article), la phrase de Jean Scot trouve à nouveau un écho, trop précis pour ne pas être relevé, dans le titulus qui entoure le premier musicien : « Hic tonus orditus modulamina musica primus ». Présenté comme initial (primus), identifié comme celui qui « commence les harmonies musicales », reconnu par les musicologues comme le ton « géniteur », il est difficile de ne pas y reconnaître aussi celui que l’Érigène désigne comme le « principe », d’où surgit la musique et à partir duquel elle se développe en mélodies simples ou composées.


4. «  Le cercle dans le centre duquel se récapitulent
tous les rayons qui en jaillissent.
 »
Photo : D.R.
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5. L’exigüité du farinier allonge l’arc de cercle en ellipse,
faussant la vision de l’ensemble.
Photo : BSG
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Mais par-delà la théorie musicale, c’est l’univers tout entier qu’embrasse la pensée de Jean Scot et la musique n’est pour lui qu’un exemple, privilégié parmi d’autres, d’une harmonie beaucoup plus vaste [16]. Dans le Periphyseon, il rappelle comment, selon Pythagore, « toute la machine du monde est animée par un mouvement circulaire qui fonctionne selon les accords musicaux et que l’on peut mesurer grâce aux accords musicaux [17] ». L’univers est Un et, comme nous venons de le voir, à travers les exemples choisis par Jean Scot lui-même, les mécanismes qui le régissent se répercutent identiques dans ses différentes manifestations. « Tout est nombre », et parce que tout est nombre, « les rapports proportionnels qui régissent les intervalles musicaux », loin de se limiter au seul art de la musique, « s’appliquent également aux distances entre les corps célestes [18] ». C’est ainsi que la distance entre la terre et la lune correspond à un ton et cette distance est égale au diamètre de la terre qui est donc également d’un ton ; de la même façon, « la distance qui sépare la terre du soleil correspond à une octave et […] la distance qui sépare le soleil de la limite du monde correspond à une double octave [19] ». Toutes les planètes sont ainsi reliées entre elles par un système proportionnel qui est celui de la musique, et cette correspondance entre des distances régies par les nombres et les intervalles musicaux, ouvre à la contemplation un champ illimité. Car la musique produite par l’homme dans la psalmodie n’est pas différente fondamentalement de celle produite par les instruments, et c’est aussi la même que celle qui règle l’harmonie des planètes et que l’on désigne ordinairement comme « musique des sphères [20] ». Jean Scot ne craint pas d’affirmer que « les planètes [sont] harmonisées selon une analogie avec les sons [21] ». Dans une telle conception de l’ordre du monde, la beauté de la liturgie s’inscrit dans une conformité bienheureuse avec l’harmonie de la Création dont elle n’est que le reflet, et la musique polyphonique offre naturellement une expression privilégiée de la beauté inépuisable de l’univers [22] : « Car, de même qu’une mélodie instrumentale se compose de sons […] qui, quand on les entend isolément et séparément se distinguent les uns des autres […], mais qui, quand on les harmonise ensemble en notes distinctes […] produisent un morceau musical doté d’une harmonie naturelle, de manière analogue, l’harmonie de l’univers a été orchestrée […] à partir des diverses subdivisions de son unique nature, alors que ces subdivisions contrastent les unes avec les autres quand on les observe séparément. [23] »

Il se trouve que la diversité des sons - ou des tons, car quoique de nature différente, le discours est le même pour l’un ou pour l’autre - est très exactement le sujet des sculptures qui ornent les deux chapiteaux de Cluny. L’harmonie musicale, fusion des dissemblables dans l’Un, propose l’image privilégiée du retour de la Création, éclatée et dispersée par le péché, dans l’Unité perdue, tandis que la liturgie, à laquelle les moines de Cluny consacrent l’essentiel de leur temps, offre dans sa beauté un miroir parfait de l’harmonie de la Création [24]. C’est dans une telle perspective qu’il faut comprendre la résistance de Cluny aux critiques de saint Bernard reprochant aux moines noirs de ne pas travailler : le moine qui participe pleinement à la liturgie, accomplit l’œuvre par excellence qui réalise l’accord entre le monde, l’humanité et Dieu.

LE PREMIER CHAPITEAU DE LA MUSIQUE [25]

Quatre musiciens, figurés en pied et traités en fort relief, sont disposés dans quatre mandorles régulières et profondes qui occupent les faces du chapiteau (ill. 6). Le bord des mandorles forme une plage sur laquelle une inscription en très beaux caractères identifie chacun des personnages à un ton. La suite des quatre inscriptions forme un ensemble qui obéit aux lois de la versification latine [26] :

Hic tonus orditus modulamina musica primus.
Subsequitur ptongus numero vel lege secundus.
Tertius impingit Christumque resurgere fingit.
Succedit quartus simulans in carmine planctus.

Ce ton, le premier, donne naissance aux harmonies musicales.
Le son qui suit est le second selon l’ordre et la loi.
Le troisième surgit violemment et découvre le Christ qui ressuscite.
Le quatrième suit en imitant dans son chant une lamentation.

Examinée dans son ensemble [27], cette première strophe, composée comme une charade, possède de la charade le caractère énigmatique, dans l’esprit de celle que le sphinx pose à Œdipe sur la route de Thèbes. Cette charade parle de nombres, de tons, d’ordre, de musique, d’harmonie, de mort et de résurrection. Ou, d’une façon plus étrange et plus surprenante, de résurrection et de mort, car c’est après la résurrection du Christ que le quatrième ton introduit une sorte de glas.

6. Premier et deuxième ton.
Authente et plagal du premier mode (Protus, mode du ré)
Un musicien assis et l’autre debout, tournés l’un vers l’autre.
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Nous avons montré comment chacun de ces thèmes se trouve développé dans le Periphyseon, et comment, dans le texte de Jean Scot, ils se conjuguent ensemble, solidairement, selon un tissage serré qui a pour objectif de rendre compte de la cohérence profonde des différents mécanismes qui régissent l’univers : les nombres fluent de la monade et se récapitulent en elle, selon un double mouvement qui est celui de la Création divine ; l’harmonie musicale rassemble dans une unique beauté la disparité des sons différents, mais les tons eux-mêmes, comme les nombres auxquels ils correspondent, ne manifestent que l’ordre secret du cosmos tout entier. L’homme récapitule en lui la Création, et cet ordre que révèlent les nombres et que manifestent les tons, est celui auquel il aspire et auquel il doit parvenir ou revenir ; la Résurrection du Christ accomplit cette finalité surnaturelle de l’humanité qui doit d’abord mourir pour parvenir à la béatitude, harmonie finale dans la transcendance divine exprimée par l’octave. Un tel schéma reste sans doute sommaire et, ainsi réduit, ne suffit pas à affirmer que l’iconographie des chapiteaux a été puisée dans le Periphyseon, mais il montre au moins que la pensée qui a présidé au choix des figures, comme à celui des textes, est proche de celle de Jean Scot et s’inscrit dans la mouvance du néoplatonisme chrétien. Il suscite, en tous cas, le désir de vérifier si l’adéquation entre les sculptures et le texte fonctionne aussi dans le détail.

Les musicologues qui se sont intéressés aux musiciens de Cluny [28] ont fait remarquer que, sur un chapiteau comme sur l’autre, les figures étaient groupées par deux, comme les tons eux-mêmes dans le système musical : les huit tons forment quatre modes, composés chacun d’un majeur (authente) [29] et d’un mineur (plagal) [30]. Dans le premier chapiteau, l’authente est assis et le plagal debout et ils sont tournés l’un vers l’autre (ill. 6) ; dans le second, l’ordonnance est inversée et la relation entre les figures est différente. Le premier musicien qui inaugure la série est donc l’authente du premier mode (Protus, mode du ré). Il est tourné vers son plagal représenté par une femme sur le panneau suivant. Le troisième ton, de la même façon, est l’authente du deuxième mode (Deuterus, mode du mi) et la figure du musicien est tournée vers la mandorle suivante, sur laquelle se détache son plagal [31].

HIC TONVS ORDITVR MODVLAMINA MVSICA PRIMUS  [32].
Ce ton, le premier, donne naissance aux harmonies musicales.

7. Le premier ton de la musique
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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L’image autour de laquelle se développe la première inscription est celle d’un jeune homme imberbe, habillé d’une tunique courte et chaussé. Il est assis sur un tabouret, ses deux pieds posés à plat, en position frontale. Il tourne son visage vers la droite, c’est-à-dire vers le ton suivant, et tient dans sa main droite un instrument identifié comme une sorte de vièle [33]. La jeunesse et la régularité de ses traits, la grâce de la chevelure souple, coupée soigneusement, relèvent des canons de beauté contemporains. Vigueur, simplicité, élégance, émanent de cette figure juvénile à laquelle l’aisance de l’attitude et l’inflexion harmonieuse des bras donnent vie (ill. 7).

Dans ce premier chapiteau des tons de la musique, les deux figures assises (1er et 3e tons) le sont sur des sièges très semblables dont la base architecturée, ornée d’arcatures, se prolonge au niveau du sol par une marche en avancée qui fait office de repose-pied. Ce détail, bien visible, vient mordre sur la bordure de la mandorle et confère au siège, comme à celui qui l’occupe, une majesté certaine. Le troisième ton est associé au Christ [34] et cette association apporte à la présentation une explication satisfaisante, mais le premier n’est a priori qu’un musicien – qualifié parfois de « jongleur » par les historiens de l’art −et l’élégance du siège sur lequel il travaille est inattendue [35]. Selon l’analyse musicologique qui reconnaît dans ces deux tons les authentes du premier et du deuxième mode, cette majesté insolite pourrait pourtant se justifier, et on lit dans le traité de Guy d’Arezzo qu’ « authente et plagal constituent un couple dont l’authente est le maître absolu ». Lionel Dieu, qui applique ce commentaire aux musiciens de Cluny, ajoute que « la domination est caractérisée par un homme qui siège, attitude représentative du pouvoir [36] », et n’hésite pas à établir une relation entre cette première figure et les représentations royales des sceaux d’Henri 1er, de Philippe 1er et de Louis VI le Gros (ill. 8). L’image du premier ton serait donc une image de pouvoir.

8. Sceau de Henri 1er, 1046
Dessin du XVIIIe siècle
Photo : F. Besse
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Une exégèse qui remonte à Basile de Césarée [37] et à Grégoire de Nysse [38], expose comment l’ordre intimé au premier homme de commander à la création [39], doit être entendu comme l’achèvement de cette création imposé par Dieu à la créature. En commandant à la création, c’est-à-dire en la maîtrisant en lui-même, en se montrant capable de dompter ses propres passions [40], l’homme créé à l’image de Dieu pouvait acquérir sa ressemblance avec son Créateur. Cette exégèse s’appuie sur la double mention de l’Écriture selon laquelle Dieu a créé l’homme « à son image et à sa ressemblance ». Pour Basile et ses successeurs, si l’image est donnée, la ressemblance doit être acquise. En quoi consiste-t-elle ? Il s’agit seulement pour l’homme d’adhérer librement à la Pensée et à la Volonté auxquelles il doit l’être et la vie. Cette maîtrise de soi était à l’origine ─ et demeure ─ la royauté qu’il a reçu la mission d’exercer : « Homme, tu es un être vivant, fait pour commander […] Tu as été élu prince de la Création [41] », et Basile résume sa pensée par une formule saisissante : « où se trouve le pouvoir de commander, là réside l’image de Dieu [42] ». Cette exégèse, qui apporte un écho imprévu au rapprochement de Lionel Dieu entre le premier musicien et les sceaux aux effigies royales, était familière aux moines de Cluny. Elle est exposée très fermement dans le De Imagine de Grégoire de Nysse, dont la traduction latine établie par Jean Scot se trouvait dans leur bibliothèque [43], comme dans les œuvres de Jean Scot lui-même, où l’on peut lire que « le monde sensible a été créé pour l’homme afin que l’homme règne sur lui comme un roi règne sur son royaume et comme un maître de maison règne sur sa maisonnée [44] ». C’est bien d’un maître de maison assis sur sa cathèdre que le premier ton propose l’image. Tout le Livre IV du Periphyseon n’est qu’une contemplation du mystère de l’homme dans « la noblesse ineffable de sa nature [45] », noblesse qu’il tire de sa ressemblance avec son Créateur. Car « Dieu a voulu créer l’homme à son image et à sa ressemblance afin que, tout comme le Prototype principal [le Christ] excède toutes les créatures par l’éminence de son Essence, de manière analogue, Dieu a voulu que son image [l’homme] excédât toutes les créatures par la noblesse de sa nature et par le concours de la grâce divine [46]. »

9. Premier et troisième tons semblablement assis
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Une telle phrase donne un sens précis aux deux sièges semblables sur lesquels sont assis les deux musiciens (ill. 9), dont l’un représente le Christ Lui-même, et dont l’autre, dans la splendeur de sa jeunesse, propose une bonne illustration de cette humanité créée « à l’image de Dieu » pour commander à la création [47]. Et Jean Scot cite le psaume qui a sans doute fourni l’inspiration directe de la marche en avancée sur laquelle reposent les pieds du premier musicien : « Tu l’as établi [l’homme] au-dessus des œuvres de tes mains. Tu as tout assujetti sous ses pieds [48]. »
Et comme dans le chapiteau du Péché originel (voir le premier article sur le chapiteau du Péché originel) , qui présente d’abord le premier couple humain dépourvu de tout décor au lieu de l’entourer de la luxuriance du Jardin d’Eden comme le suggère le texte inspirateur, ce jeune musicien est seul dans sa mandorle, sans autre accessoire que sa vièle, comme image de la nature humaine en qui est récapitulée la création tout entière.

10. Drachme antique d’Antiochos VII
Comme l’image du Basileus sur la drachme perdue,
celle de Dieu reste imprimée, quoiqu’invisible depuis le péché
Photo : D.R.
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Pourtant l’Écriture dit aussi que, par le péché, « l’homme a déshonoré la noblesse naturelle de sa nature [49] » et cette chute est illustrée sur un autre chapiteau. Il a failli à la mission qui lui avait été confiée et ne mérite donc plus le trône sur lequel les moines de Cluny l’ont néanmoins volontairement assis. Il n’est pas difficile de trouver, dans les textes de Grégoire de Nysse, que Jean Scot reprend et cite, l’explication de cette anomalie. Pour l’un comme pour l’autre, le péché n’a pas fait disparaître l’homme originel, mais l’a seulement rendu invisible en chaque individu, caché dans la chair comme la drachme perdue de la parabole [50] sur laquelle demeure imprimée l’image du souverain (ill. 10). Il doit reparaître lorsque les parties inférieures de la nature humaine se seront résorbées dans les parties supérieures, c’est-à-dire dans l’intellect, parce qu’il lui est encore possible, avec l’aide de la grâce, d’accepter de se conformer à son état de créature, de se purifier de ses défauts et de tendre vers la connaissance de Dieu. S’il fait ce choix, tôt ou tard, « l’homme spirituel », qui demeure caché, sera « ramené à son statut originel d’image divine [51] ». Le modèle évangélique est le Fils prodigue [52] sur lequel Jean Scot médite dans le Livre V, et l’image du musicien est conforme à la description qu’en propose le Periphyseon : le fils perdu revenant chez son père récupère « sa robe d’antan [53] », c’est-à-dire sa condition première, et « les chaussures qu’on lui met aux pieds, c’est-à-dire la vie éternelle [54] ». Un détail pourrait apporter la certitude que c’est bien lui qu’il faut voir, en transparence, dans la figure de ce premier musicien, c’est la bague, l’anneau que lui remet son père, et dans lequel Jean Scot reconnaît « la condition de la vertu ». Malheureusement une des deux mains a disparu et l’autre est trop endommagée, nous privant de cette interprétation. Il est, en revanche, parfaitement raisonnable de reconnaître dans la figure du premier musicien une image de l’homme spirituel présent en chacun, maître de lui-même, ayant vaincu ses passions, capable d’assumer l’ordre de commander, invisible sous l’homme charnel [55], dont il peut et doit triompher. Rappelons que ce programme de vie intérieure est précisément celui de la vie monastique et de la « transformation de la chair en esprit » proposé par Jean Scot aux baptisés.

11. Chapiteau à mandorles des quatre premiers tons
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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On pourrait penser que là s’arrête le parallélisme entre ce musicien et le texte du Periphyseon, mais la lecture de Jean Scot continue au contraire à nourrir l’image en profondeur, selon cette multiplicité féconde de sens complémentaires et semblables qui caractérise sa pensée. Car ce joueur de vièle qui représente l’homme primordial dans son intégrité originelle retrouvée, ou l’homme spirituel redevenu conforme à sa nature par la maîtrise de ses passions, peut être envisagé aussi comme une image de la partie supérieure de cette nature humaine qu’est l’intellect, de la même manière que, sur le chapiteau du Péché originel, la figure d’Adam se confondait avec l’image du νο̃υς (l’intellect), tandis qu’à Ève était confié le rôle de figurer l’aιςθήσις (la sensibilité). Car, explique Jean Scot, le maître des passions et de la partie sensible de la création, c’est l’intellect qui « préside à la totalité de la créature humaine [56] ». C’est en lui que doivent être, à la fin des temps, récapitulées les autres facultés du corps, de la sensibilité, de la raison et de l’intelligence [57].
Et comme l’homme originel créé à l’image de Dieu, cet intellect demeure en chacun « invisible et incompréhensible en soi [58] », et on peut envisager que c’est le sens qu’il faut accorder à l’apparition de mandorles sur certains des chapiteaux (ill. 11, 12, 13). Car la mandorle n’est pas une gloire, comme on l’a trop souvent interprétée, c’est une amande ─ son nom l’indique ─, un noyau dont le contenu est invisible aux yeux de la chair. A Cluny, l’apparition de mandorles dans la deuxième partie du cycle des chapiteaux correspond au passage de l’homme extérieur « aιςθήσις », à l’homme intérieur « νο̃υς » ─ l’homme extérieur étant, avec une grande logique, figuré librement sur un fond de végétaux.


12. Chapiteau à mandorles hexagonales
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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13. Chapiteau « du Printemps » à mandorles régulières
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Mais, pour invisible qu’il soit, l’intellect, selon Jean Scot, a le pouvoir de se manifester et presque de se matérialiser « dans des sons ou dans des lettres, ou dans d’autres indices encore, comme dans des sortes de corps [59] ». On peut même lire dans le Periphyseon que « notre intellect s’incarne au gré des sons et des lettres [60] » ; pour cela, «  il se fabrique des sortes de véhicules tirés du matériau de l’air », par lesquels il « devient connaissable [61] ». Le théologien irlandais souligne qu’il s’agit pour l’intellect humain, d’une fabrication « à partir d’une matière qui lui préexiste », précision dont l’objectif est de séparer très clairement l’œuvre de fabrication qui est le propre de la créature [62], de l’œuvre de création réservée à la Divinité. L’idée générale qui préside à ce paragraphe est le parallélisme entre l’activité créatrice, effusion de l’Unité divine dans le multiple, et l’activité humaine dans sa manifestation la plus noble, selon une sorte de mimétisme qui n’est autre chose que l’expression, perceptible et simple, de l’unité de la Création en Dieu, et de la coïncidence retrouvée entre la volonté humaine et la Volonté divine [63].

14. Un facteur d’instrument
Photo : BSG
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Or il se trouve que la grande découverte concernant ce musicien est d’avoir établi qu’il ne jouait pas, et qu’il jouait d’autant moins que son instrument n’était pas terminé. Ce n’est donc pas encore un musicien, mais un facteur d’instrument (ill. 14), et celui qu’il tient de la main droite n’a ni corde ni chevalet ni cheville de tension [64]. Selon Lionel Dieu, sa main gauche, que l’on avait toujours envisagée comme grattant les cordes de sa vièle, tient quelque chose qui pourrait être un outil de luthier [65]. Cette observation fondamentale établit soudain un lien étroit avec le chapitre IV du De Imagine de Grégoire de Nysse qui commence ainsi : « Les artistes ici-bas donnent à leurs instruments une forme en rapport avec l’usage qu’ils en feront. Ainsi le meilleur des artistes [Dieu] fabrique notre nature comme une création adaptée à l’exercice de la royauté ».

Ce ton initial est donc paradoxalement muet, incomplet et cependant géniteur des mélodies dans leur diversité infinie. Il est incomplet comme le premier homme lui-même car « la nature humaine n’avait pas encore acquis la perfection […] qu’elle devait acquérir comme une récompense de son obéissance à Dieu [66] ». Il est muet car le travail de l’homme sur lui-même, si attentif et obstiné soit-il, ne peut rien sans la grâce. Mais ce travail que constitue la fabrication de son instrument de louange témoigne de la coïncidence retrouvée de sa volonté avec celle de Dieu [67], tandis que la beauté que lui prête le sculpteur peut, de son côté, être interprétée comme l’image de cette « perfection propre à sa forme » que la nature humaine peut acquérir ou retrouver. Dans ce processus de transformation dans lequel est engagée la nature humaine, le premier ton correspond à l’étape où, « restaurée dans l’intégrité originelle de sa nature, [la créature] comprendra enfin la noblesse et la beauté de l’image divine créée en elle [68] ». Dans l’oraison funèbre du grand abbé que fut Odilon, on peut lire à sa louange qu’il avait été « plus beau que l’astre rougeoyant [69] »

15. Chapiteau du Printemps.
Association des mandorles régulières et des textes.
Photo : BSG
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Dans un texte de souvenirs [70], Virgil Gheorgiu compare le mécanisme selon lequel le Verbe de Dieu devient chair avec celui par lequel, dans l’écriture, la pensée est engendrée dans un signe : « tu engendres de toi-même ta propre parole comme Dieu a engendré le Fils, le verbe que tu écris prend forme dans les lettres calligraphiées comme le Christ prend forme d’homme. Ensuite, le verbe, le logos, le mot engendré par toi meurt, comme le Christ est mort […] Plus tard, toi-même ou un autre lira ton mot écrit. Et ce mot engendré de rien par toi […] ressuscitera dans la pensée d’un autre homme. » Jean Scot expose, au Livre III, comment la fabrication de moyens de communication ─ qu’il appelle les « véhicules », sons, lettres, mots, écriture, mélodie ─ par l’intellect humain, permet à celui-ci de pénétrer «  jusqu’au tréfonds » des autres intellects, en se communiquant à eux. Par ce mouvement, écrit-il, l’intellect « fusionne avec les autres intellects et devient un avec ces intellects auxquels il s’unit [71] » Il s’agit donc, à travers cette communication, de retrouver l’unité perdue de la Création dans le Christ. Par-delà les siècles, le théologien irlandais, les moines de saint Hugues et l’évêque roumain poursuivent la même contemplation, celle du Verbe fait chair et de la pensée commune des pensants séparés. Dans cette perspective, il devient possible d’envisager qu’à Cluny, l’apparition des textes sur le chapiteau du Printemps, l’association de ces textes avec les mandorles régulières (ill. 15) et leur présence systématique sur les derniers chapiteaux, n’est pas le fruit d’un hasard ni l’effet d’une fantaisie, mais qu’on peut y voir l’incarnation progressive de l’intellect qui s’élève vers Dieu ─ le Christ trônant à la conque de l’abside ─ par le double effet de sa propre tension et de la Grâce répandue sur lui par la Divinité (ill. 16).

16. Berzé-la-Ville, chapelle des moines,
Christ dans une mandorle à la conque de l’abside
Photo : Académie de Mâcon.
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On peut ajouter que ce pouvoir de commander, que manifeste la noblesse du siège de ce premier musicien, n’est pas seulement pour l’homme la possibilité d’adhérer à sa condition de créature en se conformant à la Volonté du Créateur ; cette domination lui a été donnée aussi « afin que l’homme puisse user du monde sensible pour la gloire de son Créateur [72] ». C’est ici que l’écho de la grande liturgie clunisienne se fait entendre à travers cette image laïque d’un musicien présenté comme celui en qui sont récapitulées toutes les mélodies. Car ce joueur de vièle dans la fleur de son âge est aussi, comme premier ton de la musique, l’initiateur d’un parcours qui conduit l’humanité jusqu’au huitième ton de la louange divine où, selon le titulus qui accompagne cette ultime figure, sont « bienheureux tous les saints », ou bien, selon Jean Scot, dans la huitième des causes primordiales, ce qui revient au même. « La récapitulation unificatrice […] débute à partir de l’homme et […] remonte par l’intermédiaire de l’homme jusqu’à Dieu Lui-même, qui est le principe initial de toute division et le terme final de toute unification [73]. »

Ainsi, d’un chapiteau à l’autre, les figures se répondent : comme Adam et Ève sont seuls face à la pomme sur la première face du chapiteau du Péché originel, le jeune homme du premier ton est seul avec sa vièle. Au geste simultané d’appropriation du premier couple s’oppose l’effort du musicien pour mener à bien la fabrication d’un instrument – un véhicule − qui le relie au monde et à Dieu [74]. À l’acte de retour sur soi correspond inversement une activité tournée vers autrui et vers son Créateur. À la désobéissance répond la louange. À « l’impulsion irrationnelle » succède ici la cohérence profonde de l’unité retrouvée dans la maîtrise de soi.

[S]UBSEQU[I]TVR PTONGVS NUMERO VEL LEGE SECVNDUS  [75]
Le son qui le suit est le second selon l’ordre et la loi.

17. Deuxième ton : une danseuse qui joue des cymbales
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Au premier personnage masculin, assis en majesté, succède une figure féminine voilée, ondulante et debout, qui porte des cymbales (ill. 17). Le bras gauche a disparu avec sa cymbale mais la main droite porte toujours l’autre et la lanière qui reliait autrefois les deux parties de l’instrument est encore à sa place et remonte vers la main disparue.
Il s’agit ─ sauf réserve de l’hypothèse envisagée par Kenneth Conant pour le cinquième ton [76] ─ de la seule femme dans la série des musiciens. Musicalement il faut y voir le plagal du premier mode ; elle se tourne vers son authente avec lequel elle forme un couple. Lionel Dieu observe que l’idée d’illustrer la dualité authente-plagal par un homme et une femme n’est pas une nouveauté et existe déjà chez Aribon de Freising [77].

Le passage de l’Un au multiple, la descente dans le nombre, s’est achevé avec la division de l’humanité en deux sexes différents. Le deux est par excellence le chiffre de la femme. La femme vient en second, chronologiquement ─ « Adam s’endormit et Ève apparut [78] » ─, comme hiérarchiquement. Cette hiérarchie, établie par les Pères de l’Église [79], est déjà illustrée sur le chapiteau du Péché originel par la disposition respective des personnages (ill. 18). La musicienne de Cluny vient après (subsequitur [80]), et il faut comprendre que cette place qui est la sienne est doublement seconde, par l’ordre naturel des nombres qui règle l’ordre du monde (numero), comme par la loi hiérarchique (lege). Or la dualité dont elle est porteuse, par sa nature comme par l’instrument qui lui est attribué, peut être assimilée au mal lui-même, car « le Bien véritable est un Bien simple […] étranger à toute dualité [81] ».


18. Chapiteau du Péché originel
Ève vient « après »
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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19. Chapiteau du péché originel
Premier pommier : simple et droit
Deuxième pommier : double et courbe
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Le chapiteau du Péché originel illustre cette théorie par la représentation des deux pommiers dissemblables : le pommier du péché, comme les cymbales de la femme, est double ; celui de la création divine, simple et droit (ill. 19). Pour Jean Scot, comme pour les théologiens dont il se réclame [82], cette dualité mauvaise marque la femme dès son origine, « car elle doit l’origine de sa création, non pas à l’image divine qui fut créée à l’intérieur du paradis, mais la femme doit son origine au péché originel qu’elle allait commettre [83] ». Il en arrive à voir dans la femme elle-même l’image du mal [84].

D’ailleurs, la sinuosité de la musicienne aux cymbales est, en soi, expressive d’un jugement péjoratif et le contraste très marqué qui oppose son ondulante silhouette à la netteté du premier musicien, aux contours précis, à la position franche et stable (ill. 20), peut être mise en relation directe avec celle qui, sur le chapiteau du Péché originel, sépare inversement le premier couple humain dans sa raideur candide, et le serpent aux circonvolutions tortueuses. Le mal, explique Jean Scot, est « une impulsion irrationnelle [85] » qui échappe à l’intellect, et s’impose même aux hommes purifiés, comme en témoigne la parole de saint Paul : « je ressens une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de mon esprit et qui m’enchaîne à la loi du péché [86]. »

20. Le premier et le deuxième ton :
Rectitude et sinuosité
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Les inflexions multiples, par lesquelles le sculpteur a essayé de traduire la domination exercée sur le corps de la femme par la musique, peuvent être comprises comme la traduction claire de cette « autre loi » qui s’empare des membres contre la volonté de la tête, « car les sens corporels n’ont pas voulu obtempérer aux commandements prescrits par l’intellect [87] » et cette loi « prescrite par le sens charnel qui domine les membres des hommes qui vivent charnellement, […] l’apôtre Paul lui donne le nom de loi du péché [88] ». Pour bien mesurer le lien étroit qui existe entre le texte et l’image, il faut rappeler que ce sens charnel, pour Jean Scot [89], est justement la femme, en laquelle il reconnaît « le sens extérieur qui prend plaisir aux images sensibles et s’avère induit en erreur par ces images, tandis que l’homme symbolise l’esprit ou l’intellect qui se corrompt en donnant illicitement son consentement au sens corporel [90] ».

Néanmoins, par-delà ces jugements implicites que l’image répercute presque innocemment, l’attitude un peu gauche, la silhouette un peu lourde du personnage ne correspond pas absolument à l’analyse sans appel du Periphyseon et, de toute évidence, ce n’est pas une Salomé que les moines ont demandé au sculpteur de faire surgir de son ciseau au centre de cette seconde mandorle. Dans les premières pages de son De Musica, saint Augustin, après avoir défini la musique comme « l’art de bien moduler [91] », sépare avec fermeté la musique qui est une science ─ ou un art ─ et l’instinct musical que l’on peut observer chez certains animaux. Il cite le rossignol, qui chante naturellement, et compare ce rossignol aux personnes qui chantent, mais n’ont aucune notion concernant « les nombres et les intervalles des sons aigus et graves ». Et il ajoute : « nous voyons des éléphants, des ours et plusieurs espèces animales s’agiter au son de la musique […]  ; ne peut-on pas comparer ces gens à des bêtes ? [92] ». Le sautillement de la musicienne de Cluny évoque plus celui des ours exhibés par les jongleurs, que les arabesques voluptueuses par lesquelles le sculpteur aurait pu exprimer la sensualité séductrice, si les moines le lui avaient demandé. C’est donc bien le sens extérieur, charnel, instinctif, animal, que cette danseuse aux cymbales est chargée de figurer, mais aucun détail ne la désigne expressément comme pécheresse.
Car c’est un autre enseignement que propose la musicienne du deuxième ton, enseignement en accord avec celui de l’authente précédent, auquel elle est étroitement subordonnée. Le jeune homme du premier ton représentait l’humanité, maîtrisant en elle-même la Création tout entière. Or, depuis le péché, l’humanité est, non seulement double, mais séparée en deux : chair et esprit, sensible et intelligible, féminine et masculine. Mais, comme la rencontre entre les deux parties de la cymbale produit un son unique, c’est de la fusion des deux moitiés de l’humanité que doit ressurgir à la fin des temps l’homme originel, tel qu’il a été créé dans la pensée divine. Car « l’unification de la nature humaine ramène la division des deux sexes à la simplicité de l’homme en tant que tel [93] ». Cette idée, très souvent reprise, s’appuie sur la parole de Paul aux Galates [94] annonçant que dans l’homme nouveau, il n’y a plus ni homme ni femme, et l’expression de cette certitude ─ on pourrait écrire de cette nécessité ─ revient inlassablement sous la plume de Jean Scot : « car l’homme est supérieur au sexe, puisque les noms de mâle et de femelle ne sont pas les noms de sa nature, mais ce sont les noms de sa partition consécutive à la transgression, alors qu’homme connote le nom spécifique à sa nature. [95] »

21. « La femme doit avoir sur la tête
un signe de sujétion
 »
Photo : BSG
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Cette image des cymbales, instrument double produisant un son unique a probablement été inspirée par le Commentaire sur les Psaumes de Grégoire de Nysse, où elle est utilisée pour illustrer le retour de la nature humaine à l’état angélique perdu avec le péché. Mais dans le texte du Père cappadocien, c’est « la nature hyper cosmique des anges » qui est une cymbale, « la création spirituelle des hommes en est une autre. Le péché a séparé l’une et l’autre. Lorsque la grâce les aura réunies à nouveau, elles feront alors retentir l’hymne de louange [96] ». Ce n’est pas ce sens que les moines de Cluny ont retenu pour le deuxième ton et, si l’image vient de Grégoire, c’est quand même la pensée de Jean Scot qui se trouve illustrée ici. Le retour de l’homme à son unité première passe par la disparition de l’homme sexué, mais aussi par l’union entre les différents niveaux de la créature ou entre les différentes parties qui fonctionnent encore séparément en lui : « car dans la nature humaine, le mâle correspond à l’intellect auquel les Grecs décernent le nom de νο̃υς, tandis que la femelle correspond au sens extérieur qui est du genre féminin chez les Grecs qui lui décernent le nom d’aιςθήσις » ; et l’Érigène ajoute : « le mariage mystique du νο̃υς et de l’aιςθήσις préfigure les noces futures entre le Christ et l’Église. [97] ».

C’est pourquoi, dans ce personnage dont le corps mobile ondule au gré de la sensation, la tête, inclinée vers la gauche, répond par son inclinaison à l’attitude du premier musicien tourné vers elle sur la face précédente. Léo Shrade a perçu la dépendance de la danseuse par rapport au musicien [98] et Lionel Dieu fait remarquer que le mot ptongus, utilisé ici pour sonus, est un terme que l’on trouve dans le Micrologus de Guy d’Arezzo [99] ; il exprime le son qui « entre en composition dans les mélodies [100] » et qui n’est donc pas indépendant. En tournant la tête vers son authente, la musicienne, malgré sa faiblesse, sa dualité, sa mobilité désordonnée et son caractère oblique de plagal [101], obéit à sa nature propre qui lui impose sa soumission à l’authente masculin du premier mode. Au Livre IV du Periphyseon, Jean Scot commente la parole adressée par Dieu à la femme : « et ad virum tuum conversio tua [102] » qu’il interprète non comme une des conséquences punitives du péché, au même titre que la mort, − ce qu’elle est pourtant dans le texte sacré −, mais comme une promesse du retour de la nature humaine à son état originel, par la soumission définitive de la partie féminine. Le long voile qui couvre la tête de cette joueuse de cymbales et qui tombe jusqu’à terre (ill. 21), témoigne de cette soumission en se conformant à l’injonction de Paul : « la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion [103]. »

Mais dans ce schéma de récapitulation de l’humanité qui monte vers Dieu, les moines de Cluny ont sans doute dû résoudre une contradiction à laquelle Jean Scot s’était déjà heurté, et il semble à première vue paradoxal de rencontrer ici une figure féminine après l’image de l’homme maître de ses passions et de la création tout entière. Car, si la femme est ce qu’il y a de plus bas dans l’échelle de l’humanité [104], elle devrait ouvrir la série des musiciens puisque l’unification de l’homme remonte de l’inférieur vers le supérieur. La progression montante logique devrait donc aller de la femme à l’homme et de l’homme au Christ, comme sur la troisième face du chapiteau du Péché originel. Jean Scot, au Livre IV du Periphyseon, contourne l’embarrassante précision de l’Écriture qui fait surgir la femme directement au Paradis et décide d’ignorer la difficulté en tranchant autoritairement, comme Ambroise avant lui, par l’affirmation de l’infériorité féminine. Ici, la difficulté se doublait pour les moines de saint Hugues d’une contradiction musicale car, dans ce premier mode, il est pour le moins surprenant qu’un homme ait été choisi pour illustrer le chant aigu (authente) et une femme le chant grave (plagal). Selon Guy d’Arezzo, c’est bien le chant « aigu de chaque mode [qui] se nommerait authente, c’est-à-dire originaire ou premier, quant au grave, il s’appellerait plagal, c’est-à-dire latéral ou mineur [105] ». Comme on le voit, les constructeurs de Cluny, comme Aribon [106] d’ailleurs, et sans doute à son exemple, n’ont retenu que les caractéristiques latérales et mineures et ont ainsi, comme Jean Scot pour le Paradis, résolu la contradiction. À Cluny comme ailleurs dans la Chrétienté médiévale, la hiérarchie ecclésiastique dominée et comme confisquée par un clergé masculin astreint au vœu de chasteté, engendrait une misogynie normale, naturelle, implicite, malgré la douceur de la spiritualité clunisienne.

[T]ERTIVS IMPINGIT XTMQVE RESVRGERE FINGIT
Le troisième pousse violemment et découvre le Christ qui ressuscite.

Le troisième ton – authente du deuxième mode [107]− est à nouveau représenté par un musicien assis sur un siège architecturé (ill. 22 et 23). Plus âgé que le premier il porte barbe et moustache, et joue d’un instrument à six cordes. L’inscription qui l’accompagne l’associe à la Résurrection du Christ, et le type physique du musicien correspond à l’image traditionnelle du Fils de Dieu fait homme. Néanmoins, contrairement au Christ figuré sur le chapiteau du Péché originel, rien n’indique expressément sa nature divine.


22. Passage du deuxième au troisième ton :
les musiciens se tournent le dos
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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23. Le troisième ton
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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La mention du Christ en troisième position n’est pas surprenante ; le chiffre trois est par excellence celui de la Divinité, celui de la Trinité Sainte dont, si l’on en croit Jean Scot, l’homme primordial reproduit la structure. Aux trois Personnes de la Trinité correspond en effet la tripartition de la créature spirituelle, qui conjugue en elle intellect, raison et sens intérieur [108]. Cette tripartition reproduit, par son fonctionnement, l’économie interne de la Trinité. Le chiffre trois est ainsi doublement le chiffre du Christ qui, comme Fils de Dieu, participe à la Trinité, tandis que comme Fils de l’Homme, par sa Résurrection au troisième jour, Il restitue l’humanité dans sa splendeur première. Il est le « nouvel Adam », « le Prototype de la restauration de la nature humaine [109] », « l’homme parfait […] en qui tous les hommes trouvent leur accomplissement [110] ». Ainsi « Dans le premier Adam, toute la nature humaine a été expulsée de la félicité du Paradis, dans le second Adam, toute la nature humaine a été ramenée et réintégrée dans la félicité du Paradis [111] ». Et l’Érigène justifie son discours en se référant à saint Paul : « De même que tous les hommes meurent en Adam, de même tous renaissent dans le Christ. [112] »


24. Le troisième ton (détail)
Le Fils de l’Homme
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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25. Chapiteau du Péché originel
Le Verbe Créateur
Cluny, Musée Ochier
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Le premier degré de l’unification de l’humanité dans le Christ a commencé, comme nous l’avons vu, avec la musicienne du deuxième ton, au niveau le plus bas de la division de cette humanité, car « dans le premier Adam, la nature humaine a été divisée en mâle et femelle, alors que dans le second Adam, la nature humaine a été réunifiée [113] ». Le Christ par sa Résurrection, fait disparaître en lui cette division, consécutive au péché [114]. En Lui, il accomplit, définitivement et pour l’éternité, l’unité vers laquelle les deux premiers musiciens dirigeaient leur effort. On pourrait néanmoins trouver surprenant que ce musicien très nettement barbu soit ainsi chargé de représenter l’abolition du sexe, si Jean Scot n’avait, par avance, répondu à l’objection en faisant référence à l’Écriture : « Car dans le Christ il n’y a ni mâle ni femelle [115], bien que ce fut dans ce sexe masculin […] que le Christ apparut à ses disciples après la Résurrection. [116] » Cette dernière précision, qu’il reprend presque mot pour mot dans le Livre V [117], explique pourquoi ce musicien barbu qui est le Christ, nouvel Adam, doit être compris comme l’homme « véritable et complet, c’est-à-dire composé d’un corps, d’une âme, d’un intellect, exempt de tout sexe ou de toute forme définie [118] ». C’est bien le Fils de l’Homme que les moines de Cluny ont placé ici et c’est la raison pour laquelle, contrairement au Verbe Créateur du Péché originel, le nouvel Adam du troisième ton n’est pas distingué par un nimbe (ill. 24 et 25).

Le premier ton était un tout jeune homme, celui-ci est sensiblement plus âgé. En cela il est parfaitement conforme au texte du Periphyseon et montre « cet homme parfait, dans la force de l’âge, en qui se réalise la plénitude du Christ [119] ». Et Jean Scot précise que « l’homme parfait n’est autre que le Christ, en qui tous les hommes trouvent leur accomplissement, dont la plénitude de l’âge correspond à l’accomplissement du salut de toute l’Église catholique, qui est constituée à la fois par les anges et par les hommes [120] ». Par cette dernière phrase, l’Érigène fait allusion à une autre unification opérée par le Christ ressuscité, qui est celle de la terre et du ciel séparés depuis le péché d’Adam. Rappelons que pour lui, le Paradis n’est pas conçu comme un lieu, même mythique, mais comme un état ontologique de la créature et que cette conception est déjà illustrée avec une grande subtilité dans le chapiteau du Péché originel. Et cette union que le Christ réalise en Lui, existe ici-bas pour le contemplatif : c’est le troisième ciel dont parle saint Paul [121], celui auquel seule la grâce peut hisser la créature humaine, auquel l’apôtre a été élevé et sur lequel l’Érigène médite d’un livre à l’autre [122]. Le troisième ton, ou troisième ciel, ouvre donc une nouvelle étape dans le processus de sanctification de l’homme et de son retour vers la Divinité ; au musicien muet du premier ton engagé dans l’effort de fabrication de sa vièle succède la plénitude des accords que verse la grâce.

On peut alors se demander pourquoi, puisque le Christ ramène l’humanité à sa perfection originelle, le sculpteur ne l’a pas représenté dans la nudité glorieuse de la Résurrection qui était celle du premier homme. La question se pose d’autant plus que cette nudité est traitée avec franchise dans l’épisode du Paradis et qu’elle aurait donc pu être utilisée ici comme la marque distinctive du retour à la simplicité perdue. Si les moines de Cluny se sont posé cette question, c’est encore dans le texte de Jean Scot qu’ils en ont sans doute trouvé la réponse « car nous gémissons, écrit l’Érigène, dans cet état [l’état mortel des créatures ici-bas], ardemment désireux de revêtir par-dessus notre habitacle terrestre, l’habitacle céleste, si toutefois nous devons nous trouver vêtus et non pas nus […]. Car nous ne voulons pas nous dévêtir, mais nous revêtir de l’habitacle céleste, afin que ce qui est mortel soit absorbé par la vie. [123] »

26. Troisième ton : les deux vêtements du Christ
Une tunique et un manteau.
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Il est d’ailleurs remarquable que, contrairement au premier musicien vêtu d’une simple tunique, celui du troisième ton porte aussi un manteau, illustration précise et volontaire des deux vêtements du Christ (ill. 26) dans lesquels les théologiens ont reconnu les deux formes de la Révélation, ce qui cache Dieu et Le révèle tout à la fois, autrement dit la Nature et l’Écriture [124]. Car « la créature visible est en effet le vêtement du Verbe puisqu’elle nous Le fait connaître en nous manifestant sa beauté. La sainte Écriture est devenue aussi son vêtement, puisqu’elle contient ses mystères [125] ».

Le Christ ressuscité réalise donc en Lui l’Homme parfait [126]. Le premier musicien devait encore terminer sa vièle ; le musicien du troisième ton dispose d’une lyre [127] à six cordes disposées en éventail, comme jaillissant d’un unique point, illustration de la multiplicité du créé surgissant de l’Unique sans en rompre l’unité (ill. 27). Car, comme nous l’avons vu, l’unité du Verbe est féconde et s’ouvre à la multiplicité [128]. Le chiffre trois est, à la fois, celui de la place du ton dans l’octoechos et celui de la corde que touche l’index du Christ au centre de l’instrument. Mais c’est aussi, selon Jean Scot, celui de la procession de l’univers créé qui flue en trois degrés, de Dieu d’abord dans les causes primordiales, puis, de ces dernières, dans les effets intelligibles avant de se manifester dans les effets sensibles. Et cette procession de l’univers se récapitule elle-même dans le chiffre six qui est celui choisi par Dieu pour la Création, « l’Œuvre des six Jours », « l’Hexameron », la semaine du monde dont l’homme est le couronnement. Car l’homme est « le terme final de toute la création récapitulée en lui par une répétition à six reprises du récit de la Genèse, afin que le nombre six ne symbolise pas seulement la perfection intrinsèque de la nature humaine, mais symbolise également la création dans la nature humaine de toutes les autres natures [129] ». Le texte apporte alors une précision qui le relie encore plus étroitement à la figure du musicien, en affirmant que « toutes les créatures qui ont été créées par Dieu confluent dans la nature humaine et composent une harmonie unique formée de natures différentes comme de sons différents [130] » Le nombre de cordes, qui correspond au nombre de jours de la Création, sur cet instrument placé entre les mains du Christ, rappelle que la Création tout entière a été faite « dans le Verbe », c’est-à-dire dans le Christ ou, comme l’écrit encore saint Jean, « dans le Principe », et la marche sur laquelle reposent ses pieds renvoie à l’Écriture [131] : « Il a tout mis sous ses pieds. » Saint Paul reprend les termes mêmes du Psaume 8 évoqué à propos du premier ton, pour justement rendre compte du triomphe du Christ ressuscité. L’écho ménagé par le sculpteur entre les deux sièges et entre les deux musiciens est le même que celui qui surgit de l’Écriture entre des textes différents, selon cet effet de résonance multipliée qui tisse l’unité profonde d’un discours complexe, en apparence diversifié.

27. Une lyre à six cordes issues d’un unique point
L’accord indiqué entre la 3e et la 6e corde
est celui de l’unité retrouvée entre Dieu (3)
et sa Création (6)
Photo : BSG
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On peut encore ajouter que cette image d’un musicien penché sur un instrument à cordes rappelle l’image du roi David, dont le Christ descend, et que la tradition chrétienne représente jouant de la harpe. Comme le fait remarquer Isabelle Marchesin, David est le roi des deux royaumes (Juda et Israël), le roi unificateur, et le fondateur d’une liturgie nouvelle, caractéristiques qui viennent aussi enrichir la figure clunisienne [132]. Elle évoque également celle d’Orphée, figure christianisée dès l’origine de l’Église. Orphée est celui qui revient du royaume des morts [133], comme le Christ dont le Credo précise qu’il est « descendu aux enfers » avant sa Résurrection. Car le chiffre trois est aussi celui de la Résurrection : « le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures […] il a été mis au tombeau, […] il est ressuscité le troisième jour. [134] » Jean Scot explique que le Christ est venu « pour assumer la chair issue de notre humanité […] en acquittant nos passions par sa propre Passion, et en faisant mourir la mort elle-même par sa propre mort. [135] » Ce sont les passions que le premier homme n’a pas su dompter, auxquelles il n’a pas eu la force de commander, dont le Christ triomphe par son obéissance. Les deux musiciens s’opposent, se complètent et se répondent. À l’instrument sans corde et sans voix, le Christ apporte la plénitude de la lyre à six cordes et l’accord parfait qui ramène à l’unité la multiplicité des sons issus de cette unité même. Le doigté indiqué nettement par le sculpteur sur la troisième et la sixième corde donne, dans cet accord musical, une image de l’unité retrouvée dans le Christ entre Dieu et sa Création, comme les cymbales produisant un son unique symbolisaient déjà le retour de l’humanité sexuée (de secare, couper) à l’homme originel.

Cette multitude de sens qui se recoupent, s’enchaînent et se superposent défie à nouveau l’analyse. Les significations surgissent l’une de l’autre, d’un détail, d’une position, d’une attitude, d’une orientation. Chaque élément de chaque figure est le fruit d’une méditation et renferme un enseignement. Ainsi, on peut encore remarquer que, non seulement le musicien est tourné vers la droite comme le premier ton, mais qu’il a la tête fortement inclinée sur son instrument. Cette attitude, qui n’est pas, en elle-même, insolite, ne s’explique pas uniquement par l’observation attentive de la position d’un instrumentiste. Dans cet univers contemplatif que révèle l’étude des différentes figures, on peut y trouver un nouvel enseignement. Comme la tête inclinée de la femme renvoie à la Parole divine de la Genèse, celle du troisième musicien, assimilé au Christ, peut être envisagée comme une illustration de l’Évangile de Jean, où l’apôtre présent au pied de la Croix témoigne de ce qu’il a vu, et écrit : « Inclinant la tête, Il rendit l’Esprit [136]. » L’exégèse de cette phrase à laquelle se livre Jean Scot dans le Livre IV est assez complexe, mais l’influence récurrente de ce texte dans le programme des chapiteaux enlève au rapprochement ce qu’il pourrait avoir de fortuit ou de forcé [137] ; pour l’Érigène, la tête dont parle l’Évangéliste est non seulement celle du Christ, mais elle est véritablement le Christ Lui-même [138]. Il est admissible d’envisager que, sur le chapiteau, l’inclinaison marquée de la tête du troisième musicien représente le Christ mort dans sa chair pour la rédemption de la Création, renforçant par une image inédite la symbolique augustinienne pour qui c’est l’instrument sur lequel le Christ est penché, cithare ou psaltérion, qui serait une image de la crucifixion [139]. C’est justement du retour à la terre par la mort de la chair, que traite le quatrième musicien.

SVC[C]EDIT QUARTVS § SIMVLANS IN CAR§MINE PLANCTVS
Le quatrième suit en imitant dans son chant les lamentations

28. Troisième et quatrième tons,
authente et plagal du deuxième mode.
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Ce quatrième ton se présente sous l’aspect d’un homme à cheveux courts et moustaches relevées en crocs, qui s’éloigne du troisième en se retournant vers lui (ill. 28). Il porte des clochettes dans lesquelles les historiens ont reconnu un tintinnabulum [140], et son titulus le présente comme un planctus [141], c’est-à-dire comme une déploration funèbre [142].

Cette association d’un carillon avec la mort est en accord avec les usages funéraires de l’abbaye et le rapprochement a été fait avec le coutumier de Farfa dans lequel il est écrit que c’est : « prévenus par une sonnerie », que les moines apprenaient l’agonie d’un de leurs frères [143], pour lequel chacun se mettait à prier. Mais il ne s’agit, pas plus ici que pour les autres tons, de l’évocation d’une coutume monastique et ce musicien, comme les trois qui l’ont précédé, est très clairement un laïc

La place de ce ton dans la série clunisienne constitue en elle-même une anomalie, et il est pour le moins paradoxal de voir surgir ces lamentations après la Résurrection du Christ. Le retour de l’homme dans son image initiale, qui était celle de Dieu Lui-même, la disparition de la sexualité, la récapitulation du multiple dans le Principe, c’est-à-dire dans le Christ, le retour du Christ vers son Père par sa Résurrection, ne suffisent-ils donc pas à la plénitude d’une trajectoire qui ramène l’Œuvre des six Jours à son origine paradisiaque et laisse s’élever le contemplatif jusqu’au troisième ciel ? Quelle place peut encore avoir la mort dans la perfection d’une telle trajectoire ? Il y a là quelque chose qui ressemble à une incohérence, à l’image de celle qui, pour le deuxième ton, place une femme livrée à ses passions, après l’homme maître de lui comme de la Création. La composition des deux premiers modes est donc identique : à l’authente dominant et assis, succède un plagal debout (ill. 29), dont la soumission doit ramener la création à sa perfection originelle. D’ailleurs, les deux tituli qui accompagnent ces deux figures expriment cette dépendance d’un ton par rapport à l’autre : pour le deuxième ton il est dit qu’il succède (succedit) au premier, tandis que la même idée est reprise dans le « subsequitur  » qui présente le quatrième ton et le subordonne au troisième. On peut observer en outre qu’aux instruments complexes et polyphoniques des deux authentes [144], correspondent des instruments primitifs, qui ne peuvent servir que d’accompagnement, pour chaque plagal.
Le paradoxe du caractère funèbre de ce quatrième musicien trouve son explication dans l’Écriture car, si « le Christ est ressuscité des morts » sa résurrection, écrit saint Paul, constitue les « prémices de ceux qui se sont endormis ». Autrement dit la Résurrection est bien, pour l’humanité, la porte du salut, mais l’histoire du monde n’est pas terminée et le discours eschatologique fait partie de la prédication [145]. De même que « tous meurent en Adam, tous revivront dans le Christ », et l’apôtre ajoute : « Le dernier ennemi détruit, c’est la mort. [146] » La Résurrection du Christ a changé l’histoire du monde sans en interrompre le cours, et les vivants qui construisent Cluny III, ou pour lesquels l’église est construite, dans leur certitude d’avoir été sauvés, n’ignorent pas que l’enveloppe charnelle, qui les accompagne depuis leur naissance, est encore vouée à disparaître [147].

29. Le quatrième ton
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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C’est de cette enveloppe que traite le quatrième ton [148] et le chiffre quatre est justement celui du monde d’ici-bas ; il « regarde particulièrement le corps, à cause des quatre éléments qui le composent et de ses quatre qualités si connues du chaud, du froid, du sec et de l’humide  [149] ». Il embrasse les points cardinaux, les saisons, les éléments, et forme la structure fondamentale [150] de tout ce qui est soumis à la loi de croissance et de dégénérescence, et promis à la mort. Raoul Glaber en faisant l’éloge de cette divine quaternité qui régit l’univers ne fait que reprendre un thème de Maxime le Confesseur [151] à qui Jean Scot l’a aussi emprunté. Le quatre est lié à ce qui doit périr [152] : « tous ces corps, écrit l’Érigène dans le Livre III, se composent des quatre éléments simples puisque c’est dans ces mêmes éléments que tous les corps doivent se décomposer [153] » ; « Après la mort et par la mort, le corps se décompose pour revenir aux quatre éléments dont il est constitué. [154] » Car le monde de la matière, celui des corps, doit être purifié. Il aspire, comme toute la Création, à revenir dans ses causes primordiales, et ce retour se fera par l’élimination finale de tout ce qui est corporel. Non par sa disparition, car le monde sensible est aussi œuvre divine, mais par sa récapitulation dans le niveau supérieur, qui est celui des réalités intelligibles : « Je comprends clairement, conclut le disciple, après l’exposé du maître sur ce sujet, que pour le monde, périr n’est rien d’autre que retourner dans ses causes et se transformer en mieux. [155] » C’est ainsi que « la nature humaine […] aidée par la grâce de son Rédempteur, sera libérée de ses corps physiques et corruptibles, au moment de la Résurrection générale [156] ».

Cette théorie apporte une explication au nombre de clochettes portées par le musicien qui, selon les musicologues, sont moins nombreuses ici que sur les autres illustrations de ce type de carillon [157]. Comme quatre est le chiffre du monde terrestre, cinq − si tel est bien le nombre des clochettes du quatrième ton [158] − est celui de la perception des réalités sensibles par la créature humaine dotée de cinq sens [159]. « Les organes dans lesquels réside le sens extérieur sont appelés aïsthesis, comme signifiant […] les gardiens de la sensation, car c’est en eux que le sens est gardé et qu’il opère ; et les sens sont au nombre de cinq : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. [160] » Dans le chapiteau du Péché originel, c’est le talon d’Ève, projeté en direction du pommier de la création sensible, qui rassemble en lui cette capacité de l’homme à comprendre l’univers, par les informations qu’il en reçoit à travers les organes de ses sens. Et l’Écriture sainte annonce que ce talon d’Ève doit être atteint par le serpent. « Elle [la descendance de la femme] t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon. [161] » Les cinq clochettes associées au glas funèbre annoncent que « les corps, composés à partir des qualités élémentaires, qui leur ont été surajoutés [aux corps spirituels originels] comme un châtiment mérité pour leur mauvaiseté, comparables à une défroque vieillie, périront en même temps que le monde sensible à partir duquel ils ont été formés [162] ». Et comme l’homme récapitule en lui la création [163], il ne s’agit pas seulement ici de l’humanité, mais véritablement de la composante sensible de l’univers tout entier.

30. Le quatrième ton (détail)
Photo : BSG
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Le personnage dont l’image a pour fonction d’évoquer la mort charnelle présente par ailleurs un certain nombre de particularités dont, à nouveau, la lecture du Periphyseon précise le sens. Un paragraphe du Livre II pourrait en avoir fourni le modèle. On y lit que ce corps « corruptible et mortel » est « variable dans l’espace et dans le temps, divisible dans le nombre de ses parties, hétérogène, soumis à un procès de croissance et de décroissance, sujet aux diverses qualités et quantités, enclin à toutes les impulsions irraisonnées [164] » Ce musicien en marche n’est-il pas, justement, la créature variable dans l’espace et dans le temps ? Ce moustachu, qui sélectionne une partie de son système pileux, ne donne-t-il pas une image adéquate de l’homme « divisible dans le nombre de ses parties », du corps charnel sujet à l’accident, de la créature hétérogène ? Et cet être désarticulé et antinomique dont les pieds sont orientés dans une direction et la tête rejetée en sens inverse ne se présente-t-il pas comme « enclin à toutes les pulsions irraisonnées », pulsions dont Jean Scot distingue le lien étroit avec la mort [165]. Un autre détail vient confirmer cette parenté entre l’image et le texte, c’est le ventre souligné d’un pli circulaire, qui semble retomber légèrement par-dessus la ceinture (ill. 30), et illustre ainsi la suite du texte qui évoque ces « corps gonflés mortels et corruptibles dont nous sommes accablés ici-bas [166] ». Pour l’auteur du Periphyseon, il est clair que ces corps « doivent leur origine non point à la nature mais au péché [167] » et il ajoute : « Tous les accidents surajoutés à la nature humaine par suite du péché originel disparaîtront [168] », disparition nécessaire et libératrice, dont l’attitude du personnage qui porte ses clochettes comme un joug, évoque le caractère libérateur [169]. Ce « joug » répond à celui sur lequel sont fixées les cordes de la lyre du troisième ton, le « joug aimable » du Christ [170]. À nouveau les images se répondent. D’ailleurs, si les jambes du porteur de clochettes, sièges de pulsions irraisonnées, c’est-à-dire si la partie basse de l’animal humain, s’éloignent du Christ du troisième ton, la tête siège de la partie noble et de l’homme image de Dieu, se retourne vers Lui ; le procédé est identique à celui utilisé pour le personnage féminin, et le sens qu’il faut lui attribuer est le même. On retrouve d’ailleurs exactement le même procédé au tympan de Conques sur lequel le personnage de Marie Madeleine, la pécheresse repentante, à l’extrême gauche du registre principal semble, comme le quatrième musicien de Cluny, s’éloigner du Christ par la partie basse de son corps, tandis que son visage, siège de la partie haute, adopte l’orientation inverse [171].
Car la mort physique n’est pas la fin de la créature, non seulement à cause de la résurrection finale, mais parce que la vie spirituelle se poursuit par-delà la disparition des corps. Jean Scot, en effet, expose avec fermeté que « l’âme rationnelle continue à agir après la décomposition de son corps [172] », et cet enseignement du Periphyseon a du retenir toute l’attention de moines dont la vocation première était de prier pour le salut des défunts, et à qui l’on doit, sous l’abbatiat d’Odilon, l’introduction dans le calendrier d’un jour de prière pour les morts : « tous les jours de la vie que mène l’esprit, durant lesquels il travaille à purifier la terre de son cœur […] désignent aussi cette durée temporelle durant laquelle les âmes humaines, après avoir abandonné le contrôle de leurs corps, subsistent dans une autre vie jusqu’au moment où elles récupèrent leurs corps [173] ». La purification se poursuit donc au-delà de la mort du corps, « c’est-à-dire après sa décomposition et son retour dans les quatre qualités élémentaires cosmiques [174] », dans une autre vie [175]. L’âme rationnelle continue « à exercer un contrôle naturel sur les composantes de son corps disséminées parmi les éléments [176] ». C’est ce que Jean Scot appelle « manger la terre de son cœur ».
Et l’enseignement érigénien se poursuit tandis que la signification de ce panneau sculpté s’enrichit de cet enseignement. Car la mort elle-même appartient au monde du péché et, comme l’affirme l’apôtre, à la fin des temps, « le dernier ennemi détruit sera la mort [177] ». À ce titre la mort n’a rien de triste [178] et c’est la raison du choix du mot « simulans » dans le texte du titulus. Jean Scot observe que « la haine de la mort répond à un instinct inné chez l’homme [179] » mais, dans la mesure où la mort est la conséquence du péché, il en déduit que cette haine n’est qu’une forme particulière de la haine pour le péché [180]. Ce qui, aux yeux du monde peut paraître triste, ne l’est donc pas et le musicien, nous l’avons souligné, porte ses clochettes comme joug [181] : « car il est indubitable que les corps gonflés, mortels et corruptibles dont nous sommes accablés ici-bas, doivent leur origine non point à la nature mais au péché. Tous les accidents surajoutés à la nature humaine par suite du péché originel disparaîtront, une fois que notre nature aura été rénovée dans le Christ et restaurée dans son état primitif. [182] » Dans ces quatre premiers tons de la musique, c’est toute l’histoire de la création qui est passée en revue selon la symbolique des nombres. Mais, la méditation ne s’arrête pas aux quatre premiers, comme on pourrait s’y attendre et comme le voudrait une stricte logique, car aux quatre tons eux-mêmes ont été ajoutées les cinq clochettes du monde sensible, et les six cordes de la perfection retrouvée dans le Christ. De cette façon, ce chapiteau ressemble à un Hexameron, et son lien avec le chapiteau du Péché originel devient soudain étroit. Comme celui-ci envisageait la chute du premier couple humain, non à la manière d’un événement passé, mais comme un état présent de la créature pécheresse séparée de Dieu, le chapiteau des quatre premiers tons raconte l’histoire d’une re-création, d’un retour, d’une re-naissance, non pas future et dans l’au-delà, mais bien présente et commencée ici-bas dans les âmes qui le désirent. Il est clair que ce discours s’adressait aux moines, mais il est remarquable qu’il ne se limitait pas aux moines et le choix de musiciens laïques ouvrait cette perspective à toute l’humanité.

31. Mars-sur-Allier (Nièvre),
Tympan de l’église Saint-Julien, début du XIIe siècle
Christ au Tétramorphe,
Photo : BSG
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Il faut ajouter encore que l’attitude contradictoire ou antinomique de ce quatrième musicien contient un dernier enseignement : Yves Christe [183] a montré que la représentation fréquente du Christ entouré des quatre Vivants de la vision d’Ezéchiel, dans laquelle les figures s’écartent du Fils de l’Homme tout en se retournant vers Lui, proposait une transcription adéquate du double mouvement de procession et de conversion, de diffusion et de récapitulation que Jean Scot perçoit au centre de la création. Or c’est précisément cette vision du « Christ assis sur les nuages, appuyé sur l’Évangile et entouré des animaux de l’Apocalypse [184] » qui, à Cluny, figurait à la conque de l’abside. On peut suggérer que le musicien du quatrième ton apportait, dans son incohérence apparente, un écho volontaire, précis et, au contraire, parfaitement cohérent, aux animaux du Tétramorphe, par une sorte de conformité soumise exprimant, par-delà ses imperfections assumées et dépassées, son retour dans l’harmonie céleste. Un rapprochement imprévisible s’établit ainsi avec la figure de l’homme [185] de certains Tétramorphes qui présente cette même attitude de tension inversée. Le tympan de la petite église du prieuré clunisien de Mars-sur-Allier en apporte une illustration saisissante (ill. 31).

Ainsi l’incohérence de cette quatrième figure, remarquée par tous les archéologues, bien loin d’être celle d’un jongleur ou d’un acrobate, ne serait que l’image ultime de l’antinomie introduite dans l’humanité par le péché d’Adam, antinomie partagée par tous [186], que même saint Paul reconnaît en lui et dont il avoue souffrir, antinomie transcendée dans le Christ du troisième ton. C’est elle qui habite déjà la joueuse de cymbales, dont le quatrième ton ne fait qu’amplifier le désordre animal. Son oscillation latérale, la ligne ondulante de sa silhouette, se retrouvent ici comme synthétisées dans le corps désarticulé du joueur de clochettes. Mais, comme la femme sensible se soumet à l’homme intérieur, et l’aιςθήσις au νο̃υς, le quatrième musicien revient vers le Christ. C’est en intégrant le péché que la nouvelle Création dans le Christ transcende la première, et que s’opère le Mystère du salut.


32. Tympan de l’église Saint-Julien
Figure de saint Matthieu ou de l’homme
Photo : BSG
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33. Le quatrième ton
Cluny, Musée Ochier
Photo : BSG
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Il reste encore à observer que cette mort de l’univers physique symbolisé par le chiffre quatre, devrait logiquement intervenir au sixième chapiteau, contrairement à l’ordre actuel de présentation qui l’a placée à la septième place. Car la Création est l’Œuvre des six Jours, au terme desquels l’homme commit le péché, se sépara de son Créateur et tomba dans la corporalité. Cette corporalité devrait se dissoudre au sixième chapiteau. « Car, lorsque le monde sensible, auquel l’homme animal appartient comme une de ses composantes, disparaîtra, tout ce qui est animal en l’homme périra avec le monde sensible et dans le monde sensible [187] ». Dans son Traité sur l’Évangile de S. Luc [188], si connu et médité à Cluny, saint Ambroise contemple le sixième miracle qui est justement celui de la vocation de Lévi [id est Matthieu] qu’il met en relation avec le sixième jour de la Genèse. Selon lui, la vocation de Matthieu lui a donné « une forme nouvelle. Or c’est le sixième jour que fut créé l’homme, c’est par la sixième œuvre du Christ qu’est reformée, non l’ancienne créature, mais une nouvelle. [189] ». Une telle phrase donne tout son sens au rapprochement du quatrième ton avec la figure de Matthieu sur certains tétramorphes (ill. 32 et 33), et Pierre le Vénérable établit, dans sa prédication, une relation directe entre ce texte et le premier ton occupé à fabriquer sa vièle : « Sexta die, homo conditus ad laborem nascitur [190] », montrant à nouveau la familiarité des moines avec cette pensée. L’homme a été créé le sixième jour et son histoire reprend où elle s’est interrompue, par l’obéissance de la créature à l’ordre divin de « travailler » qui le ramène au Paradis. La lecture du Periphyseon et les liens étroits qui unissent à chaque instant le texte et les sculptures, jusque dans ses détails en apparence les plus insignifiants, impose impérativement de séparer la paire constituée par les deux chapiteaux des tons de la musique, en introduisant entre eux le chapiteau du Paradis (ill. 34). Cette nécessité inattendue de faire éclater une paire cohérente, monographique et continue, découle de la lecture des quatre premiers tons. Elle a pour conséquence imprévue de renvoyer ce chapiteau justement à la place où il prend toute sa signification. Cette place est bien la sixième.


34. Chapiteau du Paradis
Musée Ochier
Photo : BSG
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35. Huitième et dernier chapiteau
Musée Ochier
Photo : BSG
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Car si l’on suit le texte inspirateur, l’Adam primordial façonné par Dieu dans la boue et dont le nom signifie justement « le terreux », l’homme générique en qui l’humanité se trouve récapitulée, la créature pécheresse parvenue à conformer sa volonté propre avec celle de son Créateur et réintroduite dans l’harmonie perdue, doit revenir dans le jardin d’Eden qui n’est autre chose que sa nature véritable [191]. Pour Jean Scot en effet, le Paradis n’est pas un lieu mais un état métaphysique, celui de « l’âme féconde plantée dans l’Eden [192] » et, depuis la Résurrection du Christ, toute l’humanité est appelée à y revenir. « La nature humaine créée à l’image de Dieu, est indiquée selon le mode du discours figuratif par l’Écriture sainte sous le mot de Paradis [193] ». Rappelons que cette interprétation était familière aux moines de Cluny comme en témoigne, une fois encore, un sermon de Pierre le Vénérable [194] dans lequel, il reprend une méditation de saint Ambroise [195] sur les différents jardins de l’Écriture. Le destin du quatrième ton est donc son retour au Paradis, qui doit ainsi suivre immédiatement le premier chapiteau de la musique.
Et parce que l’Incarnation a ouvert une perspective plus grandiose, et que la Résurrection a donné aux parfaits la possibilité de s’élever encore au-delà, jusque dans l’intimité même de la Trinité sainte, le Paradis lui-même n’est plus la béatitude ultime. Une autre destinée surnaturelle, que Jean Scot désigne comme un retour spécial, est désormais réservée au petit nombre. En elle se réalisera l’échange parfait entre le Créateur et la créature, en accordant à celle-ci la « theosis », c’est-à-dire la divinisation, la pénétration dans la nuée céleste. C’est le sujet du second chapiteau musical (ill. 35) qui montre les musiciens des quatre derniers tons admis, au-delà du Paradis, à cette forme supérieure de la béatitude, à l’intérieur même du cercle divin.

Dominique Bonnet Saint-Georges

Notes

[1Ce n’est pas un thème fréquent, mais il en existe d’autres exemples, comme celui d’un chapiteau plus tardif de l’église Notre-Dame de Cunault en Anjou, ou dans l’église abbatiale de Saint Hilaire, dans l’Aude.

[2« Une seule incarnation du chant religieux figure dans la sculpture romane en France : le moine de St Quentin-de-Baron (Guyenne)  », Lionel Dieu, « La musique ecclésiastique sur les chapiteaux de Cluny » ; Études grégoriennes XXVIII, Solesmes, 2000, p. 143.

[3Au moins pour les quatre tons dont la tête existe encore.

[4Le thème du musicien se retrouve dans d’autres monastères clunisiens, à Souvigny, à Charlieu, etc.

[5Le désir parfois avancé de varier le thème en introduisant une diversité dans les musiciens, n’est pas une explication recevable dans un programme dont la nature théologique s’impose, et dont la complexité apporte un sens précis à chaque détail. Le désir de « faire joli » ne semble avoir été la préoccupation ni des commanditaires ni des exécutants.

[6On ne peut que renvoyer à la bibliographie concernant les tons de Cluny : L. Shrade, « Die Darstellung der Töne an den Kapitellen der Abteikirche zu Cluny », Scientia musica, 1929, p. 113-151 ; K. Meyer, « The eight gregorian modes on the Cluny capitals », The art bulletin, juin 1952, p. 75-94 ; J. Chailley, « Les huit tons de la musique et l’ethos des modes aux chapiteaux de Cluny », Acta musicologica, 1985, p. 73-94 ; « Essai d’explication des chapiteaux de Cluny. Les huit tons de la musique », Requirentes modos musicos, Mélanges offerts à Dom Jean Claire, Solesmes, 1995 ; L. Dieu, « La musique ecclésiastique sur les chapiteaux de Cluny », Études grégoriennes XXVIII, Solesmes, 2000, p. 143-164 ; Isabelle Marchesin, « Les chapiteaux de Cluny. Une figuration du lien musical », Les Cahiers du musée de la musique, n°6, 2005, p. 84-90. La liste n’est pas exhaustive.

[7Ils sont mentionnés pour la première fois par Alcuin et mis en relation avec l’Écriture par Cassiodore, Isidore de Séville et ensuite par Raban Maur. É. de Bruyne, Études d’esthétique médiévale, Louvain, 1947, Paris, 1998.

[8Un lectionnaire de Nevers, antérieur à 1060, associe des instrumentistes aux neumes : un musicien souffle dans un instrument à vent, un autre joue d’un instrument à cordes avec un archet. Un tonarium du XIe siècle illustre également chaque ton par un musicien. BN. lat. 1118. A. Machabey, « Introduction à la lyrique musicale romane », CCM 1959, vol. 2, n° 2-6, p. 203-211. Pour K. Meyer, comme pour E. M. Vetter et P. Diemer, l’iconographie des deux chapiteaux clunisiens était tirée d’un traité d’Odon. C’était déjà l’opinion de Conant, mais la recherche a montré que cet Odon, auteur d’un Dialogue de la musique, n’était pas l’abbé de Cluny. K. Meyer, « The eight gregorian modes of the Cluny capitals », Art Bulletin XXXIV, 1952, p. 74-94. E.M. Vetter, P. Diemer, Zu den Darstellungen der acht Töne im Chor der ehemaligen Abteikirche von Cluny, Köln, 1970, p. 37-48. Odon, Opuscula de Musica, PL. 133, 517-638, M. Huglo, « L’auteur du Dialogue sur la musique attribué à Odon », Revue de musicologie 55, 2, 1969, p. 119-171.

[9Reginon de Prüm, Epistola de harmonica institutione, 4. Octo toni de musica artis : « Toni naturalis musicae sunt quatuor principales (et quatuor accedentes), toni vero artificialis musicae sunt quinque et duo semi-tonia ; in naturali musica omnes octo toni integri sunt atque perfecti » ; « Oportet enim ut omnes integri atque perfecti toni inter se differant aequis dimensionibus, id est octava sui parte ».

[10Pph. I, 456 B, vol.1, p. 87.

[11« Car la procession des créatures et le retour de ces mêmes créatures sont si étroitement connexes […], que ces deux pulsions semblent indissociables l’une de l’autre et qu’il s’avère absolument impossible pour quiconque de donner une explication convenable et valable de l’une sans introduire corrélativement l’autre dans son explication. » Le mot procession doit être compris dans le sens que Jean Scot lui donne : il désigne ce qui procède de Dieu.

[12Cette image est une des plus fréquemment utilisées dans l’œuvre de Jean Scot et, en particulier dans le Periphyseon, Pph. 602 BC, 621 C, 625 A, 637 A, 639 C, 640 A, 882 A, 901 A ; Homélie sur le prologue de Jean, éd et traduc. É. Jeauneau, SC n° 151, Paris, 1969, p. 251 : « Vois comment les lignes en nombre infini ne font qu’un dans un unique point ».

[13Puisée dans Denys, reprise par Maxime, dont Jean Scot n’hésite pas à citer intégralement les textes. Denys, Noms divins, V, 6, PG 3, 821 A. Maxime, Ambigua, PG 91, 1081 C.

[14C’est un thème que l’on trouve chez Macrobe, Commentaire sur le Songe de Scipion, I, vi, 7, édit. I. Willis, p. 19 : « monas […] fons et origo numerorum » ; chez Denys, Noms divins, PG 3, 820 D- 821A ; il a été repris par Maxime, puis par Jean Scot, Pph. III, 653 B-654 A, 657 AB, etc. ; É. Jeauneau, « Jean Scot et la métaphysique des nombres » Begriff und Metapher, éd. W. Beierwaltes, Heidelberg, 1990, p. 126-141 ; D. J. O’Meara, « The metaphysical use of mathematical concept in Eriugena » , ibid, p. 142-148.

[15Pph. V, 869 BC, vol. 4, p. 23 ; « Que dire de la musique ? [...] ne débute-t-elle pas aussi à partir de son principe que l’on appelle le ton et qui se meut en composant des harmonies simples ou complexes ? Après, […] la musique retourne vers le ton, c’est-à-dire vers son principe… ».

[16Cette conception harmonique de l’univers exprimée par des images musicales est relevée par I. Marchesin dans ses différentes analyses. « Cosmologie et musique au Moyen Âge », Le Moyen Âge entre ordre et désordre, catalogue de l’exposition, Cité de la musique, Paris, 2004, p. 29-35. « Les images musicales occidentales du VIIIe et IXe siècles. Une exégèse visuelle », Proceedings of the conference on biblical studies in the early Middle Ages. Gargano (Italie), éd. del Galluzzo, 2001, p. 259-282. Elle la développe dans son ouvrage L’Image Organum. La représentation de la musique dans les psautiers médiévaux, 800-1200, Brepols, Turnhout, 2001 et la retrouve dans les musiciens de Cluny : « Les chapiteaux de la musique de Cluny : une figuration du lien musical » Actes du colloque Les représentations de la musique au Moyen Age, Paris, Cité de la musique, avril 2004, p. 163-169.

[17Pph. III, 722 A, vol. 2, p. 237. É. Jeauneau, « Jean Scot et la métaphysique des nombres », Begriff und Metapher. Sprachform des Denkens bei Eriugena, Heidelberg, 1990, p. 126-141.

[18Pph. III, 722 A, vol. 2, p. 237.

[19Pph. III, 722 B, vol. 2, p. 238.

[20Les expéditions spatiales ont permis au grand public d’« entendre » cette musique, illustrant ainsi la théorie érigénienne selon laquelle, en se fondant sur la physique, on peut établir que « les mouvements propres à chacune des planètes engendrent leurs sons propres, à partir desquels s’harmonise l’harmonie générale de toutes les symphonies célestes réglées par des lois déterminées. »

[21Cora E. Lutz, Annotationes in Marcianum, Cambridge (Mass.), Mediaeval Academy of America, 1939, p. 30 ; Pph. III, 648 C, appendice au Livre III, vol. 2, p. 303.

[22Pour Jean Scot et pour les néoplatoniciens, cette notion d’harmonie est celle qui rend le mieux compte de cette unité multiple selon laquelle doit être comprise la Création divine : « La beauté de l’univers créé comme une totalité consiste en une merveilleuse harmonie entre les natures semblables et les natures dissemblables, qui synthétise dans une unité ineffable les divers genres et les diverses espèces, ainsi que les différents ordres de substances et d’accidents. » Pph. III, 637 D- 638 A, vol. 2, p. 96.

[23Pph. III, 637 D- 638 A, vol. 2, p. 96.

[24I. Marchesin a établi cette articulation fondamentale entre la beauté de la liturgie et l’harmonie de l’univers. « Les images musicales au VIIIe et IX siècles. Une exégèse visuelle ». C. Leonardi et G. Orlandi, Proceedings of the conference on biblical studies in the early middle ages, Gargano (Italie), juin 2001, éd. del Galluzzo, p. 259-282. L’importance du nombre comme lien entre les images et la musique est évoqué dans un autre article : « Le statut du Nombre dans les miniatures du haut Moyen Âge. État de la question » Cahiers de métrologie, 2005, p. 19-26.

[25La recension des travaux consacrés à l’iconographie de ce chapiteau a été faite avec une grande rigueur dans la thèse de S. Biay. Les chapiteaux du rond-point de la troisième église abbatiale de Cluny, fin XIe,début XIIe, Étude iconographique, Université de Poitiers, 2011.

[26Jean Michaud, « Les inscriptions romanes des musées Ochier et du Farinier à Cluny », Cahiers de la civil. méd., 38e année, Poitiers, avril-juin 1995, p. 169. Le catalogue de la bibliothèque de Cluny, contemporain des chapiteaux, était découpé en sections rassemblées chacune sous un titre rédigé en hexamètres léonins comme les tituli eux-mêmes. V. von Büren, « Le catalogue de la bibliothèque de Cluny du XIe siècle reconstitué » Scriptorium, 46, 1992, p. 259.

[27La tentation des chercheurs a été, la plupart du temps, d’étudier chaque vers séparément, en n’envisageant que la relation possible de chacun avec la figure à laquelle il était associé. Il est pourtant nécessaire de prendre aussi en compte celle qui pourrait exister – et qui doit exister ! – entre les vers eux-mêmes, c’est-à-dire d’envisager ce poème comme un tout cohérent. C’est précisément sur le lien entre les figures qu’a porté l’analyse d’I. Marchesin, « Les chapiteaux du déambulatoire de Cluny (XIIe siècle). Une figuration du lien musical », op. cit. tandis que la thèse de S. Biay propose une analyse serrée des termes choisis : S. Biay, Les chapiteaux du rond-point de la troisième église de Cluny. (fin XIe-début XIIe), Étude iconographique, CESCM, Poitiers, 2012.

[28L. Dieu, « La musique ecclésiastique sur les chapiteaux de Cluny », Études grégoriennes XXVIII, Solesmes, 2000.

[29En grec authentes, c’est-à-dire maître ; Guy d’Arezzo donne au mot le sens d’originaire, premier : « l’aigu de chaque mode se nommerait authente, c’est-à-dire originaire et premier, quant au grave, il s’appellerait plagal, c’est-à-dire latéral et mineur  », L. Dieu, op. cit. p. 148.

[30En grec plagios, c’est à-dire oblique ; L. Dieu, op. cit. p. 148.

[31J. Chailley, « Les huit tons de la musique et l’ethos des modes aux chapiteaux de Cluny », Acta musicologica, 57-1, 1985, p. 73-94. I. Marchesin, « Les chapiteaux de Cluny. Une figuration du lien musical », Cahiers de la musique, n° 6, 2005, p. 84-90.

[32Tous les U de l’inscription adoptent le graphisme latin V, sauf le dernier écrit en onciale, comme le M qui le précède. L’utilisation du verbe « ordior » implique que ce premier ton est le point de départ de tous les autres. J. Chailley, « Les huit tons de la musique et l’éthos des modes aux chapiteaux de Cluny », Acta musicologica, 57-1, 1985, p. 74. J. Chailley rapproche le titulus de la phrase, souvent citée, de Macrobe : « unus, non numerus, sed fons et origo numerorum. », « Essai d’explication des chapiteaux de Cluny. Les huits tons de la musique. », Requirentes modos musicos, Mélanges offerts à Dom Jean Claire, Solesmes, 1995, p. 204.

[33L. Dieu, « La musique ecclésiastique sur les chapiteaux de Cluny », op. cit. p. 150, « l’instrument du premier ton serait plutôt destiné à devenir une vièle ».

[34La marche sous les pieds du Christ se retrouve, identique, intégrée dans d’autres mandorles dont elle coupe le tracé comme à Cluny. C’est le cas à Conques, à Autun, à la Charité sur Loire, etc.

[35Saint Ambroise s’étonne de lire que le Christ renverse les sièges [cathedras] des marchands du Temple et écrit qu’il ne comprend pas ce détail de l’Evangile : « car les marchands d’oiseaux ne peuvent revendiquer la distinction d’un siège d’honneur au marché », Traité sur l’Évangile de S. Luc, IX, 19, G. Tissot, SC 52, II, p. 147. Le premier ton est ici bien assis sur une « cathedra ».

[36L. Dieu, « La musique ecclésiastique sur les chapiteaux de Cluny » op. cit. p. 148-149.

[37Basile de Césarée, Homélies sur l’Hexaemeron, trad. S. Giet, SC 26 bis, 1949. Deux homélies (X et XI) sont venu compléter les neuf prononcées en 378 : Sur l’origine de l’homme, trad. A. Smets et M. van Esbroeck, SC 160, 1970.

[38Grégoire de Nysse, La création de l’homme, trad. J. Laplace, commentaires J. Daniélou, SC 6, 1943. Le texte de Grégoire se veut comme un complément ou comme l’achèvement de celui de Basile.

[39Gn 1, 28 ; « multipliez, emplissez la terre et soumettez-la, dominez sur les poissons […], les oiseaux […] et tous les animaux  ».

[40Cette théorie est évidemment à l’origine des marques précises de taille répétée sur les troncs des pommiers sur le chapiteau du Péché originel.

[41Basile, Sur l’origine de l’homme, Homélie I, 8 , p. 185 ; Basile paraphrase l’ordre divin selon une série de formules vigoureuses : « Tu as donc été créé pour commander […] Sois maître en toi de tes pensées pour devenir le maître de tous les êtres  » et il conclut : « ainsi le pouvoir qui nous a été donné à travers tous les êtres vivants nous prépare à exercer l’empire sur nous-mêmes » ; Sur l’origine de l’homme, Homélie I, 19, A. Smets et M. van Esbroeck, SC 160, 1970, p. 219.

[42Basile, Sur l’origine de l’homme, Homélie I, 8, SC 160, op. cit. p. 185.

[43Grégoire de Nysse, De Imagine, (n° 24 du catalogue de la bibliothèque de l’abbaye) dans la traduction de Jean Scot. Grégoire de Nysse utilise le mot βασιλικόν pour désigner l’homme maître de lui et de la création. La création de l’homme, 136 B, J. Laplace, SC 6, 1943 (chapitres IV et V), en ligne. M. Cappuyns, « Le De Imagine de Grégoire de Nysse traduit par Jean Scot Érigène », Revue de théologie ancienne et médiévale, T. 32, Louvain, 1965, p. 205-262. É. Jeauneau, « La bibliothèque de Cluny et les œuvres de l’Érigène », Pierre Abélard et Pierre le Vénérable, édit. du CNRS, 1975, p. 708-709. É. Jeauneau note qu’il y a, à l’époque de saint Hugues, trois versions du De Imagine dans la bibliothèque de Cluny.

[44Pph. IV, 782 B, vol. 3, p. 116 : « Car quel philosophe authentique pourrait ignorer que le monde sensible avec tous les existants qu’il contient, depuis le plus noble jusqu’au plus humble, a été créé pour l’homme afin qu’il préside au monde et qu’il commande à tous les existants sensibles ? » Pph. IV, 758 B, vol. 3, p. 76. On peut multiplier les citations.

[45Pph. IV, 761 A, vol.3, p. 80.

[46Pph. IV, 764 B, vol.3, p. 86 ; la noblesse de la nature humaine est le thème principal du Livre IV dans lequel le maître et le disciple contemplent longuement « l’exaltation de la nature humaine qui excède toutes les autres natures créées », reprenant les chapitres IV et V du De Imagine de Grégoire. Pph. IV, 782 A, vol.3, p. 116.

[47Jean Scot précise que « cette primauté a été conférée à l’homme que l’homme eût péché ou que l’homme n’eût pas péché. » Pph. IV, 758 C, vol.3, p. 77.

[48Ps 8, 6-7, cité par Jean Scot, Pph. II, 575 C, vol.1, p. 354 ; le repose-pied du Christ de son côté renvoie à l’Épître aux Éphésiens : « Il a tout mis sous ses pieds  » ; Éph. 1, 22.

[49Pph. IV, 732 A, vol.3, p. 82.

[50Lc. 15, 8-10 ; la drachme évangélique, frappée à l’image du monarque hellénistique, est cette image que cherche l’âme et à laquelle elle n’a plus accès sans effort et sans recherche. Comme sur la drachme, l’image de Dieu reste « imprimée  » dans la créature pécheresse, Pph. IV, 807 B, 807 C, 825 C, etc.

[51Pph. IV, 756 B, vol.3, p. 73. Cette idée est fondamentale et se retrouve exprimée indéfiniment dans le Periphyseon « La récapitulation unificatrice de toutes les substances […] débute à partir de l’homme et […] remonte par l’intermédiaire de l’homme jusqu’à Dieu Lui-même, qui est le principe initial de toute division et le terme final de toute unification. » Pph. II, 531 D-532 A, vol. 1, p. 293.

[52Lc. 15, 11-32.

[53Pph. V, 1005 A, vol. 4, p. 206. Jean Scot reprend l’exégèse d’Ambroise. Traité sur l’Évangile de S. Luc, VII, 231-32, SC 52, op. cit., p.95.

[54Pph. V, 1005 B, vol. 4, p. 206

[55« Ce n’est pas selon le corps mais selon l’âme que l’image de Dieu est imprimée dans notre nature  », Pph. II, 567 B, vol.1, p. 342.

[56Pph. II, 570 BC, vol. 1, p. 347.

[57« Car toute la nature humaine a été recréée dans le seul intellect, de telle sorte que rien ne reste plus dans la nature humaine, excepté le seul intellect dans lequel elle contemplera son Créateur. » Pph. V, 874 B, vol. 4, p. 30.

[58Pph. III, 633 A, vol.2, p. 89.

[59Pph. III, 633 A, vol.2, p. 89.

[60Pph. III, 633 C, vol.2, p. 90.

[61Pph. III, 634 A, vol.2, p. 90.

[62Le mot « orditus » utilisé dans le titulus du premier ton a donné notre mot « ourdir  » qui contient la double idée d’une préparation et d’un travail. C’est le premier sens que lui reconnaît Gaffiot et il s’accorde pleinement avec cette interprétation de la figure sculptée d’un facteur d’instrument. S. Biay, dans l’analyse minutieuse qu’il fait des inscriptions, a examiné le choix de ce verbe et le sens particulier qu’il donne au vers. S. Biay, Les chapiteaux du rond-point de la troisième abbatiale de Cluny, Thèse de doctorat, université de Poitiers, nov. 2011.

[63Le musicien qui fabrique son instrument renvoie à l’image de Dieu artiste qui revient dans le Periphyseon, Pph. II, 635 C- 636 A, IV, 768 B, etc. et que Jean Scot a trouvé chez Ambroise : Traité sur l’Évangile de Luc, G. Tissot, SC 45 bis, II, 85, p. 112, III, 2, p. 118-120, V, 97, p. 218.

[64« Le long manche est en partie détruit […] mais n’apparaît aucune des chevilles qui servent à tendre les cordes, absentes elles aussi ». L. Dieu, op. cit. p. 149 ; « l’absence de cordes permet de croire que l’instrument n’est pas joué mais en cours de fabrication », ibid. p. 150.

[65« La main tient quelque chose d’impossible à identifier, probablement un outil de luthier, peut-être un polissoir » ; L. Dieu, op. cit. p. 150.

[66Pph. IV, 760 D, vol.3, p. 80.

[67C’est dans le chapitre IX du texte de Grégoire, que Jean Scot et les moines de Cluny ont sans doute trouvé la théorie de la communication entre les êtres par l’intermédiaire de la musique.

[68Pph. IV, 769 B, vol.3, p. 95.

[69M. Goullet, « Planctum describere : les deux lamentations funèbres de Jotsaud en l’honneur d’Odilon de Cluny. Le planctus de transitu domni Odilonis abbatis Cluniacensis », CCM 1996, vol. 39, p. 197, Iotsaldi planctus de transitu domni abbatis Cluniacensis.

[70Virgil Gheorgiu, Pourquoi m’a-t-on appelé Virgil ?, éditions du Rocher, Paris, 1990.

[71Pph. III, 633 C, vol.2, p. 90. Grégoire de Nysse La création de l’homme, 136 B, J. Laplace, SC 6, 1943, en ligne. « L’esprit, comme un musicien, produit en nous le langage », (chap. X).

[72Pph. IV, 782 B, vol.3, p. 116.

[73Pph. II, 531 D, 532 A, vol. 1, p. 293.

[74É. Jeauneau a montré que, dans l’œuvre de Jean Scot, la nécessité du travail et de l’effort était un thème récurrent. É. Jeauneau, « Quatre thèmes érigéniens », Conférences Albert le Grand, 1974, Montréal, Paris 1978. L’élagage précis et réitéré des deux pommiers du chapiteau originel, et de la vigne du Paradis illustre parfaitement ce thème.

[75Tous les U de l’inscription sont écrits V sauf le dernier qui est écrit en onciale à moins qu’il ne s’agisse d’un o et donc d’une erreur du sculpteur qui aurait gravé secundos au lieu de secundus. C’est ce qu’affirment certains de ceux qui ont eu l’occasion d’examiner l’inscription de près.

[76K. J. Conant a proposé de voir dans le cinquième ton, « une dame qui saute ».

[77« virilis et matronalis » ; Aribon, Scriptores de musica sacra, Martin Gerbert, 1784, vol.2 ; cité par L. Dieu, « La musique ecclésiastique sur les chapiteaux de Cluny », op. cit. p. 146-148.

[78Pph. IV, 836 D, vol.2, p. 197 ; Jean Scot cite saint Augustin, In Johann. Evang. Tract., IX, X, PL 35, 1453.

[79Selon l’Écriture, les créatures surgissent de la Parole de Dieu par ordre croissant de dignité, mais cette hiérarchie est abandonnée et inversée par les exégètes dès qu’il s’agit de la femme. Ce refus du texte sacré entraîne une série de contradictions qu’il faut compenser au mieux et qui compliquent le discours, en particulier chez Jean Scot, comme chez Ambroise et, comme ici, à Cluny.

[80Subsequor indique une subordination : le sens est suivre immédiatement, venir après, accompagner.

[81Pph. IV, 821 B, vol.3, p. 174.

[82Et tout particulièrement pour saint Ambroise.

[83Pph. IV, 818 A, vol.3, p. 170.

[84« L’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal correspond à un mal pernicieux et mortifère, dissimulé sous la forme du bien et cet Arbre a été planté, en quelque sorte, dans la femme », Pph. IV, 826 D, vol.3, p. 182.

[85Pph. IV, 855 C, vol.3, p. 225.

[86Rm 7, 23, cité par Jean Scot, Pph. IV, 855 D, vol.3, p. 225.

[87Pph. IV, 855 D, vol.3, p. 225.

[88Pph. IV, 856 A, vol.3, p. 225.

[89À la suite d’Ambroise sur l’autorité de qui Jean Scot Érigène fonde son affirmation. É. Jeauneau, « La division des sexes chez Grégoire de Nysse et chez Jean Scot Érigène », Eriugena, Studien zu seinen Quellen, Heidelberg, 1980, p. 33-54.

[90Pph. IV, 854 D, vol.3, p. 223.

[91Augustin, De Musica, trad. et annoté par J.C. Dumas, Paris, 1988, I, 2, 2-3, p. 557. Augustin précise que modulamen qui est le mot employé sur le titulus du premier ton « vient de modus, mesure  », ce qui apparente la musique à une science. Ibid, I, 2, 3, p. 359.

[92Ibid.

[93Pph. II, 534 A, vol.1, p. 295. Cette certitude est exprimée à maintes reprises dans le Periphyseon ; Pph. V, 896 A, vol. 4, p. 61.

[94Ga. 3, 28 « Il n’y a ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. »

[95Pph. II, 534 A, vol.1, p. 295.

[96Grégoire, Commentaire sur les titres des psaumes, XLIV, 484 B, traduit et cité par J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, p. 177 « Le son des cymbales, excitant les esprits pour participer au chœur divin me paraît symboliser l’union de notre nature à celle des anges. »

[97Pph. IV, 833 AB, vol.3, p. 191 ; Jean Scot reprend le parallélisme entre le couple formé par Adam et Ève et celui qui unit le Christ à l’Église, de saint Augustin qu’il cite d’ailleurs ; Pph. IV, 836 D, vol. 3, p. 197.

[98Léo Schrade, « Die Darstellung der Töne an den Kapitellen der Abteikirche zu Cluny », Vierteljahrsschrift für deutsche Literaturwissenschaft 7, 1929.

[99Micrologus XV ; trad. et comment. M. N. Colette et J. Ch. Jolivet, Institut de pédagogie musicale et chorégraphique, 1993, cité par L. Dieu, op. cit. p. 146-148, n.10.

[100Op. cit. p. 151.

[101C’est le sens du mot.

[102Gn., 3, 16 « Tu te tourneras vers ton mari et il dominera sur toi » ; cité par Jean Scot, Pph. IV, 856 AB, vol. 3, p. 225.

[1031 Cor. 11, 3-15. De toutes les figures féminines des chapiteaux, la danseuse du deuxième ton est la seule à avoir été affublée d’un voile aussi long.

[104« Même si le mâle a été créé à l’extérieur du Paradis, c’est-à-dire dans un lieu inférieur, le mâle reste cependant supérieur à la femelle ; en revanche, la femelle qui a été créée dans un lieu supérieur […] reste néanmoins inférieure au mâle… » écrit Ambroise, De Paradiso, 4, édit. K. Schenkl, repris et cité par Jean Scot, Pph. IV, 816 C, vol.3, p. 168.

[105Guy d’Arezzo, Micrologus, traduction et commentaires M. N. Colette et J. Ch. Jolivet, Institut de pédagogie musicale et chorégraphique, Paris 1993, cité par L. Dieu, op. cit., p. 146-148, n.10.

[106Dans sa démonstration des modes sous forme de « cercles » Aribon, comme à Cluny, réserve la voix grave au chœur des femmes (matronalis), tandis que le chœur « virilis » chante la voix haute. Corpus scriptorum de Musica, édit. Joseph Smits van Waesberghe, American Institute of musicology, université d’Indiana, 1951.

[107Deuterus, mode du mi ; L. Dieu, op. cit. p. 147.

[108Jean Scot met en relation cette tripartition de la nature humaine avec la parabole de la femme qui met un morceau de levure dans trois mesures de farine. Mt. 13, 33, Lc. 13, 20-21.

[109Pph. II, 533 A, vol.1, p. 294.

[110Pph. IV, 743 B, vol.3, p. 52.

[111Pph. IV, 836 CD, vol.3, p. 196-197. Et Jean Scot décline la comparaison : « Dans le premier Adam, la chair a été échangée contre la côte, c’est-à-dire que la force a été échangée contre la faiblesse, dans le second Adam, la faiblesse et la mort ont disparu de la nature humaine tandis que la force et la vie éternelle ont été conférées à la nature humaine ».

[1121 Col., 15, 22, cité par Jean Scot, Pph. IV, 836 C, vol.3, p. 197 ; Pph. II, 533 A, vol.1, p. 294.

[113Pph. IV, 836 C, vol.3, p. 196.

[114« Jésus unifia en Lui-même la division de notre nature humaine, c’est-à-dire le mâle et la femelle. Car ce n’est pas dans un corps sexué que le Christ ressuscita des morts, mais dans celui de l’homme en tant que tel. » Pph. II, 537D, vol. 1, p. 301. Jean Scot cite Maxime.

[1151 Col., 15, 22 ; Cette idée est reprise de nombreuses fois dans le texte : « Lors de la résurrection, le sexe sera aboli et la nature humaine sera réunifiée, et il n’y aura plus que l’homme pur et simple, tel qu’il aurait été s’il n’avait pas péché… » Pph. V, 893 C, vol.4, p. 57 ou, plus loin : « C’est ainsi que le sexe sera métamorphosé en l’homme puisque le sexe est inférieur à l’homme pur et simple » ibid., « Cette division a toutefois entamé le commencement de son unification dans le Christ Jésus qui a révélé véritablement en Lui-même le Prototype de la restauration de la nature humaine et qui a fourni une analogie de notre propre résurrection »

[116Pph. II, 537 D-538 A, vol.1, p. 301.

[117« Car le Christ ressuscita sans la dualité des sexes. Même si ce fut dans ce sexe masculin […] que le Christ apparut à ses disciples après la Résurrection » Pph. V, 894 AB, vol.3, note 281, p. 286-287.

[118Pph. V, 894 AB, vol.3, note 281, p. 286-287.

[119Éph. 4, Pierre le Vénérable utilise cette phrase dans son sermon sur la Transfiguration, Petrus Venerabilis Cluniacensis abbas, Sermones, PL 189, col. 958.

[120Pph. IV, 743 AB, vol.3, p. 52.

[1211 Col. 2, 15.

[122Pph II, 576 B, vol.1, p. 356 ; II, 595 A, vol.1, p. 386 ; V, 982 AB. Vol. 4, p. 176.

[123Pph. IV, 803 C, vol.3, p. 148.

[124Nature et Écriture sont en effet les deux formes de la Révélation. Urs von Balthasar, Liturgie cosmique, Paris 1947, p. 18. H. de Lubac, Exégèse médiévale, t. 1, Paris 1959, p. 121-125.

[125Commentaire sur l’Évangile de Jean I, XXIX, É. Jeauneau, SC 180, Paris 1999, p. 155-157 ; la même idée est développée dans Pph. V, 1005 B, vol. 4, p. 206 : « ce sont ces deux catégories, à savoir l’Écriture et la création visible qui constituent en quelque sorte la corpulence du Christ, car c’est en elles et par elles qu’on Le connaît, pour autant qu’on puisse Le connaître  » ; ce symbolisme se trouve déjà chez Denys et chez Maxime : Ambigua ad Iohannem, VI, 468-471, CCSG 18.

[126L’histoire du salut va de « l’informité propre à notre imperfection […] consécutive au Péché originel commis par l’Homme Primordial », à « l’Homme Parfait [qui] n’est autre que le Christ en qui tous les hommes trouvent leur accomplissement », Pph. IV, 743 A, vol.2, p. 52.

[127D’autres propositions ont été faites pour l’identification de cet instrument, harpe, psaltérion, cithare. Pour L. Dieu « il s’agit d’une lyre jouée en pincé » ; op. cit. p. 153.

[128Denys, Hiërarchie céleste, II, IV-1, 22, « La souveraine Bonté [appelle] à la participation de son existence les créatures diverses. » En ligne.

[129Pph. IV, 785 D, vol.3, p. 122

[130Pph. II, 530 D, vol.1, p. 291.

[131Éph. 1, 22

[132« Métaphoriquement, la musique de David met le monde en ordre sur la base de lois mathématiques, de lois édictées par Dieu », I. Marchesin, « Temps et espaces dans le frontispice du psautier de la première Bible de Charles le Chauve. » I. Marchesin observe que « il n’est pas une image musicale illustrant un psautier qui ne renferme explicitement ou implicitement la relation typologique établie par toute la tradition exégétique entre David et le Christ. » Zur Methodik der Bildinterpretation, sous la direction de Andrea von Hülsen-Esch et de Jean Claude Schmitt, 2002.

[133Reginon de Prüm évoque Orphée rappelant Eurydice de l’enfer par le son de sa cithare. Epistola de harmonica institutione, c. 500, cit. par É. de Bruyne, I, Études d’esthétique médiévale, op. cit. p. 337-338.

[134I Cor. 15, 3 ; c’est aussi la formulation du Credo : « Et resurrexit tertia die. »

[135Pph. IV, 745 C, vol.3, p. 56. Pierre le Vénérable reprend cette argumentation : ”Nam et sexta die homo conditus ad laborem nascitur, et Christus, proba, flagella, crucem et mortem patitur, et septima a laboribus vacare Deus praecepit, ipseque in assumpta carne liber a passionibus in sepulcro quiescit”, Petrus Venerabilis, Sermones, PL 189, col. 954-955.

[136Jn. 19, 30.

[137Pph. IV, 748 B, vol.3, p. 60.

[138Pph. IV, 748 BC, vol.3, p. 61. « L’Esprit du Christ, en baissant la tête, qui est le Christ, a été livré à une mort momentanée de la chair, pour la rédemption de toutes les créatures dont Il est le Premier-Né, Lui qui a rendu l’Esprit et qui est « retourné à sa terre », c’est-à-dire qui est revenu dans cette terre humaine qu’il avait abandonnée à la suite du péché originel commis par l’Homme Primordial. »

[139Augustin, Enarrationes in Psalmos, 56, 16, CESL 94, 20, p. 705-706. J. M. Fritz, « Cithares et harpes allégoriques dans la théologie et la littérature du Moyen Âge, XIIe-XIVe siècles », Les représentations de la musique au Moyen Âge, colloque, Paris, Cité de la musique, avril 2004. Pour saint Ambroise, la lyre est le corps « dont l’âme joue parfois à son unisson comme fait l’artiste avec son instrument ». Traité sur l’Évangile de S. Luc, II 69, SC 45 bis, p. 103.

[140L. Shrade, « Die Darstellung der Töne an den Kapitellen der Abteikirche zu Cluni », Scientia musicae, Münster, 1929.

[141Planctus exprime l’action de se frapper dans la douleur et, au figuré, la lamentation (Gaffiot)

[142Jotsald de Saint Claude, Planctus de transitu domini Odilonis abbatis cluniacensis, édit et trad. Monique Goulet, « Planctum describere : les deux lamentations funèbres de Jotsaud en l’honneur d’Odilon de Cluny », Cahiers de la civilisation médiévale 39, 1996, p. 187-210.

[143Disciplina farfensis, PL 140, 1290-1299, Rome, Bibl. Vatic., lat. 6808, fol.106-108, cité par L. Dieu, op. cit. p. 154.

[144Même si la polyphonie du premier est encore virtuelle

[145T. Gregory, « L’eschatologie de Jean Scot », Jean Scot Erigène et l’histoire de la philosophie, Paris, 1977.

[146I Cor., 15, 22-26.

[147On peut lire dans la déploration de Jotsald après la mort d’Odilon que « Le Père de la nature, auteur et créateur de toutes choses, a voulu que les mourants rejoignent les ténèbres du couchant ».La phrase est mise dans la bouche de la Raison. Iotsaldi planctus de transitu domni Odilonis abbatis cluniacensis, 23-24, trad. M. Goulet, CCM 1996, vol. 39, p. 195.

[148La Résurrection du Christ appartient au troisième jour, celle de Lazare a eu lieu le quatrième, chacun des chiffres ayant valeur d’enseignement.

[149Augustin, Commentaire sur le sixième Psaume, trad. abbé Morisot, 1875.

[150« Notre univers […] se compose du ciel et de la terre […] a été formé par un concours de quatre éléments agglomérés sous la forme d’une sphère parfaite et auquel on donne le nom de monde  », Pph III, 648 B, vol.2, p. 114.

[151P. E. Dutton, Raoul Glaber’s ʺ De divina quaternitate ʺ : an unnoticed reading of Eriugena’s translation of Maximus the Confessor, Mediaeval Studies, 42, 1980, p. 431-453.

[152Jean Scot relève aussi que dans l’Œuvre des six Jours, après le premier jour intelligible, la création sensible occupe quatre jours ; le sixième est celui de l’homme et le septième est le sabbat ; Pph. IV, 781 D, vol.3, p. 115.

[153Pph III, 663 B, vol.2, p. 141.

[154Pph V, 899 AC, vol. 4, p. 65 ; cette idée est souvent reprise, Pph V, 876 A, vol. 4, p. 32.

[155Pph V, 898 C, vol.4, p. 64.

[156Pph. IV, 852 C, vol.3, p. 220.

[157L. Dieu note que ces carillons, bien connus par les manuscrits, comportent « sept à dix cloches »

[158I. Marchesin n’en reconnait que quatre, en contradiction avec le plus grand nombre des autres chercheurs. Mais c’est peut-être par un effet de glissement de la place du ton au nombre de clochettes. Le dessin de F. van Risamburgh fait état de cinq clochettes. Carnet, folio 31, 17-18 octobre 1814, Musée Ochier.

[159Pph. II, 569 C, vol.1, p. 345. Or, quelques lignes plus haut, Jean Scot considère que « la décomposition du corps et le retrait de la vie qui l’animait, entraînent le complet anéantissement du sens extérieur », Pph II, 569 A, vol.1, p. 345. Dans le Livre V, Jean Scot souligne fortement la correspondance entre le chiffre cinq et le corps mortel : « Le corps correspond au nombre cinq, à savoir les quatre éléments corporels et la forme, qui harmonise et informe les éléments. » Pph. V, 874 A, vol. 4, p. 29.

[160Pph. II, 569 C, vol.1, p. 345.

[161Gn.3, 15.

[162Pph IV, 852 D, vol.3, p. 220.

[163« La totalité du monde sensible a été créée dans l’homme. Car on ne peut trouver aucune composante du monde sensible, qu’il s’agisse d’une propriété corporelle ou d’une propriété incorporelle, qui ne subsiste comme créée en l’homme. » Pph. IV, 764 A, vol.3, p. 85.

[164Pph. II, 571 BC, vol.1, p. 348.

[165« Les mouvements irrationnels, qui inhèrent naturellement à la vie animale, et qui inhèrent comme des passions à la vie humaine […] ont entraîné la chute de l’homme, et c’est à partir [d’eux] que l’homme a été entrainé dans la mort corporelle et dans la décomposition. » Pph. V, 875 B, vol. 4, p. 31.

[166Pph. II, 571 D, vol.1, p. 349.

[167ibid.

[168L. Schrade, « Die Darstellung der Töne an den Kapitellen der Abteikirche zu Cluni » Vierteljahrsschrift für deutsche Literaturwissenschaft, 7, 1929, p. 255.

[169On peut lire un écho de cette image dans le planctus composé pour Odilon, et d’où s’échappe ce soupir : « Ah, que la condition humaine est lourde à supporter. ». Jotsald de Saint Claude, Planctus de transitu domini Odilonis abbatis cluniacensis, édit et trad. Monique Goulet, « Planctum describere : les deux lamentations funèbres de Jotsaud en l’honneur d’Odilon de Cluny », Cahiers de la civil. Méd. 39, 1996, p. 198, v. 29. Mais le texte de Jotsald apporte aussi une interprétation complémentaire du carillon susceptible de se transformer en « cloches de la résurrection », p. 196, v. 73.

[170Mt. 11, 30. « Car mon joug est aimable et mon fardeau léger. »

[171Pierre Séguret, Le tympan de Conques, www.webcompostella.com

[172Pph III, 732 AB, vol.2, p. 229.

[173Pph IV, 858 AB, vol.3, p. 228. Grégoire de Nysse compare la dissolution du corps au mercure (le vif argent) qui s’éparpille lorsqu’on le répend et qui peut retrouver sa cohésion parfaite après cet éclatement temporaire. La Création de l’homme, trad. J. Laplace et notes de J. Daniélou, SC 6, 1943, en ligne, chap. XXVII, 4.

[174ibid.

[175« Qui durera jusqu’à la fin du monde, quand interviendront à la fois la résurrection des corps et le jour du Jugement dernier. Tels sont les jours durant lesquels l’esprit humain mange la terre de son cœur, c’est-à-dire se livre à une activité de purification. » Pph. IV, 858 B, vol. 4, p. 229.

[176Pph III, 732 AB, vol.2, p. 255.

[177I Cor, 15, 26.

[178Le biographe d’Odilon, Jotsald, montre l’abbé de Cluny chantant sur son lit de mort et multiplie à son propos les adjectifs comme « laetus, jucundus et festivus ». Patrick Henriet, « Saint Odilon devant la mort. Sur quelques données implicites du comportement religieux au XIe siècle », Le Moyen Age, 96, 1990, p. 227-244. Maxime le Confesseur écrit dans les Ambigua : « Ce terme de la vie présente, je ne crois pas juste de l’appeler mort, mais délivrance de la mort, séparation de la corruption, libération de l’esclavage », (Ambigua, question 10, trad. E. Ponsoye, p. 190-191), et saint Paul « La vie, c’est le Christ et mourir représente un gain » Phil. 1, 21. etc..

[179Pph. IV, 760 C, vol.3, p. 80.

[180« Si la haine de la mort répond à un instinct inné chez l’homme, comment l’homme n’aurait-il pas inscrit dans la haine inhérente à sa nature même, la cause de la mort, je veux dire, le péché ? » Pph. IV, 760 C, vol.3, p. 80.

[181L’image contient sans doute aussi une allusion à la parole de Jésus : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés » Mt. 11, 28, citée et commentée par Maxime, Ambigua, 120 b, trad. É. Ponsoye, p. 149, tandis que l’instrument du troisième musicien renvoie à la suite du même texte : « car mon joug est aimable et mon fardeau léger ».

[182Pph. II, 571 D, vol.1, p. 349

[183Yves Christe, Les grands portails romans, Genève, 1969, p. 56-57.

[184Lettre d’Alexandre Lenoir à Chaptal, 7 août 1800, K. J. Conant, op. cit. p. 11.

[185Les ailes qui accompagnent la figure ne sont pas celles d’un ange mais sont communes aux quatre Vivants et expriment leur mouvement autour de Dieu. L’homme ailé a été assimilé à l’évangéliste Matthieu.

[186« Le contemplatif est entravé, le corps l’entraine, qui devient indomptable » Maxime le Confesseur, Ambigua, question 7, trad. É. Ponsoye, édit. De L’Ancre, 1994, p. 132.

[187Pph. IV, 763 B, vol.3, p. 84.

[188Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de S. Luc, SC 45 bis, trad. et notes de G. Tissot, 1971.

[189Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de S. Luc, I, V, 27, trad. et notes de G. Tissot, SC 45 bis, 1971, p. 193.

[190Petrus venerabilis cluniacensis abbas, Sermones, PL 189, Paris 1980. De Tranfiguratione Domini, col. 954-955.

[191É. Jeauneau, « Le thème du retour », Études érigéniennes, 1987, p. 356-394.

[192Pph. IV, 815 D, vol. 3, p. 167.

[193Pph. IV, 822 A, vol.3, p. 175.

[194In Laude Sancti Sepulchri Domini, PL 189, col. 980, cité par R. Folz, « Pierre le Vénérable et la liturgie », Pierre Abélard et Pierre le Vénérable, Cluny, 1972, coll. internat. du CNRS, Paris, 1975, p. 147.

[195Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de S Luc, VII, SC 52, op.cit, p. 75.

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